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La variabilité du droit du travail

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Submitted on 24 Mar 2011

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La variabilité du droit du travail

Nadège Claude

To cite this version:

Nadège Claude. La variabilité du droit du travail. Droit. Université d’Angers, 2010. Français.

�tel-00579595�

(2)

LA VARIABILITÉ DU DROIT DU TRAVAIL

Thèse pour le doctorat en Droit privé École doctorale Pierre COUVRAT

Présentée et soutenue publiquement Le 7 décembre 2010

À l’Université d’Angers

Par Nadège CLAUDE

Devant le jury ci-dessous :

HONTEBEYRIE Antoine, Professeur à l’Université d’Angers RADÉ Christophe, Professeur à l’Université de Bordeaux IV

TEYSSIÉ Bernard, Professeur à l’Université de Paris II, Rapporteur VERKINDT Pierre-Yves, Professeur à l’Université de Paris I, Rapporteur

Directeur de thèse : GAURIAU Bernard, Professeur à l’Université d’Angers

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L’Université d’Angers n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises par les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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REMERCIEMENTS

Que Monsieur le Professeur Bernard GAURIAU trouve ici l’expression de ma reconnaissance pour la confiance, l’attention et les précieux conseils qu’il m’a prodigués au cours de mes années de recherche.

Que soient également remerciés Messieurs les Professeurs Antoine HONTEBEYRIE, Christophe RADÉ, Bernard TEYSSIÉ et Pierre-Yves VERKINDT pour avoir accepté de partager, critiquer et débattre de la variabilité du droit du travail.

(5)

À tous ceux sans qui cette aventure littéraire n’aurait pas eu la même saveur…

(6)

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation

Bull. civ. Bulletin civil

Cah. dr. ent. Cahiers de droit de l’entreprise

Cass. Civ. Chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Com Chambre commerciale de la Cour de cassation

Cass. Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

CE Conseil d’État

Chron. Chronique

Concl. Conclusion

Cons. const. Conseil constitutionnel

Cons. prud’h Conseil de prud’hommes

CSBP Cahiers sociaux du Barreau de Paris

D. Dalloz

Dr. ouvrier Droit ouvrier

Dr. soc. Droit social

Gaz. Pal. Gazette du Palais

JCP G Juris-classeur Périodique, édition générale

JCP E Juris-classeur Périodique, édition entreprise

JCP S Juris-classeur Périodique, édition sociale

JO Journal officiel

JOCE Journal officiel des Communautés européennes

LPA Les petites affiches

LS Liaisons sociales

Obs. Observation

Rapp. Rapport

RDT Revue de droit du travail

Rec. Recueil

RJS Revue de jurisprudence sociale

(7)

RPDS Revue pratique de droit social

RRJ Revue de recherche juridique et de droit prospectif

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

S. Sirey

Somm. Sommaire

SSL Semaine sociale Lamy

TPS Travail et protection sociale

(8)

S

OMMAIRE

P

REMIÈRE PARTIE

L

AVARIABILITÉDESMODES D

ÉLABORATION DUDROIT DUTRAVAIL

TITRE 1. LAVARIABILITÉDUDROITIMPOSÉ

CHAPITRE 1. UNELOIRÉGLEMENTARISÉEOUUNRÈGLEMENTLÉGIFÉRANT ? CHAPITRE 2. UNELOIINTERPRÉTÉEOUUNEINTERPRÉTATION LÉGIFÉRANTE ?

