L'ADHESION DE L'ALGERIE A LA
COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE
par
Aflakh MAMERI
Cinq
années après sonindépendance, l'Algérie demeure dans
une situationà la fois
aléatoire et paradoxaleà l'égard de la C.E.E. Faire le
pointde
cettesituation,
c'est examiner succesivementles liens juridiques actuels,
puisdans
undeuxième temps, les
conséquencesdu désarmement
généralfixé
au 1"juillet 1968
et enfin endernier lieu, les
perspectivesd'un
accord.Les liens juridiques
actuels :C'est l'article 227 du Traité de Rome
qui constitue enla
matièrele texte de base. En désignant dans
son premier alinéales
parties contractantes(1)
auxquellesdoit
s'appliquerle traité, l'article 227,
alinéa
2, énonce
ce qui suit :«
En
ce qui concernel'Algérie
etles départements français d'outre mer, les dispositions
particulièreset généralesdu
présenttraité
relatives :—
à la libre
circulationdes marchandises,
—
à l'agriculture, à l'exception de l'article 40,
paragraphe4 (relatif à l'organisation des
marchés agricoles),—
à la libération des services,
— aux règles
de
concurrence,— aux mesures
de
sauvegarde prévues aux articles108, 109
et226
— aux
institutions,
sont applicables
dès l'entrée
en vigueurdu
présenttraité.
»Recouvrant
sa souverainetéle 3 juillet 1967, l'Algérie était
soumise audilemme
suivant :1°) Déclarer
que son nouveau statutjuridique la
rendlibre de tout
engagementà l'égard de la C.E.E. ; illustrant
ainsila théorie
volontaristedu Droit
International selonlaquelle
seulela libre
volontédes Etats
est créatriced'obligations.
(1)
Royaumede Belgique,
République Fédéraled'Allemagne,
RépubliqueFrançaise,
RépubliqueItalienne, Grand
Duchédu Luxembourg,
Royaumedes Pays Bas.
2") Demander
aux six partiescontractantes,
ne serait-ce qu'en vertude la
notionde
sauvegardedes droits des tiers, le
maintiendes
liens tels
qu'ils ontété définis
parl'alinéa 2 de l'article 227 du traité.
Tel
qu'il se présentait surle
planjuridique, le
choixétait
parfaitement clair encore que si
la
mise en œuvrede la
première possibilité relevaitde la
seule compétencede l'Algérie ; il
en allaitdifféremment
pour
la seconde, liée à l'accord des
«Six
»pays,
membresde la C.E.E.
En fait, la décision de l'Algérie
allaitdépendre de
sesintérêts
immédiats. Aux bouleversements
nésde la la
guerrede libération,
ellenepouvait sans
risque
grave opérer surle champ
une réorientationde
son commerce extérieur.C'est dire
parconséquent,
quela
voieétait toute tracée
audépart
:il
s'agissait essentiellementde
sauvegarderdans l'immédiat, les débouchés
commerciauxde l'Algérie. Ce faisant, la
Jeune République
aurale temps
nécessairede
penserle
problèmede
seséchanges dans
un climat plus propice et moins agité.C'est dans
cet esprit quele Gouvernement
algérien adressele 24
novembre
1962,
unelettre à la Commission
exécutoirede la C.E.E.
Cette lettre
avait undouble
mérite :—
d'abord,
elledemandait le
maintiendu bénéfice des impositions de l'article 227,
alinéa2 du Traité de Rome,
sauvegardant ainsiles
avantages commerciauxde l'Algérie
au seindes
« six»,
—
ensuite,
elledonnait
un caractèrejuridique
nouveau auxliens
qui existaient entre
les deux parties,
sanspour autantpréjugerdes liens futurs
entrel'Algérie
etla C.E.E. Ce
n'était pas nonplus,
une adhésion ouaccession,
car celle-ci aurait eud'autres implications
quel'Algérie
ne pouvait ou ne voulait assumer au moment où sa souverainetéfraîchement recouvrée, lui imposait de faire face, tant
surle
planinterne
qu'externeà des
problèmesd'une
urgente priorité.Ainsi donc,
età
cejour, l'Algérie demeure liée à la C.E.E.
parl'article 227,
alinéa2 du Traité de Rome, dont le
caractèrejuridique
a
été transformé
parla demande faite
par son gouvernementle 24
novembre1962, demande
acceptéele 20 juin 1963
parla Commission
excécutivedes
«Six
».Si
souhaitable et si utile qu'ellefut,
cette acceptationlaissait
sans solutionle
problèmede fond
relatif aux rapports contractuelsà établir
entre
les deux
parties.Tout
auplus,
cette acceptation maintenait un statu quo qui allait parla
suite s'avérerfort fragile.
