ÉTUDE BIOMÉTRIQUE DES PLACENTOMES DANS LES
GESTATIONS SIMPLES OU GÉMELLAIRES DES BOVINS
J.
TESTART F. DU MESNIL DU BUISSON Laboratoire del’hysiologie
de laReproduction,
Centre national de Recherches
zoolechniques,
78 -Jouy-en-Josas
SOMMAIRE
Le but de ce travail est de
préciser,
dans les conditions naturelles degestations simple
et gé- mellaire, ledegré
dedéveloppement
duplacenta
bovin, sousl’angle
à la fois du nombre, dupoids
individuel et total, et de la
répartition
descotylédons.
La
placentation
de typecotylédonnaire
se prêteparticulièrement
bien à l’étudebiométrique.
La présence de
cotylédons
bien individualisés,répartis
sur toute la surface du chorion, permet de comparer leur nombre et leurdéveloppement
relatif suivant les différentes modalités degestation
et la croissance des foetus.
Nous
appelons cotylédons
maternel et fcetal la formationplacentaire originaire respectivement
des caroncules de l’utérus et du chorion et « placentome » l’unité constituée par un
cotylédon
maternelet le cotylédon foetal qui lui
correspond.
Dans les
gestations simples
etgémellaires
unilatérales, laparticipation
dechaque
corne utérineà la constitution du
placenta
est affectée du mêmegradient
foeto-distal dans le nombre et lepoids.
moyen des
placentomes ;
ainsi, la corne gravide présente à elle seuleplus
de go p. 100duplacenta.
Dans les
gestations gémellaires
bilatérales, la distribution en nombre etpoids
des placentomesest
symétrique
par rapport au corps utérin.Le
poids
total deplacentomes
estindépendant
de la latéralité et constant pour unpoids
donnéde foetus.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Des utérus gravides ont été collectés aux abattoirs de la Villette sans tenir compte de
l’âge
nide la race de la vache
( 1 ).
Ils ont été conservés à la chambre froide à + 4°C in toto etdisséqués
aulaboratoire dans la semaine. Nous
envisagerons
ici seulement les mesurespondérales
descotylédons.
L’ensemble des mesures a été
rapporté
aupoids
des foetuspuisque l’âge
nepouvait
être connu que par estimationd’après
les données deW INTERS , GREEN,
COMSTOCK
( 1953 )
et FouRrrmx( 19 6 3 ) (tabl. i).
( 1
) La majorité des vaches abattues à la Villette sont de race française Frisonne Pie Voire ou Vor-- mande.
C!uatre-vingts
utérusgravides
ont étéétudiés,
dont 44 issus d’animaux en ges- tationsimple
et3 6
issus d’animaux engestation gémellaire.
RÉSULTATS
ET DISCUSSIONI. NOMBRE DE I’I,AC1!NTOVIÈS EN FONCTION DU MOMENT DE I,_1 GESTATION ET DU TYPE DE GESTATION
A. -
Répavtition
desPlacentomes par
corneLe nombre de caroncules de l’utérus bovin est assez variable. Une étude
préala-
ble sur 70 utérus non
gravides indique
une moyenne de6 9
par corne utérine(de
90à1 8
0 pour l’ensemble de
l’utérus).
L’étude de leur évolution en
cotylédons
suivant le nombre et laposition
desfoetus nous
permettra
de voir dequelle
manière le contact des membranesembryon-
naires stimule leur
développement
comme l’asuggéré
HAMMOND(rg27-rg57).
a)
Gestationsimple.
La transformation des caroncules en
cotylédons
maternels s’effectuetoujours
avec un effectif
supérieur
dans la cornegravide (tabl.
2A).
Le nombre de
placentomes
dans chacune des deux cornespeut
varier considéra- blement selon les individuspuisque
dans la cornegravide
il se situe entre3 8
et 100et dans la corne non
gravide
entre o et 70( 1 ).
Cependant
pour lamajorité
des vaches( 75
p.ioo),
il estcompris
entre 40 et 80 dans la cornegravide
et entre o et 40 dans la corne nongravide.
