M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
G. T H . G UILBAUD
La règle des partis et la ruine des joueurs
Mathématiques et sciences humaines, tome 9 (1964), p. 3-13
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1964__9__3_0>
© Centre d’analyse et de mathématiques sociales de l’EHESS, 1964, tous droits réservés.
L’accès aux archives de la revue « Mathématiques et sciences humaines » (http://
msh.revues.org/) implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www.
numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou impression systématique est consti- tutive d’une infraction pénale. Toute copie ou impression de ce fichier doit conte- nir la présente mention de copyright.
Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques
http://www.numdam.org/
LA REGLE DES PARTIS ET LA RUINE DES JOUEURS
I - LA REGLE DES
PARTIS*
G. Th. GUILBAUD
Si de
grands mathématiciens,
telsGalilée, Képler,
JérômeCardan,
s’étaientappliqués
àvant Pascal à énumérer et dénombrer leschances,
il n’en reste pas moins que c’est trèsprécisément
en1654,
dans unéchange
de lettres entre Pascalet
Fermat,
quenaquit
la Théorie de la Décisionenglobant
à la fois la Théoriedes Probabilités et la Théorie des Jeux.
L’occasion en fut un
problème
de"partis" (aujourd’hui
nous dirions: departage) posé
par le Chevalier de Mère. On saitquel
était leproblème
deMéré: un
jeu,
constitué d’une suite de coups("parties"
dans les textes de Pas-cal), prévoit
selon desrègles
biendéfinies,
commentpartager
lesenjeu
danschaque
issuepossible du j euo
Or cesrègles
neprévoient
nullement uneinterrup-
tion du
jeu
avant sa finrégulière. Cependant
il sepeut
que, pour forcemajeu-
re, le
jeu
doive êtreinterrompu: quel
est alors le"parti" (ou
lepartage)?
Ilne serait pas
juste
que lesjoueurs reprennent
leurs misesrespectives;
"l’ar-gent
queles joueurs
ont misau jeu
ne leurappartient plus
car ils en ontquitté
la
propriété"
selon les termes mêmes de Pascal. Etpourtant
il faut bienprendre
une décision. La
règle
dujeu
nepermettrait-.elle
pas de décider encore dans ce cas nonexplicitement prévu,
selon unprincipe analogue
à celui du Code civil selonlequel
"les conventionsobligent
non seulement à cequi
y estexprimé,
maisencore à toutes les suites que
l’équité, l’usage
ou la loi donnent àl’obliga-
tion" ?
La solution de Pascal est en effet fondée sur cette convention initiale. La
règle
despartis qu’il
énoncespécifie
donc que siles joueurs
ont bienquitté
la
propriété
desenjeux,
"ils ont reçu en revanche ledroit
d’attendre ce que le hasardpeut
leurdonner,
suivant les conditions dont ils sont convenus d’abord."liais comme ctest une loi
volontaire,
ilspeuvent
la rompre degré
àgré,
et ainsi en
quelque
terme que lejeu
setrouve,
ilspeuvent
lequitter,
et aucontraire de ce
qu’ils
ont fait en yentrant,
renoncer à l’attente duhasard,
et rentrer chacun en la
propriété
dequelque chose;
et en ce cas, lerèglement
de ce
qui
doit leurappartenir
doit gtre tellementproportionné
à cequ’ils
avaient droit
d’espérer
de lafortune,
y que chacun d’eux trouveentièrement égal
de
prendre
cequ’on
luiassigne,
ou de continuer l’aventure4u jeu:
et cettejuste
distributions’appelle
leparti!! (1).
Prenons
garde
au caractère arbitral de cettesolution;
loin de la soumettre(1)
Pascal : "Trai té du triangle"(usage
du triangle ari thmét i que pour déterm i ner les par-tis qu’on doit faire entre deux joueurs qui i jouent en plusieurs
parties).
v Cet article a été rédigé avec la collaboration de Monsieur M. Eytan.