Fragile d'abord,
parce quela C.E.E.
a continuéd'évoluer
rapidement,écartant
souventl'Algérie du bénéfice des
nouvellesdispositions ; fragile ensuite,
parce que même ce quiétait
contenudans
ce statu quoétait
constamment
décrié
et menacé partel
outel
partenaire.De toutes les façons, il était
prévisible audépart
qu'unetelle
situation, ne pouvaitêtre
que provisoire et quel'Algérie
allait nécessairementêtre
soumise au choixdéfinitif devant
porter surle fond du
problème.Aujourd'hui,
on ne voit pas comment cette périodeprovisoire pourra se prolonger au-delàdu
1"juillet 1968, tant il
apparaîtcertain,
qu'à cettedate, le désarmement douanier
général entreles
«Six
» seraETUDES
431
complet.
Cette échéance
ne manquera pasde déclencher
un certain nombrede
sonséquences.Les
conséquences généralesde l'échéance du
1"juillet 1968
:Ce
qui se produirale
1erjuillet 1968
n'aurad'égal
surle
planéconomique que
ce qui auraété
achevé au momentde la
constitutiondes Etats. En
vertude l'union douanière
complète qui naîtraà
cettedate
entreles
six pays membresde la C.E.E., les barrières douanières, l'un des
signesdistinctifs d'un Etat
sujetde Droit International dispa
raîtront.
Les
marchandises pourront alors circulerlibrement
et sans entraves comme ellesle faisaient jusqu'à
présent sur chaque marchénational,
mais cettefois
en s'étendantà l'ensemble du territtoire douanier des
sixmembres
de la Communauté. L'innovation fondamentale de
politiqueinterne
n'était concevable et réalisable quesi,
au mêmemoment,
une attitude communautaireétait définie à l'égard du
mondeextérieur,
celuide tous les
paysdépourvus de tout lien
avecles
six.En somme,
aucunede
cesdeux
politiques ne pouvaitêtre
menéel'une
sansl'autre.
En termes juridiques
et pour ce qui concerneles
relations avecl'extérieur,
on est passédu bilatérisme
au multilatéralisme.Pratique ment, l'accord
auquel sont parvenusles
« six » signifie qu'il ne sera pluspossibleà l'un
quelconqued'entre
euxd'établir des
rapports avecles
paystiers dans les domaines
soumisà la réglementation,
sansle
consentement préalablede tous les
membresde la Communauté. Ou
sil'on préfère, le
consentement estimplicite dès lors
queles
rapportsà établir
s'insèrentdans le
cadre généraldéfini
parles
six en respectantla
réglementationrégissant chaque secteurd'activité.
Cette
situation estlourde de
conséquences.Les liens
préférentiels existant entretel
paysde la Communauté
avec un paystiers devront
sinonbrutalement disparaître, du
moinévoluer rapidement,
pourdevenir
compatibles avecla
politique communedes
sixEtats
membres.L'Algérie
ne peutéchapper à
cette exigence malgréles liens très forts
qu'elle entretient notamment avecla France,
etd'une façon
plusgénérale,
avecles
principaux membresde la Communauté Economique Européenne.
U
suffitde
rappeler pour apprécierl'importance de
cesliens
qu'en1964
parexemple, la France
absorbait prèsde 75 % des
exportations globalesde l'Algérie
et qu'au seindu Marché Commun,
elle enlevaitau cours
de la
même année84 % des
ventes algériennes suivie parl'Allemagne
qui en achetait9 %.