L’effectif
caronculaire intéressé par la transformation encotylédon
sembleaugmenter jusqu’au
4e mois degestation, puis
il se stabilise. Sur les utérusgestants
deplus
de 4mois,
nous avons dénombré en moyenne 73cotylédons
dans la cornegestante
et 34 dans l’autre.b)
Gestationgémellaire
La
répartition
est très différente suivant que lagestation gémellaire
s’établitdans une corne ou dans les deux.
( 1
) Dans deux cas sur six il n’y avait aucun développement cotylédonnaire le 8e mois de la gestation
dans la corne non gravide.
1
0 Si les 2 foetus
occupent
la même corne utérine(tabl.
2B),
le nombretotal des
placentomes
n’est pasplus
élevéqu’en gestation unifoetale,
on remarque mêmequ’il
estplus
faible dans la cornegravide.
Larépartition
entre les deux cornesdiffère peu des
gestations simples.
2
° Si
chaque
corne utérine estoccupée
par i foetus(tabl.
2C)
le nombre total deplacentomes
estbeaucoup plus grand
que dans les deux casprécédents (moyenne 12 8).
Il est très
proche
du nombre total de caronculesdisponibles (moyenne r 3 8).
De
plus, chaque
corneparticipe
pour 50p. 100à l’effectif total deplacentomes
alors que la corne non
gravide
desgestations unilatérales, simples
ougémellaires portait
environ 30p. 100desplacentomes.
B ―
Ré!artition
des!Lcccentomes le long
des cornesOn a divisé arbitrairement
chaque
corne utérine en 3segments égaux : supérieur,
moyen et inférieur et on a dénombré les
placentomes
dans chacun de cessegments.
(fig. 1 ).
Dans la ou les cornes
gravides
les troissegments
montrent un nombreanalogue
de
cotylédons.
Au
contraire,
dans la corne nongravide
engestation unilatérale,
unifcetale ougémellaire,
la densité desplacentomes
décroît de la base(corps utérin)
au sommetde la corne
(jonction utéro-tubaire).
II. - POIDS INDIVIDUEL DES PLACENTOMES
EN FONCTION DU MOMENT DE LA GESTATION, DU TYPE DE GESTATION ET DE LEUR POSITION DANS L’UTÉRUS
Le
poids
desplacentomes augmente pendant
lagestation ;
lescotylédons
mater-nels et foetaux sont de
poids
semblablejusque
vers4 mois puis
lecotylédon
materne,Ldevient
plus
lourd que lecotylédon foetal,
dans tous lestypes
degestation.
Le tableau 3 illustre cette croissance en cequi
concerne lagestation
unifoetale.i. Gestation
uniioetale
etgestation gémellaire
bilatéraleLes
placentomes
dans la ou les cornesgestantes
semblent croître à la même allure dans ces deux cas(fig. 2 ).
Les
placentomes
dessegments
de corne où se trouve le foetus(en général
lemédian)
sont environ 2 foisplus
lourds que lesplacentomes
situés dans dessegments adjacents.
Le
gradient qui
s’établit àpartir
de la zone foetale sepoursuit
vers la corne nongravide,
dans le cas degestation simple,
avec une chuteimportante quand
on passe d’une corne à l’autre.Par
exemple :
au 5e mois degestation (poids
de foetus : r o0o à 300og),
le
poids
moyen d’unplacentome
dusegment
médian est de 20,2 g dans la cornegravide
engestation simple,
de 23, 5g dans chacune des cornesgravides
engestation gémellaire
bilatérale et seulement de 3,5 g dans la corne nongravide
engestation simple.
2
. Gestation
gémellaire
unilatéraleA
partir
de lami-gestation,
la vitesse de croissance desplacentomes
sembleêtre à peu
près
le double de celle observée dans les deux casprécédents (fig. 2 ).
Cetteaugmentation
de la vitesse de croissance atteint autant lesplacentomes
situésdans la corne non
gravide
que dans l’autre. Ungradient comparable
à celuiqui
adéjà
àété
signalé
s’établit àpartir
de l’insertion des foetus(qui
se trouvent laplupart
dutemps
dans lessegments supérieurs).
la’augmentation
de la vitesse de croissance deplacentomes
aboutit à la fin de lagestation gémellaire
unilatérale à la formation de véritablesplacentomes géants
commeceux que nous avons observés dans une vache
portant
deux foetus de 40Kg (poids
moyen individuel d’un
placentome
dans lesegment
médian 240 :g).