à l’avis des
joueurs (et
deprévoir
alors unmarchandage),
onl’impose,
commeconséquence logique
de larègle
dujeu.
"Le
premier principe",
dit Pascal(1 ), "qui
fait connaître dequelle
sorteon doit faire les
partis
est celui-ci:Si l’un
des joueurs
se trouve en telle condition que, yquoi qu’il arrive,
une certaine somne doit lui
appartenir
en cas deperte
et degain,
sans que le hasardpuisse
lalui .8ter;
il ne doit en faire aucunparti,
mais laprendre
en- tière commeassurée,
parce que leparti
devant êtreproportionné
auhasard, puisqu’il n’y
a nul hasard deperdre,
il doit tout retirer sansparti.
Le second est celui-ci. Si deux
joueurs
se trouvent en tellecondition,
que si l’un gagne, il luiappartiendra
une certaine somme, et s’ilperd,
elle appar- tiendra àl’autre;
si lejeu
est de purhasard,
etqu’il
y ait autant de hasard pour l’un que pourl’autre
y et parconséquent
nonplus
de raison de gagner pour l’un que pourl’ autre,
s’ils veulent seséparer sans jouere et prendre
cequi
leur
appartient légitimement,
leparti
estqu_’ ~.1 s séparent
la sommequi
est auhasard par la
moitié,
y et que chacun prenne la sienne".Par
exemple
soient Primais et Secundus les deuxjoueurs;
chacun d’eux a gargné
un certain nombre de"parties",
pas assezcependant
pour que lejeu
prenne fin.Désignons
par(A)
l’état actuel. e Si l’on n’étaitobligé
des’ arrêter,
la"partie"
suivantepourrait
êtregagnée
soit par l’un soit par l’autre desjoueurs (en supposant,
pour faciliter lelangage,
unepartie
nulleimpossible): désignons
ces
possibilités
par(B)
et(C). Schématiquement
on a:Supposons
que leparti
en(B)
soit:16 pistoles
àPrimus,
8pistoles
à Secundus alors que leparti en (C)
est:10
pistoles
àPrimus,
14pistoles
à Secundus.Sur les 24
pistoles en jeu,
y Primus est sûr d’obtenir 10 "sans que le hasardpuis-
se la lui ôter".
Il pourra donc dire à Secundus: "donnez-moi les 10
pistoles qui
me revien-nent
quoi qu’il
arrive". De même Secundus pourrarevendiquer
les 8pistoles qu’il
est certain d’obtenir.
Quant
aux 6pistoles qui
restent ils lesséparent
par lamoitié,
c’est-à-dire 3pistoles
chacun.Le
parti
en(A)
sera donc:13
pistoles
àPrimus,
11pistoles
à Secundus.Ainsi le processus
séquentiel qu’est
lejeu, permet,
par une méthode de ré- currence, y de connaître leparti
en une situation donnée à condition de le con- naître aux moments immédiatement ultérieurs. Or il est une situationprivilégiée
où le
parti
est connu de par larègle
même dujeu:
c’est la situation finale.)
Pascal : "Traité du triangle"(usage
du triangle arithmétique pour déterminer les par-tis qu’on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs
parties).
Remontant alors de
proche
enproche
lagénéalogie
dessituations
lepaRi
pourra être calcule dans unedu jeu (y ccnpris, d’ailleurs,
la situation ini-tiale où les
joueurs
n’ont encore ri ai fat d’autre quequitter
lapropriété
del’argent
mis enjeu).
La méthode
équivaut
à faire lamoyenne
arithmétique
despartis
en(B)
etLa méthode
équivaut
à f aire la moyennearithmétique
despartis
en(B)
et(C)
pour obtenir celui en(A) Représentant
unparti
par un vecteurligne (le premier
nombreindiqufîJlt
lapart
dePrimus,
le deuxième celle deSecundus),
ona:
( (16,8)
+(10,14))/2
=~13,11 ) .