Dans le détail,
et pour ceuxdes
produitsformant l'essentiel des
exportationsalgériennes, le tableau
ci-après(1)
offrela
meilleureillustration de l'intérêt
capital que représentele
marché commun.(1)
Cniffres puises dansles
tableaux analytiquesde l'Office Statis
tique des
Communautés Européennes 1965.VALEUR
=1000 $ US.
FRANCE BEL.-LUXE. HOLLANDE ALLEMAGNE ITALIE C. E. E.
PRODUITS
Vol. Val. Vol. Val. Vol. Val. Vol. Val. Vol. Val. Vol. Val.
—
Pétrole
etproduits dérivés
..12650014 245486 461888 9115 1636722 27127 354589 5312 15103213 287040
—
Fruits
etlégu
mes
69370 8995 97 11 8609 1083 25226 4166 103302
27529 14255
228
—
Minerais
métalliques
etdé
chets
inclus
. .27529 228
—
Gaz 14834 2458 14834
16828 2458
1839
—
Moûts de
rai sins partfer
mentes
16828 1839
—
Vins de
raisinsfrais 612035 104279 1305 195 36 8 2077 317 615453 104799
ETUDES
433
—
Comparativement
auxautres
marchés et pour ne prendre quele
casdes
agrumes soumispourtant à
une viveconcurrence, les données
suivantes nedoivent laisser
subsister aucundoute
surl'importance du
marché européen.PAYS
Total 1965/1966
entonnes
Total 1966/1967
en
tonnes
FRANCE 143 075 101 492
R.F.A 11.402 9.122
PAYS-BAS 3.541 4.439
BELGIQUE 393
—TOTAL C.E.E 158.411 115.053
AUTRES PAYS ZONE FRANC
—1.300
U.R.S.S 38.725 18.264
YOUGOSLAVIE
—9.139
TCHECOSLOVAQUIE 1.497 1.550
BULGARIE 56 1.173
HONGRIE 269
—SUISSE 122
1.828
AUTRES PAYS 54
TOTAL
enDEHORS C.E.E 42.497 31.480
TOTAL GENERAL 200.908 146.533
Ainsi donc
etquantitativement, l'Algérie,
selonles
chiffresdu tableau
précédent(1)
a placé surl'aire douanière des
six paysde la C.E.E. 78 % de
ses exportationsd'agrumes durant la dernière
campagne1986/1987.
Ce
qui est valable pourles agrumes, l'est davantage
encore pourle
vin algérien qui estdans
sa presque quasitotalité
absorbé parl'Europe des Six,
notamment parla France
etl'Allemagne.
Indépendamment de l'importance
quantitativedu
marché européen au pointd'être tant
présentement quedans
un avenirlointain le
seulà
mêmed'absorber de très fortes
et nombreusesrécoltes, il
est aussi ce qui n'est pas une moindrequalité, le
plus rémunérateurdes
marchés actuels en raisonbien
sûrdu haut
pouvoird'achat du
consommateur européen.(1) Chiffres
puissesdans le
numéro spécial1111 de
Marchés Européensdes Fruits
etLégumesde
décembre1967.
C'est
précisément en raisonde l'importance
qualitative et quantitative de
ce marché quede
nombreux pays «font la
chaîne » pour essayerde
nouerdes
relations avecla C.E.E.
Si de l'extérieur, de
nombreuxEtats
veulenty entrer,
parcontre, de l'intéreur,
certains pays membres semblenthésitants
sinonfranche
ment
hostiles à l'élargissement du
«Club
».Pour
ne parler quede l'Algérie,
son accessionéventuelle
au groupedes
«Six
» n'est pas exemptede
réticences.Les uns,
pour conserverà leur
productionle
maximumde
profit(Italie), les
autres pourdes
motifsde
marchandage politique(Hollande),
semblent soucieux
de
reculerl'ouverture de
pourparlers entrel'Algérie
et
la C.E.E. Mais
nil'une
nil'autre de
ces réserves ne sauraient résister aux nécessitésdes temps
modernespour unelarge
politiquede
coopération
etd'échanges
entreles Etats.