TITRE 2. LAVARIABILITÉDUDROITNÉGOCIÉ

CHAPITRE 1. LALOIETLANÉGOCIATIONCOLLECTIVE

CHAPITRE 2. LALOIET LANÉGOCIATIONINDIVIDUELLE

S

ECONDE PARTIE

L

A VARIABILITÉDESMODES D

APPLICATIONDU DROITDUTRAVAIL

TITRE 1. UNEARTICULATIONHIÉRARCHIQUE

CHAPITRE 1. LAVARIABILITÉDELEFFETIMPÉRATIF CHAPITRE 2. LAVARIABILITÉDELEFFETSUPPLÉTIF

TITRE 2. UNEARTICULATIONGLOCALE

CHAPITRE 1. UNPROCESSUSDEFINANCIARISATION

CHAPITRE 2. UNPROCESSUSDERESPONSABILISATION

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I

NTRODUCTION

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » 1. La citation est connue pour évoquer toute idée de variabilité. La formule « tout varie » aurait d’ailleurs tout aussi bien pu être la dernière proposition grammaticale de cette phrase, attribuée à tort au chimiste Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) pour exposer sa théorie de la conservation de la matière 2. Elle trouve en réalité son origine dans l’Antiquité sous la plume du philosophe grec Anaxagore de Clazomènes (500-428 avant J.-C.) premier philosophe à s’installer à Athènes.

Reste qu’à compter de cette formule, l’idée de variabilité a alimenté nombre de sciences.

L’impression est d’abord à l’éclatement. À en croire les listes des dictionnaires généraux, la variabilité se caractérise davantage par ces multiples déclinaisons que par une quelconque unité. Comme si le mot était dénué de toute unité, son sens varie, si l’on ose dire, selon les domaines. Sa définition se fait le plus souvent par l’énumération des matières qu’elle embrasse ; et c’est alors l’impression de polysémie qui prédomine.

La variabilité dans les sciences. En météorologie par exemple, la variable désigne sur un baromètre les limites de pressions qui correspondent en un lieu à une forte probabilité de changement rapide dans l’état de l’atmosphère. C’est la variabilité du temps qui change de direction ou d’intensité 3. En biologie, c’est « l’aptitude d’un être vivant ou d’un ensemble d’êtres vivants à subir des modifications dans sa forme ou dans ses fonctions, sous l’influence de facteurs internes et externes », la « grandeur qui mesure l’ampleur des variations d’un caractère » 4. Il s’agit de la variabilité des espèces dans le sens où l’entendait le naturaliste anglais Charles Darwin.

Celui-ci, violemment combattu en son temps et encore aujourd’hui par les milieux conservateurs et religieux, a expliqué que l’action directe ou indirecte de variations, même

1 La véritable formule d’Antoine Laurent Lavoisier est la suivante : « Rien ne se crée, ni dans les opérations de l’Art, ni dans celles de la Nature, et l’on peut en principe poser que dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération, que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications » (Cf. VOILQUIN J., Les penseurs grecs avant Socrate, De Thalès de Milet à Prodicos, Flammarion, 1964, fragment 17).

2 LAVOISIER A. L., Traité élémentaire de chimie, Cuchet éd., 1789,

3 Dictionnaire de la langue française, Emile Littré, Tome 6, 1994.

4 FAIVRE E., La variabilité des espèces et ses limites, Germer Baillère éd., 1868.

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brusques et spontanées, du milieu de chaque espèce joue sur la sélection naturelle, c'est-à-dire sur l’idée de « persistance du plus apte à la conservation des différences et variations individuelles favorables et à l’élimination des variations nuisibles » 1. À la fois géologue, biologiste et psychologue, Charles Darwin fut un des principaux théoriciens du transformisme 2 : « Bien que l’homme ne cause pas la variabilité et ne puisse même l’empêcher, il peut, en triant, conservant et accumulant comme il lui semble bon les variations que lui offre la nature, produire un grand résultat. Il peut exercer la sélection méthodiquement et intentionnellement ; elle peut aussi agir à son insu […] » 3.

D’après la perception contemporaine de cette doctrine, le monde organisé actuel nous offre partout les effets accumulés de petites forces agissant lentement, modifiant sans cesse la matière organique et plastique dans les moules qu’elle remplit, dans les formes qu’elle revêt.