La méthode se
généralise
aisément: supposonsqu’il
y ait njoueurs (le parti
sera donc un
vecteur ligne
à nnombres),
les r éventualités(E1 ) , (E~),
...,..., y(Er)
succédant immédiatement à la situation(A)
avec desprobabilités p1, p2,... , P..
Leparti
en(A)
est alors:où
( ai, bi,
... , y est leparti
en(Ei) ,
lepremier joueur
recevantai pisto-
.
les,
le secondbi,
..., leni ème .i pistoles.
Leparti
en(A)
est donc la moyen-ne
pondérée (par
lesprobabilités)
despartis
aux situations immédiatement ulté-ri eures à
(A).
,Pascal, ayant
trouvé cetteméthode,
,communiqua
leproblème
à Fermat. Celui-ci,
par une méthode un peudifférente,
retrouva la solution duproblème posé par
}de Méré. Voici ce
qu’en
dit Pascal dans sa lettre du 29Juillet 1654 (la précé-
dente étant
perdue):
."...
je
reçus hier ausoir,
de lapart de M.
deCarcavi,
votrelettre sur
les
partis, que j’admire
si fort queje
nepuis
vous le dire. Je n’ ai pas loisir dem’étendre;
mais en un mot vous avez trouvé lesdeuxparriies
des dés et des ax- ties dans laparfaite justesse : j’en
suis toutsatisfait,
carje
ne douteplus
maintenant queje
ne sois dans lavérité,
yaprès
la rencontre admirable oùje
me trouve avec vous ... M. de Mère n’avaitjamais
pu trouver lajuste
valeur desparties,
ni de biais pour yarriver,
de sorte queje
me trouvais seulqui
eusseconnu cette
proportion".
Les deux autres lettres de Pascal à Fexmat en notre
possession
contiennent outre leproblème
de lapoule~
des discussionstechniques
sur larègle
despartis
et la solution donnée par Fermât.
Voyons
donc deplus près
la solution détaillée duproblème:
deuxjoueurs,
Primus et
Secundus,
misent 64pistoles
dans unjeu qui
consiste en une successionde
parties
où chacun d’euxpeut
gagner unpoint.
Lejeu
se terminelorsque
l’undes
joueurs
obtient 4points.
Soit(x,y)
la marque, c’est-à-dire soit x le nom-bre de
points
dePrimus,
y y celui de Secundus. La succession desparties peut
êtrereprésentée
par un réseau où l’on inscrit la marquecorrespondante
àchaque
sommet:. Pour les situations finales
(sommets pendants
duréseau),
nous connaissons lespartis. Rep’résentons-les
encore par unvecteur-ligne (u,v),
u étant lapart
duPrimus,
v celle de Sec1llldus..Pour les marques:
le
parti
est :(0,128).
Pour les marques:
le
parti
est :(128~0).
Pour les situations
qui précèdent
immédiatement une situationfinale,la
rè-gle
despartis
donne imnédiatement lerésultat;
parexemple
pour la marque(3,3)
la situation
précède
celle où lespartis
sontrespectivement (0,128)
et(128,0) :
Les chances étant
égales,
leparti
est:( (0,128)
+(128YO»/2 = (64,64).
Faisant ainsi le calcul de
proche
enproche
on obtient le réseau suivant:. On remarque que le
parti
est connumême
audépart:
lejeu
sera doncéquita-
ble si chacun des
joueurs
doit miser 64pistoles.
Leparti prend
donc lasignifi-
cation suivante: c’est la valeur du
jeu,
la sommequ’un joueur
doitéquitablement
verser pour
participer
aujeum
Sur le réseau on voit non seulement leparti
maisencore ce que chacune des
parties
à venirrapporte
auxjoueurs.
Il est remarqua- ble quequel
que soit le nombre departies
d’unjeu,
les deuxpremières
ont lamême
valeur,
c’est-à-direprocurent
le mêmegain
à l’un oul’autre des joueurs.