Les
prespectivesd'un
accord :A la
questionde
savoir pourquoi prèsde 6
années après sonindépendance l'Algérie
n'a pas précisé sa positionà l'égard de la C.E.E.
alors que
les intérêts liés
au volumede
seséchanges l'y invitaient de
manière
pressante,
on avancehabituellement 3
sortesde
raisons :1°) L'Algérie
ayant opté avant et après sonindépendance
pour une politiqueinternationale
et nonalignement,
préférait ajournertoute décision à l'égard de la C.E.E.,
entenduetotalement
ou partiellement comme unbloc
prenant une politiqueincompatible
avecla
sienne propre.2°) A l'opposé de
cette attitudede l'Algérie
ou qu'onlui
prêtepourla
présenter commedevant
constituer un empêchementmajeur, la C.E.E. faisait
elle aussi preuved'hésitations
quantà la définition de
nouveaux rapports avec ce pays.3°) Enfin
unedernière
raisonintermédiaire
peut-ondire,
maissubtile
à coup
sûraccréditaitl'idée
selonlaquelle l'Algérie étant
soumise aurégimede l'article 227
alinéa2 du Traité de Rome
et entirant
unlarge bénéfice
avaittout intérêt à
voirle
statu quo prolongé cartoute
nouvelledécision, à défaut d'entamer
ses avantages nelui
procurerait pasd'autres.
Qu'en
est-il aujuste ?
Assurément, il
serait peu réalisted'écarter toute
considération politiquelorsqu'on
examineles
perspectivesd'un
accord entrel'Algérie
etla C.E.E. Cependant, il
nefaudrait
pasà l'inverse
exagérerla
portée politiqued'un éventuel
accord;
ceci pourde
nombreuses raisons.D'abord
parce qu'on ne voit guère quels sontà l'heure
actuelleles
groupesd'Etats
qui sont exemptsde toute
coloration politique.Chacun,
à des degrés divers, d'une
manière plus ou moinshabile,
couverte ouETUDES
435
camouflée
traduit
sa politiqueà travers les échanges commerciaux, culturels, techniques
ou autres.Ensuite, il
suffitd'ouvrir
n'importe queljournal
pour saisir ou mieux connaîtreles
graves controverses qui agitent actuellementl'Europe. U
apparaîtraclairement que
l'Europe des
six estloin de
présenter untout
cohérent
;
politiquement uni et solidaire.D'aucuns
estimentmême, à la lumière des
controverses actuelles qu'il n'est pasdu tout
acquis quel'Europe le devienne dans
un avenir prévisible.Sans doute
chacundes Etats
membres situe sa politiquedans l'orbite
occidentaledont les
caractéristiques pourêtre bien
connues ne sont pas pourtantimmuables. Au
reste sides
rapportsbilatéraux honnêtes
etfructueux
ont puêtre établis, souvent dans le
respect réciproque et sur
des bases d'égalité,
entrel'un
oul'autre des
paysEuropéens
avec ceuxdu Tiers Monde, l'élargissement de
ces rapportsà tous les Etats
membresde la Communauté
pourrait s'avérer aussifructueux.
Les
contours assez vaquesd'ailleurs de l'Europe étant connus, les impératifs économiques
et commerciauxdeviennent
alorsdéterminant
pour appréhenderl'établissement de liens
avecla C.E.E.
Dans le
casde l'Algérie,
ses atouts sontd'une
réelleimportance.
Qu'il
s'agissede
ses potentialitéséconomiques
ou mêmedes bonnes
relations qu'elle a suétablir
surle
plan politique avec certains paysde la C.E.E.,
c'est autantd'atouts
quidevraient lui
ouvrirla
voied'une
association
dont la forme importe
peud'ailleurs.
Par contre, il importe
quela définition de
nouveauxliens intervienne
rapidement pour ne pas soumettreles éventuelles
négociationsà la
pression
des événements
qui semblent compliquer singulièrementl'échi
quier européen au point queles
candidatures en attente risquentde devenir des
préalablesles
unes par rapport aux autres pour unediscussion
ultérieure.Il
n'est qu'a constaterles
rémous qui entourentla
candidature en souffrancede Grande-Bretagne
pour mesurerla
nécesitéde l'ouverture d'un dialogue
entrel'Algérie
etla C.E.E.
Seul
untel dialogue
pourraitéviter
quedemain les
produitsalgériens soient sinontotalement
absentsdu Marché Européen, du
moinscompressés au minimum par