À DIVIDENDES
ne manne de dividendes tombe en rafales sur les actionnaires. Ettant pis pour
les
salariésquiau
quotidien, font tourner les entreprisesdu CAC 40. Tant pis même pour l'investissement censé
assurer
l'avenir
de ces grandes sociétés. !| y a des dif- férences del'une
à l'autre bien sûr, mais en moyenne la quasi-totalité des bénéfices qu'elles réalisentfile
vers les détenteurs de parts. Avant de parvenir à ces conclusions, nous avons fouillé ligne à ligne les bilans des 40 firmes qui, ces quinze dernières années, ont
formé le gratin de la Bourse. Un groupe d'entreprises |
dontla
grande majorité des profits vient désormaisd'activités
situées
hors de l'Hexagone, Et dont les actionnaires ont souvent le visage de fonds d'inves- tissement toujours prêts à porter leur argent ailleurssi les dividendes ne tombent pas en abondance. «
Dossierilfustré par Laurent Duvoux
(di mptes du CAC 40
209 FÉVR 2021/ ALTERNATIVES ÉP0RO
DOSSIER _
DE QUOI LE CAC 40
EST-IL LE NOM ?
Même
si elles pèsent toujours lourd dans l'économie française, les entreprises du
CAC40 semblent de plus
en plus déconnectées de leur terre d'origine.
e CAC 40 a-t-il déjà
tourné
la page duCovid-19 ?Après avoir perdu un
tiers
desavaleur d’avant-crise à l'entrée du pre- mier confinement,
l'indice
boursier phare dela
placede Paris a, moisaprès mois, presque
tota-
lement regagné leterrain perdu. Au point que
le
8janvier dernier, la capitalisation boursière du
CAC 40,c'est-à-direla valeur cumulée detoutes
lesactions des groupes composant
cet indice,
frô-lait les 1 832 milliards d'euros, plus
très
loin des1 836 milliards d’euros observés fin 2019, année marquée par des valorisations records. Alors que de nombreux économistes redoutent unedéferlante
defaillites
et
deplans sociaux en 2021,les
championsfrançais,une
fois
de plus, semblent imperméables à la conjoncture deleur territoire
d’origine, ce qui leur vaut souvent mauvaise pressedansl'opinion.
Par
le
passé, des observateurs ontplusieurs
foispointé quele CAC40 augmentait fortement alors
que
le
chômage s’envolait, par exemple entre 2012 et2014. Pourtantle
CAC40continued’être
consi-dérépar
les
investisseurs commele
baromètre éco-nomiquedel'Hexagone. «Une baisse de CAC40est interprétéepar
les
intervenants comme une diminutionde
la
santéde l'économie française»,
lit-on ainsi surle
site
deBercy. Est-ce encore vrai? LE LUXEPÈSE LOURDCréé en1987,le CAC40
est
un panier composé de40 valeursdesociétés françaises. Cesdernières sont choisies parmi les 100 sociétés françaises dont
les
volumes
d'échanges
detitres
sontles
plus impor- tants. Chacunea
un poids déterminépar rapportàsa capitalisation sur Euronext, principale place boursière de
la
zone euro. Sonconseilscientifique— composé d'experts « indépendants»dont l’opé-
rateur boursier cache l'identité afin d'éviterles tentatives
d'influence -
cherche aussi à ce qu’il22 N°409FÉVRIER202 ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
r
soit représentatif des secteurs dans lesquels les grandesentreprises tricolores excellent. Sa compo- sition varie donc régulièrement. Ainsi, Sodexo,
le
géant de
la
restauration collective, TechnipFMC, legroupe d'ingénierie pétrolière, etAccor, le poids lourddel'hôtellerie, tous fragilisés parlacrise,
ontété évincés du CAC en 2020 pour
être
remplacéspar la société de services de paiement Worldline, lespécialiste des centres d’appels Teleperformance et l’équipementier ferroviaire Alstom. Le poids des secteurs technologiques
s’est
ainsi renforcé, même s’ilne représente qu'environ 6 %de l'indice. Une paille quand onsait
qu’Apple pèse 2200 milliards de dollars en Bourse, soit bien plus que toutleCAC 40 réuni
!
