ÉTUDE BIOMÉTRIQUE DES PLACENTOMES DANS LES GESTATIONS SIMPLES OU GÉMELLAIRES DES BOVINS ( 1 )
J. TESTART F. DU MESNIL DU BUISSON Institut national de la Recherche agronomique
Station centrale de Playsiologie animale, 78 - Joxsy-en-Josas, France
Laboratoire de Physiologie de la Reproduction, 37 - Nouzilly, France
INTRODUCTION
Comment l’utérus de la Vache est-il
capable
des’adapter
àl’implantation
deplusieurs
foetus ?Le
développement cotylédonnaire
est certainement l’un des éléments lesplus importants qui
conditionnent la croissance des foetus. Nous savons parexemple
que chez la
Brebis,
femelle dont laplacentation
estcomparable
à celle de laVache,
le débitsanguin
au niveaucotylédonnaire représente
durant les derniers mois de lagestation, 8 4
p. 100 du débit utérin(Mnxowsx>
etal., z 9 68).
Or,
le nombre de caroncules étant fixe pour un utérusdonné,
lapart
relative dechaque
foetus diminue normalement au fur et à mesure que le nombre des foetusaugmente.
Aussi,
en cas degémelliparité,
les foetus nepourraient poursuivre
undévelop- pement satisfaisant,
si un mécanismecompensatoire
n’intervenait soit dans le débitsanguin utérin,
soit dans le taux de mobilisation des caroncules ou dans ledévelop- pement cotylédonnaire.
Dans un
premier temps,
nous avons donc étudié ledéveloppement
des coty- lédons sousl’angle
de leurnombre,
de leurpoids
individuel et de leurrépartition
dans l’utérus au cours de
gestations simples
ou doubles.MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Des utérus gravides ont été collectés aux abattoirs de la Villette sans tenir compte de l’âge ni de
la race de la vache (2). Ils ont été conservés à la chambre froide à + 4°C in toto et disséqués au labo-
ratoire dans la semaine. Nous envisagerons ici seulement les mesures pondérales des cotylédons.
( 1
) La majeure partie de ce texte a déjà été publié dans les Annales de Biologie animale, Bioclaimie, Biophysiqtce, 6, 483-493 (1966).
( 2
) La majorité des vaches abattues à la Villette sont de race Française Frisonne Pie Noire ou Not- mande.
L’ensemble des mesures a été rapporté au poids des foetus puisque l’âge ne pouvait être connu
que par estimation d’après les données de WINTERS et al. (i953) et FOURNIER (1963) (tabl. i).
Quatre-vingts utérus gravides ont été étudiés, dont 44 issus d’animaux en gestation simple
et 36 issus d’animaux en gestation gémellaire.
RÉSULTATS
ET DISCUSSIONI
. Nombre de
Placentomes
enfonction
du moment de Lagestation
et du
ty!e
degestation a) Ré!aytition
desplacentomes par
corne.Le nombre de caroncules de l’utérus bovin est assez variable. Une étude
préa-
lable sur 7o utérus non
gravides indique
une moyenne de6 9
par corne utérine(de
go à 180 pour l’ensemble de
l’utérus).
a)
Gestationsimple.
La transformation des caroncules en
cotylédons
maternelsporte toujours,
dansla corne
gravide,
sur un effectifsupérieur
à celuiqui
est affecté dans la corne nongravide (tabl.
2A ).
Le nombre de
placentomes
dans chacune des deux cornespeut
varier considé- rablement selon les individuspuisque
dans la cornegravide
il se situe entre3 8
et 100(m
=68)
et dans la corne nongravide
entre o et 70( W i
=2 8).
Pour 75 p. 100 desvaches,
il estcompris
entre 40 et 80 dans la cornegravide
et entre o et 40 dans lacorne non
gravide.
L’effectif caronculaire intéressé
qui
se transforme encotylédon
semble augmen- terjusqu’au 4 e
mois degestation, puis
se stabilise. Sur les utérusgestants
deplus
de4
mois,
nous avons dénombré en moyenne 73cotylédons
dans la cornegestante
et 34 dans l’autre.b)
Gestationgémellaire.
La
répartition
est très différente suivant que lagestation gémellaire
s’établitdans une corne ou dans les deux.
i. Si les 2 foetus
occupent
la même corne utérine(tabl.