Dans notre
exemple
legain
est de 20pistoles
dans chacune des deuxpremières parties (étant
entendu que lejoueur gagnant
ne fait que gagner au cours de cesdeux
parties).
Exprimons
sous formealgébrique
larègle
despartis.
Pour cela introduisons le manque en une situation: si(x,y)
est la marque, et a le nombre depoints
né-.cessaire afin de gagner le
jeu,
le manque sera(a-x, a-y).
Soit alors unepartie,
où la situation de manque
(u,v)
conduit(avec
desprobabilités respectives
p etq)
aux situations de manque(u-1, v)
et(u, v-1 ) .
Soit G lapart
dePrimus;
larègle
despartis
conduit à écrire:Si l’on considère G comne un vecteur
(le
vecteurparti),
alors cetteéquar-
tion de récurrence est valable pour chacun des
joueurs.
Tracer le réseau des
partis
d’unepartie
revient en fait à donner la solu- tion del’équation
de récurrence enchaque situation,
avec les conditions auxlimites:
a) v) = E
pour tout v ’ a(Primus emporte l’enjeu E
s’il obtient apoints,
si son manque est
0).
b) G(u,O) =
0 pour tout u ’ a(Primus
n’obtient rien si son adversaire a un man- que de 0points).
On montre que la solution de
l’équation
de récurrence est:(Jordan:
"Calculus of finite difference"Chelsea).
L’importance
de larègle
despartis dépasse
la seule théorie des Jeux: sedonner en effet une loi
qui
à la situation(A)
fait succéder les situations(E1)’ (B 2)1 (E)
et une loi decomposition
linéaire despartis
conduit àidentifier le
problème
despartis
et celui de lacomposition
des chances. Pascal lui-même en futparfaitement
conscient. Dans une lettre adressée à Celeberrimae Matheseos AcademiaeParisiensi,
datée de1654,
il expose son programme: ’’N&vis- sima autem acpenitus
intentatae materiaetractatio,
scilicet decomposition- aleae
in ludisipsi subjectis, quod gallico
nostro idiomate dicitur faire -lespartis
dès jeux..."
Dans un réseau
quelconque,
dont les sommetsportent
desprobabilités
élé-mentaires
données,
on pourra aisément calculer leparti
initialPo
en fonctiondes
partis Pk
aux sormnetspendants.
La loi decomposition
étantlinéaire on
au.-ra :
°
Les ak pourront
alors êtreinterprétés
comne desprobabilités composées
(a~
est laprobabilité
du sommetpendant
klorsqu’ on
seplace
àl’origine).
Le calcul des
espérances (le
"droit d’attendre" dePascal)
conduit donc àla
compositio
#leaei Il n’est nullement nécessaire pour cela despécifier
lesPk :
on aurait un calculsymbolique pennettant
demanipuler
lesprobabilités
dont la nature
importe,
y aufond,
y assez peu, pourvuqu’on
sache les combiner entre elles.2 - LE PROBLEME DE LA RUINE DES JOUEURS
On considère un
jeu
où les deuxadversaires,
Primus etSecundus, peuvent
àchaque
coup gagner unpoint
avec laprobabilité
p(resp. q)
etperdre
unpoint
avec la
probabilité q (resp. p).
Le réseau
du jeu est,
enposant uniquement
les marques due Primus:Cherchons le
parti initiale
larègle
despartis
nepeut
êtreappliquée,
carle
jeu
n’est paslimitée
iln’y
a pas de situations finales. A cela Pascal remé- die en imitantle jeu
à la marque 12 de lafaçon
suivante: ,- si la marque de Primus est
12t
il gagne laparti.e (sa part
est1 );
- si la marque de Primus est
-12~
ilperd
lapartie (sa part
est0).
Néanmoins ce
jeu présente encore,
du fait decycles
dans leréseau,
des sé-quences de
longu.eur
arbitraire.Négligeons
pour l’instant cette difficultéet
Btournon4-nous
versl’aspect algébrique
de larègle
despartis,
pour essayer tenir une solution.Soit donc x la marque de
Primus, :B (x)
sonparti
en cepoint.
