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Cahiers du monde russe Russie - Empire russe - Union soviétique et États indépendants

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

indépendants

 

46/1-2 | 2005

La Russie vers 1550

Monarchie nationale ou empire en formation&nbsp?

André Berelowitch and Vladislav Nazarov (dir.)

Electronic version

URL: https://journals.openedition.org/monderusse/2707 DOI: 10.4000/monderusse.2707

ISSN: 1777-5388 Publisher

Éditions de l’EHESS Printed version

Date of publication: 1 January 2005 ISBN: 2-7132-2055-6

ISSN: 1252-6576 Electronic reference

André Berelowitch and Vladislav Nazarov (dir.), Cahiers du monde russe, 46/1-2 | 2005, “La Russie vers 1550” [Online], Online since 17 November 2005, connection on 16 February 2022. URL: https://

journals.openedition.org/monderusse/2707; DOI: https://doi.org/10.4000/monderusse.2707

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© École des hautes études en sciences sociales, Paris.

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INTRODUCTION TO THE PUBLICATION

La thèse communément admise en Russie est que les princes de Moscou, lorsqu’ils ont réuni sous leur sceptre la majeure partie des territoires dépendant jadis des grands- princes de Kiev, entreprennent d’édifier un Etat centralisé qui préfigure la Russie moderne. Mais s’agit-il bien d’un Etat, au sens de Max Weber ? Peut-on parler d’Etat centralisé à propos d’une bureaucratie qui évoque, démesurément agrandie mais bien reconnaissable, l’administration encore rudimentaire d’un domaine seigneurial ? La nouvelle entité politique ressemble-t-elle aux monarchies nationales anglaise, espagnole, française, ou faut-il la comparer à ses voisins le royaume polono-lituanien et les khanats héritiers de la Horde d’Or ? Ces problèmes cruciaux pour la compréhension de l’histoire russe sont abordés dans une trentaine d’articles qui traitent les sujets les plus variés, depuis l’étude du crime de lèse-majesté à travers l’Europe jusqu’à l’image d’Alexandre Nevski dans l’histoire, la légende et le cinéma. Ils sont l’œuvre des professeurs et auditeurs, venus de toute l’Europe et des Etats-Unis, qui ont pris part à l’école d’été tenue à Paris, à l’EHESS, en septembre 2003.

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TABLE OF CONTENTS

Avant-propos

André Berelowitch, Vladislav NAZAROV and Pavel Uvarov

Introduction

Limites et portée du comparatisme

André Berelowitch

L'État : typologie, problématique

Culture and politics, or the curious absence of Muscovite state building in current American historical writing

Valerie A. KIVELSON

Наследие Золотой Ордьı в Формировании Российского госүдарства

Bulat R. RAHIMZJANOV

La similitude du dissemblable

La Russie et la grande-principauté de Lituanie XIVe-milieu du XVIe siècle Elena RUSINA

La notion d’État Moderne est-elle utile ?

Remarques sur les blocages de la démarche comparatiste en histoire Jean-Frédéric SCHAUB

Modalités de l'expansion

Incorporation des territoires de l’Est dans l’État moscovite (XIVe-premiÈre moitié du XVIe

Siècle)

Irina L. MAN´KOVA

Россия и появление казачества на Волге и на Дοнү

Igor´ O. TJUMENCEV

Histoire socio-politique

От «земель» к «великим княжениям»

Andrej A. GORSKIJ

Les réformes du milieu du xvie siècle et l’évolution structurelle de la noblesse russe

Andrej P. PAVLOV

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Économie et société

Крестьяне в социальной структуре средвневековой Руси

Vladimir A. ARAKCEEV

Croissance et crises dans le monde médiéval xie-xve siècle

Réflexions et pistes de recherche Mathieu ARNOUX

Персональньıй состав нижегородского дворянства

Pavel V. CHECHENKOV

Аграрная микроистория нa примере ВолокаЛамского и Радонежа

Sergej Z. CHERNOV

Город и вече

Pavel V. Lukin

Значение «законa» в средневековом праве

Konstantin V. PETROV

Autour de la monarchie

Sacre des tsars et sacrements de l’Église AUX XVIe-XVIIe siècles

Olivier AZAM

Les princes de Moscou face à la mort

Modèle monastique et sainteté lignagère (1263-1598) Pierre GONNEAU

La monarchie russe à la lumière de la crise politique des années 1530-1540

Mohail M. KROM

Le couronnement d’Ivan IV

La conception de l’empire à l’Est de l’Europe Olga NOVIKOVA

The Muscovite monarchy in the sixteenth century: “national,” “popular” or “democratic”?

Maureen PERRIE

L’image du pouvoir monarchique dans les relations entre la Russie et la Pologne-Lituanie

Seconde moitié du XVIe siècle Luc RAMOTOWSKI

Princes, parents et seigneurs

Loyautés et crime contre le souverain en Europe centrale ou occidentale et en Moscovie XIVe-XVIIe siècle ANGELA RUSTEMEYER

The limits of Muscovite autocracy

The relations between the grand prince and the boyars in the light of iosif Volotskii’s Prosvetitel´

Cornelia SOLDAT

Отношения правителя и знати в СевероВосточной Руси

Peter S. STEFANOVIC

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Idéologies, mentalités, religions A few notes about the strigol´niki heresy

Alexey I. ALEXEEV

Aleksandr nevskii: Hagiography and national biography

Anna NAVROTSKAYA

La mémoire de la bataille de Kulikovo dans l’idéologie de l’état russe des xve-xvie siècles

ANDREJ E. PETROV

Political thinking in Moscow in the sixteenth and seventeenth centuries

Peresvetov, križaniç and the grammatisation of knowledge STEFAN SCHNECK

Формировaние идеологии русской монархии в xvı в. и Сmeneннaя кнuzа

Aleksej V. SIRENOV

La naissance de l’Union de Brest

La curie romaine et le tournant de l’année 1595 Laurent Tatarenko

Le temporel de la chaire métropolitaine de Russia orientalis

(XIVe siècle -- premier quart du XVIIe siècle) Élisabeth TEIRO

Ментальньıе основьı древнерусского монaрxизма

Oleg G. USENKO

« Освяшенньıй собор » в источникаx xıv

Varvara G. VOVINA-LEBEDEVA

Флорентийская уния и автокефалия Моской церкви

Valerij E. ZEMA

Liste des abréviations Abréviations

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Avant-propos

André Berelowitch, Vladislav NAZAROV et Pavel Uvarov

1 En 2003, le Centre d’études du monde russe, soviétique et post-soviétique de l’EHESS (aujourd’hui Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen, ou CERCEC) à Paris a proposé aux jeunes chercheurs d’Europe, du Japon, des États-Unis un séminaire doctoral autour du thème : « Naissance d’une monarchie nationale et formation d’un État russe (milieu du XIVe-milieu du XVIe siècle) dans le contexte européen ».

2 Organisé conjointement par le Centre et par l’Institut d’histoire universelle (Académie des sciences de Russie, Moscou), le séminaire était financé par le ministère de l’Éducation nationale. Le comité scientifique tient à remercier ici les organismes et les établissements d’enseignement supérieur qui lui ont prêté leur concours : le ministère de l’Éducation nationale, le Centre franco-russe en sciences humaines et sociales de Moscou, l’École doctorale de l’EHESS, l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, l’Institut d’études slaves, la Maison des sciences de l’homme, la Section des sciences historiques et philologiques de l’École pratique des hautes études. Il remercie également le Centre d’études slaves et l’Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris, et le Centre « Pierre Le Grand » de formation en lettres et sciences humaines à l’Institut physico-technique de Moscou qui ont soutenu cette initiative.