2B ),
le nombre total desplacentomes
n’est pasplus
élevéqu’en gestation
unifoetale. Larépartition
entreles deux cornes diffère peu des
gestations simples.
2
. Si
chaque
corne utérine estoccupée
par i foetus(tabl.
2c)
le nombre total deplacentomes
estbeaucoup plus grand
que dans les deux casprécédents (moyenne 12
8).
Il est trèsproche
du nombre total de caronculesdisponibles (moyenne 13 8).
De
plus, chaque
corneparticipe
pour 5o p. 100 à l’effectif total deplacentomes
alors que la corne non
gravide
desgestations unilatérales, simples
ougémellaires
portait
seulement 30 p. 100 desplacentomes.
b) Répartition
desplacentomes
lelong
des cornes.On a divisé arbitrairement
chaque
corne utérine en 3segments égaux : supérieur,
moyen et inférieur et on a dénombré les
placentomes
dans chacun de cessegments (fig. i).
Dans la ou les cornes
gravides
les troissegments
montrent un nombreanalogue
de
cotylédons.
Au
contraire,
dans la corne nongravide
engestation unilatérale,
unifoetale ougémellaire,
la densité desplacentomes
décroît de la base(corps utérin)
au sommetde la corne
(jonction utéro-tubaire).
2
. Poids individuel des
placentomes
enfonction
du moment de lagestation,
du
ty!e
degestation
et de leurposition
dans 1’utéritsLe
poids
desplacentomes augmente pendant
lagestation ;
lescotylédons
mater-nels et foetaux sont de
poids
semblablejusque
vers 4mois, puis
lecotylédon
materneldevient
plus
lourd que lecotylédon
fcetal dans tous lestypes
degestation.
Le ta-bleau 3 illustre cette croissance en ce
qui
concerne lagestation
unifoetale.a)
Gestation1 tnifœtale
etgestation gémellaire
bilatérale.Les
placentomes
dans la ou les cornesgestantes
semblent croître à la même allure dans ces deux cas(fig. 2 ).
Par
exemple,
au 5emois degestation (poids
de foetus : i ooo à 3 ooog),
lepoids
moyen d’un
placentome
dusegment
médian est de 20,2 g dans la cornegravide
engestation simple,
de 23,5g dans chacune des cornesgravides
engestation gémellaire
bilatérale.
Les
placentomes
dessegments
de corne où se trouve le foetus(en général
lemédian)
sont environ 2 foisplus
lourds que lesplacentomes
situés dans lessegments adjacents.
Legradient qui
s’établit àpartir
de la zone foetale sepoursuit progressi-
vement vers la corne non
gravide,
dans le cas degestation simple.
b)
Gestationgémellaive
unilatérale.A
partir
du iooejour
de lagestation,
la vitesse de croissance desplacentomes
semble être à peu
près
le double de celle observée dans les deux casprécédents (fig. 2 ).
Cette
augmentation
de la vitesse de croissance atteint autant lesplacentomes
situésdans la corne non
gravide
que dans l’autre. Ungradient comparable
à celuiqui
adéjà
étésignalé
s’établit àpartir
de l’insertion desfoetus,
mais ceux-ci se trouvant tantôt l’un et l’autre dans lesegment médian,
tantôt chacun dans un dessegments supérieurs,
ilapparaît
dans cette série des différences entrevaches, quant
àl’origine
du
gradient.
L’augmentation
de la vitesse de croissance deplacentomes aboutit,
à la fin de lagestation gémellaire unilatérale,
à la formation de véritablesplacentomes géants
comme ceux que nous avons observés dans une vache
portant
deux foetus de 4okg (poids
moyen individuel d’unplacentome
dans lesegment
médian : 23og).
3
.
Dévelo!!eme!ct
total(nombre et Poids)
desplacentomes
des
différents segments de
l’utérusLe
tableau 4 indique
la contribution relative desrégions
utérines aupoids
totaldes
placentomes.
Cette
répartition
est laconséquence
du nombre desplacentomes
et de leurpoids
relatif danschaque
zone.Le
phénomène
decompensation qui
s’établit entre ces deuxvariables,
nombreet
poids
individuel desplacentomes, permet
le maintien à peuprès
constant de laquantité
deplacenta disponible
pourchaque
foetus dans toutes lesgestations
exa-minées à un
âge
donné(fig. 3 ).
Les différences
importantes
de contribution dessegments
de la cornegravide proviennent principalement
de différences depoids
individuel desplacentomes.