Apartir
decette marque, y Primus
peut
obtenir soit x + 1 avec laprobabilité
p, soit x - 1avec la
probabilité
q;d’après
larègle
despartis,
on a:avec
Portons dans
l’équation
de récurrenceP (x) _ ux;
on obtientdont les solutions sont u = 1 et
La théorie des
équations
aux différences finiesindique
alors que la solu- tiongénérale
del’équation
de récurrence est: .Calculons
C1e+, C2
en écrivant que les conditions aux limites sont vérifiées:d’où:
Enfin,
lapartie
initiale de Primus est:On trouverait de façon
analogue
que lapart
initiale de Secundus est :De
façon générale
si l’on décided’interrompre
lejeu après
n coups, enposant
le
parti
initial de Primus(resp. Secundus)
estproportionnel
àpn (resp. qn).
C’est le résultat donn.é par Pascal et par Fermât.
La dénomination
"problème
de la ruine desjoueurs" provient
de cequ’on peut
considérer la conditionP(-n) =
0 commesignifiant
que Primus est ruinéaprès
avoirperdu
npoints (ou
n écus ...etc..);
id. pour la conditionP(n) =
1 considérée comme la ruine de Secundus.(rédaction
par M. EYTANd’une leçon faite le
16
Mars1962
par G. Th.
GUILBAUD)
3 - HISTOIRE DU PREMIER PROBLEME DE RUINE DES JOUEURS 1656 - 1718
Extrait d’une lettre de Pierre de CARCAVY à Chr.
HUYGENS,
en date du 28Sep-
tembre
1656.
(publiée
par Ch.Henry
dans son ouvrage surCarcavy -
se trouve aussi dans lacorrespondance
deHuygens (1 ) ,
n°336
a et dans celle de Fermât(2),
y no78).
1. ~.. voici une autre
proposition
que M. Pascal a fait à M. deFermat,
la-quelle
iljuge
sanscomparaison plus
difficile que toutes les autres.« Deux
joueurs jouent
à cette condition que la chance dupremier
soit "11 "et celle du second "14": un troisième
jette
trois dés pour eux deux etquand
ilarrive onze, le
premier
marque unpointa
etquand
il arrivequatorze,
le secondde son côté en marque un.
*Ils
jouent
en 12points,
mais à condition que, si celuiqui jette
les désramène onze et
qu’ainsi
lepremier
marque unpoint,
s’il arrive que les dés fas- sentquatorze
le coupd’après,
le second ne marque pas mais ôte unpoint
au pre-mier,
et ainsiréciproquement
...."(1) Oeuvres
complètes de Christiaan Huygens T. 1 p. 492-94.(2)
Oeuvres de Fermat T. II 1 p. 328-331.Le texte
poursuit
en donnantquelques exemples:
six fois onze suivi de trois fois
quatorze :
3points
aupremier
six fois onze suivi de neuf fois
quatorze :
3points
au second6 onze, 17
quatorze,
y 4 onze et 5quatorze :
le second gagne.Il est clair que les chances du Onze et du
Quatorze
ne sont paségales:
une énumération facile montre
qu’avec
trois dés il y a 27façons
d’amener Onze contre 15façons
seulement d’amenerQuatorze.
Le
problème posé
par Pascal à Fennat revient donc à la forme suivante:Deux
événements,
deprobabilité donnée,
soient p et q(ici: p/q
=27~15 ) .
Une suite de coups: l’événement p
augnente
une somne S de 1point, l’événement
qla diminue d’autant. La somme initiale est zéro. On arrête
quand
la somme S at-teint + r ou - r
(ici
r =12).
On demande lesprobabilités respectives
de cesfaçons
determiner,
soient P etQ,
en fonction de p, q, r.C’est un
problème
de ruine.D’après Carcavy,
Pascal et Fermat savaient résoudre de telsproblèmes,
dès1656
au moins.
