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Jean Calvin, 57 sermons sur Ésaïe 42-51

STAWARZ-LUGINBUEHL, Ruth (Ed.), GRANDJEAN, Michel (Ed.)

Abstract

Ces documents proposent la transcription des 57 sermons contenus dans le Ms. fr. 19 de la Bibliothèque de Genève. Prêchés par Calvin entre le 31 décembre 1557 et le 13 juin 1558, la totalité de ces sermons consacrés aux chapitres 42 à 51 d'Ésaïe est inédite et fait l'objet d'un projet éditorial rattaché à la Faculté de théologie de l'Université de Genève et financé par le FNS (voir métadonnées). Pourvus d'un apparat critique, d'une annotation, d'une introduction et de diverses annexes, ces prédications seront publiées dans la collection des Supplementa Calviniana (Éditions Droz, Genève). Ce volume viendra compléter les autres sermons sur Ésaïe déjà édités dans la même collection (Es 13-29, SC vol. II, éd. Georges A. Barrois; Es 30-41, SC vol. III, éd. Francis M. Higman, Thomas H. L. Parker, Lewis Thorpe; Es 52-66, SC vol. IV, éd. Max Engammare). Nota bene: l'orthographe est fidèle au texte d'origine, mais la

ponctuation est modernisée. Pour plus d'informations, voir

www.unige.ch/theologie/calvin-sermons/

STAWARZ-LUGINBUEHL, Ruth (Ed.), GRANDJEAN, Michel (Ed.). Jean Calvin, 57 sermons sur Ésaïe 42-51. In: Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 19. 2021. p. 1r°-498v°

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75967

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1 /273r°/

31/230. Du jeudi 24e jour de mars 1558.

Descends, sieds toy en la pouldre, pucelle, fille de Babilone, sieds toy sur la terre, il n’y a plus de siege royal pour la fille des Caldeens, on ne te nommera plus tendre et delicate. Prens la meule, mouls la farine, oste tes tressures, descouvre tes pieds et tes jambes pour passer les rivieres. Tes parties honteuses seront descouvertes et s’appercevront. Je te chastieray, et ne viendra-on point au devant de toy, voire nul homme n’y viendra. Nostre Redempteur, le Seigneur des armées, son nom est le saint d’Israel. Sieds toy toute coye, entre en tenebres fille des Caldeens, on ne t’appelera plus dame des royaumes.

Isaye, chapitre 47.

Nous vismes hier comme Dieu vouloit monstrer sa justice en retirant son peuple de la captivité de Babilone. Or, pource que cela estoit dificile à croire, le prophete conferme son propos en disant que Dieu pourra tellement changer en une minute l’estat de Babilone que rien n’empeschera que les Juifz ne retournent en leur païs et en l’heritage qui leur avoit esté promis. Car nous avons veu ci dessus combien ceste monarchie estoit puissante, tout trembloit souz icelle, jamais on n’eust cuidé qu’elle deust estre assaillie, et d’autre costé il y avoit si grande estendue au long et au large, il y avoit tant de forteresses, tant de peuples sujets que c’estoit comme si une ville avoit une centaine de murailles et de rampars et de fossez. Or, tant y a que le prophete prononce que toute ceste hautesse sera bien tost abatue et toutes ses forces seront bien tost destruites quand Dieu y aura mis la main. Mais à fin que ceci eust encores plus de vertu, il s’adresse à Babilone comme s’il la tenoit là /273v°/ à ses piedz : « Descens, vierge, fille de Babilone, que tu sois à terre, que toutes tes mignardises cessent et que tu sois mise bas, que tu sois comme une povre chambriere, trousse toy, que tu ailles piedz nudz ; mesmes il faudra que toutes tes parties honteuses soient descouvertes. » Or, en ceci il sembleroit bien que le prophete excedast mesure pource qu’il estoit au païs de Judée. Et combien qu’encores les Caldeens ni dominassent pas, tant y a que c’estoit un païs gasté et quasi desolé du tout. Et mesmes il est bien certain qu’alors ils s’estimoient comme une brebis en la gueule d’un loup, d’autant que les Caldeens dominoient desja en Assirie. Et nous avons veu que le païs de Judée avoit esté saccagé par les Assiriens. Or, ils estoient devenus souz la sujettion de Babilone. Quand le prophete donc parle ainsi à un royaume si haut, si excellent et si terrible, il semble que cela soit quasi ridicule, mais il a voulu exprimer quelle autorité il y a en la Parole de Dieu, laquelle ne s’apperçoit point des incredules, mais en despit de leurs dents si faut-il qu’ils la sentent en la fin. Comme saint Paul dit que ceux qui ont la charge d’enseigner ont le glaive au poing. Non pas un glaive materiel pour tuer, mais la Parole (dit-il) emporte tousjours une certaine condamnation sur les rebelles. Et puis il faut (dit-il) que tout sens humain soit là captivé et que tous ceux qui s’elievent contre l’obeissance de nostre Seigneur Jesus Christ soient humiliez. Voilà donc

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2 quelle force il y a en la Parole de Dieu et quelle est sa vraie nature. Vray est (comme j’ay desja dit) que les contempteurs de Dieu s’en moquent, car il leur semble bien que ce n’est qu’un son qui retentist et puis qui s’escoule, mais tant y a que Dieu monstrera que ce n’est point en vain qu’il a dit à son prophete Jeremie : « Je t’establiray sur les royaumes et principautez pour arracher et /274r°/ pour planter, pour edifier et pour demolir. » Quand donc Dieu veut que sa Parole se publie, il faut qu’elle ait quant et quant son effect et que cela se monstre en deux sortes, c’est à savoir que ceux qui s’humilient de leur bon gré soient puis après appuiez et soustenuz de la grace de Dieu et ceux qui dressent les cornes soient renversez et qu’ils cognoissent ce qui est dit en l’autre passage, que la Parole de Dieu est un feu qui brule et consume tout, et que les hommes qui s’y opposent et qui y veulent contredire sont comme estoupes pour estre tantost aboliz.

Voilà donc ce que nous avons à observer en ce passage quand le prophete parle à une majesté si grande, et qu’il adjourne devant soy la ville de Babilone avec toute son estendue, et qu’il luy prononce sentence de condamnation. Et il ne le fait pas en qualité d’homme mortel, car autrement c’eust esté moquerie, mais il cognoit qu’il est envoié de Dieu avec telle puissance que la Parole qui procede de sa bouche ne sera point frustratoire. Voilà donc comme il se confie de parler ainsi et d’user comme d’empire à l’encontre de la ville de Babilone. Or là dessus, nous sommes admonnestez, quand la Parole de Dieu nous est preschée, de trembler souz icelle, comme Dieu aussi baille ceste affection-là à tous ses fideles. Apprenons donc de ne nous point rebequer, car nous n’y gagnerons rien, ce ne sera sinon regimber contre l’esperon. Craignons donc quand Dieu nous menace et, estans condamnez par sa Parole, que nous ne soions point si fols de nous flatter et cercher des eschapatoires. Brief, que nous craignions plustost d’ouir quelque condamnation de la Parole de Dieu que si nous avions tout le monde ennemi et que chacun conspirast à l’encontre de nous. Voilà en somme ce que nous avons à retenir de ce passage. Mais cependant soions tout asseurez que, quand les ennemis de l’Eglise et ceux qui molestent /274v°/ injustement les enfans de Dieu sont munis de toute puissance et mesmes que tout le monde les redoute, que c’est assès quand nous avons ceste promesse qu’en la fin ils seront confus. Tenons nous à cela et attendons hardiment que Dieu accomplisse ce qu’il a prononcé, car nous ne serons point frustrez ni deceuz en nostre attente. Le prophete Isaie a parlé pour un coup au peuple de Caldee et à la ville de Babilone, mais tant y a que ceste doctrine demourera jusques en la fin du monde, d’autant que par ces mots Dieu declare que tous ceux qui usent de cruauté à l’encontre de son Eglise viendront à conte. Et si aujourd’huy ils s’elievent en haute dignité, qu’ils s’augmentent en richesses et en credit tellement que tout le monde ploie souz eux, que tout leur obeisse et que mesmes ils soient espouvantables, neantmoins que Dieu les fera bien changer quand il luy plaira et qu’il les aura bien tost arrachez quand ils auroient fait leur nid par dessus les nues. Et voilà pourquoy notamment il dit : Il n’y a plus de siege pour la ville de Babilone. Par ce mot le prophete signifie ce qui est dit en d’autres passages, que l’office de Dieu est de mettre bas ce qui estoit bien haut elevé.