La chute que l’on constate dans la contribution
placentaire
enpassant
de lacorne
gravide
à la corne nongravide
est le résultat de la diminution du nombre deplacentomes
dans la corne nongravide conjuguée
avec la chute de leurpoids
indi-viduel.
La
comparaison
dupoids
relatif deplacentomes (tabl. 4 )
dans les deux cornesmontre mieux que la
comparaison
de leur nombre(tabl. 2 )
la faible contribution de la corne nongravide
à l’élaboration du tissuplacentaire.
4
. Placentomes
complémentaires
Ce sont les formations
placentaires
constituées par l’attachement du chorion à l’utérus dans la zoneintercotylédonnaire (HnMMO:!D, 1927 ).
Ils se forment vers4
mois, parfois plus tôt, fréquemment
vers5 -6
mois etpeuvent
ne pas exister en fin degestation.
Nous avons observé ces formations
plus fréquemment
dans lesparties
inférieureet
supérieure
de la cornegravide
sur le corps utérin et le cervix et à la base de lacorne non
gravide.
Leurpoids
atteint rarement 10 p. 100 dupoids
total desplacen-
tomes ; leur
apparition
ne semble pas liée à une déficiencepondérale
desplacentomes
vrais.
DISCUSSION
La vitesse de
développement
individuel desplacentomes
au cours de lagesta-
tion est étroitement liée à leurposition
parrapport
à la zoneoccupée
par le foetus(gradient
foetodistal depoids
individuel desplacentomes).
Dans la cornegravide,
cettevitesse est la même en cas de
gestation simple
ougemellaire bilatérale;
elle estpratiquement
doublée en cas degestation gémellaire
unilatérale.L’utilisation
d’un nombre maximal de caroncules n’a lieu que dans le cas desgestations gémellaires
bilatérales.Chaque
corneporte
alors un nombreéquivalent
de
placentomes
et il est vraisemblable que, dans ce cas, la presque totalité des caron-cules est transformée en
cotylédons.
Ai,ExArrD!x ( 19 6 4 )
trouve, chez laBrebis,
une tendance à cequ’une proportion
constante de caroncules
( 70 -8 0
p.100 )
devienne descotylédons
etindique qu’en gestation gémellaire chaque
foetus est attaché à un nombreplus petit
decotylédons,
ces
cotylédons
étant 30 p. 100plus
lourdsqu’en
cas degestation simple.
Nous avonsvu, pour la
Vache,
que suivantqu’il s’agit
degestation gémellaire
unilatérale ou bila-térale, chaque
foetusdispose
de 45 p. 100 et6 5
p. 100respectivement
de l’effectifcotylédonnaire
dont ilprofiterait
s’il était seul. Chez la Vache comme chez laBrebis,
on assiste à une croissance individuelle
com!ensatyice
descotylédons qui permet
de maintenir àpeu près
constant lepoids
deplacenta par fœtus
dans tous lestypes
de ges- tation.’
Le même auteur
démontre,
par ablation d’un nombre défini decaroncules,
que le maintien de lagestation
n’est pas lié au nombre de ces caroncules : c’est seulementquand
ilsupprime
au moins 60caroncules(sur iso)
que lagestation
se terminepré-
maturément.
En ce
qui
concerne lescotylédons complémentaires,
KANTOROVA(1957)
pensequ’ils
se formentplus
tôt et enplus grand
nombre dans le cas où lescotylédons prin- cipaux
sontpetits
et en nombreplus restreint ;
nous n’avons pu établir le même rapport.La valeur de
supplémentation placentaire
descotylédons complémentaires
estdouteuse
puisque, d’après
le même auteur, leur structure villositairesimple
nepré-
sente pas les ramifications
secondaires,
favorables auxéchanges, qui
caractérisent lesplacentomes.
Quels
sont les facteursqui
contrôlent ledéveloppement cotylédonnaire ?
HAM-MOND
(1927- 1957 )
pense que ledéveloppement
desplacentomes
est stimulé par le contact entre les membranes foetales et les surfacescaronculaires ;
le tissu foetal forme desdoigts qui
s’introduisent dans le tissumaternel,
celui-cirépond
par une croissance duconjonctif.
C’estl’implantation qui
a lieu entre le3 e et
le35 e jour
degestation (ME L T ON , B ERRY , B UTI , ER ,
1951 ;C HANG , 1952 ).