3 Les 36 candidats retenus étaient presque tous docteurs ou préparaient une thèse de doctorat. Originaires de treize pays différents, ils se sont réunis à Paris, du 15 au 27 septembre 2003. Chacun a présenté un projet de recherche qui a été discuté en séance plénière. On trouvera dans le présent volume un choix de ces projets, revus et corrigés par leurs auteurs en fonction de la discussion.

4 Ils ont par ailleurs écouté une série d’exposés, mettant en parallèle les faits est- européens avec les évolutions de l’Europe occidentale. Le comité remercie chaleureusement les professeurs Mathieu Arnoux (EHESS), Pierre Birnbaum (université de Paris-I), Alain Boureau (EHESS), Monique Bourin (université de Paris-I), Robert Descimon (EHESS), Claude Gauvard (université de Paris-I), Jean-Philippe Genet (université de Paris-I), Pierre Gonneau (IVe section EPHE, université Paris-IV), Anton Gorskij (Académie des sciences de Russie), Valerie Kivelson (université du Michigan,

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Ann Arbor), François Menant (École normale supérieure), Andrej Pavlov (Académie des sciences de Russie), Maureen Perrie (université de Birmingham), Jean-Frédéric Schaub (EHESS), Ludwig Steindorff (université de Kiel). Plusieurs articles de ce volume reprennent les conférences prononcées par les professeurs au cours du séminaire.

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Introduction

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Limites et portée du comparatisme

André Berelowitch

On ne peut pas comparer un pou et un cheval.

Paul Reboux et Charles Muller

1 Le thème proposé aux participants, venus pour moitié de Russie, pour moitié d’autres pays d’Europe, du séminaire doctoral de septembre 2003 (nom de code : « Drerupa »1) était simple en apparence, et même canonique : « Naissance d’une monarchie nationale et formation d’un État russe (milieu du XIVe - milieu du XVIe siècle) dans le contexte européen ». En réalité, il soulevait une série de questions plus complexes les unes que les autres. La Russie du XVIe siècle est-elle, à proprement parler, un État, même si l’on prend soin d’ajouter « archaïque » ? Peut-on parler d’État, en Europe occidentale ou ailleurs, avant le XVIIIe siècle, voire le XIXe siècle2 ? Évitons donc d’employer ce terme controversé : l’entité politique qui se désigne elle-même par l’expression Moskovskoe gosudarstvo (les contemporains traduisaient « Moscovie ») est-elle bien « nationale » dans le sens que nous donnons à ce mot ? Multiethnique, multiconfessionnelle, est-elle vraiment semblable à l’Angleterre, à l’Espagne (sans l’empire colonial), à la France de son époque ? La conquête, au milieu du XVIe siècle précisément, des khanats de Kazan, puis d’Astrakhan, n’est-elle pas un premier pas vers l’empire ? Les quatre derniers mots du titre, enfin, délibérément ambigus, semblaient annoncer une étude comparative entre la Russie et les puissances d’Europe centrale et occidentale, exercice maintes fois tenté, mais jamais de façon systématique et avec un succès généralement médiocre3.

2 Comme dans tout rassemblement d’historiens qui se respecte, on a surtout parlé d’autre chose. Maureen Perrie est la seule qui ait abordé de front le problème crucial : la monarchie russe est-elle « nationale », « populaire », « démocratique »… ou rien de tout cela ? Anton Gorskij, Bulat Rahimzjanov et Elena Rusina ont replacé la Moscovie dans le contexte de l’Europe orientale. Pavel Chechenkov, Irina Man´kova ont évoqué les méthodes employées par Moscou pour assimiler les nouveaux territoires. Mihail Krom et Angela Rustemeyer ont comparé l’institution de la régence et la répression du crime de lèse-majesté en Russie avec ce qui se pratiquait dans d’autres pays d’Europe.

Valerie Kivelson a expliqué, de façon convaincante, pourquoi les historiens américains (mais sont-ils bien les seuls ?) parlent d’autre chose : ils ont abandonné l’histoire

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politique et institutionnelle pour explorer les profondeurs de la société, sa « culture » politique, juridique, religieuse, voire (mais bien plus rarement) économique.

3 Il y a quarante ou quarante-cinq ans, une rencontre aussi prolongée, aussi franche et informelle entre historiens russes et non russes n’aurait pu avoir lieu. Si elle s’était tenue quand même, nous aurions assisté au choc des idéologies (qui ne se souvient, parmi les modernistes de ma génération, des duels épiques Roland Mousnier-Boris Porchnev ?) Chacun aurait cherché à persuader l’autre de la supériorité de ses méthodes et de sa conception de l’histoire. On aurait argumenté à perte de vue sur la nature de l’État, proto-féodal, féodal ou féodal avancé, sur le rôle des classes sociales, sur le caractère progressiste ou rétrograde des guerres ou des réformes.

4 Rien de tel en 2003. Personne n’a cherché à évaluer (ou à nier) le retard de la Russie sur l’Europe occidentale. Personne ne s’est préoccupé de retracer, en toile de fond, l’expansion de la principauté de Moscou ou l’évolution de ses institutions. La confrontation entre les trois historiographies représentées (historiens russes de la Russie, occidentaux de l’Europe occidentale et historiens occidentaux de la Russie) — un des principaux objectifs du séminaire — n’a donné lieu à aucun exposé théorique ; on s’est contenté d’une simple juxtaposition. De même, la joute entre l’histoire érudite, héritière de l’« histoire et philologie » du XIXe siècle, qui constituait naguère encore la Bible des médiévistes russes, et l’histoire interprétative, puisant à pleines mains dans les ressources des autres sciences humaines, que l’on a pris la fâcheuse habitude, en Russie notamment, d’appeler « l’école des Annales ». De même encore, les comparaisons entre la Russie et la France, l’Angleterre, l’Empire. À chaque fois, on a procédé par petites touches. Finies, les grandes fresques historiques : l’impressionnisme triomphe.

Ce changement complet d’atmosphère, dont l’écroulement du régime soviétique n’est que très partiellement responsable, nous présente une petite énigme que je tenterai d’éclaircir dans les quelques pages qui suivent, en partie pour ma propre satisfaction, en partie pour la lumière que sa solution pourrait apporter sur la nature et les enjeux de la nouvelle histoire en train de s’écrire.

5 J’aborderai le problème par un biais, en essayant de répondre à la question : pourquoi la comparaison, qui semble connaître un regain de popularité sous le nom d’« histoire croisée », est-elle devenue si difficile ? Laissant de côté les subtilités techniques les plus abstruses4, je me contenterai de soumettre à ce que j’appellerai une critique structuraliste simple, c’est-à-dire datant des années 1970, les deux types de raisonnement les plus courants, employés par l’historien de façon presque machinale.

Lorsque l’on constate des similitudes frappantes entre deux sociétés si éloignées dans l’espace ou le temps que toute possibilité d’emprunt est exclue d’emblée, on invoquera l’adage « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». L’explication, pour plausible qu’elle soit, n’est valide que si les causes en question agissent au sein de milieux identiques. Or nous savons bien que toutes les sociétés humaines diffèrent les unes des autres comme le font des organismes vivants, qu’ils appartiennent ou non à la même espèce. Les conditions matérielles, économiques, sociales ont beau être semblables, l’expérience vécue par les différents groupes humains est à chaque fois singulière ; un même événement sera réfracté, à chaque fois, par une mémoire, une conscience collective qu’on ne saurait confondre avec aucune autre.