Au
sein
du CAC,le
luxe écrase tout. Bien que le secteur ait durement pâti du virus au prin- temps 2020 surson
principal marché, la Chine, Hermès avu son cours de Bourse progresserde plus de 30% l’année dernière. Avec ses congé- nères LVMH (plus grosse capitalisation du CAC avec 260 milliards d'euros),Kering et L'Oréal,ils
pèsent désormais un
tiers
de l'indice.DES MASTODONTES INTERNATIONALISÉS Leuphorie boursière durera-t-elle?Crise oblige,
les
résultats annuelsdesgroupes duGAC40 pour 2020,
quis’égrèneronten février, ne devraient pas égaler les records enregistrés en 2019. Cette année-là, le chiffre d’affaires cumulé des groupes duCAC40avait atteint 1 391 milliards d’euros,soitl'équivalent de 57%du produit
intérieur
brut(PIB) delaFrance.Lacomparaisonn’a cependant
plus
grandsens:les
championstricolores
réalisent
en moyenne près deJamoitiéde
leur
chiffre d'affaires hors d'Europe.Et
seulement unquart
en
France, contre30%au début des années2010,selon
lecabinetEY1,
Cardepuis lafin desannées 1990,ils
sesont lancés éperdumentà laconquête des marchés extérieurs,et d’abord des émergents, dontle dynamisme
explique
pour unebonne
partleur
croissance (+ 22%de
chiffre d'af- faires entre 2006 et 2019).Pas étonnant, dans
ces
conditions, que les per- formances duCAC apparaissent de plus en plus déconnectées de celles deleurterre
d’origine,comme
le
rappellentleurs dirigeants chaque fois qu’ils veulent désamorcer une polémiquesur
leursprofits mirobolants. Certes, aujourd’hui, lapandé- mie risque d’affecter—à des degrés divers
-
leursrésultats, mais pour
l'heure
leur cours de Bourse estsoutenu parles
milliards deliquidités déversées par les banquescentrales
surles
marchés, qui per- mettent aux investisseurs de s’endetteràmoindres frais pour acheter leurs actions.Sices mastodontes internationalisés donnent
le sentiment de
larguer
les amarres de leur mère patrie,c’estaussiqueleurs
propriétairesnesontplus qu'à moitié Français. Fin2019,41 %des
actions duCAC 40
étaientdétenues
par des« non-résidents»,
surtout
originaires
de lazone euro (43 %) et des Etats-Unis (34 %), selon la BanquedeFrance 1,
Etencore
cette
détention du capital des grandsgroupesmentrégressé
français
depuispar des acteurssonpoint hautétrangers(48 %) observéa
nette-en 2013. C'estdans
les
technologieset les
télécomsque le désinvestissementchement
a
été leplusfort
:pasfran-rassurant
pourle
potentiel de croissance de l'économiefrançaise.
Cette internationalisation du capitalest lerésultat
desprivatisationsamorcées
à
lafin
des années 1980etdu dénouement des participations croisées entre
les groupestricolores
dix
ansplustard.
Pour finan-cer leur expansion internationale, ces groupes
ont
cherchéà attirer lesinvestisseurs étrangers, ce qui les a amenés
à
s’aligner sur les normes de gestion du capitalisme anglo-saxon, quifont
primerl'intérêt
àcourtterme
des
actionnaires sur ceux des autres parties prenantes, commeles salariés.
CHAMPIONS POURLESACTIONNAIRES
Malgré
tout, les
géants duCAC 40 pèsent encore lourd dansl'économie française. En2018, calcule lInsee,les
50 premières entreprises françaises par lechiffre d’affaires représentaient ensemble 22%du
chiffre
d’affaires cumulé du secteur marchand.Sil'on
retient le
critère de l'emploi, les 50 premières entreprises rassemblaient 17%dessalariés.
Dans l'investissement,leur
poids atteint33 %. Pourles
exportations, 45% !
Cette concentration, quis’observe dans beaucoup de pays, pose problème. Les géants du CACne sont fers de lancedu rattrapage économique
de
la
Francesous
la houlette de l'Etat durantles
Trente Glorieuses qui don-nèrentnaissance auTGV,au programme nucléaire ouà l'ancêtred'Airbus. Leurs plus les champions nationaux d’hier,
C'est, en milliards d'euros,
le
chiffred'affaires cumulé
des
groupes
duCAC40 en 2019, soit l'équivalent de 57 % du PIBde
la
France.intérêts sont désormais tournésauprofit presque exclusif de leurs actionnaires.