Non pas qu’il prenne plaisir à telles revolutions, mais pource que volontiers les grans

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3 roys et princes s’oublient et abusent de l’autorité qu’ils ont et prennent une licence si enorme qu’ils sont du tout insuportables ; voilà pourquoy Dieu les jette bas et les met en confusion et opprobre. Suivant cela (dy-je) maintenant le prophete declare qu’il n’y a plus de siege pour la ville de Babilone. Cela, du temps qu’il parloit, estoit bien incroiable, car un peu au paravant ceste monarchie s’estoit augmentée avec les Assiriens en sorte qu’ils avoient englouti le royaume d’Israel et de Sirie, ils avoient tant d’autres païs que merveilles, il y avoit ceste principauté d’Assirie au paravant, et la ville de Ninive, qui estoit mesmes renommée comme un petit monde, neantmoins n’en estoit qu’une petite portion. Le /275r°/ royaume de Judée estoit aux confins de ceste monarchie-là, tellement qu’ils avoient les ennemis comme à leurs portes, ils avoient esté pillez jusques au bout, tellement qu’il avoit fallu appouvrir le temple de Dieu pour paier tribut et rançon. Or donc, quand le prophete usoit d’un tel stile, disant « il n’y a plus de siege », il sembloit bien que cela fust hors de toute raison, mais tant y a qu’il est tout asseuré que Dieu l’advouoit et que bien tost après on cognoistroit qu’il n’avoit rien dit en vain. Ainsi donc apprenons de fermer les yeux quand nostre Seigneur menace les meschans et tous les tirans et persecuteurs de son Eglise, <que> nous ne soions point attachez à la puissance qu’on apperçoit, laquelle nous pourroit estonner, et que nous ne soions point tellement esblouiz que nous ne puissions adjouster foy à la Parole de Dieu ; mais, cognoissans que ce n’est que fumée que toutes les forteresses et munitions de ce monde, quand il plaist à Dieu souffler dessus, que cela s’esvanouist tantost, que nous soions tant plus fortifiez à l’encontre. Quoy qu’il en soit, retenons tousjours ceste doctrine, que Dieu elieve ce qui est contemptible selon le monde et qui est quasi jetté comme sus un fumier et, à l’oposite, qu’il renverse tous les palais et les sieges des rois et des princes, qu’il les despouille et les desarme tellement qu’ils sont en ignominie, au lieu qu’ils avoient esté adorez par tout le monde comme des idoles. Au reste, quand le prophete nomme Babilone vierge, ce n’est pas par honneur, mais il entend qu’elle a esté delicate et mignarde au paravant. Ainsi en se moquant il dit : « Venez çà, pucelle, d’orenavant il vous faut apprendre un autre estat, car vous avès esté cachée en l’umbre, vous avez esté parée et fardée, qu’il ne s’en falloit rien. O, il vous faut oster toutes ces mignardises ! Vous avez esté attifée en la teste, il y avoit les tressures, il y avoit des passefrillons. » Comme nous savons que les filles qui s’addonnent à pompes et à delices ne se contenteront pas de la beauté naturelle que Dieu leur a donnée, mais il faudra qu’elles se contrefacent avec des fers, qu’elles crepissent leurs /275v°/ cheveux et qu’elles aient les tressures et choses semblables. Le prophete use de ceste similitude-là, comme nous avons un autre passage au 26e chapitre de ce livre qui est du tout pareil, là où il est traité de la ville de Tir. Ce mot de « vierge » donc se prend en l’Escriture sainte en deux sortes.

Car quand il est parlé de l’Eglise de Dieu, elle est nommée vierge pource qu’elle est son espouse, laquelle il maintient en chasteté, comme cy dessus au 37e chapitre il avoit dit :

« Contre qui est-ce que le Roy d’Assirie a hoché la teste ? Contre qui est-ce qu’il a tiré la langue ? Ce n’est pas contre toy, vierge, fille de Syon. » Ainsi donc Dieu attribue ce tiltre honnorable à son Eglise : « Et bien, tu es comme une povre servante, les tyrans

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4 t’affligent, ils te foulent au pied, ils te crachent au visage, mais tant y a que je pren le tout comme fait à ma personne, car je t’ay receue à moy, et tu m’es conjointe en telle foy et amitié que, d’autant que je suis servi et honnoré au milieu de toy, il y a un mariage sacré et inviolable. » Voilà donc en quel sens le prophete appeloit Syon (qui estoit le lieu du temple) vierge. Mais ici, quand il parle de Babilone, il la prend pour une putain et une vilaine, laquelle toutesfois est tellement parée qu’il semble que ce soit une pucelle d’autant qu’elle s’entretient en ses delices, et semble qu’on n’y ose attoucher et qu’à grand peine l’oseroit-on regarder. Or là dessus, nous sommes admonnestez de ne point nous abbruver en delices et ne point aussi nous addonner à pompes et à vanitez du monde et à choses superflues, d’autant que Dieu non seulement ici, mais en beaucoup d’autres passages, declare que ceux qui se plongent ainsi en leurs voluptez et qui se mirent en leurs plumes, qu’il faut qu’ils soient visitez rudement. Ainsi apprenons encores que nostre Seigneur nous donne dequoy de n’estre point addonnez à trop grandes delices et superflues, mais que chacun s’appreste à souffrir quand il plaira à Dieu. Et que nous ne soions point trop amignardez, car cela ne fait sinon couver l’ire de Dieu quand les hommes se baignent ainsi en leurs voluptez et en choses semblables. Voilà pour un item. Et au reste notons que la condition /276r°/ des enfans de Dieu est meilleure que celle de ceux qui se promettent et se font accroire que tousjours ils seront en repos et que jamais le mal ne les pourra attoucher. Car encores que les enfans de Dieu soient en prosperité, si est-ce que du jour au l’endemain ils cognoissent que leur estat pourra estre changé. Là dessus, ils sont comme oiseaux sur la branche (comme on dit) : ils se disposent, quand il plaira à Dieu de leur envoier quelque affliction, de la porter patiemment et, au milieu de leurs aises, ils pensent tousjours à ce qui pourra advenir à fin de n’estre point surpris. Or, ce n’est pas ainsi des incredules, car quand Dieu leur donne quelque relasche, ils sont là confits en leurs delices. Il est vray que d’autre part il leur semble tousjours que la terre leur doive fallir et font leurs grans discours pour dire :

« Il pourroit bien advenir et ceci et cela », mais ce n’est pas pour se preparer au mal, c’est plustost pour le dechasser bien loin et s’endormir et demourer là du tout stupides, comme si la main de Dieu ne pouvoit approcher d’eux. Voilà comme font les incredules.

Or, si les fideles sont visitez et que Dieu les afflige, d’autant qu’ils ont preveu cela de longue main, il ne leur est pas tant estrange et, en s’humiliant et plorant pour leurs pechez, ils ne laissent pas toutesfois d’estre soustenus de ceste esperance qui leur est donnée, que Dieu ne les pressera point outre mesure et mettra fin à tous les chastimens qu’il leur envoie. Voilà donc comme les enfans de Dieu sont paisibles, quelques troubles et confusions qu’il y ait, qu’ils ne peuvent jamais tumber que sur leurs piedz, d’autant qu’ils sont fondez sur la Parole de Dieu, et s’esjouissent mesmes au milieu de leurs tristesses pource qu’ils sont asseurez que Dieu en la fin aura pitié d’eux et qu’il se souviendra de sa bonté. Voilà donc une consolation bien grande pour les fideles. Or, les mondains au contraire sont comme endormiz en leurs delices et voluptez. Et d’autant qu’ils se sont deceuz par vains allechemens et qu’ils se font accroire merveilles, ils ne peuvent nullement gouster la bonté de Dieu. Et ainsi quand Dieu leve la main sur eux