Si la distension exercée parl’embryon
et lesliquides
est lapremière
conditiond’implantation,
onconçoit
le
développement dégressif
duplacenta
à mesurequ’on s’éloigne
de larégion
foetale et,particulièrement,
la chute observée lors du passage dans la corne nongravide
duepeut-être
à la constriction au niveau du corps utérin.Cet effet de distension
expliquerait
l’effectif desplacentomes
suivant les zones,mais le
développement pondéral
descotylédons peut répondre
en mêmetemps
àune
régulation hémodynamique
ou endocrinienne. Ainsi ALEXANDERet WILLIAMS( 19
66)
montrent chez la Brebis que laprogestérone
stimule l’invasion ducotylédon
maternel par les villosités
foetales,
lecotylédon
maternelrépondant
peu à cette inva- sion. Ilsobtiennent,
parsupplémentation
deprogestérone
à des dosesélevées,
desplacentomes comparables
à ceux desbovins,
lecotylédon
maternel étant enfermédans le
cotylédon foetal,
contrairement auxplacentomes
ovins.Il
apparaît
nettement dans nos résultats que si on compare la contribution descornes utérines à la formation du
placenta,
on nepeut
opposergestation simple
etgestation gémellaire,
maisgestation
unilatérale etgestation
bilatérale. Eneffet,
engestation
unilatérale(simple
ougémellaire),
la corne nongravide,
avec 30 p. 100desplacentomes participe
pour moins de 10p. 100à la formation duplacenta,
alorsqu’en gestation bilatérale,
la contribution dechaque
corne estéquivalente. Cependant, gestation simple
etgestation gémellaire
se différencientquant
aupoids
total desplacentomes, chaque
foetusbénéficiant,
à unâge donné,
d’unpoids
deplacenta
sensiblement
analogue.
RÉSUMÉ
Sur 80 utérus de vaches gestantes (4! gestations simples, 12 gémellaires unilatérales et 24 gémellaires bilatérales), on a étudié le nombre, la répartition et le développement pondéral
des placentomes. Le terme de placentome désigne l’unité comprenant le cotylédon maternel issu du caroncule et le cotylédon fœtal correspondant.
En cas de gestation unilatérale, simple ou gémellaire, le nombre moyen de placentomes est beaucoup plus élevé dans la corne gravide que dans l’autre : 68 contre 28 pour les gestations simples, 57 contre 28 pour les gestations gémellaires. En cas de gestation double bilatérale, ce
nombre est identique dans les deux cornes : 61 contre 64.
Le poids des placentomes est étroitement lié à leur distance du ou des foetus, au nombre et
à la position de ces derniers. Lorsque la gestation gémellaire est unilatérale, on trouve, dans l’aire voisine de l’implantation des foetus, des placentomes géants, deux fois plus gros que ceux qui
existent au cours de gestation simple ou gémellaire bilatérale. Lors d’une gestation double bila-
térale, chaque corne contribue, pour une part égale, au développement des placentomes. Par contre, lors d’une gestation unilatérale, simple ou gémellaire, la corne non gravide y contribue pour moins de 10p. 100.
SUMMARY
BIOMETRIC STUDY OF « PLACENTOMES » IN SINGLE OR TWIN BOVINE PREGNANCIES
The number, distribution and weight development of « placentomes » have been studied in the uteri of 80 pregnant cows (4.1 single pregnancies, 12 unilateral twin and 24 bilateral twin
pregnancies). The term « placentome » designates a unit comprising the maternal cotyledon, issue
of the caroncule, and the corresponding foetal cotyledon.
In the case of unilateral single or twin pregnancies, the average number of « placentomes »
is much higher in the pregnant horn than in the other one ; that is, 68 against 28 for single pre-
gnancies, 57against 28 for twin pregnancy. For bilateral double pregnancy, this number is similar in both horns ; that is, 64 against 6;.
The weight of the a placentomes » is closely related to the distance separating them from the
foetus, and to the number and position of the foetuses. When the twin pregnancy is unilateral, huge u placentomes », twice as big as those which exist during single or bilateral twin pregnancy, may be seen near to the foetus implantation. In a bilateral double pregnancy, each horn contri- butes equally to the development of the cc placentomes. o
On the contrary, during a unilateral single or twin pregnancy, the contribution of the non-
pregnant horn is less than 10p. ioo.
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