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Comprendre et accepter l’altération des liens parents-enfant pour protéger et prendre soin

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Academic year: 2022

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Comprendre et accepter l’altération des liens parents-enfant pour protéger et prendre soin

Understand and accept the alteration of parent-child relationships in order to protect and care

Emmanuelle

Bonneville-Baruchel

Psychologue clinicienne, Docteur en Psychopathologie et Psychologie Clinique, Maître de Conférences, Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique (CRPPC), EA 653, Institut de Psychologie - Université Lumière Lyon 2, Campus Porte des Alpes, 5 avenue Pierre Mendès France, 69500 Bron

<e.bonneville@univ-lyon2.fr>

Résumé.En France aujourd’hui, la psychopathologie de la parentalité, les liens pathologiques, sont mal reconnus. Outre un manque de formation, la difficulté et le déni à remettre en cause

« «l’idéalisation de la parentalité»font obstacle au diagnostic. Il est cependant nécessaire de savoir reconnaître l’incapacité parentale chronique en lien avec une pathologie mentale préexistante, l’incapacité parentale momentanée secondaire à un événement traumatogène, et l’incompétence parentale en lien avec une carence éducative et un manque de soutien dans l’environnement familial et social. On constate souvent une confusion de ces registres qui ne recouvrent pas les mêmes réalités et n’appellent pas les mêmes formes de prise en charge.

Pour les professionnels, cette non-reconnaissance aboutit à des prises en charge inadaptées et en conséquence inefficaces pouvant les mettre en insécurité, voire en danger et être à l’origine d’un désinvestissement et d’une perte de sens de leur travail.

Mots clés :psychopathologie de la parentalité, incapacité parentale, pathologie mentale, carence éducative

Abstract.In France today, the psychopathology of parenthood, the pathological links, are poorly recognized. In addition to a lack of training, the difficulty and the denial to question

“the idealization of parenthood” hinder the diagnosis. However, it is necessary to know how to recognize chronic parental incapacity related to a pre-existing mental pathology, momentary parental incapacity secondary to a traumatic event, and parental incompetence related to an educational deficiency and a lack of support in the family and social environment. There is often a confusion of these registers which do not cover the same realities and do not call for the same forms of care.

For professionals, this non-recognition leads to inadequate and therefore ineffective care that can put them insecure or even at risk and be the cause of disinvestment and loss of meaning of their work.

Key words:psychopathology of parenthood, parental incapacité, mental pathologie, parental incompetence

E

ntre parent et enfant, tout est his- toire de relation et on a tendance à croire que ces histoires se terminent toujours comme les contes de fées. . . Or, nous ne sommes pas tous égaux dans la parentalité, et il existe des enfants dont il est difficile de prendre soin.

Parfois, un parent ne peut pas, ou ne veut pas, aimer son enfant ; il existe des parents qui sont persécutés ou excités par leur enfant.

Parfois des « fantômes » issus du passé peuvent hanter la rela- tion parent-enfant, empêcher l’attachement et l’affection. Parfois, l’amour ne suffit pas ; parfois l’amour peut être passionné, mais aussi dévo- rant, étouffant, destructeur. . . Parfois

l’incompréhension, l’anxiété ou la colère sont telles que l’enfant devient un persécuteur qui pousse à bout le parent, qui le met « hors de lui » et peut l’amener, s’il reste isolé, sans écoute et sans aide, à avoir des conduites maltraitantes pour son enfant.

Difficultés familiales

Certains enfants sont confron- tés à des parents dont les troubles psychiques personnels entravent l’exercice d’une parentalité adé- quate, soit de fac¸on momentanée, soit de fac¸on chronique. J’y revien- drai dans un moment. . .

doi:10.1684/mtp.2018.0702

m t p

Tirés à part : E. Bonneville-Baruchel

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Ainsi, il existe une psychopathologie chronique de la parentalité, comme il existe des psychopathologies chro- niques.