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5 pour les punir, ils sont saisiz de frayeur et, regardans ça et là, ils n’ont autre chose sinon effroiz de tous costez. Et quand on les console, ils ne sont point capables de rien recevoir. /276v°/ Puis qu’ainsi est donc, tant plus devons-nous estre enseignez à ne point nous amignarder. Mais quand Dieu nous espargne et qu’il a pitié de nostre foiblesse, que neantmoins nous ne laissions pas de regarder tousjours combien nostre condition est fragile et que cela soit pour nous adviser que du jour au l’endemain nous pourrions recevoir quelque coup. Et quand cela adviendra, que nous prions Dieu qu’il nous fortifie en patience et que nous sentions que nous ne sommes point abandonnez de luy. Et d’autant que les incredules sont pleins de presumption et de fierté et qu’ils se baignent tellement en leurs aises qu’il leur semble que Dieu ne les pourra point toucher mesmes du petit doigt, que nous sachions que leur ruine est tant plus prochaine. Car à qui est-ce que s’adresse ici le prophete ? A ceux qui ont esté enyvrez d’une folle outrecuidance et qui ont fait leur conte sans leur hoste, tousjours ils demeureroient à repos. Or, il dit qu’il faudra qu’ils changent tantost. Puis qu’ainsi est donc, quand nous verrons nos ennemis estre ainsi stupides et qu’ils feront leurs triomphes cuidans avoir tout gagné, sachons que leur ruine approche, car Dieu ne peut porter que les hommes le mettent ainsi en oubli et qu’ils se facent accroire qu’il y a un paradis et un estat permanent en ce monde pour eux, et cependant il faut qu’ils provoquent son ire. Au reste quand il est dit que Babilone prenne la meule et qu’elle moule de la farine, c’est pour monstrer que leur condition sera beaucoup plus extreme que de beaucoup qui sont vaincus. Vray est que la ville de Babilone n’a pas esté saccagée ni le peuple transporté, mais Cyrus (duquel il a esté parlé desja plusieurs fois) eut ceste astuce (comme mesme les payens ont testifié) qu’il fut contraint de souler les Caldeens, mais c’estoit pour les asservir tant mieux. Car le premier qu’il fit, ce fut de les desarmer tous et de ne leur laisser ni espée ni baston. Cela fait, il arme tous ses gens et les fait vivre en soldats et leur defend de se mesler de rien qui soit, mesmes /277r°/ de l’estat de la maison. Et cependant les Babiloniens s’assopissent en telle sorte qu’ils sont du tout effeminez. Voilà donc comme ils ont esté plus profond plongez en servitude. Or, d’autant que cela devoit advenir, c’est qu’ils seroient desarmez du tout et qu’avec le temps on les mineroit tellement qu’il n’y auroit plus nulle vertu ni resistence, voilà pourquoy le prophete dit qu’il faut qu’ils allent au moulin pour servir comme d’asnes. Car de ce temps-là on avoit une façon de moudre à bras plus qu’elle n’est aujourd’huy. Il est vray qu’encores en use- on, mais ce n’est qu’en cas de necessité. Or, alors il y avoit beaucoup d’esclaves au monde, et pourtant il y avoit force moulins à bras, et ceux qu’on vouloit chastier comme les mettant à la gehenne et à la torture, on les envoioit là aux moulins et les faisoit-on là travailler jusques au bout, comme des forsaires en navires, ils estoient là batuz et tormentez si cruellement que rien plus. Voilà donc en somme qu’a voulu signifier le prophete disant que la ville de Babilone sera ainsi traitée avec toute cruauté et vitupere.

Or, c’estoit un jugement dur et aspre. Mais aussi regardons quelle avoit esté l’ambition et l’orgueil de ce peuple-là. Après, si nous regardons aussi comme ils avoient esté excessifz en rapines et en pillages et combien ils avoient esté inhumains pour fouler aux

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6 piedz tous ceux qui leur estoient sujetz, nous ne trouverons point estrange que Dieu ait usé d’une si grande severité. Car combien que les Perses aient alors dominé en Babilone (qui estoit une nation barbare et quasi sauvage), si est-ce toutesfois qu’ils ont esté les mains de Dieu comme il nous est ici assès declaré et n’ont rien attenté de leur mouvement propre, car Dieu s’en est servi tellement qu’ils ont esté verges qu’il a manié de sa propre main, comme nous avons veu dessus du roy d’Assirie, qui estoit appellé comme coignée en la main de Dieu, et que Dieu en syoit aussi et en coupoit à sa volunté.

Ainsi donc en a-il esté des Perses. Et combien qu’ils aient espandu force sang humain, combien qu’ils aient pillé tous les thresors du /277v°/ monde, si est-ce neantmoins que Dieu a tellement besongné par eux qu’il a exercé sa juste vengeance sur ceux qui s’estoient au paravant delectez en proie et en saccagemens. Mais il nous faut tousjours noter la raison. Et quand nous serions tentez de murmurer à l’encontre de Dieu comme s’il estoit par trop extreme, que nous soions retenus de ce regard, c’est qu’il a beaucoup enduré de ceux qu’il a puni et que mesmes ils ont tant abusé de sa patience qu’il faut bien qu’ils paient les arrerages d’autant qu’ils se sont moquez, d’autant qu’il les avoit supportez tant et plus. Quand nous lisons que Dieu a voulu que tout fust exterminé au païs de Canaan et qu’on ne laissast nulle semence, il sembleroit qu’il y auroit eu là de la cruauté, mais si on regarde que quatre cens ans au paravant il avoit prononce que desja tous ces peuples-là avoient merité d’estre ostez et mis à mort et neantmoins qu’encores les endureroit-il jusques à quatre cens ans, quand nous voions qu’il y a eu si longue attente, il n’y a plus occasion de nous esbahir si Dieu a voulu tout raser pour un coup et qu’il n’ait voulu laisser nulle memoire de leur nom sinon en ignominie. Autant donc en est-il de Babilone. Et ainsi toutes fois et quantes que nous lisons ces passages, cognoissons que le Saint Esprit n’a pas voulu reciter une histoire froidement, mais qu’il nous a voulu donner instruction à fin que nous contemplions les jugemens de Dieu contre tous ceux qui sont addonnez à rapines et excès et extorsions et que nous soions, par ce moien, induitz à cheminer en crainte sans faire aucun tort à nul qui soit, comme nous avons veu par ci devant : « Vien-ça, toy qui saccages, il faut que tu ayes ton tour et ton reng. » Que nous cognoissions donc que Dieu rend en pareille mesure à ceux qui n’ont gardé ni equité ni droiture envers leurs prochains, qu’il faut aussi /278r°/ que la pareille leur soit rendue quand ils auront esté comme bestes sauvages. Or là dessus, le prophete s’exprime disant : C’est nostre redempteur, le Seigneur des armées, le saint d’Israel. Or, ici il marque la cause pourquoy ce changement devoit venir en la ville de Babilone et en tout le païs de Caldée (comme desja il a esté exposé ci-dessus), car il ne falloit pas seulement que les Juifz cognussent que leurs ennemis seroient en brief abatus, mais qu’ils s’asseurassent qu’en cela ils avoient un tesmoignage infallible de la bonté de Dieu et de l’amour qu’il leur portoit. Si les Juifz seulement eussent cognu : « O, il y aura un changement, et ceste monarchie qui est si grande et si terrible s’en ira bas, et tous ces braves qui s’eslievent maintenant si haut deviendront povres malotruz », et bien, ils se fussent resjouiz en cela voiant leurs ennemis endurer ; mais c’eust esté une chose bien maigre sinon qu’ils eussent cognu (comme desja nous avons touché) que Dieu leur

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7 vouloit faire sentir par experience qu’il avoit le soin d’eux et que, d’autant qu’il les avoit eleuz et adoptez, qu’il les vouloit tenir en sa protection. Et combien qu’il les eust delaissez pour un temps, que ce n’estoit pas qu’il les eust quictez du tout. Quand donc ceci est dit que Dieu ruinant la ville de Babilone monstrera qu’il est protecteur de son peuple, c’est pour consoler les povres fideles quand ils estoient comme jusques aux abismes de mort, si est-ce que, s’ils peuvent encores jetter la veue sur le salut qui leur est appresté, ils cognoistront que Dieu leur tend la main et leur declare qu’encores il veut user de faveur paternelle envers eux. Voilà donc ce que le prophete a voulu dire, non seulement que /278v°/ Dieu punira les iniquitez de Babilone, mais qu’en ce faisant il monstrera par effect qu’il a tousjours pitié de ceux qui l’invoquent, et qui ont esté apuiez sur sa Parole, et qui en patience ont attendu son salut, d’autant qu’il leur avoit promis de ne leur point defaillir en la necessité. Or, ceci n’a pas esté seulement dit pour le peuple ancien mais aussi pour nous. Ainsi donc que nous cognoissions, toutes fois et quantes que nostre Seigneur chastie les contempteurs de sa majesté et de sa Parole, qu’il a esgard à nous, et qu’il monstre que vraiement il a soin de nostre salut, et qu’il le procure, et qu’il le veut soulager d’autant. Et que nous soions confermez en foy et en esperance d’autant plus et que nous soions aussi incitez de le cercher et avoir tousjours nostre refuge à luy.

Et devant que cela advienne, que sa promesse nous suffise, et qu’elle nous soit un appui certain, et que jamais nous n’en soions esbranlez mesmes au milieu de nos afflictions.