III. - DÉVELOPPEMENT TOTAI,
(NOMBRE
ETPOIDS)
DES PLACENTOMES DES DIFFÉRENTS SEGMENTS DE L’UTÉRUSLe tableau 4
indique
la contribution relative desrégions
utérines aupoids
total des
placentomes.
Cette
répartition
est laconséquence
du nombre desplacentomes
et de leurspoids
relatif dans
chaque
zone.Le
phénomène
decompensation qui
s’établit entre ces deuxvariables,
nombreet
poids
individuel desplacentomes, permet
le maintien à peuprès
constant de laquantité
deplacenta disponible
pourchaque
fcetus dans toutes lesgestations
examinéesà un
âge
donné(fig. 3).
Les différences
importantes
de contribution dessegments
de la cornegravide proviennent principalement
de différences depoids
individuel desplacentomes.
La chute que l’on constate dans la contribution
placentaire
enpassant
de lacorne
gravide
à la corne nongravide
est le résultat de la diminution du nombre deplacentomes
dans la corne nongravide conjuguée
avec la chute de leurpoids
indi- viduel.La
comparaison
dupoids
deplacentomes (tabl. 4 )
dans les deux cornes montre mieux que lacomparaison
de leur nombre(tabl. 2 )
la faible contribution relative de la corne nongravide
à l’élaboration du tissuplacentaire.
IV. - PLACENTOMES COMPLÉMENTAIRES
Ce sont les formations
placentaires
constituées par l’attachement du chorion à l’utérus dans la zoneintercotylédonnaire. J. (H AMMOVD , 19 27).
Ils se forment vers 4
mois, parfois plus tôt, fréquemment
vers5 -6
mois etpeuvent
ne pas exister en fin de
gestation.
Ces formations sont
plus fréquentes
dans lesparties
inférieure etsupérieure
dela corne
gravide,
sur le corps utérin et le cervix et à la base de la corne nongravide.
K AN TO
ROVA
( 1957 )
pense que lescotylédons complémentaires
se formentplus
tôtet en
plus grand
nombre dans le cas où lescotylédons principaux
sontpetits
et ennombre
plus restreints ;
nous n’avons pu établir le mêmerapport.
La valeur de
supplémentation placentaire
descotylédons complémentaires
est douteuse
puisque
leurapparition
ne semble pas liée à une déficiencepondérale
des
placentomes vrais,
que leurpoids
atteint rarement IOp. 100 dupoids
total desplacentomes
et que leur structure villositairesimple (V.
I. KANTOROVA,1957)
neprésente
pas les ramificationssecondaires,
favorables auxéchanges, qui
caractèrisent lesplacentomes.
DISCUSSION
La vitesse de
développement
individuel desplacentomes
au cours de lagestation
est étroitement liée à leur
position
parrapport
à la zoneoccupée
par le foetus(gra-
dient foeto-distal de
poids
individuel desplacentomes).
Cette vitesse est la même en cas degestation simple
dans la cornegravide
et en cas degestation gèmellaire
bila-térale. Au
contraire,
elle estpratiquement
doublée en cas degestation gémellaire
unilatérale.
L’utilisation d’un -nombre maximum de caroncules n’a lieu que dans le cas des
gestations gémellaires
bilatérales.Chaque
corneporte
alors un nombreéquivalent
de
placentomes
et il est vraisemblable que, dans ce cas, la presque totalité des caron- cules est transformée encotylédons.
AI,!xAND!R
( 1954 )
trouve, chez labrebis,
une tendance à cequ’une proportion
constante de caroncules
( 70 -8 0
p.ioo)
deviennent descotylédons
etindique qu’en gestation gémellaire chaque
foetus est attaché à un nombreplus petit
decotylédons,
ces
cotylédons
étant 30 p. 100plus
lourdsqu’en gestation simple.
Nous avons vu,pour la
vache,
que suivantqu’il s’agit
degestation gémellaire
unilatérale ou bilaté-rale, chaque
fcetusdispose
de 45 p. IOO et6 5
p. ioorespectivement
de l’effectifcotylédonnaire
dont ilprofiterait
s’il était seul. Chez la vache comme chez labrebis,
on assiste à une croissance individuelle
compensatrice
descotylédons qui permet
de maintenir à peuprès
constant lepoids
deplacenta
par foetus dans tous lestypes
degestation.