Cela constitue une véritable tragédie, mais il s’agit d’un fait clinique constaté depuis des décennies. . .Winnicott a été le premier à indiquer, en 1956 [1], que certains parents ne sont pas en capacité psychique de répondre de fac¸on suffisamment satisfaisante ou régulière aux besoins pri- maires de leur bébé ou de leur enfant. Il nous invitait à admettre ce fait, même si cela nous est difficile, même si cela implique de renoncer à certaines de nos plus nobles idéologies. Admettre ce fait tragique s’impose pour sauve- garder le développement et la santé mentale de l’enfant. Il préconisait alors des«séparations à but thérapeutique», l’expression lui appartient.

Or en France aujourd’hui, la psychopathologie de la parentalité, les liens pathologiques, les violences et négligences gravissimes qu’ils provoquent sur les enfants sont mal reconnus. Ce déni, souvent lié à la difficulté d’admettre des situations qui viennent remettre en ques- tion l’idéalisation de la parentalité dans notre société actuelle, bouscule les stéréotypes naïfs qui dominent les représentations de beaucoup d’intervenants.

On a tendance à«plaquer» ces représentations sur tous les parents et faire comme si tous les parents étaient les mêmes, jouissant des mêmes facultés mentales, et des mêmes capacités parentales. Mais c’est un leurre, une illu- sion que le martyr vécu par de nombreux enfants dans leur famille, ponctuellement révélé dans les médias à l’occasion d’un énième fait-divers tragique, fait voler en éclat... pour un temps seulement.

En 2013, G. Lopez, président fondateur de l’Institut de Victimologie de Paris, médecin dans un service de médecine légale, écrivait dans son ouvrage Enfants vio- lés, enfants violentés[2] :«Un enfant, voire plus, décède tous les jours en France sous les coups de ses parents » (p. 43)

Pourtant, de nombreux intervenants et décideurs peinent à renoncer à l’idéologie du maintien de l’enfant dans sa famille, ou des temps de visites à domicile lorsque l’enfant est séparé et confié, voire à signaler la situation d’un enfant négligé ou pris dans des liens pathologiques violents avec ses parents.

Les intervenants, les décideurs, sont très souvent insuffisamment formés à repérer la situation d’incapacité parentale chronique. Ils ne sont pas formés à distinguer les situations qui relèvent d’une incapacité parentale, notamment chronique, de celles qui viennent d’une incompétence parentale. On constate souvent une confu- sion de ces deux registres qui ne recouvrent pas les mêmes réalités et n’appellent pas les mêmes formes de prise en charge.

Or, la plupart des situations de dysparentalité sont appréhendées sous l’angle de l’incompétence parentale.

L’aide proposée (ou imposée) est alors de nature édu-

cative, et non psychothérapeutique, ce qui produit des échecs des mesures d’assistance qu’une meilleure évalua- tion initiale de la nature des difficultés parentales aurait pu éviter.

Ainsi, cette double problématique, manque de forma- tion et difficulté de renoncement idéologique, se trouve à l’origine de plusieurs problèmes, sources de violences pour les enfants, pour les parents et pour les professionnels de terrain.

Avant de considérer ces problèmes, précisons en quoi consiste la situation d’incapacité parentale.

L’incapacité parentale chronique

L’incapacité parentale répond à la structure de person- nalité de l’individu qui se trouve être parent. Elle concerne les individus souffrant de maladies mentales, telles que la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive, la mélan- colie, ainsi que les pathologies narcissiques graves.

Les troubles qui en découlent empêchent le sujet d’acquérir et/ou de mettre en œuvre de fac¸on permanente les capacités et les compétences parentales.

Plusieurs auteurs, notamment certains intervenants québécois en protection de l’enfance, ainsi que le cher- cheur chilien Jorge Barudy [3] et le chercheur italien Stefano Cirillo [4], considèrent qu’une structure psychopa- thologique grave représente un facteur qui peut provoquer une situation d’incapacité parentale chronique dans deux cas : d’une part, lorsqu’il affecte les deux parents, d’autre part, lorsqu’il affecte un seul parent, mais sans que l’autre puisse prendre, auprès de l’enfant, de fac¸on active et per- manente, un rôle de substitution et de protection contre les effets délétères de la pathologie de l’autre parent.