Car sitôt le défi
posé
par l’intermédiaire deCarcavy (1 ),
Fennatrépond
que lerapport
des chances estcompris
en 1156 et 1157.C’est donner la solution
numérique
mais ce n’est pas
indiquer
la méthode.«M. de Fermat
m’envoya
incontinent cette solution: celuiqui
a la chanceOnze contre celui
qui
a la chanceQuatorze peut parier 1156
contre1 ~
mais nonpas 1157 contre
1,
etqu’ainsi
la véritable raison était entre les deux par oùM. Pascal
ayant
connu que M. Fermât avait fort bien résolu cequi
lui avait étéproposé~
il me donna les véritables nombres pour les lui envoyer et pour lui té-moigner
que de son côté il ne lui avait pasproposé
une chosequ’il
n’eut réso-lue
auparavant
Mais que va donc donner
Pascal,
pour montrer cequ’il
sait -puisque
Fermatvient,
enréponse
à sondéfi,
de lui donner le résultatnumérique
attendu. De nosjours,
cequ’on attendrait,
enpareil
cas, ce serait la"f orm~ul e" ~
,à savoir :
P/Q _
Mais tel n’ est
point
lestyle
de nosgentilshonmes.
Pascal se contente de donner à
Carcavy,
pour les envoyer àFermat,
les deuxnombres
(2)
suivants(représentant
P etQ) :
(dont
lequotient,
à une unitéprès
est bien1156).
(1 )
La réponse de Fermat ayant été envoyée à Carcavy, il l est clair que celui-ci servait d’intermé- diaire alors que Pascal et Fermat avaient correspondu directement en 1654.(2)
Le tome 1(page 493)
des oeuvre§ de Huygens donne, par erreur, 2 au lieu de 1 pour le dernier chiffre du premier nombre.Qu’eussiez-vous
fait à laplace
de Fermat ? Evidemnentdécomposer
en fac-teurs
premiers
ces deux nombres. C’est immédiat:c’est-à-dire
et c’est assez
clairement
dire que les chances P etQ
sontproportionnelles
à:pr et gr, puisque p/q = 27~15~
et r = 12.C’était bien là l’intention de
Pas cas,
et non pas, comnepourrait
le croireun lecteur
moderne,
seulement la solutionnumérique
exacte par contraste avec la solutionapprochée
donnée par Fermât. Pascal aurait fort bien pu donner la valeur exacteP/Q= (27/15) 12 = (9/5) 12;
c’est-à-dire :Du bien en
décimale
mais ce n’étaitpoint
la coutume àl’époque :
Si Pascal a
donné,
sans lessimplifier,
les deux tennes de laproportion,
c’est bien pour
signifier
la loi ou, comme nousdirions,
la solutiongénérale
duproblème,
y à uncorrespondant
tel queFermat,
pourqui l’arithmétique
des entiersnaturels n’a
plus
de secrets. ,Pascal ne doutait pas
d’ailleurs,
autémoignage
deCarca-vy, (cf.
le passage citéplus haut),
que Fermat n’ait trouvé la solution. EtCarcavy ajoutait
avecconfiance à l’adresse de
Huygens:
"Mais ce que vous trouverez deplus
considéra- ble est que le ditSr
de Fermat en a ladémonstration,
comme aussi Mr Pascal deson
côté,
bienu’ il
y ait apparencequ’ils
se soient servis d’une différente méthode". Lelangage
des nombres était pour les homane s de cetteépoque plus
par-lant que pour nous. Ce
qui
n’ enlève rienà.
la constatation que nous -avons souli-gnée :
laproportion
donnée par Pascal est trèsproprement significative.
-
EP)LOQUE
.-En 1658,
Chr. HUYGENS envoya à son maître SCHOOTEN unpetit traité,
que celui-ci traduisit en latin sous le titre "de Ratiociniis in ludo aleae" et pu- blia dans ses exercices demathématique.