6 Supposons, à l’inverse, que l’emprunt soit envisageable, voire prouvé. L’ancien

« diffusionnisme », qui garde plus d’adeptes qu’on ne croit, s’estimait heureux s’il avait retrouvé l’origine du phénomène. Nous savons maintenant que l’historien doit encore

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resituer l’échange dans la configuration sociale du point d’origine et dans celle du point d’arrivée : comprendre les raisons du prêteur comme de l’emprunteur, la réception du message par celui-ci et l’influence en retour subie par celui-là5.

7 Comment, si l’on entend satisfaire à ces exigences de rigueur, pourrait-on comparer de façon globale une société à une autre, par exemple la Russie du XVIIe siècle à l’empire carolingien ? Le développement historique de l’Afrique à celui de l’Asie ? Les rapprochements oscillent entre deux pôles également critiquables, les perspectives si vastes qu’elles en sont nébuleuses et les coïncidences ponctuelles, dont la seule utilité apparente est de rappeler que la société étudiée n’est pas la seule sur la planète, contrairement à ce que ses historiens auraient tendance à s’imaginer6.

8 Confronté à un problème qu’on pourrait à bon droit considérer comme essentiel à sa discipline (jalonner le devenir des sociétés humaines), l’historien comparatiste se retrouve dans la situation d’un mathématicien qui devrait classer deux nombres appartenant à des ensembles ordonnés différents, d’un paléontologiste qui aurait affaire à des animaux fossiles dont chacun constitue un ordre à lui tout seul. Aucune comparaison tant soit peu approfondie n’est possible sans un cadre de référence, et c’est justement ce qui lui fait défaut.

9 L’histoire positiviste, telle qu’elle s’est constituée dans la seconde moitié du XIXe siècle, s’interdisait, par définition, toute théorie générale, mais non pas toute comparaison. La foi dans le progrès la protégeait de l’agnosticisme véritable. Sur la courbe approximativement ascendante qui représentait l’évolution de l’humanité, elle se refusait à placer des « plus » et des « moins », mais ne pouvait s’empêcher de donner à l’avant et à l’après une signification plus que chronologique.

10 L’histoire pseudo-marxiste du XXe siècle, qui partageait sans s’en rendre compte les croyances naïves de son adversaire « bourgeois », avait renchéri en disposant, sur l’axe jusque-là indifférencié du temps, des points de repère. Toute société portait en elle une loi universelle de développement qui, à travers les luttes de classes, les famines et les guerres, la poussait infailliblement en avant. Sa vitesse pouvait varier, ainsi que la durée des arrêts à chaque gare ; mais la locomotive de l’histoire, pour aller de la communauté primitive au socialisme, devait passer par l’esclavage, le système féodal et le capitalisme7.

11 Le « matérialisme historique » fut le premier à disparaître, nous laissant le marxisme vivant, c’est-à-dire un faisceau d’hypothèses fécondes à critiquer et à vérifier.

Instruments de recherche, elles ne sauraient remplacer cette théorie générale de l’histoire que nous avions cru, à tort, posséder. La foi dans le progrès s’est effritée, et si les méthodes positivistes ont fait leurs preuves, elles sont incapables d’éclairer la route de l’historien. Les faits sociaux, qu’ils relèvent de l’histoire ou des autres sciences humaines, nous apparaissent comme les pièces d’un puzzle que nous ne savons pas assembler.

12 C’est en se modelant sur ce puzzle, en s’adaptant avec pragmatisme à son aspect fragmentaire qu’est née la cultural history américaine, particulièrement active dans le domaine russe. Personne ne songe à nier la richesse de ses apports, tant sur le plan de la méthode que sur celui des faits. Elle a su pénétrer derrière les façades, trop souvent artificielles, il faut bien le reconnaître, qu’avaient érigées les historiens des institutions.

Véritable ethnographe du passé, elle a cherché à reconstituer les comportements et les façons de penser des acteurs de l’histoire. Sensible avant tout à la cohérence interne d’un groupe humain, s’adaptant avec souplesse à son idiome, elle a traité chaque

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société comme une « culture » distincte, les états successifs de cette société pouvant, selon l’importance des changements, être considérés comme autant de cultures distinctes, ou comme des sous-cultures rattachées à la culture principale. Mais les adeptes de cette nouvelle histoire ne prennent pas garde que, ce faisant, ils traitent chaque société étudiée comme une nature, dont sa seule existence suffit à rendre compte. Loin d’expliquer les singularités qu’ils rencontrent par leurs causes, ils les figent dans leur état de singularités, puisqu’elles expriment selon eux une culture particulière et ne résultent pas du jeu de lois universelles qui s’appliqueraient à l’ensemble du genre humain. Comme ils privilégient la solidarité horizontale des structures, ils sont incapables de concevoir, à plus forte raison d’expliquer, leurs changements : l’histoire culturelle est une histoire statique. Comme enfin chaque groupe humain est enfermé dans sa culture, l’histoire globale du monde disparaît comme telle, et avec elle le « tragique » de l’histoire (Raymond Aron) : y aurait-il donc une « culture » totalitaire ?

13 S’il en est ainsi, si l’histoire indifférenciée des cultures est une « nuit où toutes les vaches sont grises », si nous avons renoncé à la théorie pseudo-marxiste (le crépuscule où toutes les vaches vont en rangs par deux) et ne l’avons remplacée par aucune autre, cela veut dire que désormais nous ne comparons plus entre elles des grandeurs connues, avec des résultats prévisibles, mais que nous établissons des rapports entre des matériaux hétérogènes, avec des résultats imprévisibles. Si un rituel, une coutume, un détail de l’organisation politique d’une société A évoque un trait correspondant d’une société B située à des années-lumière de la première8, nous ne pouvons plus récuser le rapprochement sous prétexte d’invraisemblance, car nous ne savons pas, littéralement pas, ce que sont les sociétés humaines. À plus forte raison ne savons-nous pas les classer.

14 Dès lors, la comparaison cesse d’être cet exercice relativement bénin, sorte de jeu d’esprit ou de divertissement érudit autorisant le pittoresque, qui délassait, le temps d’un article, les historiens sérieux. Elle devient un moyen d’exploration, un des plus puissants et des plus féconds qui soient, si on l’utilise avec toute la rigueur désirable.

Elle met en jeu toutes les sciences sociales et humaines, car de même que la multiplicité des visées restitue l’épaisseur de l’objet, c’est précisément la diversité des approches qui confère au fait social sa substance. Celui-ci ne peut être saisi et interprété qu’à travers des chaînes virtuellement infinies de comparaisons ou de mises en rapport, auxquelles ni l’espace, ni le temps, et encore moins les fragiles cloisons entre les disciplines, ne sauraient imposer de limites.

15 On comprend l’embarras de l’historien devant ce comparatisme généralisé qui le menace et qui déjà envahit sournoisement sa pratique quotidienne. Un embarras qui a toutes chances de durer, car les causes profondes qui ont fait voler en éclats une vision du monde vieille de plusieurs siècles n’ont pas fini d’agir : elles ne font probablement que commencer. Mais ce que l’historien perd en certitude, il le gagne en curiosité.

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NOTES

1. . Premières syllabes du russe Drevnjaja Rus´ Parizh, « Ancienne Russie Paris ».

2. . Voir ci-dessous l’article de J.-F. Schaub.

3. . Avec au moins une exception : le bref article de S. M. Kashtanov, « O tipe russkogo gosudarstva v 14-16 vv. » [« Type d’État en Russie aux XIVe-XVIe siècles »], in Chtenija pamjati V. B. Kobrina. Problemy otechestvennoj istorii i kul´tury perioda feodalizma [Conférence à la mémoire de V.