J’ajouterai qu’il ne faut pas minimiser la difficulté extrême à tenir une telle position pour un conjoint.

Dans la mesure où il s’agit de structure de person- nalité, et non d’un état psychopathologique, le potentiel d’amélioration est extrêmement faible.

En effet, certains troubles psychiques, certaines mala- dies mentales, sont chroniques, car, en l’état des connaissances actuelles, nous ne savons pas les guérir.

L’état des personnes qui en sont atteintes peut être stabi- lisé, ce qui est déjà formidable, mais nous ne savons pas les guérir.

Les rechutes sont fréquentes, le déni de la chronicité de la pathologie faisant souvent partie des symptômes, et l’acquisition de capacités parentales de base, telles que la maîtrise des impulsions, l’identification aux besoins de l’enfant, leur priorisation, est très aléatoire.

L’incapacité parentale momentanée

Cette situation se distingue de la situation d’incapacité parentale chronique : elle correspond à un état de désor- ganisation psychique extrême chez l’un ou chez les deux

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parents, consécutif à un événement ou à un contexte trau- matogène, et non décompensé auparavant.

Cet état qualifié de momentané, car le parent ne présentant pas de structure psychopathologique dispose néanmoins d’une capacité de résilience suffisante pour retrouver la possibilité d’exercer des capacités paren- tales adaptées aux besoins de l’enfant lorsqu’il ira mieux. Souvent, cela concerne des personnes ayant de réelles compétences parentales, dont on a observé qu’elles ont pu les mettre en œuvre de fac¸on adé- quate et permanente auparavant, avec un enfant aîné par exemple. . .L’événement traumatogène peut être une séparation conjugale, un deuil, une expérience de déra- cinement, une perte d’emploi ou encore l’expérience de l’accouchement et les effets de l’intense remanie- ment identitaire qu’implique l’accès à la parentalité. M.

Salmona a montré par exemple que les violences conju- gales apparaissent ou sont augmentées chez l’homme violent lorsque sa compagne est enceinte ou s’occupe d’un nouveau-né. . .

L’incompétence parentale

Cette situation concerne les parents démunis sur le plan des compétences éducatives ou de la technicité des soins à apporter à leur bébé, ou encore sur le plan de la compréhension du vécu et des expressions de leur enfant, sans toutefois souffrir de troubles psychiques personnels.

Ces personnes disposent d’une structuration psychique et d’une organisation de la personnalité saines et stables, mais se trouvent en difficulté dans l’exercice des fonctions parentales, souvent par ignorance et par manque d’un environnement soutenant. Elles ont besoin d’apprendre et de comprendre, et sont ensuite tout à fait capables de reproduire de fac¸on autonome et adéquate ce qu’on aura pu leur enseigner ou leur expliquer. L’aide éduca- tive, tout à fait indiquée dans cette situation, donne en général d’excellents résultats.

Importance du diagnostic

Il en va tout autrement des situations d’incapacité parentale, car les personnes qui en souffrent sont inca- pables (ce terme n’est pas employé ici de fac¸on péjorative, mais pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème de manque de volonté ou de désir) de mettre en application ce qu’on peut leur montrer ou leur expliquer. . .

Pour les parents

Ils«savent»ce qu’il faudrait faire, ils«connaissent» les besoins de leur enfant, mais sont incapables d’agir en adéquation. Dans les situations d’incapacité parentale momentanée, cela représente une source de souffrance

supplémentaire, car cette conscience génère un surcroît de culpabilité. Un parent dans cet état, qui a déjà eu des enfants, est tout à fait en mesure de comparer ce qu’il a pu faire, comment il a pu être, avec les enfants précédents. . . On décèle bien la différence entre compétences et capa- cités lorsque l’on entend un parent dire :«Je sais bien que je devrais faire ceci ou cela, ou ne pas faire ceci ou cela, mais je ne peux pas y arriver», ou :«Je ne peux pas m’en empêcher. . .».