Enappendice,
on trouvecinq problèmes, simplement
énoncés sans solution - et annoncés parquelques lignes
de lapréface:
"depuis longtemps,
y lesplus grands géomètres
de toute la France se sont oc-cupés
de ce genre decalcul;
mais en résolvant lesquestions qu’ils
se propo-saient
réciproquement,
ils cachaient leurs méthodes ... on trouvera à la fin de notre ouvragequelques
uns de cesproblèmes; je
les ai donnés sanssolution,
nonseulement parce
que je
n’aurais pu être clair sans entrer dans detrop longs
dé-tails,
mais encore parce quej’ai
cru devoir laisserquelque
chose pour exercer les éventuel s 1 e cteurs".Et voici le
cinquième
de ces exercices:"A et B
prennent
chacun douze écus etjouent
avec trois dés aux conditions sui-"vantes : s’il vient onze
points,
A donnera un écu àB,
mais s’il en vient qua-"torze,
B donnera un écu àA ;
et celuiqui
lepremier
aura réuni tous les écus"gagnera
lapartie.
Il se trouve que le sort de A est à celui,de
B comme"244140625
à282429536481 ".
.On reconnait le
problème
de Pascal relaté parCarcavy,
et l’on voit aussi queHuygens
en donne le résultatnumérique, après simplification (voir
la lettrede H. à
Carcavy~
12 Octobre1656,
n°342,
p. 505 du Tome I de lacorrespondance
de
H.).
En
1713,
Nicolas Bernoullipublia
l’oeuvre de son oncleJacques Bernoulli,
le fameux
Ars Conjectqpdi,
dont lapremière partie reproduisait
avec des commen-taires,
lepetit
traité deHuygens
traduit par Schooten. On y trouve la solution de notreproblème.
°
Bernoulli commence par observer les chances de A et
B, qui
sontindiquées
par le nombre de combinaisons favorables à
chacun,
à savoir a= 15 et b = 27.Puis il propose un raisonnement par récurrence
("inductions;") qu’il
résume "sanscalcul" de la
façon
suivante:1 °) -
Si A avait tous les écus sauf un il aurait a chances de gagner, et demême, quand
B a tous les écus sauf un, il a b chances de gagner.2° ) -
Si A avait tous lesécus
saufdeux,
il aurai+, a, chances de les avoir tous sauf un, au coupsuivant,
c ~ est-à-dire a chances d’obtenir a chances de gagner,donc a2
chances de gagner., Et si B a tous les écus saufdeux,
ila b 2
chances de
gagner.
3° ) -
Et ainsi de suite: à raison de chacun des écusqui manquent
à unjoueur
pour tenniner lapartie,
il y a a, chances pour A etb,
pourB,
d’ étreramenés au cas antérieur.
4° ) -
Au commencementdu jeu,
y chacun a douzeécus,
donc il manque à chacun douze écus pour gagner. Et les chances sontconme a12
etbl2.
. 1
Bien
entendu,
1 Bernoulliprévoit
que ce "ratio cinium" ne satisfera pas toutf 1 e mdnde,
et ilcomplète
par des indicationstrès précises
pour une mise en formerigoureuse
Enfin ~
notre auteurajoute,
mais sansdétails,
la solution du mêmeproblème lorsque
les deuxjoueurs
nepossèdent
pas initialement le même nombre d’écus. Si Apossède m
écus et a,, chances d’en gagner un àchaque
coup, et si B en pos-sèàe n et b
chances,
les chances de tout gagner par A et par B sont commueles nombres:
et
(à
condition que a4 b,
sinon les chances sont comme mà n ).
La solution
complète
seraexplicitée
par de MOIVRE(The
Doctrine ofchances, 1718).
J’en ai donnél’analyse
dans mes leçons sur les élémentsprincipaux
de la théoriemathématique
desjeux (Stratégie
et décisionséconomiques,
yParis,
C.N.R.S.1954)
pages1/12
à1/19.
Toute la