Or, il y a encores un poinct d’avantage, c’est que le prophete s’escrie comme d’une chose qui est advenue soudain et outre l’opinion commune. Brief, il est comme celui qui s’esveille et qui apperçoit ce qu’il n’avoit point cognu au paravant. Non pas que de longue main nous ne devions esperer en Dieu encores qu’il nous laisse languir et que nous ne devions tousjours avoir cela resolu qu’il sera nostre Sauveur combien qu’il se tienne caché. Mais il y a (comme nous avons veu au paravant) une cognoissance que Dieu nous donne par effect. Exemple : voilà les disciples qui avoient bien creu en l’Escriture sainte au paravant que nostre Seigneur Jesus Christ ressuscitast ; mais quand ils /279r°/ voient les marques de sa resurrection et qu’ils cognoissent et sont pleinement certifiez que cela n’avoit point esté promis en vain, il est dit qu’ils ont creu. Ainsi maintenant le prophete estant touché plus au vif de ce qu’il apperçoit en vision spirituelle dit : Voici vostre Dieu, voire le saint d’Israel. Apprenons donc, toutes fois et quantes que Dieu desploie ainsi son bras et qu’il nous donne quelque signe de sa vertu, d’estre tant mieux confermez. Et encores qu’il nous tienne en suspend et que, pour exercer nostre patience, il ne declare pas du premier coup sa bonté, toutes fois que nous ne laissions point de practiquer ceste doctrine, et (brief) au milieu de toutes les revolutions du monde, quand nous verrons les choses estre remuées d’un costé et d’autre, que tousjours nous cognoissions que Dieu gouverne tellement ses creatures que cependant il a un soin special de son Eglise pource que c’est sa maison et qu’il y veut faire sa residence. Brief, que c’est son repos, comme il l’appele au pseaume. Voilà en somme ce que nous avons à retenir. Or, le prophete ne se contente pas de dire : C’est le Seigneur, c’est le saint d’Israel, mais il dit que son nom est le Seigneur des armées à fin que nous apprenions de nous fier tant

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8 mieux en luy. Car combien que nous contemplions assès que Dieu est tout puissant, si est-ce, quand nous pourrons faire bouclier de ceste puissance infinie qui est en luy pour repousser les tentations desquelles nous sommes assailliz par Satan, que nous demourerons invincibles, comme il est dit que la foy nous doit servir de victoire contre tout le monde. Si donc nous avions cela, il est certain que nous marcherions tousjours outre et que rien n’empescheroit que nous ne vinssions /279v°/ tousjours franchement à Dieu et que nous n’eussions la bouche ouverte pour l’invoquer, mais nous sommes saisiz de fraieur en sorte qu’il nous semble que Dieu ne peut rien pour nous secourir quand nous sommes menacez du costé du monde. D’autant donc que nous avons une foy si debile, et mesmes que nous restraignons la vertu de Dieu, et que nous ne luy pouvons pas donner place ni ouverture comme il appartient, voilà pourquoy le prophete dit que Dieu est appelé le Seigneur des armées, qu’il s’attribue toute vertu et que nous le sentirons tel au besoin. Mais à fin que nous puissions recourir privement à luy, il dit qu’il est le Dieu d’Israel. Or, combien que Dieu declare sa puissance par tout, si est-ce que les incredules n’en peuvent estre consolez ni esjouiz. Il faut donc que nous aions quelque accointance plus privée à Dieu pour estre appuiez sur sa vertu à fin qu’elle nous soit comme une forteresse inaccessible, à ce que nous soions asseurez contre tous nos ennemis et contre toutes nuisances. C’est quant à ce qui est ici dit qu’il est nostre Dieu, qu’il est le saint d’Israel. Or pour savoir cela et pour en estre bien persuadez, il ne faut pas que nous examinions quels nous sommes ne quelle est nostre dignité, mais tenons nous à la promesse qui nous est donnée puis que Dieu a bien daigné nous choisir, comme nous sommes appelez par l’Evangile à nous mettre souz sa garde et qu’il nous asseure qu’il nous tiendra pour ses enfans et nous donnera la liberté de le reclamer comme nostre Pere. Tenons-nous hardiment à cela et nous ne serons point frustrez ni deceuz. Voilà en somme ce qui nous est ici declaré par le prophete. Or là dessus, il adjouste de rechef que Babilone /280r°/ se tienne coye et qu’elle entre en tenebres, qu’elle se cache de honte, car elle ne sera plus appelée maistresse des royaumes, mais c’est pour mieux confermer la raison qu’il nous avoit mise, c’est à savoir que Dieu non seulement vouloit punir en general les iniquitez des Caldeens, leur avarice et ambition, leurs pillages et leurs meurtres, mais qu’il vouloit prendre la cause de son peuple, comme elle estoit sienne.

Notons bien donc que le prophete n’a point ici voulu mettre en avant une doctrine confuse, mais que sur tout il a voulu donner bon courage à tous fideles à fin qu’ils cognussent que Dieu les a chers et pour recommandez quand il prend ainsi leur querele à soy. En premier lieu donc il dit que Babilone entre en tenebres et qu’elle se cache. En quoy nous voions (comme dessus) que c’est de l’orgueil du monde. Si donc les ennemis de Dieu s’elievent et cependant que tout le monde leur applaudisse et qu’il semble qu’ils soient comme l’estoile du matin (ainsi que nous avons veu par ci devant au 14e chapitre), qu’il n’y ait clarté que pour eux, et renom, et honneur, et richesses, et dignitez, et noblesse, et credit, tant y a que Dieu mettra tout cela en opprobre, comme il est dit que ce qui est bien haut et excellent entre les hommes n’est qu’abomination devant Dieu, voire quand les hommes abusent de toutes les graces qu’ils avoient receues de la main

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9 de Dieu. Voilà pour un item. Mais (comme j’ay dit) le principal est que nous considerions que Dieu a son Eglise plus precieuse que tous les royaumes et empires de ce monde. Il est vray que si nous regardons la multitude, il n’y a qu’une poignée de gens qui invoquent Dieu et qui le servent purement et mettent leur fiance en luy. Cependant tout le monde est rempli de ces /280v°/ geans, de ces tyrans et de ces braves qui cuident que tout soit souz leurs piedz, et sur tout ils estiment la povre Eglise de Dieu comme racaille et vermine. Et saint Paul, de fait, dit qu’il nous faut estre tenus comme la balieure du monde ; mais cependant contentons-nous que Dieu nous prise plus que tous ceux qui s’elievent ainsi et sont enflez en orgueil et outrecuidance. Voilà à quoy le prophete a regardé. Mais notons aussi que ceste doctrine n’a point servi à tous ceux qui pretendoient alors le nom de fideles, car il y en a eu beaucoup en Judée qui ont esté retranchez comme membres pourriz et sont periz en Babilone, d’autant qu’elle leur a esté comme un gouffre de damnation eternelle. Mais le prophete a voulu consoler les povres gens qui avoient offensé Dieu et estoient chastiez à bon droit, mais cependant n’avoient pas du tout rejetté la crainte et obeissance qu’ils luy portoient. Comme il pourra advenir que parmi les corruptions de ce monde les enfants de Dieu seront meslez, tellement qu’ils seront entachez de beaucoup de sortes et coulpables devant Dieu, mais tant y a qu’ils ne se desbordent pas avec telle impieté qu’ils soient comme apostats, qu’ils se moquent de Dieu, et qu’il n’y ait en eux que rebellion, et qu’on ne profite rien à les admonnester, mais ils auront tousjours quelque crainte et se condamneront en leurs vices, et verront bien qu’il y a beaucoup à redire, et s’accuseront mesmes, priant Dieu qu’il les retire à soy. Voilà comme au païs de Judée il y en a eu alors quelques uns qui ont esté retenus en crainte de Dieu, combien que le nombre en fust petit. Et c’est à ceux-là que le prophete parle maintenant et dit que la ville de Babilone sera chastiée d’autant qu’elle a aggravé le joug du peuple. Brief, nous voions /281r°/ que le prophete continue tousjours le propos qu’il a tenu, c’est que Dieu a eu pitié de ceux qu’il avoit esleuz et choisiz, et cela à cause de son alliance, car il dit « mon peuple ». Or, de là nous avons à recueillir une doctrine qui nous sera bien utile, c’est que si nous sommes chastiez et batuz pour nos pechez, que nous portions patiemment les coups de verges jusques à ce que le temps oportun soit venu que Dieu nous reçoive à merci. Et ainsi, que ceux qui nous affligent et tormentent s’apprestent à recevoir la pareille, et que nous attendions patiemment que Dieu les appelle à conte et que nous ne pensions pas qu’il soit endormi au ciel quand il les espargne pour un temps, car il faut que le jugement commence par sa maison, comme nous avons veu ci-dessus qu’il disoit qu’il consommeroit tous les meschans, voire après avoir accompli son œuvre en Syon, comme s’il disoit : « Il faut que je chastie mes enfans, et puis après il n’y aura nul qui m’eschape. » Quand donc nostre Seigneur commencera par nous et cependant ceux ausquels il donne la vogue et permet toute licence, s’ils se desbordent en toute cruauté contre les enfans de Dieu, que nous ne pensions pas pourtant qu’ils en aient meilleur marché, ne que leur condition soit plus desirable, mais baissons la teste de nostre costé, mesmes que nous soions comme abatus en la pouldre (ainsi que dit Jeremie) et attendons tout coiement que Dieu accomplisse ce qu’il a