B. Kobrin. Autour de l’histoire et de la culture de la Russie à l’époque du féodalisme], Moscou, 1992, p. 85-92.

4. . Cf. Michael Werner, Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Le genre humain, 42, 2004, p. 15-41 (Numéro thématique intitulé : « De la comparaison à l’histoire croisée »).

5. . La porcelaine manufacturée en Chine au XVIIIe siècle à l’intention des importateurs européens, décorée de façon plus chinoise que nature pour se conformer à leur goût, offre un exemple de ce genre de chassé-croisé.

6. . Bien que coupable, l’auteur du présent article (cf. La hiérarchie des égaux, Paris, 2001, p. 180 et passim) n’est pas seul sur le banc des accusés : voir par exemple Michael Cherniavsky, « Ivan the Terrible as Renaissance Prince », Slavic Review, 27, 1968, p. 195-211 ; Daniel B. Rowland, « Ivan the Terrible as a Carolingian Renaissance Prince », Harvard Ukrainian Studies, XIX, 1995, p. 594-606 ; Charles J. Halperin, « Ivan IV and Chinggis Khan », Jahrbücher für Geschichte Osteuropas, Neue Folge, 51 : 4, 2003, p. 481-497.

7. . Cf. Louis Althusser, Pour Marx, Paris, 1965.

8. . Ainsi, Vladimir Propp, dans les Racines historiques du conte de fées, interprète l’ogre occidental, qui « sent la chair fraîche » à travers les aventures d’un Orphée amérindien du Nord-Ouest, que les esprits découvrent parmi les cadavres. Furieux, ils s’écrient : « Il pue ! Il n’est pas mort ! ».

INDEX

Index géographique : Russie, Russia Index chronologique : XIV, XV, XVI

AUTEUR

ANDRÉ BERELOWITCH

IVe Section de l’École pratique des hautes études. Paris andre.berelowitch@wanadoo.fr

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L'État : typologie, problématique

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Culture and politics, or the curious absence of Muscovite state building in current American historical

writing

Valerie A. KIVELSON

1 The task assigned to me in this volume is to survey the present-day literature on the building of the Muscovite state in the fifteenth and first half of the sixteenth centuries.

This turns out to be a difficult assignment because, as it happens, there is no such literature at the moment, or precious little of it. Thirty or forty years ago, one would have met a far richer array of works precisely on the topic at hand. In the 1960s and 1970s, North American scholars contributed important interpretations of the precipitous rise of a centralized state based in the former princely backwater of Moscow. With an eye to tracking territorial expansion, institutional development, and rapid centralization of power and control, American scholars joined a broader community of historians interested in the formal, measurable rules, institutions, and powers of a growing monarchical state. A scholarly cohort including distinguished men such as Gustave Alef, Richard Pipes, Jaroslaw Pelenski, and George Vernadsky, mostly American by emigration rather than by birth, created the field of Early Russian Studies in America with their investigations of the fledgling Muscovite state.1 Today, however, despite a real florescence in American research and publication in Muscovite history, little work addresses specifically this nexus of issues within the given chronological limits. Strikingly absent are the topics that used to preoccupy historians. High politics, diplomacy, war, institutions, administration, and even class and social structure are all but invisible. Economics are scantily represented and invisible for the period of Moscow’s early political consolidation.2 Although the state remains at the heart of most inquiries into the Muscovite past, by and large the focus of American Muscovite studies has shifted forward in time and more toward cultural than institutional or diplomatic questions. Rather than cataloguing who is doing what among American Muscovite historians, then, this survey will take up the provocation to explore and explain that

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shift in American research agendas. Why the striking absence of studies on early Muscovite state-building in current US historical work ?

2 These two trends, topical and chronological shifts, are closely related. The very questions that tend to preoccupy historians in the US today are ones that make no sense for the earlier period because they address the particular nature of early modernity. Perhaps, in fact, thinking of the shift forward in Muscovite historical work reveals one of the fundamental characteristics of that elusive period we know as Early Modernity -- the beginning of consensual, integrated national states. This exercise in thinking through the curious absence of work on early Muscovite state-formation in current American historiography may help us understand the ways in which our heuristic division of medieval and early modern periods reflect real and significant changes in the meaning of politics, the nature of rule, and the role of subjects in a polity.3

3 The sea change in American Muscovite studies reflects the general effects of the same grab bag of important theorists who affected the course of historical studies across the board. Antonio Gramsci’s cultural Marxism inspired historians to study more closely the ways in which class power may be articulated through cultural means and the extent to which large segments of the population might absorb the premises and assumptions of the hegemonic classes. The translation of Jürgen Habermas’s work on the “public sphere” offered English-speaking scholars another way of thinking about politics outside of a strictly institutional framework. Michel Foucault’s interest in the diffuse, capillary workings of power wending and reproducing itself throughout society led historians to examine the quotidian workings and reproduction of power. Along somewhat similar lines, historians also followed sociologist Norbert Elias’s lead in appreciating the power of words, forms, manners, and conventions to constrain and confine behavior without direct institutional or coercive enforcement. Cultural anthropologists, particularly the widely read Clifford Geertz, offered other models for considering culture as a system with its own rules, logic and constraints. Specifically in the arena of political development, historians found fruitful the notion of “political culture,” which allowed them to apply the notion of culture as a malleable but powerful system that sets the parameters within which political life can be enacted. Gender theory also provided productive ways to analyze the workings of society and politics as a whole, not just introducing the study of women as a footnote to male dominated history but subjecting the fundamental organizing principles of society to new questions.4

4 This laundry list of theoretical inspirations and influences on American historiography since the 1980s could no doubt be expanded and refined, but it will have to serve as a rough guide to the intellectual context in which American historians of Muscovy, as of other states and regions, have worked for the last twenty years. Few Muscovite historians acknowledge the direct influence of theory on their work, but the intellectual environment nonetheless nudges the field in certain directions, heightening the interest and timeliness of certain kinds of questions, suggesting particular approaches. The influences are seen in a general and striking shift in the kinds of questions addressed.

5 Over the last two decades, the works of American historians of early Russia have demonstrated an on-going interest in understanding the means that the state used to win the allegiance and acceptance of its subject populations. Many of us have turned

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our attention to what Nancy Shields Kollmann calls “strategies of integration,” or the ideological and practical mechanisms by which the grand princely and later the tsarist state pulled a dispersed population into a more or less consensual union, united by belief in the legitimacy of a ruling system. This vision of a successful project of legitimation sets recent work apart from earlier scholarship, most of which assumed that the Muscovite ruler exercised his power in an unmediated fashion, without consideration of the wishes of the ruled. Much of the older work argued that through their control of all land and resources and the elimination of local power bases, Muscovite rulers from the late fifteenth century on managed to subjugate their population in an absolute fashion. To the extent that these works treated ideological aspects of political life, they generally rested on the strong but unexamined assertion that Russian Orthodoxy provided a theological basis for absolute rule and the Church reinforced a culture of passivity and endurance.

6 With a few notable exceptions, in the field overall there has been a decided movement away from dwelling exclusively or extensively on the coercive violence of the Muscovite state and passivity of its population, toward the other ways in which the state managed to extend its shallow control over a vast land.5 But because Muscovite rulers did not succeed in extending that control or integrating its population under a carefully structured claim of legitimacy until the mid-sixteenth century, these questions cannot be posed for the earlier centuries. Not only do the sources necessary to support such an inquiry not survive for the late medieval period, but they could not have been produced in the first place until the state’s ambitions swelled and the effort to create a plausible, popular basis for tsarist legitimacy began. Although medieval comparisons continue to surface in studies of sixteenth- and seventeenth-century Muscovy, the broader state project of integration, assimilation, and inclusion of the popular community was a distinctly early modern one.6 Hence with the adoption of an expanded conception of state-building as a broader process that includes what goes on outside of the state narrowly defined, US historical work has necessarily shifted its focus forward in time. And it is here that US historiography is liveliest, and has produced the most fire and sparks.