Comme
les
autres multinationales, ils exploitent touteslesficelles
del’opti-
misation
fiscale
afinde minimiser leur impôt, alors qu’ils continuentde bénéfi- cierdesinfrastructuresdupays(réseau de transport, système éducatif, etc.).Ilsfigurent
aussi
parmi les premiers bénéficiaires des aides publiques qui n’ont cessé de pleuvoirsur les
entre-prises depuis plus de dix ans
-
crédit d'impôt recherche, crédit d'impôt pour la compétitivité etl'emploi(Cice), baisse de l'impôtsur
les
sociétés,etc. -
etsingulièrement depuis le début
de
lacrise
sanitaire(chômage
partiel,
plan de relance). Sans qu'aucune contrepartien’ait réellementété
exigée àleur endroit, ni guère d'effet observésurl'emploi, l'innovationou
le
développement des capacités de production.LaFranceaactivement soutenu l'émergence
de
ceschampions. Exigerun
juste
retourde leurpartest
plusque
légitime.
Marc Chevalier[1]«Profil financier du CAC40
:
20octobre 2020, Frama.li unindiceencoreenéquilibre»,
EY,2]Voir frama.link/ZM
N°408FÉVRI 202{ ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES 23
431SS00
DOSSIER
e sont
les
champions nationaux ! D’année en année,les
40 entreprises quiaffichentlaplus
forte
valorisation à la Bourse de Paris publient des résultats qui ne cessent de pro- gresser. Du chiffre d’affaires* au cours de Bourse enpassantparles
bénéficessurtout,les
indicateurs des sociétés du CAC40 sontglobalementorientés
àla hausse.Et ce, que l’on parlede Sanofi, l’un des premiers
laboratoires
pharmaceutiques au monde, dugéantpétrolier
Total, de l’un des pre- miers constructeurs automobiles mondiaux comme Renault ou du champion du luxe LVMH. Mais com- mentaété
utilisée etpartagéela
richesse créée ?Pour
le
savoir, Alternatives Economiques s’est pen-ché
sur
les comptes de ces entreprises de 2005 à 2019. Nous nous sommesainsi
plongés dans plusd’une décennie de publications financières de ces firmes,
soit
plusieurs centaines de documents qui répondent àdes normes comptablesstrictes.
Noussommes
allés
chercherla
ligne de compte précise afin decollecter pour chaque entreprise une même série de donnéeset
explorer leurs évolutions sur quinze ans.Voici untourd’horizon des domaines etdesacteurs quiont profité
dela
croissance de ces multinationales françaisesà
travers l'évolution de larémunérationdes actionnaires,le
poids dessalariés dansl’activité économique ou encore l’in-
vestissement. @Justin Delépine
+
Chiffre d'affaires: ensemble des revenusde
l'entreprise surunepériode donnée.La sociétédoit ensuite déduire sescoûts pour déterminersonbénéfice.Est égalementappelé revenu.
LES GAGNANTS DE LA CR
LES DIVIDENDES ONT AUGMENTÉDAVANTAGE QUE LE RESTE
Evolution moyenne,pourlesentreprises duCAC40,duchiffred'affaires,del'investissement,desdividendes
et
des rachats d'actions, des fraisdepersonneletdes bénéfices,base100 =2005|
|
| Saut :Gooumensderéérence deserrprises elsterra noue
400
367 8
: Sais ER
L Les indicateurs
hs
}20Bénéicesdes sociétés
219 Investissement
3 21 Fraisde personnel
du CAC 40 sont
20 208 Chitfre d'affai
globalement
| 50
orientés
à la hausse
|100.
FRS
|ee je je
à| 2005 2006 2007 2008 2009 200 20N 202 203 204 205 206 207 208 208
Lecture labase100viseàétudier l'évolution d'une donnée, 100 correspondant lavaleur de départ. Ainsi,en 2018 lechifire d'affaires a augmenté en moyenne de108% par rapport
à
2006et
les dividendes de267 %nous avonsrapporté lesacquisitions nettes d'immobilisations corporelles cerésultatnet
est
négatif mais que desdividendes ont quandmêmeétédistribués,
nousavonsconsidéréquedistribuer et incorporelles (machines, logiciels.)