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10 promis, sachans qu’il nous regarde tousjours en pitié. Et quand nous recevrons ses chastimens sans bouger, sans nous tempester contre luy, qu’en cela nous monstrons que nous avons profité en ses corrections et que cela nous a fait retourner /281v°/ au bon chemin. Et cependant ne doutons pas que la ruine de tous ceux qui nous molestent et nous persecutent ne soit prochaine, et que Dieu n’ouvre le sepulchre quand il nous voudra retirer de la confusion en laquelle nous estions plongez, et qu’il ne nous releve quand il semblera que nous soions accablez du tout. Que Dieu donnera la vogue aux meschans et que nous serons comme foulez aux piedz par eux, nous serons là comme en tenebres, mais quand il les rasera, nous verrons la clarté qui nous apparoistra, nous verrons comme Dieu nous est favorable et humain. Voilà donc comme nostre Seigneur besongnera moiennant que nous adjoustions foy à sa doctrine et que nous souffrions d’estre maniez par sa main, nous assujettissans du tout à luy comme des enfans paisibles à leur pere, et que sur cela aussi nous l’invoquions jusques en la fin, aians tousjours nostre recours à luy jusques à ce que nous aions experimenté que ce qu’il a promis il le tient tousjours. Or nous nous prosternerons devant la majesté de nostre bon Dieu en cognoissance de nos fautes, le priant que de plus en plus il nous face la grace de cognoistre et bien experimenter sa bonté. Et que ce soit pour corriger et aneantir en nous toute defiance pour adherer du tout à luy. Et que, s’il luy plaist de nous donner quelque prosperité, que ce ne soit pas pour nous elever en fierté et presumption, mais pour cheminer tousjours en crainte et solicitude. Et que nous ne soions point deceuz ni trompez par les meschans pour nous accorder à leurs impietez, mais, puis que Dieu nous a enseignez par sa Parole, laquelle nous reiglera tellement que /282r°/ nous ne pourrons fallir quand nous la suivrons, que nous demourions en la sujettion d’icelle et en vraie obeissance, jusques à ce que nous soions recueilliz en ce Royaume eternel, où nous jouirons de la victoire de nostre foy. Que non seulement il nous face ceste grace mais à tous peuples et nations de la terre etc.

La fin.

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11 /283r°/

32/231. Du vendredi 25e jour de mars 1558.

J’ay esté fasché contre mon peuple, j’ay profané mon heritage, je l’ay livré en ta main, et tu n’en as eu nulle pitié. Tu t’es esmeu contre et as aggravé son joug durement sur les anciens. Tu as dit : « Je seray maistresse à jamais », et tu n’as point mis en ton cœur et ne t’es point souvenue de la fin d’icelle.

Maintenant donc escoutes, delicate, qui te reposes en seurté et dis en ton cœur : « Je suis, et n’y en a point d’autre que moy, je ne demoureray point veufve et ne seray point despouillée d’enfans. » Or, ces deux choses t’adviendront soudain en un jour, que tu seras veufve et privée d’enfans, voire elles viendront sur toy en perfection pour la multitude de tes enchanteurs et devins.

Isaye, chapitre 47.

Combien que l’escriture sainte amene plusieurs raisons pour moderer nos tristesses et les adoucir quand nous sommes affligez de la main de Dieu et de ses verges, toutesfois elle nous ramene quasi tousjours là, que Dieu en punissant nos pechez ne laisse pas encores de nous porter amour. Car si nous n’estions persuadez de cela, nous serions tousjours prestz de tumber tousjours en desespoir. Car qu’est-ce d’apprehender l’ire de Dieu sinon de voir les abismes d’enfer ? Car l’ire d’un roy terrien sera message de mort. Comment donc au pris serons-nous espouvantez si nous sentons que Dieu nous soit partie adverse et nostre ennemi mortel ? Mais quand il declare qu’il nous veut retenir et ne veut pas exercer toute sa rigueur contre nous, mais en nous affligeant qu’il a esgard à nostre salut, voilà qui peut beaucoup alleger nos fascheries. Et sans cela aussi nous ne pourrions avoir aucune patience. Et voilà pourquoy il dit, quand nous aurons falli, qu’il nous /283v°/

chastiera en main d’homme. Car s’il vouloit desploier son bras, nous serions du premier coup aneantiz ; mais il se monstre pere encores qu’il use de grande rudesse et severité envers nous. Or, cependant les incredules, ne cognoissans point cela, cuident que nous soions du tout perduz si tost que Dieu nous envoie quelque affliction, et en font leurs triomphes, et exercent toute cruauté s’ils en ont ocasion et moien. Or, Dieu declare ici combien qu’à bon droit il chastie ceux qu’il a eleuz et qu’il advoue pour son peuple, toutesfois qu’il ne laisse pas de les aimer. Et cependant, si leurs ennemis les tourmentent trop durement, qu’ils soient inhumains contre eux, qu’ils leur facent beaucoup d’exces et d’extorsions, que tout cela viendra à conte. Voilà les deux poincts qui sont comprins en ceste sentence d’Isaie. Car Dieu dit qu’il s’est courroucé contre son peuple et qu’il a profané son heritage. Vray est que les Juifz ne meritoient pas d’estre reputez le peuple de Dieu, luy ainsi faussé la foy, comme nous avons veu que desja de long temps ils s’estoient tellement corrompus que le prophete Isaie les a nommez princes de Gomorre, qu’il n’y avoit plus qu’enormité confuse entre eux. Or, tant y a que Dieu, aiant esgard à sa promesse, dit qu’encores ils sont son peuple. Non point quant à la multitude, car c’estoient tous membres pourriz et qui estoient dignes d’estre retranchez de l’Eglise ;

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12 mais il y avoit tousjours quelque semence, comme nous avons veu au chapitre premier et 10e, que Dieu avoit quelque residu en ce peuple-là à fin que son nom fust invoqué au monde, comme il faut qu’il y ait tousjours quelque Eglise, non pas qu’elle se monstre et qu’il y ait grand’ pompe, mais Dieu cognoit les siens, voire et ce sont letres closes (dit Isaie), que souvent il semblera que Dieu n’ayt point un seul homme qui l’invoque purement, mais tant y a que son Eglise n’est jamais pleinement abolie. Or, il y en /284r°/

a d’autre costé beaucoup qui font semblant d’estre fideles, et tiennent leur rang, et veulent estre mesmes reputez supostz de chrestienté ; tant y a qu’ils n’appartiennent point à Dieu, car il cognoit leur ypocrisie et fiction. En somme, quand le prophete dit que les Juifz et tout le peuple d’Israel ont esté l’heritage de Dieu, il ne considere pas quelle estoit leur vie. Et puis il n’entend point cela de toute la multitude, mais il a esgard à ce que Dieu est constant en ses promesses et qu’il ne se repent point en son election, comme dit saint Paul. Puis qu’ainsi est donc qu’il avoit adopté ce peuple-là, il falloit que tousjours il y demourast quelque semence. Qui plus est, encores qu’il n’y eust que trois ou quatre fideles, si est-ce que toute la lignée d’Abraham demouroit tousjours lignée sainte au regard de l’election gratuite de Dieu, comme saint Paul en traite en l’onzieme chapitre des Romains. Et voilà pourquoy aussi la ville de Jerusalem est nommée la sainte cité combien que là il n’y avoit que rebellion contre Dieu, mespris de sa doctrine et une impieté horrible. Brief, ce n’estoient que racailles et une ordure abominable que des gouverneurs et du peuple de Jerusalem. Comment donc les Evangelistes la nomment- ils une cité sainte veu qu’elle est venue au comble de toute malice ? C’est pource que Dieu avoit declaré qu’il y feroit son repos et sa residence, et que le temps n’estoit pas encores venu qu’elle fust du tout rejettée, et que cela fust cognu et notoire à tout le monde. Nous voions donc maintenant ce que le prophete a ici entendu, c’est que les incredules abusent des chastimens de Dieu qu’il fait à son Eglise et cuident avoir tout gagné. Et alors ils pillent, ils saccagent, ils destruisent tout comme bestes enragées, car il leur semble qu’ils ont Dieu de leur costé. Comme nous avons veu par ci devant que Rabsaces disoit : « Je suis envoié de Dieu, je suis son lieutenant et je vous chastieray en son nom. » Mais c’estoit un vilain chien qui n’avoit nulle religion en soy. Comment donc ose-il prendre couverture du nom de Dieu ? Mais c’est la façon commune /284v°/ de tous ces moqueurs qui pensent que tout leur soit licite. Ceux-là donc, voiant que Dieu afflige son peuple, aggravent son joug de plus en plus, mais tant y a que Dieu amenera tout à conte, comme nous le voions. Et ainsi apprenons de porter patiemment les excès que feront contre nous les incredules quand Dieu leur voudra lascher la bride. Et ne pensons pas que cela demeure impuni, car ils auront leur tour ; mesmes que nous recourions à Dieu paisiblement et que nous sentions, puis que nous l’avons offensé, que c’est bien raison aussi que les creatures mortelles se dressent en telle furie à l’encontre de nous. Or, cependant voici sur quoy il nous faut estre fondez pour estre participans de la consolation que donne le prophete, c’est que nous sommes l’heritage de Dieu et qu’il nous advoue pour siens. Non pas que nous aions en nos personnes nulle dignité, mais d’autant qu’il nous a adoptez et nous a rendu tesmoignage qu’il nous estoit pere.