Ces effets sont accumulés par un nombre considérable d’individus, par des séries continues de générations à travers les siècles. Et devant nous se dresse la tâche de poursuivre lesdits effets de forces variées dans leurs moindres manifestations. De facto, la théorie darwinienne a alors nourri d’autres sciences tel que l’algèbre 4, l’astrophysique 5, la grammaire 6, les statistiques 7 ou l’économie 8, etc.

Définition générale de la variabilité. En dépit de la polysémie du terme, les dictionnaires de la langue française 9 s’accordent à retenir la définition générale suivante : la variabilité est la « disposition habituelle 10 à varier ». Elle est l’état, le caractère, la nature de

1 DARWIN Ch., L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie, 1859, rééd. Flammarion, coll. « GF », 2008.

2 Les auteurs s’accordent à dire que Charles Darwin est davantage le catalyseur d’une révolution scientifique que l’initiateur de l’idée d’évolution, dont la paternité est attribuée au zoologiste français Lamarck. Ce sont les recherches de ce dernier qui permettent d’envisager l’évolution des espèces, conçue comme changement progressif à partir des formes les plus simples du vivant (LAMARCK J.-B., Philosophie zoologique, 1809, rééd. A.

Pichot, coll. « GF », 1994).

3 DARWIN Ch., op. cit.

4 Elle est une « indétermination, [un] passage possible d’une quantité par différents états de grandeur » (Dictionnaire de la langue française, Emile Littré, Tome 6, 1994).

5 « La variabilité apparaît à un moment donné dans le processus évolutif des étoiles » (Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue française du XIXe et du XXe siècle, Centre national de la recherche scientifique, Institut National de la Langue Française de Nancy, Tome 16, Gallimard, 1994).

6 Elle est la « propriété que certains mots ont de changer de désinence (suivant leur mode d’emploi) », c'est-à- dire leur terminaison (Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, Éd. C. Lacour, 1991, Tome 24).

7 Elle est l’« éparpillement des valeurs d’une distribution de fréquence, mesurée souvent par l’écart-type », (Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue française du XIXe et du XXe siècle, op. cit.).

8 L’économie définit la variabilité comme la « grandeur susceptible de prendre différentes valeurs soit continues (sans intervalles) soit discrètes ou discontinues (avec des intervalles entre les valeurs) » (SILEM A. et ALBERTINI J.-M., Lexique d’économie, Dalloz, 7ème éd., 2002, V° « Variabilité »).

9 Cf. Trésor de la langue française, Dictionnaire de la langue française du XIXe et XXe siècles, op. cit. ; Dictionnaire de la langue française, Emile Littré, op. cit. ; Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, op. cit.

10 Cette notion d’« habitude » est exclusivement mentionnée dans le Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré qui précise d’ailleurs que le terme de « variabilité » n’est défini dans le Dictionnaire de l’Académie qu’à partir de l’édition de 1835, alors même qu’il est couramment utilisé dès le XIVe siècle.

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ce qui est variable, synonyme de fluctuant, incertain ou instable, c'est-à-dire susceptible de se modifier, de changer souvent au cours d’une durée, de se transformer. Elle s’applique à une propriété dont les valeurs indiquent si un élément donné peut être modifié après avoir été initialisé.

En conséquence, elle répond de la variété, de la qualité d’un ensemble dont les éléments sont différents, mais elle dépasse le constat de la diversité pour en mesurer le sens.

La variété, comme la variation, correspondent à un état de ce qui éprouve des changements successifs ou alternatifs. Ces termes ne sont que des indicateurs d’une capacité à varier, d’une capacité à faire varier. L’objet d’une étude relative à la variabilité consiste alors à parangonner la variété et la variation pour en déterminer l’orientation, la direction. Ce n’est pas le mouvement constaté en fait, mais l’aptitude à se mouvoir qui est analysée par une telle recherche.