7 Within Muscovite historiography itself, the shift toward culture as a defining actor could be traced to a number of different scholars. James Billington’s spiritual approach or Richard Pipes’ patrimonial model, for instance, offer two starting places for change within American historiography. Pipes famously described a tsar who ruled his realm as his household writ large, in the fashion of a Roman-style paterfamilias with unlimited rights over his wife, children, and dependents, but the model has proved generative of divergent applications. Pipes’ Russia under the Old Regime contributed to a move to consider the possible alternative meanings of patrimonialism in a more anthropological sense, and to ponder the meaning of kinship and family as important political factors in a Muscovite court where formal institutions were only weakly developed.7 His strong statements about the defining role of the absence of private property in shaping Russia’s autocratic political culture have taken on emblematic importance as fundamental axioms for some, and as profound misinterpretations in urgent need of correction for others.8

8 As the key figures in shifting the balance of the field, however, I would identify Michael Cherniavsky and Edward Keenan. Cherniavsky, in his numerous provocative essays and his wonderful book, Tsar and People, illuminated the particularities of Muscovite

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political culture, steeped in Orthodoxy theology and steppe politics, and attempted to broaden his cast of political actors to include ordinary Russian people, not just the tsar and his advisers. Keenan, in his extraordinarily influential essay, “Muscovite Political Folkways,” explicitly set himself the task of outlining the unstated general governing rules of Muscovite political life, which, he asserted, applied in equal measure to tsars and their elites and to peasants in their communes.9 Following these two luminaries and other, more eclectic lights, the field has burgeoned in recent years. Many of the same people who were active in establishing the outlines of institutional development twenty years ago have shifted their own interests, working on Muscovite political, religious, legal, and social culture and practices.

9 One can perhaps identify three thematic clusters within these culturally oriented studies. The first explores the meanings and messages imbedded in the rituals, homilies, chronicles, pilgrimages, iconography, and architectural ensembles through which the regime represented itself to the people. These interdisciplinary readings of often non-textual sources are characterized by a willingness to take seriously not only the pragmatic, expedient lessons deliberately served up by political propagandists, but also the more double-edged theological and moral content.10 A second set of works builds out from the findings of the first, testing the extent to which various segments of the population understood, internalized, accepted, rejected, or made use of officially broadcast ideologies.11 Finally, a third catch-all group may be characterized as studies of Muscovite social practices and spiritual culture in settings not directly associated with the sphere of politics and the state. These works aim to identify the fundamental moral assumptions and ways of structuring lives that shaped Muscovite thought and practice. In this category we may place works ranging from Daniel Kaiser’s compelling assessment of the ways in which official Orthodoxy shaped intimate, everyday behavior, to Eve Levin’s supple reexamination of “dvoeverie” or dual-belief in Russian religious culture, to Georg Michels’ disturbing descriptions of the abusive conduct of church hierarchs.12 Moving beyond studies of political oppression or of tsarist propaganda, these works examine the ideologies of Muscovy in practice, as expressed by the men and women who lived in the tsar’s dominion, who sued each other in the tsar’s courts, who turned to the tsar to uphold their sense of honor and worth, who demanded protection when they felt their rights and entitlements were infringed upon, who rioted in protest of what they perceived as violations of proper, pious, and legitimate rule. In an innovative study, Daniel Rowland even explores various misappropriations of official ideological work as he ponders the ways in which uneducated military servicemen may have misconstrued messages carefully infused into the fresco cycles that ornamented the Golden Palace of the Tsars in the Moscow Kremlin.13

10 The single unifying characteristic of these works is an assumption that Muscovite rulers coopted at least certain segments of their population into a single system of values and expectations. How long the particular Muscovite formulation of political- theology held sway (into the second half of the seventeenth century, through the reign of Peter the Great or beyond) remains subject to debate.14 Also subject to debate is how far that net of ideological integration and the acceptance of tsarist legitimacy extended into society. Did peasants believe in the tsar’s legitimacy ? How did Cossacks, Tatars, or Kalmyks fit into the program ? Several studies of riots and rebellions in the seventeenth century suggest that a broad swathe of the population had internalized the theologically informed messages of tsarist piety, mercy, and justice propagated by the

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tsar and his spin-masters and were willing to hold the tsar up to the standards that he himself claimed to embody. On the other hand, other scholars argue that the tsar and the privileged elites sealed a sinister pact, welding themselves together irrevocably as a unified ruling class with a common interest in enserfing the peasantry and excluding the latter altogether from the political consensus.15 In either case, the presumption that a hegemonic set of cultural rules and values underlay Muscovite rule informs the work ; it is the limits to those rules and values that remains hazy. So far, few scholars have ventured to test the responses of non-Russians and non-Orthodox to the ideological or institutional impositions of the Muscovite state. Only Michael Khodarkovsky, with his unusual linguistic range, and Janet Martin, with her statistical and economic arsenal, have tackled this subject extensively in studies of Moscow’s relations with the steppe people, but a number of people have been working on Ukraine and the Cossacks, and, encouragingly, several younger historians are now entering this field.16

11 The research trajectories of several individual scholars illustrate these trends over time. Charles Halperin, who inaugurated his research career with important work on the influence of the Mongols on Moscow’s rise, has now moved forward in time and is working primarily on the reign of Ivan IV.17 Donald Ostrowski’s early work on early sixteenth-century Church councils and polemics has been followed by lively comparative explorations of cultural currents in political thought and behavior, reaching to the end of the eighteenth century.18 Nancy Kollmann’s work also traces very much the path outlined here. Her publications move from a study of state-building in precisely the period of interest in this volume to a broad-based examination of the ways in which the state and its subjects participated in a common project of mutual benefit. Her path-breaking first book treats the formation and inner workings of the Muscovite regime from the fourteenth through mid-sixteenth century. She finds that the Muscovite court functioned effectively through the efforts of a consensual ruling oligarchy of boyar families, competing among themselves but playing according to an established and shared set of rules. Kollmann’s extraordinary second book moves out of the confines of court politics and beyond the regime’s top-down efforts at building legitimacy. By Honor Bound demonstrates that the law, specifically the law adjudicating matters of honor and dishonor, actively constructed a unified social body, drawing in and giving legitimacy, honor, dignity, identity, and a sense of membership to each and every subject of the tsar, from the loftiest to the most lowly. Legitimacy, in this account, flowed both ways : the regime gained legitimacy in the eyes of the people to whom it administered justice and the people gained legitimacy in their roles as members of the Muscovite society and polity. Her work contributes a valuable examination of the “strategies of integration” that the tsarist regime developed in order to build its own legitimacy, to supplement its coercive might with a consensual basis among its people.19

12 To achieve this kind of research goal, Kollmann and others sharing her interests need to turn to a period with enough sources to permit investigation outside the Kremlin and to illuminate ordinary Muscovite subjects’ encounters with and impressions of the state. One can identify the top-down efforts to propagate an official state message in the sixteenth century, even in the first half, but such stratagems appear much more detectably in the second half of the sixteenth century. And to get beyond the state’s half, beyond the ritual and imagery that the state served up for popular consumption, and to gain a handle on how “the people” responded, reacted and reworked that ritual and imagery in negotiation with state power, we need to turn to the seventeenth

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century. This explains, I think, why the very centuries of particular interest to this volume are receiving so little attention from American researchers today. They are silent on the very questions of most pressing interest to American culturally-oriented scholars.