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13 Comme en ce que nous sommes baptisez au nom de nostre Seigneur Jesus Christ, en ce que journellement il nous est presché par l’Evangile, Dieu en tout cela ne demande sinon que nous soions à luy, car encores que nous l’aions offensé, il cerche d’appointer avec nous et, quand il void que nous sommes esgarez, en perdition, il nous en retire. Quand donc nous avons cela, tenons-nous asseurez moiennant que nous n’abusions point de sa grace et que nous ne cerchions point d’estre eslongnez de luy, que nous aions un vray desir et sans feintise d’estre receuz à merci, et qu’il nous gouverne. Si nous avons cela, soions asseurez qu’il nous tient pour son heritage encores qu’en apparence il nous rejette et qu’il nous expose en ignominie, que tousjours nous pourrons avoir accès à luy et que la porte nous sera ouverte. Voilà en somme ce que nous avons à retenir sur ce passage.

Or, quand Isaie adjouste que les Caldeens n’ont esté touchez de nulle humanité, mais qu’ils se sont esmeus comme des chiens enragez et qu’ils ont abbayé contre ce povre peuple, par cela il nous a /285r°/ monstré que, si Dieu afflige des povres gens, que ce n’est pas à nous d’user de cruauté souz umbre de cela ; et encores qu’il nous donne toute puissance sur eux, qu’il ne faut point pourtant que nous adjoustions mal sus mal. Et pourquoy ? Si Dieu en bat les uns et qu’il espargne les autres, il est certain que là il monstre d’un costé exemple de sa rigueur et de l’autre costé de sa bonté (comme saint Paul en parle).

Car il faudroit que tout fust raclé indifferemment si Dieu vouloit user de son droit contre nous. Il n’en resteroit pas donc un seul. Et pourtant si nous en voions quelques uns affligez, Dieu nous propose là ce que nous avons merité. Or, si nous sommes sages et mesmes que nous aions une goute de prudence, ne faut-il pas que nous soions estonnez des jugemens de Dieu et, quand ils sont terribles, que les cheveux mesmes nous dressent en la teste ? Car nous contemplons quels nous sommes et quelle seroit nostre condition si Dieu ne nous suportoit. Ceux donc qui prennent toute licence de saccager et ruiner tout quand ils ont leur avantage et que Dieu veut affliger leurs ennemis, ceux-là monstrent assès qu’ils n’ont nulle crainte de Dieu et qu’ils ne pensent point à leurs consciences, mais qu’ils sont du tout endormis, mesmes endurciz à mal. Nous sommes donc admonnestez par ce passage, quand Dieu affligera ceux qui en sont dignes et qui l’ont offensé, que nous ne laissions pas toutesfois de baisser les yeux et d’en avoir pitié et compassion. Comme aujourd’huy, quand nous voions des païs ruinez par guerre, qu’on brule, qu’on tue, qu’on pille, il est vray que ce sont tesmoignages que l’ire de Dieu est desploiée sur ceux qui l’ont mesprisé et qui ont esté obstinez en leur malice. Mais, quoy qu’il en soit, pourquoy est-ce que nous sommes espargnez sinon d’autant que Dieu nous attend en patience ? Et cependant il bat le chien devant le lion (comme on dit) et nous monstre que nous avons à cheminer en humilité et solicitude. Si donc nous avons une seule /285v°/ goute de sens, nous devons avoir pitié de ceux qui endurent ainsi. Et quand nous crions : « Here, here ! », il est certain qu’en premier lieu nous monstrons comme un despitement à l’encontre de Dieu, et puis que nous sommes aveuglez en nos vices et n’y pensons pas. Or, c’est provoquer l’ire de Dieu quand les hommes se flattent ainsi et qu’ils se mettent des bandeaux pour ne voir goute à toutes leurs offenses et pour caler la voile devant Dieu. Et voilà pourquoy au pseaume il est dit : « Seigneur, souvienne

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14 toy des fils d’Edom qui ont crié au jour de Jerusalem : ‘A sac, à sac !’ » Car les Iduméens estoient alors comme aujourd’huy seroient les Papistes, car ils avoient quelque voisinage avec le peuple d’Israel et mesmes ils estoient descendus d’un parentage, ils estoient mesmes circoncis comme s’ils eussent esté une portion de l’Eglise, et aussi ils estoient descendus de la lignée d’Abraham, qui estoit benit avec tous les siens et santifié de Dieu.

Ils estoient donc descendus d’un mesme parentage, et cependant ils s’esjouissoient de l’affliction des Juifz, mais cela est enregistré devant Dieu à fin que la pareille leur soit rendue. Ainsi donc, que nous apprenions d’estre pitoiables voiant nos semblables endurer, car nous serions dignes d’estre mis en leur reng sinon d’autant que Dieu use de sa bonté paternelle envers nous. Et si cependant les incredules ont la gueule ouverte et ne demandent qu’à tout esmouvoir en extreme confusion, attendons que Dieu nous soulage et soions patiens en nos adversitez et afflictions. Car ce qui est ici prononcé par Isaie sera finalement accompli, que Dieu, après avoir usé de rigueur envers nous pour un temps, monstrera qu’il nous a voulu chastier seulement en façon humaine et qu’il s’est moderé à fin que ses corrections nous servissent comme de medecines pour nostre salut. Quant à ce qui est dit que les Caldeens ont aggravé le joug sur les anciens, ce n’est pas qu’ils aient peu exceder la mesure que Dieu leur avoit permise, car autrement ce passage ne se trouveroit point vray, qu’un cheveux ne tumbera point de /286r°/ nostre teste sans la volunté de Dieu, car nous sommes en sa garde. Comment donc est-il dit que les incredules ont fait plus que Dieu ne vouloit ? Et autant en est il dit au premier chapitre du prophete Zacharie. Or, en parlant ainsi les prophetes n’ont point regardé à l’execution mais au vouloir. Voilà donc Dieu qui veut affliger son peuple et sout comment et jusques à quand. Quoy qu’il en soit, si est-ce qu’il le veut punir aiant tousjours memoire de sa misericorde. Or, que font les ennemis ? Ils viennent à l’estourdie et sont comme gens forcenez, comme loups ravissans, ils dissipent, ils ruinent. Or, il est vray, quoy que facent les incredules et quelques bouillons de rage qu’ils jettent, quelques efforts ou assaux qu’il y ait, qu’ils ne pourront pas remuer un doigt sans la volunté de Dieu ; il faut qu’ils aient le congé d’en haut. Mais la rage et la furie qu’on apperçoit en eux monstre assès qu’il veullent exceder mesure, qu’ils veullent rompre toutes les barres que Dieu leur a mises. Quand donc il y a une telle impetuosité aux ennemis de l’Eglise, ce n’est pas sans cause qu’il est dit qu’ils ont aggravé le joug et que, quand Dieu leur a lasché la bride, pour un peu qu’ils se sont jettez hors des gondz et qu’ils ont cerché d’abismer tout. Voire, mais quelque malice qu’il y ait en eux, et combien qu’ilz brulent de cruauté, et qu’il semble qu’ils doivent tout consommer, si est-ce neantmoins que Dieu les retient d’une façon secrete. Mais ceste furie leur est imputée d’autant qu’ils n’ont nulle consideration pour veoir que Dieu afflige les siens, en sorte qu’il ne les veut pas consumer du tout. Car encores que les enfans d’Israel n’eussent pas esté le peuple eleu et adopté de Dieu, si est-ce que la nature commune nous incite tousjours à quelque pitié. Quand nous verrons un homme le plus estrange du monde, d’autant que nous contemplons là nostre nature comme en un miroir, s’il endure, nous devons estre touchez, ou autrement nous sommes pires que bestes sauvages. Or, que

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15 sera-ce donc quand il y aura un second /286v°/ regard, c’est à savoir que Dieu punit et afflige ceux qu’il ne laisse pas d’aimer quoy qu’il en soit, et qu’en les punissant il les recognoit et advoue tousjours comme ses domestiques ? Voilà en somme ce que nous avons à retenir. Or, touchant des anciens, c’est pour aggraver le mal, veu que ceux qui n’ont plus ne force ne vertu doivent esmouvoir à pitié et compassion, comme les petis enfans. Si donc il y a guerre ouverte et qu’on y aille au feu et à l’espée, toutesfois quand on verra des povres gens rompuz et cassez, qui ne peuvent plus traisner les jambes, ce n’est point là où on s’attache, car ils ne sauroient remuer ni espée ni baston. Si on void des petis enfans, ce n’est pas aussi là qu’on fait la guerre, d’autant qu’ils esmeuvent à pitié, car nature aussi doit là besongner, tellement qu’on ne tue et qu’on ne saccage pas tout sans exception. Le prophete donc, pour monstrer que les Caldeens n’ont eu nulle honte ni honnesteté en eux, dit qu’ils ont aggravé le joug sur les anciens, c’est à dire qu’il n’y a plus eu de misericorde. Or, il y a d’avantage quand il adjouste que Babilone a dit en son cœur qu’elle seroit tousjours et qu’elle ne s’est point souvenue de la fin de Jerusalem. Ici, le prophete outre la cruauté met l’orgueil des Caldeens, car ils ont presumé que nul mal ne les pourroit attoucher et qu’ils estoient comme exemptez par privilege de toute nuisance.