Dans le même sens, la variabilité ne s’entend pas de l’élasticité. Cette dernière consistant à mesurer la sensibilité d’une variable par rapport à la variation d’une autre, elle conduit juste à calibrer l’intensité sans forcément donner d’explication à l’influence mesurée.

La variabilité se conçoit plus largement : une rupture d’équilibre est constatée à l’intérieur d’une structure, à partir de laquelle une explication peut être donnée à la transformation. Elle se manifeste a priori dès la manifestation d’un aléa ou d’une liberté qui vont engendrer une insécurité, voire une instabilité.

On oppose en effet la variabilité à la constance, à l’immutabilité, à la stabilité. Or, paradoxalement, ces antonymes sont souvent l’objet d’une lutte contre le temps. Leur propriété est de résister aux contraintes extérieures. Par exemple, la stabilité est « synonyme de durée, de permanence et de pérennité », puisqu’elle « exprime la solidité d’un lien, indifférent à la survenance d’événements qui menacent son existence » 1. Autrement dit, elle semble être le résultat à long terme d’une démarche sujette à la survenance d’événements, mais dont elle est indifférente. On ose alors se poser la question de savoir si lesdits événements par nature variables ne rendent pas la stabilité relative. Sans évolution, cette dernière est a priori inconcevable. C’est pourquoi, il permis de penser que finalement l’instabilité, que l’on associe à la variabilité, n’est pas une conséquence de celle-ci. Les variables dessinent en réalité une courbe sinusoïdale schématisant le sens de la variabilité, à partir de laquelle il est possible d’isoler un intervalle d’équilibre. Cet intervalle suscite un sentiment de confiance quant au résultat à atteindre, une perception de stabilité. Cette idée est

1 MARTINON A., Essai sur la stabilité du contrat de travail à durée indéterminé, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2005, n° 1.

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confortée par la définition de l’invariance selon laquelle une propriété reste inchangée à la suite d’une opération indépendamment d’autres coordonnées 1. Dès lors, la variabilité est dans la nature des choses.

La variabilité dans la nature de l’Homme. Celui-ci compose la société, qui va sécréter naturellement des règles de droit qui lui conviennent le mieux. C’est ce que l’on appelle le droit naturel, c'est-à-dire un épiphénomène, un reflet du phénomène juridique qui exprime le vouloir-vivre de la société. Le définir est un exercice difficile tant l’expression a revêtu de sens au cours de l’histoire. Il n’y aurait pas moins de 255 significations distinctes 2.

Quoi qu’il en soit, alors que les sciences extra-juridiques discernent de la variabilité dans la nature de l’Homme, les représentations du droit naturel concourent généralement à y

« déceler un droit objectif, universel et passablement immuable » 3. Il est dit que le droit naturel est invariable à la fois dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace, parce que « la justice naturelle est celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion » 4. Dans le temps, parce que les lois naturelles sont des « lois perpétuelles qui sont faites pour tous les temps » 5.

Le droit naturel est donné à l’homme par son évidence rationnelle 6. Il se conçoit à partir de l’idée que la nature des choses, d’où le droit est tiré, serait l’ensemble de la réalité sociale. En d’autres termes, il jette les bases sur lesquelles le droit positif peut ensuite se construire. Ce que l’on nomme droit naturel se réduit alors à quelques directives générales et vagues qui s’estompent devant les conceptions positivistes du droit. Celles-ci affirment cette fois sans ambiguïté que les normes juridiques sont par essence flexibles 7.

La variabilité du droit. L’idée est affichée en titre de l’ouvrage du Doyen Jean Carbonnier comme une légère revanche au reproche de rigueur traditionnellement émis par les milieux populaires d’autrefois : « Le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite. Sinueux, capricieux, incertain, tel il nous est apparu – dormant et s’éclipsant,

1 Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, op. cit.

2 SÉRIAUX A., « Droit naturel », in Dictionnaire de la culture juridique, sous la direction de D. ALLAND et S. RIALS, PUF, coll. « Quadrige », 2003, p. 507.