Il faut bien avoir conscience qu’un parent qui ne dis- pose pas des capacités parentales de base, comme la maîtrise de l’impulsivité, la régulation du stress, la censure de l’excitation, ne va pas pouvoir s’empêcher de maltraiter son enfant. Nous savons tous combien il peut être difficile de garder son sang-froid lorsqu’on est parent d’un bébé, d’un petit enfant entre 1 et 4 ans, ou de certains ados en pleine«crise». . .C’est pour cela que je trouve insensé et dangereux de laisser la garde et la responsabilité de leurs enfants à des parents dont on sait qu’ils ont d’énormes difficultés à se contenir. . .

Pour synthétiser, on peut dire que les compétences renvoient au registre des apprentissages, tandis que la capacité renvoie à celui de l’état ou de la structuration psychique.

Pour les enfants

L’évaluation de la nature des difficultés parentales (incompétence ou incapacité), préalable au choix d’un mode d’intervention sociale ou thérapeutique, est ainsi primordiale, sous peine de préconiser des mesures inef- ficaces, et de violenter parent et enfant. En effet, si une problématique d’incapacité n’est pas reconnue, et que le mode d’intervention porte uniquement sur les compéten- ces, l’enfant risque d’être maintenu dans une situation préjudiciable à son développement et le parent (qui ne pourra pas accomplir de progrès significatif) se verra sans arrêt culpabilisé de ne pas tirer profit des aides proposées et d’être responsable de la non-amélioration des troubles de son enfant. Cette violence existera parce que les inter- venants interpréteront, à tort et injustement, l’incapacité psychique comme un manque de volonté ou de désir de faire des efforts. . .

Du côté des enfants, si tous ceux qui vivent avec des parents souffrant d’incapacité parentale majeure ne meurent pas ou ne souffrent pas physiquement, la plupart souffrent psychiquement : leur développement psycho- affectif, intellectuel et social est impacté, car il dépend de la satisfaction de leurs besoins relationnels et affectifs fondamentaux.

La pire situation pour un enfant, surtout petit, consiste à se sentir dépendre entièrement d’une personne dont l’état émotionnel est imprévisible, et qui peut se montrer tan- tôt calme, adaptée et réconfortante, tantôt terrifiante, hors d’elle, délirante, indisponible ou rejetante.

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Par ailleurs, considérons que si beaucoup d’enfants n’ont pas tous été directement et physiquement violen- tés, la plupart ont été soumis au spectacle d’échanges violents entre les personnes dont ils dépendaient. Un grand nombre d’observations cliniques et de travaux de recherches, nous amènent au constat que le fait d’avoir subi directement, ou de n’avoir qu’assisté à des violences, n’induit pas de différence significative dans l’ampleur et la gravité des traumatismes psychiques, chez l’enfant qui y est confronté de fac¸on précoce et répétée.

Cela va rapidement se traduire par l’apparition de troubles du comportement, de l’intelligence, de la rela- tion et de la socialisation, troubles qui vont nécessiter la mise en place de coûteuses prises en charges éducatives, thérapeutique et pédagogique, sans garantie de résultat.

Les professionnels

Autre problème majeur, que j’ai pu percevoir à par- tir des témoignages de nombreux professionnels partout en France, rencontrés dans le cadre de mes activités de formation et de supervision : lorsque le déni de la psy- chopathologie de la parentalité et de ses conséquences sur les liens et sur l’enfant l’emporte chez les décision- naires, ils fixent aux professionnels chargés de«travailler les liens»des objectifs peu réalistes. Ils préconisent des modes d’intervention inadéquats au regard de la gravité des difficultés.