undividendeà partir d'uneperterevient à auxdotationsaux amortissements des distribuer lentièretédubénéfice inexistant,
:
immobilisations corporelles et incorporelles.etdonc ajouté 1auratio, soit un taux Pourcesdifférents indicateurs, nousavons a minimade100 %. Pourl'intensitéen faitlechoix d'établir des moyennes pour emploi delacroissance,nous avons l'ensemble duCAC40,sanslespondérer par rapportépourchaqueannéeles
frais
de lepoidsde chaque entreprise dansl'indice.personnelau chiffre d'affaires. Pourletaux
…
Concernantles
groupesissus
d'unefusion,de renouvellement del'appareil productif pour
les
donnéesantérieuresà
lafusion,(qui permetd'apprécier l'investissement), nousavons
pris
celles dugroupefrançais.NOTE
MÉTHODOLOGIQUENotre enquête portesur
les
40entreprises quiontcomposéle
CAC40au
4
trimestre2020.Surla
période étudiée(2005-2019),toutes nontdonc pas été constamment
au
seinde l'indice.Pour calculer letaux de distribution auxactionnaires,nousavonsrapporté
lemontant des dividendes etdesrachats
d'actions defannéeN+1aurésultat
net
partdu groupeen annéeN.Dans
le
casoù24 N°408FÉVRIER202/ ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
npounmmeumn
Toujours plus pour LES ACTIONNAIRES
|
’année 2020
aurait
dû être celle de versements records de dividendesaux actionnaires duCAC40. Mais lacrise économique déclenchée parle Covid-19 les a intégrale- ment annulés pour certaines
firmes
et les aréduits
pour80 %
C'estlapartdes
bénéfices des entreprises
du CAC40 redistribuée aux actionnaires, en
moyenne,sur
les
quinzedernières années.
d’autres, lais- sant le niveau de distribution atteint en 2019
imbattu.
Un
record
qui s’inscrivait dans le cadre d’uneaugmentation tendancielle
:des quelque
24
milliards
d’euros distri- bués en 2005, nous sommes
passés à quasiment
50
milliardsd’euros en 2019, avec seulement une brève diminution après la crise de 2008. Sur
les
40 entre-prises de l'indice boursier, les montants versés aux actionnaires onten moyenne
été
multipliésparun peu plus de
trois,
entre2005 et 2019.
Cependant, pour apprécier avec plusdejustesse
les
liquidités dis- tribuées aux actionnaires d’une entreprise,il
faut rapporter leur montant au bénéfice*del’année
précédente. Eneffet,
les divi-dendes
versés
uneannéele
sontau
titre
des résultats de l’année antérieure et sont donc officiel- lementfixés
unefois
lescomptes bouclés. On nommeainsi
tauxde
distribution
de dividendeslapartdu bénéfice reversée aux actionnaires.
Schématiquement,
il
existetroisfaçons d’utiliser son profit
:
soitle reverser aux actionnaires, soit
le
conserver pourl’investir, soit le mettre de côtéencasde difficultés àvenir (on parle alors de« report ànouveau »).
DES ENTREPRISES TRÈS GÉNÉREUSES
Parmi
lesentreprises
duCAC
40 les plus
généreuses avecleurs actionnaires,on retrouve Engie, l’ex-GDF-Suez. Entre 2005 et2019, l’énergéticien a distribué au
total
45 milliards*
Bénéfice : résultat dégagé par une entreprise sur une année unefois déduitdela totalité desesrevenus
le
coûtdelaproduction de
ses
biens ouservices(paie-mentdessalaires,loyers,etc.)Est égale-
mentappelé profit ou résultatnet.
N° 409FÉVRIER202/ ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES 25
431SS00
DOSSIER
d'euros
à
ses actionnaires. Sur cettepériode,
Engie a ainsi accordé en moyenne 196% de ses bénéfices aux détenteurs des actionsde
l’entreprise. Donc, concrètement, quand elle aenre- gistré 1 euro deprofit,
elle ena distribué 2 àses actionnaires.
Certaines années, comme en 2014, 2016 et2017,
elle
a même annoncéunrésultat netnégatif -en clair, des pertes - ettoutde même distribué des dividendes.Si Engie est parmi
les
entre-prises qui affichent
les
taux deDES ENTREPRISES QUI REVERSENT AUX ACTIONNAIRES L'ENTIERETÉ DE LEURS BÉNEFICES, VOIREPLUS
Tauxdedistributionde dividendes
et
de rachatsd'actions pourlessixentreprisesayantleratio
le
plusélevéet moyenne dessociétésduCAC40, moyenne 2005-2019,en%
:
LectureSuttVivendidocurrés:enmoyenne, entre 2005Séfrenderééencedes Engenerprie,ecranetaluSIM20),AeroVivendi aEcnemgesversé sous forme de rachats d'actions et de dividendes quasiment troisfoisplusquellen'aenregistrédebénéfices.