13 Even though the particular topic within the particular chronological parameters set by the organizers of this volume seems to be languishing in desuetude, it seems fair to say that the field of Muscovite Studies is a vibrant and dynamic one in the US at the moment. In fact, it is enjoying something of a Golden Age with a relatively large number of scholars from various disciplines -- History, Literature, Art History, Linguistics -- engaged in a common but still happily fractious pursuit of the nature of Muscovite culture and politics. Meetings are lively, diverse, and well attended, and publication proceeds at a rapid clip. Sadly, however, the field as a whole is aging, and few young scholars appear to be joining our ranks. One hopes, of course, that a new generation will be drawn to the field. What their questions, models, and inspirations may be is anyone’s guess.

14 July 2, 2004

15 University of Michigan

16 Department of History

17 1029 Tisch Hall

18 Ann Arbor MI 48109-1003

19 vkivelso@ umich. edu

NOTES

1. Gustave Alef, The Origins of Muscovite Autocracy: The Age of Ivan III, published as Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, 39 (1986); and his Rulers and Nobles in Fifteenth-Century Muscovy (London: Variorum Reprints, 1983); Jaroslaw Pelenski, Russia and Kazan; Conquest and Imperial Ideology (1438-1560s) (The Hague: Mouton, 1974);

Richard Pipes, Russia under the Old Regime (New York: Charles Scribner’s Sons, 1974);

George Vernadsky, Russia at the Dawn of the Modern Age (New Haven: Yale University Press, 1959). None of these listing claims any degree of completeness, and I apologize to those whose work I have omitted inadvertently or for reasons of space. I would like to thank Ronald Suny for his very helpful critical reading.

2. Jarmo Kotilaine is one of the few people working on economic topics at the present, although it was quite a popular topic twenty years ago. See for example, his

“Mercantilism in Pre-Petrine Russia,” in Jarmo Kotilaine and Marshall Poe, eds., Modernizing Muscovy : Reform and Social Change in Seventeenth-Century Russia (New York : Routledge, 2004): 433-460.

3. On the issue of early modernity in Russia, see Robert O. Crummey, “Muscovy and the

‘General Crisis of the Seventeenth Century’,” Journal of Early Modern History, 2 (1998):

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156-180; and “Seventeenth-Century Russia : Theories and Models,” Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, 56 (2000): 113-132; Jarmo Kotilaine and Marshall T. Poe,

“Modernization in the Early Modern Context : The Case of Muscovy,” in J.Kotilaine and M.Poe, eds., Modernizing Muscovy, op. cit.: 1-8; George B. Weickhardt, “Modernization of the Law in Seventeenth-Century Russia,” in ibid.: 79-96.

4. Antonio Gramsci, Selections from the Prison Notebooks of Antonio Gramsci ; edited and translated by Quintin Hoare and Geoffrey Nowell Smith (London : Lawrence and Wishart, 1971); Jürgen Habermas first reached readers of English with a pithy statement of his basic ideas in 1974: “The Public Sphere : An Encyclopedia Article (1964),” New German Critique, 3 (1974): 49-55. This was followed by the publication of a translation of his book in 1989: The Structural Transformation of the Public Sphere : An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, translated by Thomas Burger with Frederick Lawrence (Cambridge, Mass.: MIT Press, 1989). Michel Foucault, The Archeology of Knowledge (London : Tavistock Publications, 1972); and idem, Discipline and Punish : The Birth of the Prison (New York : Pantheon Books, 1977). Norbert Elias, The Civilizing Process, 2 vols., trans. by Edmund Jephcott (New York : Urizen Books, 1978). Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures : Selected Essays (New York : Basic Books, 1973). On political culture, see for example, The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, 4 vols., ed. by Keith Michael Baker (Oxford -- New York : Pergamon Press, 1987). For a influential early statement of the productivity of gender analysis, see Joan W. Scott, “Gender : A Useful Category of Historical Analysis,”

The American Historical Review, 91:5 (1986): 1053-1075.

5. Important exceptions to this pattern include : Richard Hellie, “Why Did the Muscovite Elite Not Rebel ?” Russian History, 25 (1998): 155-162; and idem, “Thoughts on the Absence of Elite Resistance in Muscovy,” Kritika : Explorations in Russian and Eurasian History, 1:1 (2000): 5-20; Marshall Poe, “A People Born to Slavery”: Russia in Early Modern European Ethnography, 1476-1748 (Ithaca, NY: Cornell University Press, 2000); and idem, “Ex tempore : Muscovite Despotism : The Truth About Muscovy,”

Kritika : Explorations in Russian and Eurasian History, 3:3 (2002): 473-486.

6. Daniel B. Rowland, “Ivan the Terrible as a Carolingian Renaissance Prince,” Harvard Ukrainian Studies, 19 (1995): 594-606; Isolde Thyrêt, Between God and Tsar : Religious Symbolism and the Royal Women of Muscovite Russia (DeKalb, IL: Northern Illinois University Press, 2001).

7. Nancy Shields Kollmann, Kinship and Politics : The Making of the Muscovite Political System, 1345-1547 (Stanford : Stanford University Press, 1987); Robert O. Crummey, Aristocrats and Servitors : The Boyar Elite in Russia, 1613-1689 (Princeton : Princeton University Press, 1983); Ann M. Kleimola, “The Canonization of Tsarevich Dmitrii : A Kinship of Interests,” Russian History/Histoire Russe, 25:1-2 (1998): 107-117.

8. Richard Pipes, Russia under the Old Regime, op. cit.; and his Property and Freedom (New York : Alfred A. Knopf, 1999); R.Hellie (“Thoughts...,” art. cit.) is one of his supporters. For one of his critics, see George G. Weickhardt, “The Pre-Petrine Law of Property,” Slavic Review, 52 (1993): 663-679; and Richard Pipes, “Response : Was There Private Property in Muscovite Russia ?” Slavic Review, 53 (1994): 524-538.

9. James H. Billington, The Icon and the Axe : An Interpretive History of Russian Culture (New York : Knopf, 1966); Michael Cherniavsky, “Holy Russia : A Study in the History of an Idea,” American Historical Review, 63 (1958): 617-637; idem, “The Old Believers and the New Religion,” Slavic Review, 25 (1966): 1-39; idem, Tsar and People : Studies in

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Russian Myths (New Haven : Yale University Press, 1961); Edward L. Keenan,

“Muscovite Political Folkways,” Russian Review, 45 (1986): 115-181.

10. Among others, see Michael S. Flier, “Court Ceremony in an Age of Reform : Patriarch Nikon and the Palm Sunday Ritual,” in Samuel H. Baron and Nancy Shields Kollmann, eds., Religion and Culture in Early Modern Russia and Ukraine (DeKalb : Northern University Press, 1997): 73-95; and his “Filling in the Blanks : The Church of the Intercession and the Architecture of Medieval Muscovite Ritual,” Harvard Ukrainian Studies, 19 (1995): 120-137; David Goldfrank, “Aristotle, Bodin, Montesquieu to the Rescue : Making Sense of the

11. Michael S. Flier, “Till the End of Time : The Apocalypse in Russian Historical Experience before 1500,” in Valerie A. Kivelson and Robert H. Green, eds., Orthodox Russia : Belief and Practice under the Tsars (University Park, PA: Pennsylvania State University Press, 2003): 127-158; Valerie A. Kivelson, “Cartography, Autocracy and State Powerlessness : The Uses of Maps in Early Modern Russia,” Imago Mundi, 51 (1999):

83-105; and “‘Muscovite Citizenship’: Rights without Freedom,” Journal of Modern History, 74:3 (2002): 465-489; Nancy Shields Kollmann, “Concepts of Society and Social Identity in Early Modern Russia,” in S.H. Baron and N.S. Kollmann, eds., Religion and Culture..., op. cit., and her “Pilgrimage, Procession, and Symbolic Space in Sixteenth- Century Russian Politics,” in M.S. Flier and Daniel B. Rowland, eds., Medieval Russian Culture, op. cit., vol. 2: 163-181; Gail Lenhoff, Early Russian Hagiography : The Lives of Prince Fedor the Black (Wiesbaden : Harrassowitz, 1997); Marshall Poe, “What Did Russians Mean When They Called Themselves ‘Slaves of the Tsar’?” Slavic Review, 57 (1998): 585-608; Isolde Thyrêt, Between God and Tsar, op. cit.