J’ai toujours été frappée de constater que les inter- ventions les plus difficiles, telles que les interventions à domicile, dans les situations les plus pathologiques et vio- lentes, sont confiées aux professionnels les moins formés, avec des fréquences et des durées extrêmes. . .

J’ai en tête plusieurs situations, dans lesquelles un magistrat qui ne recevaient des parents que 10 minutes dans son bureau du Tribunal, avec les forces de l’ordre à sa porte, n’hésitait pas à laisser un enfant à la garde de ces personnes (alors qu’il est plus que probable qu’il ne leur aurait jamais confié son propre enfant seul pendant 1 minute), en ordonnant l’intervention d’une travailleuse familiale toute seule, 4 fois par semaine pendant 3 heures ! J’ai énormément d’admiration pour le courage de nombreux TISF (techniciens de l’intervention sociale et familiale), qui continuent ce genre d’intervention folle dans ce type de famille, au mépris souvent de leur propre sécurité. . .Je pense aussi à ces travailleurs sociaux, cer- tains parfois très jeunes, très inexpérimentés, qui se voient confier l’accompagnement de visites de plusieurs heures, dans des locaux inadaptés ou dans des lieux publics. Je me souviens encore m’être entendue demander, lorsque j’étais jeune psychologue pour un service d’ASE, de médiatiser seule des rencontres entre un enfant et son père paranoïaque ultra-violent, sortant de prison pour multiples agressions (dont agressions sexuelles), à plus de 19 heures, alors qu’il n’y avait plus personne dans le service, au motif

que ce père (qui ne travaillait pas) ne pouvait pas se rendre disponible plus tôt. . .

Le problème est que, malgré tout leur courage, leur dévouement et leurs efforts, les professionnels confrontés à l’incapacité parentale, à la folie parentale, sont réduits à l’impuissance et ne peuvent qu’être les témoins sidé- rés, voire terrifiés, de la captation des enfants dans les liens pathologiques et violents, induits par leurs parents malades. Ils ne savent plus pourquoi ils interviennent ni comment intervenir, ce qui est parfaitement logique !

Or, si des professionnels perdent le sens de leur tra- vail d’accompagnement et de maintien des liens, le risque de désinvestissement est important, avec pour consé- quence que les interventions s’éloignent des objectifs de protection de l’enfant et de travail des modalités relation- nelles : les professionnels se désengagent et ne sont plus pare-excitants, protecteurs ni reliants. . .Les temps de ren- contre deviennent des temps d’activité occupationnelle, qui n’apportent rien et ne permettent pas l’évolution des relations parent-enfant ; je pense à une situation rapportée par des collègues où un intervenant, très mal à l’aise car ne percevant plus le sens de son action, passait les visites à lire le journal. . .

Le lien, maintien,

rupture ou aménagement

L’expérience de l’équipe soignante dont je fais partie, la recherche que nous avons menée, amènent à penser que l’enfant a toujours intérêt à être en lien avec ses parents, car cela participe au développement de sa vie psychique et de son identité. À condition que les modalités de lien soient toujours en stricte adéquation avec son état et ses besoins, et qu’il puisse être protégé des interactions très inadéquates que son parent tente d’établir avec lui, et aidé par un adulte de confiance pour«penser»la nature de ces liens. À condition également que les modalités de contact soient adaptées aux capacités et aux compétences réelles du parent.

Il faut considérer que l’enfant qui a été confronté (de fac¸on toujours traumatique) à des attitudes très inadap- tées de la part de son parent, ne peut ni percevoir ni comprendre tout seul ce qu’il y a d’inadéquat dans cer- taines attitudes de son parent à son égard, ou dans le fonctionnement et les attentes de celui-ci. Il ne peut pas apprendre tout seul à les repérer et à s’en protéger.

Un autre problème posé par ce cas de figure réside dans le fait que plus l’enfant est jeune, plus il est fragile et sensible aux effets de la dysparentalité, plus l’impact sur son développement, notamment sur l’acquisition néces- saire de capacités psychiques pour«gérer»le réel, sera important et délétère.