Veolia Kong
—
distributionles
plus élevés, la ten-MoemeLACdance
est
générale. En moyenne,sur
les
quinze dernières années, les sociétés duCAC40 ontdis-
tribué 80 %de leurs bénéfices àleurs actionnaires sous forme
soit de dividendes, soit
derachats d'actions
ll,
Àlafindesannées 2000, ce taux était de 67%.
Il
a grimpéà 92 %pour
les cinq dernières années. Ces moyennes cachent évidemment desdisparités
et
certaines valeurs extrêmes (comme Vivendi ou Engie) les tirent fortementà la hausse. Plusieurs entreprises affichent des taux supérieurs à 100 %,comme Vivendi,
Safran, STMicroelectronics, Veolia, Kering et BNP Paribas.Comment
est-ce
possible ? Parun
effet
arithmétique:
« Commele montant desdividendes versés
nediminue pas, quand
les
profitsse réduisent, la
part
reversée auxactionnaires explose », explique Yann Guy, économiste à l’univer-
sité Rennes
2.
«La politique de dividendes d'Engie est déconnectée desrésultats économiqueset
dela
production de richesse »,juge de son côtéEric Buttazzoni, coordi- nateurCGTdu groupe jusqu’en 2019.«En 2015,l'anciennedirec-
trice générale Isabelle Kocher
fixait
leniveau des dividendespour
les
années 2016-2018,
sans
connaîtrelesrésultats économiques àvenir.
Les actionnaires nesont ainsipas soumis aux aléasde
l’activité
»,ajoute ce dernier, qui fut éga- lement administrateur de GDF dans
les
années 2000.Mais comment
l’entreprise
finance-t-elleses dividendes ?
Si on
se
plonge dansla
trésore-rie d'Engie,c’est-à-dire dans les mouvements
financiers
sur son compte en banque, on observe que l’ensemble des liquidités tirées de son activité (8 mil- liards d'euros) correspond peu ou prou au montant consacré par le groupe àses investissements sur l’année. Pour financerles
dividendes, qui
ont
oscilléentre2,5 et4 milliards ces dernières
années,
il
ne restait donc qu’une entrée importante d'argentdis-ponible
:
la vente defiliales,
cequi
a
rapporté entre 2 et3mil- liards paran.COURT-TERMISME
C’esten 2016 que le groupe s’est lancé dans un vaste plan de cession d'actifs. La nouvelle direction d’Engie, installée en 2020, poursuit cette stratégie puisqu'elle a annoncé,pour
cette
même année, un nouveau plan
d'un montant
de 8 milliardsd'euros.
La vente de Suez à Veolia à l'automnedernier
pour 3,5 milliards ena été une par- faite illustration. Cette stratégie a évidemment unefin
:unefois
tous les meubles du salon ven- dus,
il
n’yaplusrien
à écouler.Ironiede
la
situation,le
premierbénéficiairede
cette
politique est l'Etat, qui possède 23 %du capital de l’entreprise. En l'occurrence, l'Etat actionnairene diffère pastantdes autres actionnaires pri- vés qui veulent maximiser leurs gains à court terme. Un rapport sénatorial de 2017 notait que
« l'importance
prise
parl'objectifde réduction du déficit public a (...)
suscité
la
craintequel'Etat privilé-gie la recherche d'un rendement
à
court termede
ses
participations, au détriment des intérêts de long termedes
entreprises».Laventede
filiales
n’est cepen- dant pasla
principale stratégiedes
firmes
pourfinancer
desver-
sements aux actionnaires par- fois supérieurs aux bénéfices.Les deux solutions les plus cou- ramment
utilisées
sont s’endet- terou piocher dans les réserves issues des bénéfices des années passées.RACHATS D’ACTIONS
Pour
avoir
unevision
globalede ce qui revient aux actionnaires,ilne
faut
pas oublierles
rachatsd'actions. Ces derniers ont
pris
une importancecroissante depuis lesannées 1990. La palme
revient
àVivendi,qui
a
racheté en 2019 près de 10 %de son capital prin- cipalementgrâce
au produitdelavente d’Universal Musiceta versé ainsi 2,6 milliards d'euros
à ses (anciens) actionnaires. Si on additionne
ces rachats
d’ac-tions aux dividendes
distribués,
letotal représente 2600% du bénéfice de l’année 2018.