Cela donc est encores pour plus provoquer l’ire de Dieu. Or, il y a ici deux vices insuportables. L’un est l’orgueil quand les homm es s’oublient tellement qu’ils cuident estre eschapez de tous dangers et se font accroire qu’ils demoureront fermes. Or, c’est comme fermer la porte à Dieu et l’exclure de son empire comme s’il n’avoit plus nulle puissance sur nous, et mesmes pour luy oster ce qui luy est le plus propre, c’est à savoir les sens et la /287r°/ vertu. Il y a le second vice, c’est à savoir la cruauté qui vient de cest orgueil-là. Or, j’ay dit que les hommes en leur orgueil despitent Dieu manifestement comme s’ils le vouloient arracher de son siege. Et pourquoy ? Quand nous confessons qu’il y a un Dieu, nous luy attribuons toute essence, tellement que nous ne sommes qu’un petit umbrage dependant de luy et de sa vertu. D’autant donc que Dieu nous inspire vie, nous l’avons ; d’autant qu’il nous illumine, nous joissons de clarté ; d’autant que nous sommes soustenus de sa main, nous marchons. Mais s’il retire son Esprit, ne faut-il pas que ce qui est dit au pseaume 104e s’accomplisse, que tout s’escoule, et que nous defaillons, et que nous soions reduits à neant ? Ceux donc qui presument de leur vertu ou sagesse, ou qui se persuadent qu’ils sont en estat permanent, c’est autant comme s’ils disoient : « Je suis Dieu, je n’emprunte rien d’ailleurs, j’ay en moy tout ce qui apartient pour me conserver. » Or, quand les hommes en viennent jusques là, ne faut-il pas qu’ils soient plus qu’aveugles ? Ainsi donc un tel orgueil est insupportable à Dieu. Et ce n’est point sans cause qu’il dit qu’il sera tousjours ennemi mortel de tous arrogans, d’autant que c’est son propre office d’abaisser les sourcils qui s’elievent, pour monstrer qu’il ne peut souffrir que les hommes se mescogoissent ainsi et qu’ils s’attribuent ce qui luy est propre à luy seul et qu’il se veut reserver. Voilà donc pourquoy le prophete declare ici que Dieu punira Babilone, d’autant qu’elle s’est promise d’avoir tousjours la maistrise et l’empire, comme si cela n’estoit point en la main de Dieu. Car ceux qui font ainsi leur nid en haut, il faut que Dieu les arrache et qu’il les mette au plus

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16 profond de toute ignominie. Brief, il faut que ceste sentence de nostre Seigneur Jesus Christ s’accomplisse, que quiconque s’eleve, il sera abatu, et quiconque chemine en humilité que celui-là sera elevé de la main de Dieu. Et voilà pourquoy aussi saint /287v°/

Pierre nous exhorte de tousjours nous humilier souz la main puissante de Dieu à fin qu’elle nous soit un appui. Car de fait ceux qui cognoissent qu’ils ne peuvent et ne sont rien, Dieu leur est prochain, comme il est dit au pseaume, qu’il regarde les choses petites et estant en son siege celeste que toutesfois il estend bien sa veue et son regard sur ceux qui sont couchez comme sur un fumier. Mais à l’oposite, si tost que nous levons les cornes, il nous faut hurter contre la main de Dieu. Or, c’est une rencontre trop dure.

Ainsi notons bien que ce qui est dit de la ville de Babilone nous doit servir d’instruction à tous et, si Dieu en eleve d’aucuns en dignité, que pour cela il ne faut pas qu’ils s’enflent d’orgueil et qu’ils cuident estre plus qu’ils ne sont, mais qu’ils marchent doucement jusques à ce que Dieu les ait recueilliz à soy, là où il y aura un estat permanent et sans aucune revolution. Et tousjours que les plus grans et les plus excellens se preparent à estre abatus quand il plaira à Dieu d’esprouver leur obeissance. Le prophete adjouste quant et quant que les Caldeens n’ont point cognu la fin de Jerusalem. Or, si les incredules sont condamnez de n’avoir point cognu que Dieu visite les siens en telle sorte qu’en la fin il leur veut faire merci, que sera-ce de ceux qui s’appelent fideles quand ils voudront abismer du tout ceux qui sont affligez de la main de Dieu tant seulement pour un temps ? Si on allegue que les Caldeens ne pouvoient point savoir cela, si est-ce qu’ils n’ont pas laissé d’estre coulpables devant Dieu, car combien qu’ils ne fussent pas enseignez en la Loy, qu’ils n’eussent point eu de prophetes pour leur declarer quelle estoit la vraye religion, il ne leur estoit pas du tout incognu qu’il y avoit un Dieu adoré en Israel, lequel ne vouloit point estre adoré par figures et marmousets et que c’estoit le vray Dieu, /288r°/ aiant en soy toute vertu, comme il avoit monstré par tesmoignages infiniz. Or, tant y a que Dieu ne leur estoit rien, comme nous avons veu du roy d’Assirie, qui s’en moquoit. Ce n’est point donc sans cause qu’ils sont ici condamnez de ce qu’ils n’ont point eu memoire que Dieu avoit retenu ce peuple-là à soy et qu’il en vouloit estre le protecteur. Mais sur tout le prophete a regardé ici à consoler les povres affligez et a usé de ce mot à fin qu’ils cognussent qu’il ne faut point s’attacher au mal present, mais estendre plus loin sa veue et esperer par foy delivrance, encores qu’on n’apperçoive pour un temps que mort. Exemple : les chastimens, cependant que les coups se ruent, ne seront jamais amiables, comme dit l’Apostre. Il faudra que nous aions quelques remords et quelque fascherie cependant que Dieu nous rudoie. Or, tant y a qu’il nous faut esjouir en nos tristesses et benir le nom de Dieu encores qu’il nous soit rude et aspre. Et comment sera-il possible de le faire ? Il faut venir à ce poinct, c’est de regarder la fin et l’yssue. Combien donc que nous pourrions estre surpris et preoccupez d’angoisse cependant que Dieu nous afflige, si nous jettions tous nos sens là et qu’ils fussent attachez à ce que nous voions, si est-ce qu’il nous faut surmonter, et que la foy nous conduise plus loin, et que nous practiquions ce qui est dit en l’autre prophete : « Je sentiray l’ire de Dieu, car j’ay peché contre luy. » Voire, mais le Seigneur ne laissera point

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17 d’estre pitoiable. D’un costé donc il faut que nos pechez nous advertissent à plier le dos et porter le joug de Dieu ; mais pour nous esjouir et faire que nous ne laissions pas de benir son nom, il faut que nous esperions sa misericorde, comme il est dit au pseaume, qu’il est craint et servi d’autant que nous trouvons merci envers luy et que nous pouvons tousjours venir avec confiance qu’il nous recevra. Et c’est ce qui est ici dit, qu’il /288v°/

nous faut regarder à la fin de l’Eglise. En somme, pour avoir une droite intelligence de ce passage, en premier lieu nous avons à noter que les afflictions sont communes. Car si nostre Seigneur envoie quelque guerre, les bons seront affligez comme les meschans.

S’il envoie quelque peste, les uns et les autres seront raviz, tellement qu’on ne pourra pas juger si la condition d’un est meilleure que de l’autre, car les voilà comme pesle mesle, ainsi qu’on dit. Les afflictions donc, si on les regarde du premier coup, ne pourront pas monstrer quels sont les enfans de Dieu et ses esleuz, et quels sont ceux qu’il a reprouvez. Mais il nous faut venir à la fin. Car quand Dieu afflige les contempteurs de sa majesté et ceux qui sont rebelles à sa Parole, il les adjourne pour recevoir leur derniere condamnation qui leur est apprestée. La fin donc, qu’est-ce ? C’est un abisme.

Voilà donc quelle est la fin des meschans, c’est à savoir qu’il faut qu’ils soient plongez en desespoir et que Dieu jamais ne s’appointe envers eux, mais qu’il adjoustera mal sur mal jusques à ce qu’il les ait amenez à une confusion extreme. Or, cependant il dit qu’il ne frapera point ceux qu’il a eleuz sinon tant qu’ils le pourront porter et qu’il donnera bonne yssue à toutes leurs tentations. Il nous faut donc addonner à regarder à ceste fin- là et monter (comme dit Abacuc) sur nostre tour, pour contempler de loin les choses qui sont invisibles au monde. Or, quand il adviendra quelque affliction, les incredules crient et se tempestent et sont transportez du tout comme en desespoir. Voilà pour quoy ils ne peuvent gouster la misericorde de Dieu ni recourir à luy. Mais il nous faut au milieu des tenebres obscures encores avoir quelque estincelle de la bonté de Dieu qui nous face esperer en luy pour respirer et prendre courage, et cependant nous assujettir en toute simplicité et obeissance souz sa main, et souffrir qu’il ait tout empire sur nous, et qu’il nous chastie et manie à sa bonne volunté et non pas à nostre souhait et à nostre appetit.