Le même auteur
démontre,
par ablation d’un nombre défini decaroncules,
que le maintien de lagestation
n’est pas lié au nombre de ces caroncules : c’est seulementquand
ilsupprime
au moins 60 caroncules(sur 150 )
que lagestation
se terminepréma-
turément.
Quels
sont lesfacteurs qui
contrôlent ledéveloppement cotylédonnaire ?
HaMMOVn(1927-
1957
)
pense que ledéveloppement
desplacentomes
est stimulé par le contactavec les membranes foetales des surfaces
caronculaires ;
le tissu foetal forme desdoigts qui
s’introduisent dans le tissumaternel,
celui-cirépond
par une croissance duconjonctif.
C’estl’implantation qui
a lieu entre 31-35jours
degestation (ME L -
TON
,
B ERRY , B UTLER , r 95 r).
Si la distension exercée parl’embryon
et lesliquides
estla
première
conditiond’implantation,
onconçoit
ledéveloppement dégressif
duplacenta
à mesurequ’on s’éloigne
de larégion
foetale et,particulièrement,
la chuteobservée lors du passage dans la corne non
gravide
duepeut-être
à la constrictionau niveau du corps utérin.
Cet effet de distension
expliquerait
l’effectif desplacentomes
suivant les zonesmais le
développement pondéral
descotylédons peut répondre
en mêmetemps
à unerégulation hémodynamique
ou endocrinienne. AinsiAr,!xn!D!R,
et WILLIAMS( 19
66)
montrent chez la Brebis que laprogestérone
stimule l’invasion ducotylédon
maternel par les villosités
foetales,
lecotylédon
maternelrépondant
peu à cette inva- sion. Ilsobtiennent,
parsupplémentation
deprogestérone
à des dosesélevées,
desplacentomes comparables
a ceux desbovins,
lecotylédon
maternel étant enfermé dans lecotylédon foetal,
contrairement auxplacentomes
ovins.Il
apparaît
nettement dans nos résultats que si on compare la contribution descornes utérines à la formation du
placenta,
on nepeut
opposergestations simple
et
gémellaire
maisgestations
unilatérale et bilatérale. Eneffet,
engestation
unilaté-rale
(simple
ougémellaire)
la corne nongravide,
avec 30 p. 100 desplacentomes participe
pour moins de 10 p. 100 à la formation duplacenta
alorsqu’en gestation bilatérale,
la contribution dechaque
corne estéquivalente. Cependant, gestations simple
etgémellaire
se différencientquant
aupoids
total desplacentomes, chaque
foetus
bénéficiant,
à unâge donné,
d’unpoids
deplacenta
sensiblementanalogue.
Reçu pour
publication
enjuin
i966.SUMMARY
A BIOMETRICAL STUDY OF a YLACEN’fOVIAS » DURING SINGLE AND TWIN BOVINE PREGNANCY
The
development
of the« placentoinas
!! (we call « ptacentoma » the unit composed of one ma-ternal
cotyledon
and thecorresponding
fetalcotyledon)
was estimated on 80uteri ofgravid
cows (44
single pregnancies,
12 unilateral twinpregnancies
and 24 bilateral twinpregnancies).
When the pregnancy is unilateral, whether single or twin
(table
2, A and B), the number ofplacentomas is much
higher in
the gravid horn than in the other one(average
numbers 68 v. 28during single pregnancies ;
57 v. 28during
twinpregnancies).
When the pregnancy is bilateral
(table
2,C),
thedevelopment
ofplacentomas
is identical in both horns(6 4
v. 64).The
weight
of each placentoma is dosely linked with itsposition
in relation to the fetus, forthere is a feto-distal gradient of
cotyledonary
growth(fig.
2). When the twin pregnancy is uni-lateral,
giant placentomas,
twice asbig
as those noticedduring single
or bilateralpregnancies,
grow in the fetal area.
When the pregnancy is bilateral, each horn contributes
equal
shares to the constitution of theplacenta ;
when the pregnancy is unilateral, thenon-gravid
horn contributes for less than lo per cent.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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