«Les actionnaires aiment beau- coup les rachats d'actions, c'est un complément auxdividendes, explique Tristan Auvray, écono- miste à l’université Sorbonne ParisNord. Pour
ceux
qui gardentdes actions,
ça
permetdepartagerlemême
gâteau
avec moins de per- sonnes.Le bénéficeparaction
estdonc augmenté. » En plus d’ap- porterdes
liquidités
aux action- naires qui vendent, les rachats d’actions permettent de soute- nirlecours del'action
en faisant augmentersa demande.Cependant,
ce
sontautant
deliquidités qui
ne
serventpas
à l'en-treprise,pourinvestirou soutenir
l'emploi.
ain.
[1] Cetauxrapporte uniquementLasommedes
dividendes etdesrachats d'actionsaurésultatnet
del'annéeprécédente. Nesonticipas prisesen
compre les éventuelles augmentationsde capital,
26 N°403FÉVRIER 2021/ ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
ES SALAIRES n'ont pas Suivi
Édementetion des profits
B n quinze
ans, le
chiffre d’affaires des entre- prises duCAC40a en moyenneété
multipliépardeux
et leurs
bénéfices par prèsdetrois.
Les
salariés
à l’origine decette
création derichesse
en ont-ilsvu les retombées ? Si
l’on
regarde dans lescomptes des entreprises duCAC 40,lesfrais
depersonnel, c’est-à-dire l’ensemble des coûts
relatifs
aux employés,
ont
en effetaugmenté à peu prèsautant que
le
chiffre d’affaires maispas autant que laprofitabilité, qui estmesuréeparla
part dubéné-fice dans
le
chiffre d’affaires.l'activité. C’est
le
casdeVeolia, où cette partachuté de15 %depuis 2005.La
raisonestici
double. D'unepart,la baisse deseffectifs,puisquecesdernierssont passés
de
plus de 280 000 en2010àun peu moins de 180 000 aujourd’hui. Lessalariés
françaisdel’acti-vité eau
ont
par exemple connu quatre plans sociaux depuis 2014.«Plus largement,il
yaeudes économiessur
toutes
lesfonc- tionssupports;
les cadres, les ressourceshumaines, lesformations, avecbeau-
Hermès est
l'entreprise du
coup de synergies
et
de mutualisation », résumeAlain
Bonnet,représentantsyndical adjointFO du
groupe.
D'autre part,
les
conditions deDepuis 2005,
la
part dutravail dansl’activité a ainsiaugmenté en moyenne de5 %dans l’ensemble du :
CAC40. Etencorecette
faible
progression s'expliqueCAC 40 qui a
2
partieparlaréorientation du troupe Vivendi versconnu la p
|us
rémunération ontétérevues,«l'an-lsactivités beaucoup plusintensives en
travail
(de D à ï cienstatut
a progressivementdisparula vente de SFRaux achats du grouped'édition Editis
forte diminution
àpartirde2009, entraînantune dimi- etde celui de jeux vidéo Gameloft). Sans prendre(25 ve
)dela pa rt
nution drastique des primes et de l'in- en comptece
groupe,la
part du travail dansl’ac-
téressement.Infine,
c'estbien lesalairetivitéa seulement progressé de2 %en quinze ans au sein des entreprises du CAC 40.
DE FORTES DISPARITÉS
Les grands groupes ne communiquent cependant passur
la
répartition dessalaires enleursein.
On ne dispose que du montanttotal
des rémunérations, qui peutcacherdetrès larges
inégalités entre sala- riés d’une mêmeentreprise,
selon leur activité et le pays oùils
travaillent.Parailleurs, derrière unestabilisation moyenne,
se
cachent desdisparités entreentreprises. Certaines ont effectivement vuleniveaudu
travail
diminuerdans
ONOMIQUES
du travail dans
quibaisse»,ajoutele
syndicaliste FO.son activité
Depuis 2010,Veolia connaît certesdesdifficultés, en partie dues à des pertes de contrats sur le marché
de
l’eau
en France. Cependant,le
chiffre d’affaires
est, lui,
resté stable en moyennesur la
période, alorsquela
part qui,enson sein, est dévolue au travail a diminué,
entraî-
nant «une intensificationdu travail», pointe Alain Bonnet. Uneillustration que
les
gainsde productivité ne profitentpas auxsalariés.