12. Daniel H. Kaiser, “Discovering Individualism Among the Deceased : Gravestones in Early Modern Russia,” in J. Kotilaine and M. Poe, eds., Modernizing Muscovy, op. cit.:

433-460; idem, “Quotidian Orthodoxy : Domestic Life in Early Modern Russia,” in V.A.

Kivelson and R.H.Greene, eds., Orthodox Russia, op. cit.: 179-192; and his “ ‘Whose Wife Will She Be at the Resurrection ?’ Marriage and Remarriage in Early Modern Russia,”

Slavic Review, 62:2 (2003): 302-323; Eve Levin, “Dvoeverie and Popular Religion,” in Stephen K. Batalden, ed.,

13. Daniel Rowland, “Two Cultures, One Throne Room : Secular Courtiers and Orthodox Culture in the Golden Hall of the Moscow Kremlin,” in V.A. Kivelson and R.H.Greene, eds., Orthodox Russia, op. cit.: 33-58.

14. Paul Bushkovitch, “Cultural Change among the Russian Boyars 1650-1680. New Sources and Old Problems,” Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, 56 (2000):

91-112.

15. For various assessments, see Chester S. L. Dunning, Russia’s First Civil War : The Time of Troubles and the Founding of the Romanov Dynasty (University Park, Penn : Pennsylvania State University Press, 2001); Valerie Kivelson, “Bitter Slavery and Pious Servitude : Freedom and Its Critics in Muscovite Russia,” Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, 58 (2001): 109-119; Donald Ostrowski, “The Facade of Legitimacy : Exchange of Power and Authority in Early Modern Russia,” Comparative Studies in Society and History, 44:3 (2002): 534-563.

16. Michael Khodarkovsky, Russia’s Steppe Frontier : The Making of a Colonial Empire, 1500-1800 (Bloomington -- Indianapolis : Indiana University Press, 2002); Janet Martin,

“Multiethnicity in Muscovy : A Consideration of Christian and Muslim Tatars in the 1550s-1580s,” Journal of Early Modern History, 5:1 (2001): 1-23. On Ukraine the

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literature is large. Among others, see : Zenon E. Kohut, “A Dynastic or Ethno-Dynastic Tsardom ? Two Early Modern Concepts of Russia,” in Marsha Siefert, ed., Extending the Borders of Russian History : Essays in Honor of Alfred J. Rieber (London : Central European University Press, 2003); Serhii Plokhy, The Cossacks and Religion in Early Modern Ukraine (New York : Oxford University Press, 2001). Among younger scholars, Brian James Boeck, “Shifting Boundaries on the Don Steppe Frontier : Cossacks, Empires and Nomads to 1739,” Ph.D. diss., Harvard University, 2002; Matthew Paul Romaniello, “Absolutism and Empire : Governance on Russia’s Early-modern Frontier,”

Ph.D. diss., Ohio State University, 2003.

17. Halperin already was very sensitive to the importance of culture in political institutions in his 1985 study. Charles J. Halperin, Russia and the Golden Horde : The Mongol Impact on Medieval Russian History (Bloomington : University of Indiana Press, 1985); “Ivan IV and Chinggis Khan,” Jahrbücher für Geschichte Osteuropas, 51:4 (2003):

481-497; “Muscovy as a Hypertrophic State : A Critique,” Kritika : Explorations in Russian and Eurasian History, 3:3 (2002): 501-507.

18. Edward L. Keenan and Donald G. Ostrowski, eds., The Council of 1503: Source Studies and Questions of Ecclesiastical Landowning in Sixteenth-Century Muscovy (Cambridge, Mass.: Kritika, 1977); D.Ostrowski, Muscovy and the Mongols : Cross- cultural Influences on the Steppe Frontier, 1304-1589 (Cambridge, UK: Cambridge University Press, 1998); idem, “The Facade of Legitimacy,” art. cit.

19. N.S. Kollmann, Kinship and Politics, op. cit.; and her By Honor Bound : State and Society in Early Modern Russia (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1999).

RÉSUMÉS

Résumé

Culture et politique, ou la curieuse absence de la construction de l’État moscovite dans l’historiographie américaine actuelle.

En dépit d’une floraison de recherches et de publications américaines consacrées à l’histoire de la Moscovie, peu d’entre elles étudient la genèse de l’État moscovite avant 1550. Et si l’État demeure au centre des études américaines, l’accent est mis sur des périodes plus tardives ou sur des questions touchant davantage à l’histoire culturelle qu’à l’histoire institutionnelle ou diplomatique. Le présent article s’efforce d’explorer et d’expliquer ce changement d’approche. Si l’on examine l’évolution générale des questions que se posent les historiens américains, on découvre que les études de la Moscovie s’attachent de plus en plus à déterminer par quelles stratégies les États obtenaient légitimité et soutien de la part de leurs sujets. Ces nouvelles questions, qui ont trait au caractère particulier de l’époque prémoderne, ont poussé les spécialistes de la Moscovie à étudier le début de cette période plutôt que la fin du Moyen žge. Ce déplacement dans le temps révèle l’un des traits caractéristiques fondamentaux de cette période insaisissable qu’est l’époque prémoderne -- le développement précoce d’États nationaux consensuels et unifiés.

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Abstract

Despite a florescence in American research and publication in Muscovite history, little work addresses specifically the rise of the Muscovite state prior to the mid-sixteenth century.

Although the state remains at the heart of most inquiries into the Muscovite past, the focus of American Muscovite studies has moved forward in time and more toward cultural than institutional or diplomatic questions. This survey explores and explains that shift in American research agendas. Examining the general trends in the kinds of questions that historians have been asking in the US, the study finds that Muscovite studies have turned increasing attention to identifying the strategies by which states developed legitimacy and consensual support among their subjects. These new questions have pushed Muscovite historians to study the early modern rather than late medieval period. The very questions that tend to preoccupy historians in the US today are ones that make no sense for the earlier period because they address the particular nature of early modernity. The shift forward in Muscovite historical work in the US reveals one of the fundamental characteristics of that elusive period we know as Early Modernity -- the early development of consensual, integrated national states.

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Наследие Золотой Ордьı в Формировании Российского госүдарства

Bulat R. RAHIMZJANOV

1

RÉSUMÉS

Résumé

L’héritage de la Horde d’or et son rôle dans la formation d’un État russe.

L’article étudie le problème des influences orientales sur le système politique moscovite du xiiie au xvie siècle. Bien qu’il ait éveillé depuis longtemps l’intérêt des historiens russes et soviétiques, ce sujet est loin d’être épuisé. L’auteur expose son point de vue sur des questions comme la place des principautés de la Russie du Nord-Est dans l’ulus de Djöchi (Horde d’or), les causes de l’ascension de la principauté de Moscou au xve siècle, le statut du monarque moscovite dans le cadre du système de normes juridiques en vigueur pendant la pax mongolica. Il analyse au passage la genèse des apanages tatars en Russie, les conséquences de la conquête des khanats de

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la Volga sur la situation internationale de la Moscovie, la corégence, etc. Il conclut en soulignant l’importance de la Horde d’or dans l’histoire politique de la Russie.