3 Ibid.

4 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, Flammarion, coll. « GF », rééd. 2008, Livre V, Chapitre 10.

5 GROTIUS H., Le droit de la guerre et de la paix, 1729, traduit par J. BARBEYRAC, Centre de philosophie politique et juridique, Université de Caen, 1984, Discours préliminaire, § XVI, p. 16.

6 GROTIUS, ibid. : « Les principes de ce droit sont clairs et évidents par eux-mêmes » ; CICÉRON, De legibus, I, VI, 18 : « La loi est la raison suprême, gravée en notre nature, qui prescrit ce que l’on doit faire et interdit ce qu’il faut éviter de faire ».

7 JAVILLIER J.-Cl., Droit du travail, LGDJ, coll. « Manuels», 7ème éd., 1999, p. 145 ; CARBONNIER J., Flexible Droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème éd., 2001.

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changeant mais au hasard, et souvent refusant le changement attendu, imprévisible pour le bon sens comme pour l’absurdité. Flexible droit ! » 1.

Avant de parvenir à cette idée contemporaine d’une variabilité du droit, les auteurs prônaient sa stabilité. Dans la Grèce antique, Platon dit poursuivre l’objectif de soumettre

« l’ensemble de la conduite de la vie privée et publique à un code moral qui se veut […]

intemporel » 2. Il précise toutefois que cette stabilité ne doit pas être dogmatique car il est

« ridicule » 3 pour celui qui se trouve face à des conditions qui ont changées de maintenir des prescriptions prises en fonction de considérations factuelles qui n’existent plus ; que le changement législatif ne doit pas s’opérer de n’importe quelle manière : ni le premier venu, ni la foule ne peuvent modifier la loi par eux-mêmes car l’art du politique est détenus pas

« fondateurs de la cité » 4. Le droit est d’abord issu de la volonté divine.

Cette pensée de droit divin est naturellement formulée par les historiens du droit, notamment le Professeur Jean Gaudemet qui énonce que le droit vient des cieux et la loi, don de Dieu, ne peut être modifiée que par son auteur : « comment alors en assurer une application efficace, s’interroge-t-il, qui, respectant l’essentiel, tienne compte des transformations de la société ? À des hommes, juges ou docteurs, de le dire et de faire le nécessaire […] » 5. Seul un petit nombre peut faire varier le droit.

« Il faut être sobre de nouveautés » 6 disait Portalis en 1804 dans son Discours préliminaire sur le projet du Code civil. Il met en garde contre l’idée d’une législation sans cesse améliorée, voire contre l’idée d’un évolutionnisme juridique qui privilégie la sélection naturelle des bonnes lois 7. En dépit de la mise en garde, une croyance s’est répandue : le législateur pourrait tout faire, faire face à tout, dans la construction d’une société meilleure 8. A la fin du XIXe siècle, on considère que le droit doit tenir compte des données sociales de l’époque tant sur le plan matériel que moral. Il cesse de s’alimenter exclusivement à sa source traditionnelle. La transformation de la vie sociale impose de faire coïncider les règles légales et l’état des mœurs.

1 CARBONNIER J., Flexible Droit, Pour une sociologie du droit sans vigueur, LGDJ, 10ème éd., 2001, p. 8 – Préface de première édition, 1969.

2 PLATON, Le politique, Gallimard, rééd. 2008.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 GAUDEMET J., Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit, Montchrestien, coll. « Domat Droit public », 4ème éd., 2006, 1997, p. 9.

6 PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er pluviôse An IX par la commission nommée par le gouvernement consulaire, in Le discours et le code PORTALIS, deux siècles après le Code Napoléon, Jurisclasseur, Litec, rééd. 2004, p. XXI.