Par ailleurs, un parent peut être en difficulté pour comprendre les besoins de son enfant et y répondre de

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fac¸on adaptée. Certains parents peuvent se sentir trop atta- qués par les besoins de leur enfant, ou bien par certains de ses comportements.

Ces éléments se trouvent parfois être à l’origine de liens destructeurs : on parle alors d’une spirale interactive toxique, dont les conséquences peuvent être des passages à l’acte violents, du rejet ou de l’abandon, s’ils ne sont pas mis au travail dans un cadre approprié.

Ainsi, si des liens pathologiques ne sont ni repérés ni travaillés dans un dispositif adapté, avec des profession- nels compétents et bien formés, l’enfant d’abord, mais aussi les parents, finiront par en être victimes.

Souvent les parents affirment haut et fort leur amour pour leur enfant, et celui-ci est indéniable. Mais il faut se rappeler qu’il existe différentes sortes d’amour, et diffé- rentes fac¸ons de le manifester. Il existe différentes formes de liens à l’autre, et ceux-ci ne sont pas toujours source de sécurité, de bien-être, et d’épanouissement. . .En droit pénal, la notion de«crime passionnel»nous rappelle que certains peuvent tuer par amour. . .

Je travaille avec des parents séparés de leur enfant qui parviennent à être en lien avec lui en dehors, ou en l’absence, de contact direct. Ils peuvent prendre des nouvelles auprès des intervenants, envoyer un courrier, anticiper la date de l’anniversaire, penser à apporter à une visite ce que l’enfant avait demandé lors de la précédente, etc.

D’autres en revanche n’en sont pas capables. Lors du contact direct, ils peuvent exprimer très fort, parfois vio- lemment, leur attachement à leur enfant, dire à celui-ci qu’ils pensent sans cesse à lui, et à quel point ils souffrent de ne pas le voir quotidiennement. . .Mais l’ensemble de leurs actes montre le contraire. Ils sont incapables des démarches que je viens d’évoquer, oublient d’une visite à l’autre ce que l’enfant avait demandé ou expliqué, etc.

Souvent nous constatons que si les professionnels ne rap- pellent pas la date d’une rencontre, très peu de temps avant celle-ci, ils ne viennent pas ou ne sont pas présents au domicile.

Liens pathologiques

Il faut donc se garder de projeter une représentation de l’amour (et des liens qu’il implique) préétablie, peut- être personnelle, sur les liens parent-enfant que l’on doit accompagner, uniquement sur la base des déclarations d’intention parentale. . .et ne pas oublier les liens patho- logiques.

Quels sont-ils ? Il existe des liens terroristes, et des liens de terreur.

Le parent terroriste maintient un lien d’emprise sur son enfant en le terrifiant par des menaces ou des maltraitances, ou en l’accusant d’être responsable de

sa souffrance. Certains enfants sont dans un tel état d’inquiétude qu’ils ne peuvent investir les apprentissages, les activités éducatives ou les soins proposés sans être très fréquemment et directement rassurés sur la santé de leur parent, sur la permanence de son investissement, sur son accord quant à ce qui est proposé. . .

D’autres à l’extrême inverse ont vécu de telles inadé- quations ou maltraitances de la part ou en présence de leur parent, que même un contact indirect, tels qu’une lettre, un cadeau remis par un tiers, ou un coup de téléphone, les plonge dans un état de terreur intense.

Envahis par les réminiscences des traumatismes relation- nels précoces qu’ils ont subis, ils vont très mal pendant plusieurs jours et ne peuvent absolument pas apprendre ni progresser pendant toute cette période. De plus, les troubles du comportement et de la relation qu’ils mani- festent alors peuvent mettre en danger leur intégration dans leurs espaces de vie (famille, lieu d’accueil, école, etc.).

Il existe des liens de séduction narcissique patholo- gique dans lesquels l’enfant doit sans arrêt réconforter et gratifier son parent. Il est soumis à une injonction de loyauté absolue, et aucune manifestation d’opposition, ou de pensée et de ressentis différenciés de ceux de son parent, ne sont tolérés.