Voilà donc ce que nous avons à retenir sur ce mot de /289r°/ « fin » quand le prophete dit que, si Dieu a desploié des verges bien dures et aspres sur la ville de Jerusalem, que toutesfois ce n’est pas pour oublier son alliance ne qu’il voulust oublier le peuple qu’il avoit eleu, mais qu’il y avoit temps et terme prefix à ce que le peuple en la fin retournast en son estat et qu’il fust relevé et remis au dessus. Or, cela non seulement est dit pour la ville de Jerusalem mais aussi pour nous, et c’est une promesse qui demeure à perpetuité. Toutes fois et quantes donc que nous sentirons quelques signes de l’ire de Dieu, pensons à nos pechez, gemissons et là dessus retournons à luy, et ne doutons pas qu’il ne nous reçoive. Et encores que nous soions confus, regardans à ce qui nous est apparent, que nous ne laissions point par foy d’apprehender la misericorde de Dieu qui a esté cachée pour un temps et conclure là dessus que nos afflictions sont temporelles et que nous en serons delivrez en temps oportun quand Dieu cognoistra qu’il sera bon pour nostre salut. Voilà en somme ce que nous avons à retenir de ce passage. Or, là

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18 dessus le prophete retourne encores à son propos qu’il avoit commencé, disant : Delicate, qui reposes en seurté, il faut que tu viennes maintenant à conte, car tu as dit : « Je suis, et n’y a point d’autre que moy. » Il faut donc que ces paroles ici te cuisent à bon escient, car ce sont autant de blasphemes contre le Dieu vivant. Or, nous sommes de rechef ici confermez en la doctrine que nous avons veu ci dessus, c’est d’autant plus que les incredules s’enorgueillissent qu’ils provoquent l’ire de Dieu et qu’ils se hastent à leur perdition, et qu’il faut que d’autant plus nous soions asseurez que Dieu avancera par tel moien nostre salut. Et ceste admonition est bien necessaire, car quand nous voions les meschans jetter ainsi leurs vanteries et qu’il n’y a que pour eux, nous sommes tant estonnez que là dessus nous ne pouvons concevoir aucune esperance, comme l’experience monstre par trop qu’il y a telle infirmité en ceux mesmes qui craignent /289v°/ Dieu et qui se confient en luy qu’oyans les incredules despiter ainsi Dieu avec telle audace, ils sont comme esperdus. Or, puis qu’ainsi est, nous avons besoin d’estre armez contre une telle fraieur.

Notons bien donc ce qui est dit en ce passage, que quand les ennemis de Dieu desgorgeront ainsi leurs blasphemes, que c’est signe que la vengeance est tant plus aprestée contre eux, et faut conclure que c’est aussi le temps de nostre delivrance et salut. Et non sans cause le prophete dit ici que Babilone a parlé en son cœur, se persuadant qu’elle estoit et qu’il n’y en avoit point d’autre. Or, il y a ici double blaspheme. L’un est « je suis », car, à parler proprement, les anges mesmes de Paradis ne sont pas, d’autant qu’ils subsistent en Dieu. Il n’y a que Dieu seul qui ait vie et immortalité, comme dit saint Paul.

Mais tout ce que nous avons d’essence et de vertu et de vigueur, il faut qu’il nous le donne. Et puis à quelle condition est-ce ? C’est que nous soions tousjours cachez souz ses aisles et qu’à chacune minute de temps nous regardions à luy, à fin qu’il nous face persister comme il a fait au paravant. Ceux donc qui se vantent d’estre, c’est autant comme s’ils declaroient qu’il n’y a point de Dieu, et qu’ils se bastissent là un autel, et qu’ils s’adorassent comme des idoles. Voilà pour un item. Or, ici la ville de Babilone nous est mise devant les yeux à fin que nous apprenions à ne point faire la guerre à Dieu et ne le point transfigurer, cognoissans que nostre condition est si fragile que nous serions tantost escoulez comme eau, que nous serions comme un vent qui s’esvanouist, sinon que Dieu nous maintint. Et pourtant que toute la vertu que nous avons est de celui qui nous la donne, voire d’autant qu’il continue à nous inspirer de sa grace, à fin que nous ne defaillons point. Voilà pour un. Or, il y a le second blaspheme, ou le vitupere, quand il est dit : « Il n’y a rien que moy. » Car si nous mesprisons les petis, que sera-ce ? C’est autant comme si nous oublions de quelle origine nous sommes procedez.

Or, si nous faut-il recourir à l’arche de Noé, il nous faut revenir à la fange et à la boue dont nostre pere Adam a esté créé. Que valons-nous donc plus que les /290r°/ autres, sinon d’autant qu’il a pleu à Dieu nous elargir de ses graces ? Et d’autant plus sommes- nous tenus à luy, faut-il donc que nous foulions au pied ceux qui sont inferieurs souz umbre que Dieu ne les a pas tant elevé que nous ? C’est une ingratitude par trop vilaine quand les hommes s’eslievent ainsi et qu’ils veulent obscurcir tout le reste, comme si le monde estoit seulement fait pour eux. Ainsi donc nous avons à noter que, pour estre

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19 vraiement humiliez devant Dieu, il nous faut regarder que tous hommes sont nos prochains, voire nostre chair (comme nous verrons ci après au prophete). Et que nous n’aions point ceste arrogance qui nous transporte pour nous elever par dessus les autres, mais que nous cheminions en nostre degré. Et que nous sachions que Dieu nous a conjoints, voire à fin que nous aidions les uns les autres. Et puis que Dieu a imprimé son image en tous hommes, que nous ne luy facions point ceste injure en les violant, car celui qui rejette les hommes creez à l’image de Dieu, à qui s’attache-il ? Ne fait-il pas outrage et opprobre à Dieu puis qu’il mesprise son image ? Voilà donc ce que nous avons encores à observer en ce passage. Or, quand le prophete reproche à la ville de Babilone qu’elle se repose en seurté, c’est pour nous monstrer qu’estans en ce monde il nous faut tousjours estre en doute et en crainte. Non pas pour trembler et estre effarouchez, mais pour invoquer Dieu. Il est vray que les fideles ont un repos asseuré comme s’ils estoient exemptez de tous dangers. Ainsi qu’il est dit au pseaume 90e, celuy qui habite en la sauvegarde du haut Dieu, il a sa protection toute certaine et seure et qu’il pourra dire franchement à Dieu : « Je me suis confié en toy et y ay eu mon refuge, et pourtant tu m’exauceras. » Voilà donc la certitude des fideles, c’est de tousjours aller leur train, sachant que Dieu les guide et qu’il a commandé à ses anges de les environner de toutes pars, et les soulager mesmes et porter en leurs mains, et ne point souffrir qu’ils aient quelque mauvaise rencontre. Mais ceste asseurance-là n’est pas /290v°/ pour dire qu’ils s’exemptent de tout mal, car à l’oposite ils cognoissent que du jour au l’endemain Dieu les pourra affliger, et sont là tousjours comme au guet cognoissans leur fragilité.

Car la foy que nous avons en Dieu n’emporte pas une telle presumption ou bien une stupidité qui nous endorme tellement que nous ne tenions conte de l’invoquer, mais c’est tout le contraire. Car la foy par laquelle nous sommes attirez à la grace de Dieu est conjointe avec une cognoissance que nous avons de nostre fragilité, et selon que nous apprehendons ou la mort eternelle ou les dangers infiniz qui nous assiegent. Voilà comme nous sommes tant plus incitez à cercher nostre Dieu. Mais les incredules ont une nonchallance telle que le prophete le declare ici, c’est qu’ils se tiennent à repos et cropissent là sur leurs lyes (comme il est dit en l’autre passage), car ils s’oublient et ne regardent point à leur infirmité ; il leur semble mesmes qu’ils sont ici comme en un paradis terrestre. Brief, ils ne s’assujetissent nullement à la main de Dieu et ne croient point qu’il leur puisse mal faire, car il y a une telle nonchalance et fierté en eux qu’ils cuident demourer à jamais. Or, de nostre costé apprenons de nous fier tellement en Dieu que cependant nous soions sollicitez à l’invoquer et que nous pensions à chacune minute de temps à nostre estat, c’est à savoir que nous sommes terre et pouldre et qu’il n’y a en nous que pourriture sinon d’autant que nous sommes maintenus de la grace de Dieu ; voilà pourquoy nous ne defaillons point du tout. Que donc nous aions tousjours devant nos yeux comme un miroir de mort, et non pas seulement d’une mort mais de cent mille, à fin d’estre comme aneantiz en nous, et que là dessus nous invoquions nostre Dieu et que nous aions attente à luy. Mais gardons bien de dire : « Or sus, grand’ chere, nous voilà bien à repos ! » Car nous voions la menace que Dieu fait à tous ceux qui

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