L'entreprise du CAC40
qui a
connula
plus fortediminution
(25
%)dela
partdu travail dans son431SS00
DOSSIER
LA PART DES SALAIRES DANS L'ACTIVITÉ EST RESTÉE STABLE
Evolution delapartdesfraisdepersonneldanslechiffred'affaires
pour lestrois entreprisesoùelle aleplusdécru etmoyennedessociétés
duCAC 40,base100 =2005 Saut: Documentderien
deep
cat10 15
MayenneCAC 40 w0
Renault
75 Hermès
2005
"a
206 208Lecture:en2019, lapartdesfraisdepersonneldanslechiffre d'affaires d'Hermès est inférieure de25 % àson niveau de2005.
activité est Hermès. Cetacteurdu luxe, bien plus petit que
le
géantLVMH ou, dans une moindre mesure, que Kering (qui possède notammentGucci
et
Yves Saint Laurent), n’en est pas moins leplus rentable destrois.
En quinze ans,les
reve-nus d'Hermès
ont
d’ailleurs été multipliés par cinq quand son bénéficeaété multiplié par plusdesept, entraînant mécaniquement une hausse importante|
de
sa
profitabilité.RECOURS ÀLASOUS-TRAITANCE
<La progression de la rentabilitéest multifacto- rielle. Au-delà de l'optimisationfiscale, lahaussedu prixde vente duproduit en estun élément. Lestarifs augmentent pourle consommateur, maïs
les
pro- duits restent sensiblement les mêmes, etde très haute qualitéparailleurs
», indique Thomas Vacheron, secrétaire de la Fédérationtextile
habillementcuir
blanchisserie (FTHCB)-CGT.Ainsi, alors que les coûts de production,
et les
salaires notamment,n'ontpas spécifiquementévolué,leprix dessacs de
luxe
a,
lui, progressé, entraînant une baisse dela
rémunération du travaildans
le
totalde
l'activité.Une des particularités du secteur du luxe est par ailleurs son importantrecours
à
la sous-traitance, qui a comme avantage pour les grands groupes une plus grande flexibilité etde ne pas alour- dir la massesalariale.
« Quece
soitpourHermèsoupourLVMH,
la
moitiéde leur maroquinerie est produite pardes sous-traitants, explique Thomas Vacheron. On compte ainsi une vingtaine de PME françaises quiemploient chacune quelques cen- taines depersonnes. »Orles rémunérations etles conditions de travail ne sont pasles mêmes chez les donneurs d’ordreet
chez les sous-traitants,y compris dans
l'Hexagone.
« On estimela
diffé-rence àenviron 30 %dans lecasfrançais », pointe Thomas Vacheron. Plus globalement, c'est bien un partage de la valeur ajoutée entre plusieurs acteurs qui
se
fait principalement au bénéficed’un
seul :
le donneurd'ordre. au.
i gouverner,
c'est
prévoir, sameilleure traduc- tion dansla
gestion d’uneentreprise serait&
d'investir. L'investissement est ainsi une variable centrale pour observer lamanière dontles entreprises préparentleur
aveniret
tententd’amé-liorer leurs services ou produits.
Pour étudier l'effort d'investissement
réalisé
par les entreprises, on peut se pencher sur le tauxde renouvellementde
l'appareil
productif.C'est-à-dire rapporter chaque année le montant
des
investissements,
qu’il s'agisse d'achats de machines oudelogiciels,
au montant des amor- tissementsdes investissements passés. Eneffet,
quand une
entreprise
réalise un investissement, disons une machine à 1000 euros quiaune durée de vie de dix ans, elle déboursecertes l'argent
en une
fois
mais fractionne dans ses comptes cemontant pendant
la
durée de viedel'outil,
detelle manière que cette machine
est
associée àun28 2021 ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
NT, une priorité secondaire
:
coût annuel de 100euros (appelé dotation aux amortissements) pendantune décennie.