Il existe des liens sacrificiels, dans lesquels certains enfants pensent que le seul moyen de ne plus se sen- tir angoissé, coupable ou terrifié implique de sacrifier le développement de leur propre personnalité, voire de se supprimer complètement. J’ai connu des enfants de 6 ans ayant tenté de se suicider. . .

Il existe des liens de haine et de honte, qui peuvent amener des enfants (plus souvent des adolescents) qui n’ont pas été protégés, ni aidés à comprendre l’origine et la nature des difficultés parentales, à violenter leur parent (physiquement ou psychologiquement), ou à les rejeter. La problématique des liens constitue donc un sujet très vaste et très complexe.

On observe des situations très différentes les unes des autres, qu’il faut pouvoir discriminer et évaluer de fac¸on singulière. En effet, un mode d’intervention valable pour un enfant et ses parents dans une situation donnée peut être très nocif pour d’autres, ou dans une autre configura- tion de liens pathologiques.

Ainsi il faut toujours évaluer et singulariser l’appréciation des échanges et des modalités relationnelles qui organisent les liens de cette famille-là.

Conclusion

Selon notre expérience, le cadre qui permet le mieux la mise au travail des liens pathologiques entre un enfant et

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Points à retenir

La confrontation précoce et prolongée de l’enfant à des situations de dysparentalité impacte négativement déve- loppement et santé mentale à court et à long terme.

Au titre de la prévention et du soin pour ces enfants et leurs parents en grande difficulté, il convient de différencier les dysparentalités issues d’une incompétence parentale de celles issues d’une incapacité parentale.

L’incapacité parentale appelle un diagnostic consi- dérant les capacités psychiques à exercer des fonctions parentales des adultes dont l’enfant dépend, et reposant sur l’évaluation tant des ressources psychiques et neurolo- giques que de troubles psychiques personnels, momentanés ou chroniques.

Cette approche différenciée permet de proposer des projets de soins et d’accompagnement adaptés aux problé- matiques familiales.

son parent présentant une incapacité parentale liée à des troubles psychiques, est le dispositif de visite médiatisée.

Toutefois, je tiens à souligner que ce travail de visite médiatisée n’est possible que si les intervenants disposent eux-mêmes d’espace d’élaboration de leur pratique, qui leur permettent de partager les émotions très intenses que cette activité suscite toujours, et de réfléchir à leurs posi- tionnements. En clair, cela nécessite des temps de réunion d’équipe et de supervision suffisamment fréquents, avec des professionnels eux-mêmes expérimentés et formés à cette clinique et à ces interventions particulières.

Enfin, et je terminerai sur ce point, l’avantage de ce dispositif de travail des liens, est que, grâce au cadre proposé et à une identification aux positionnements des intervenants, les enfants et les parents ont la possibilité d’expérimenter ce dont ils n’ont probablement jamais bénéficié : une intersubjectivité régulée, tempérée, res- pectueuse des besoins et de la singularité de chacun, avec des frontières à la fois protectrices et reliantes.

Une intersubjectivité qui permet la régulation de la pulsionnalité, en contenant l’avidité ou la destructivité.

Une intersubjectivité enfin où l’altérité et la dif- férenciation, (les idées, les ressentis et les points de vue différents par exemple) ne sont ni anxiogènes, ni synonymes de rejet ou de désamour, mais sources d’épanouissement et d’enrichissement réciproques.

Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Références

1.Winnicott D. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1956.

2.Lopez G.Enfants violés et violentés : le scandale ignoré. Collec- tion : Enfances, Paris : Dunod, 2013.

3.Barudy J, Dantagnon M. De la bientraitance infantile.

In :Compétences parentales et résilience. Paris : Fabert, 2007.

4.Cirillo S. Mauvais parents : Comment leur venir en aide ? In :Actes et dépendances, Dunod, Paris, 2007.

Références

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