Abstract

The impact of the Golden Horde on the formation of the Russian state.

This article addresses issues related to eastern influence on the Muscovite political system between the thirteenth and sixteenth centuries. Despite Russian and Soviet historians’ long- standing interest in this subject, the latter is far from being exhausted. The author presents his own view on such questions as the position of northeastern Russian principalities in the Golden Horde state composition, the reasons for the rise of the Muscovite principality in the fifteenth century, and the status of the Muscovite ruler in the legal system of “Pax Mongolica.” Among other things, he analyzes the establishment of the pomestie system (land granted for service) in Russia, the importance of the conquest of the Volga khanates for the international position of the Muscovite state, and co-regency. In concluding, the author states the great significance of the Golden Horde factor in Russian political history.

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La similitude du dissemblable

La Russie et la grande-principauté de Lituanie

XIVe

-milieu du

XVIe

siècle

Elena RUSINA

1 Expliquer les dissemblances entre les différentes branches des Slaves orientaux, tant sur le plan de la mentalité, des traditions, que de la culture politique et spirituelle, par une divergence de destin historique, est devenu un poncif. De fait,les territoires occupés de nos jours par les Ukrainiens et les Biélorusses ont fait partie de la grande- principauté de Lituanie jusqu’à l’Union de Lublin en 1569, tandis que le noyau principal des territoires russes passa vers la fin du XVe siècle sous le contrôle des grands-princes moscovites.

2 Malgré le caractère quelque peu simpliste de ce schéma (notons ainsi que certaines villes russes, telles Brjansk ou Smolensk, ont pendant longtemps fait partie de la Lituanie), il est fermement ancré dans l’historiographie actuelle. On peut s’étonner, dans ces conditions, que les chercheurs ne se soient guère posé une question pourtant toute naturelle : comment, sur les débris de l’ancienne Rus´, ont pu se constituer deux entités politiques si différentes, obéissant à des logiques historiques opposées, et cela presque simultanément, puisque la Lituanie, tout comme la Moscovie, apparaît sur l’arène politique au XIIIe siècle ?

3 Si l’évolution de l’État moscovite le conduisait imperturbablement vers une monarchie centralisée, la grande-principauté de Lituanie se développait, elle, sous le signe du maintien et du renforcement des tendances régionalistes. Voici déjà près d’un siècle, N.A. Maksimejko, spécialiste des assemblées (sejm) lituaniennes, notait que l’orientation vers le particularisme local conduisait à la création d’un État fondé sur le principe de la fédération territoriale. Ceci expliquerait le retour, au XVIe siècle, de la grande-principauté de Lituanie à la situation existant au XIVe siècle, au début de l’expansion lituanienne, c’est-à-dire à une mosaïque de territoires autonomes1.

4 Peut-on même parler de tendances centralisatrices au sein de l’État lituanien, comme le croyait Maksimejko ? Actuellement, la majeure partie des chercheurs semble adhérer au stéréotype, devenu article de foi, selon lequel le grand-prince lituanien Vitovt (Vytautas) (1392-1430), contemporain et beau-père du prince Basile Ier de Moscou, aurait été le partisan et le précurseur de la centralisation à venir. Pourtant, une étude

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plus approfondie de la question, ainsi que (facteur tout aussi important) la découverte de documents du XIVe siècle dans des copies plus tardives2, remettent en question la vision d’un Vitovt cherchant délibérément à liquider les apanages. F. I. Leontovič a ainsi remarqué fort justement que ces derniers ne furent pas entièrement supprimés par Vitovt, et que les princes apanagés n’ont pas tous été dégradés au rang de princes au service du souverain3.

5 Le sort de la principauté de Kiev est particulièrement parlant. Elle est communément considérée comme une des « victimes » de la politique centralisatrice de Vitovt, qui priva le prince local Vladimir Olgerdovič (fils d’Algirdas) de son apanage. Les historiens ont tendance à oublier que cette destitution n’a en rien abaissé le statut de la principauté, puisque son nouveau maître fut Skirgajlo (Skirgaïla), le compagnon le plus proche du roi Jagellon, et de facto co-souverain de la Lituanie. À la mort de Skirgajlo, ce fut au tour des princes Gol´šanskij -- Ivan Ol´gimontovič (Olgimuntowicz) et ses deux fils André et Michel, fondateurs de la première dynastie kiévienne d’origine lituanienne -- de monter sur le trône de Kiev pour plus de trente ans. Cette lignée sera remplacée dans les années 1440 par des descendants de Vladimir Ol´gerdovič4.

6 Au fond, le résultat principal du règne de Vitovt fut davantage le renforcement de son pouvoir personnel que la centralisation de l’État lituanien. Étant donné le culte médiéval de la puissance, c’est cela qui suscita l’admiration des contemporains, qui ont décrit son règne en termes panégyriques5, et de la postérité -- jusques et y compris Ivan le Terrible. Cependant, il ne faut jamais oublier avec quelle force se sont manifestées les tendances centrifuges dans la principauté juste après la mort de Vitovt, lors de l’arrivée de Svidrigajlo au pouvoir.

7 Il est intéressant de voir comment Ivan le Terrible rapprochait l’opposition entre Svidrigajlo et son frère Jagellon de son propre conflit avec le prince Vladimir Andreevič de Starica6. Encore plus symptomatique, la réaction du grand-père d’Ivan le Terrible, Ivan III, aux problèmes intérieurs de la Lituanie de son temps. En 1496, apprenant qu’il était question d’accorder un apanage à Sigismond, frère du grand-prince de Lituanie Alexandre, resté à l’écart du pouvoir après la disparition de leur père Casimir Jagellon, Ivan III presse sa fille Hélène, l’épouse d’Alexandre, de rappeler à son époux « à quel désordre fut en proie la Lituanie, lorsqu’il y avait pléthore de souverains ». Ivan III compare implicitement l’état de la Lituanie à celui de la Russie sous son père, Basile II7.

8 Ces paroles préfigurent l’incompatibilité future entre les deux modèles étatiques, incompatibilité qui entraîna plus tard la faillite des projets d’unification de la Russie avec la Rzeczpospolita (la « République » polonaise). Les événements sanglants du Temps des Troubles en furent le résultat, événements que le bojarin Théodore Šeremetev, ex-partisan du prince Wladislaw, s’adressant aux commissaires polonais, résumait en ces termes : « Nous ne voulons ni de vos libertés, ni de vos franchises » 8.

9 Le problème est de déterminer le moment où s’amorce la divergence entre les deux systèmes socio-politiques. Il est certain que ce ne fut pas la diète de Lublin, lorsque la Lituanie fut pratiquement engloutie par la Pologne. Déjà Ivan III percevait une différence foncière entre les États russe et lituanien. Il est intéressant de noter que si les transfuges lituaniens du XIVe et du début du XVe siècle se sentaient relativement à l’aise en Moscovie (où s’installèrent plusieurs maisons issues des nobles qui accompagnaient Svidrigajlo en 1408, incorporées par la suite dans les rangs de la vieille aristocratie moscovite -- les princes de Zvenigorod et les descendants de Patrice Narymuntovič, tels les Hovanskij, les Golicyn, les Patrikeev, les Kurakin, etc.9), l’exil de

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