L'amortissement de chaque année correspondant en quelque
sorte
au vieillissement de l'outil pro- ductif,il
faut donc investiraminima d’autant pour éviter l’aggravation de l’obsolescence. Pour qu’une entreprise renouvelle son outil de production,il
fautainsi que sontauxde renouvellementdu capital productifvaille 100 %. S'ilestinférieur,
cela
signifieunvieillissement
et,
à l'inverse,s’il
est supérieur,une
extension
descapacités
productives l1.Pour
ce
quiest
des entreprises du CAC40, elles
ont, depuis 2005, en moyenne,affiché un taux de 105 %,
soit
une extension maisdefaible
ampleur.Certains secteursaffichent
des
taux bien pluséle- vés, commecelui
del'automobile, oùceratio
tourne depuis 2015 aux alentours de 130%, ce qui cor- respond àun effort d'investissement important, notammentpour
maîtriser la voiture électrique et connectée. Cette perspective nécessite davantage qu’un simple renouvellement des machines.D’autres affichent des ratios bien plus faibles, comme Sanofi qui, sur
la
période, a investi enmoyenne seulement 26%du montant de ses amor- tissements. «Au niveau industriel, nous manquons d’investissements, indique Florence Faure, coordi- natrice des délégués syndicaux centraux CFDTde Sanofi. Dans lesdomaines jugéspar
la
direction non prioritaires, l'investissementrisqued'y
être réduit auminimum,juste pourmaintenir
les
sitesauxnormes.» Legroupe aciblé en 2019 quelques axes priori- taires, comme l’hématologieet
l’oncologie oules vaccins. Maissi
cefaible
investissement dansl’appa- reilde productionse poursuit,il
pourrait fragiliser àtermel'avenir
decertainesusines
du laboratoirepharmaceutique.
DES INVESTISSEMENTS OUI, MAIS FINANCIERS
Le faible investissement
de
certaines sociétéss'explique enpartie par l'importance
prise
parle
dividende. «Les dirigeants sesont engagés sur des versements aux actionnaires constants, voire crois- sants, donc
la
variable d'ajustementn'est
plusledivi- dende maisl'investissement»,
résumel’économisteTristan Auvray,de l’université Sorbonne
Paris
Nord.Le montant des dividendes de Sanofiest
à
cetitre
croissant
et
largement supérieur àcelui des inves- tissements depuis une dizaine d'années.« Une
des
grandesévolutions des dernières décennies est laplace prise parlesinvestissementsfinanciers, qui prennentle
passur l'investissement produc- tif», explique Yann Guy, économisteà l'université
Rennes2. Lecas du fabricant de matériel électro- nique Legrand l’illustre. Depuis 2010,
l'industriel
implanté à Limoges
a
ainsi chaque annéeréalisé
un effort deux à trois fois plus importantpour
le
rachatd’entreprises (investissements financiers)
sé La variable
quepourl'acquisitionde matériels etoudelogiciels
(investissements productifs). Idempour
le
groupedeBTP Vinci,qui, depuis 2010, dépense près de deux foisplus en investissements financiers que produc- tifs. MêmetendancepourSchneider
Electric,
qui a déboursé quasiment autant dans les deux types d’investissements au cours de la décennie.Est-ce
problématique
?Si le
rachat d'entreprises constitue
uninvestisse-
ment au niveau du groupe,il n’en est pas un du point
d'ajustement
de vue macroéconomique.n'est plus
Schématiquement, une entre-le dividende mais l'investissement 29
el
TRISTANéconomisteAUVRAY,prise compte certes une usine en plus, éventuellementplus performante, maisle nombre d'usines et de machines dans l’économie
reste
inchangé.«Comme l'investissementfinan- cier n'engendre pas d'augmentation du capital dis- ponible, et que la création d'emplois est conditionnée parl'investissement
net,
cette stratégieposeun grosproblème pourl'emploi
à
terme»,résume Yann Guy.De
plus,
le développementdes investissements financiers contribue à un mouvementde
concen-tration, qui permet auxentreprises restantes de disposer d’un pouvoir demarché
plus
important,notamment dans
la
fixation des prix.Au niveau global, les firmes duCAC40 renou- vellent donc
leurs
capacités installées, au mieux.Et croissent
avant
tout pardes investissements financiers qui augmentent leur pouvoir, mais pas les capacités de l’économie française.a.0.
[1] Pourétudierplusprécisémentcommentlesentreprises préparentleur
aveniretcentent d'améliorerleurs produitsouservices,ilfaudrait intégrer
lesfraisde rechercheetdéveloppement (R&D),quinesont icipaspris en
“compte,carilsne constituent pas une augmentation des capacités productives.
UN INVESTISSEMENT À MINIMA
Tauxderenouvellementducapital productif deshuit entreprisesayant
le ratioleplusfaibleetmoyenne des sociétésduCAC40, moyenne 2005-2019,en%
Source: documers
de
éirencdesentreprises calais Aterines FramesSanofi Vinci BNP Dassaut Paribas Systèmes
Lecture
:
en moyenne,surlapériode 2005-2019,le groupePublicisa renouvelé moins delamoitié de son capital productif.La Pubs Capgemin Legrand oyenne ciC40
N°48FÉVRIER202
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ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES2
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