7 Cf. OPPETIT B., « Portalis philosophe », D. 1995, p. 330, spéc. p. 334.

8 FRISON-ROCHE M.-A., Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Travaux dirigés », 2ème éd., 1994, p. 66.

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Plus encore, il s’éloigne visiblement de la loi morale pour se plier aux nécessités économiques et financières. L’esprit du droit est « transposé dans une tonalité nouvelle, plus matérialiste, plus pragmatique » 1. Lié à la conjoncture économique, le droit en est devenu plus mouvant, en même temps qu’il s’affirmait moralement neutre, il « s’est énervé de lui- même » 2. Il semble agir par soubresauts, se transformant d’un moment à l’autre au gré des circonstances économiques et financières.

En effet, l’adaptation du droit au fait n’est pas un mythe 3 à notre sens : « à aucun moment, le droit ne saurait se détacher de la vie. Les transformations du film des événements humains se projettent sur l’écran de la jurisprudence et des lois » 4. C’est le temps qui nourrit le droit 5 : « Le législateur aménage l’avenir, et ce n’est pas sans problème qu’il lui appartient de réécrire le passé ; le juge, au contraire, dit le droit pour le passé (déliant ainsi ce qui avait été maladroitement ou injustement lié), et ce n’est pas sans problème qu’il se prononce par voie de règle générale valant pour le futur » 6. De toute évidence, le droit a partie liée avec la variabilité dont l’objet propre est d’utiliser le temps. Susceptible de flexion, il ne peut être qualifié autrement. Le droit varie et fait varier. Ce qui était licite hier, devient condamnable aujourd’hui pour redevenir correct demain 7.

Sauf à sombrer dans l’immobilisme, le droit se doit même d’évoluer : « la stabilité des notions juridiques est le privilège des civilisations mortes » 8. Le droit « s’adapte sans cesse tantôt pour réfréner, tantôt pour accompagner, voire pour accélérer les conséquences des évolutions, des idées et des techniques » 9. Parce qu’il exprime la réalité, il tend à dépasser les abstractions de progrès en progrès. Alors que ce sont le plus souvent les économistes et les sociologues qui les premiers dessinent les courbes du temps, le rythme de l’évolution de l’homme, les juristes saisissent leurs sciences pour en extraire socialement des droits et devoirs. Le domaine du droit est l’« isthme où se rejoignent les sciences » 10, raison pour laquelle il est dit à la fois art et science 11. La tâche des juristes est alors de concilier autant

1 JOSSERAND L., « Un ordre juridique nouveau », D. 1937, chron. IX.

2 Ibid.

3 Contrairement à ce que la doctrine a pu enseigner : ATIAS Ch. et LINOTTE D., « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D. 1977, chron. XXXIV.

4 SAVATIER R., « Le Droit et l’accélération de l’Histoire », D. 1951, p. 29.

5 HÉBRAUD P., « Observations sur la notion du temps dans le droit civil », in Études offertes à P. KAYSER, Tome 1, PUAM, 1979, p. 1.

6 OST Fr., Le temps du droit, Odile Jacob, 1999, p. 150.

7 Cf. JOSSERAND L., op. cit.

8 CHENOT B., « L’Existentialisme et le Droit », Revue française de science politique, 1953, p. 57, spéc. p. 66.

L’auteur d’ajouter qu’« une relative stabilité est le luxe des périodes calmes ».

9 FOYER J., « Rapport de synthèse », in Les nouveaux moyens de reproduction, Travaux de l’Association H.

CAPITANT, 1986, Tome XXXVII, p. 17.

10 SAVATIER R., op. cit.

11 TERRÉ Fr., Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 8ème éd., 2009, n° 21 et suivants.

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que possible le fait et le droit au gré du temps. En conséquence, il est permis d’affirmer que le droit est par essence variable.

Absence de définition juridique de la variabilité. Le juriste reste pantois à parcourir les dictionnaires juridiques. Aucune définition juridique de la variabilité n’apparaît. Seule la notion de « variation » y est définie : elle est une « modification dans la situation économie, monétaire, etc., changement de circonstances ». À cet effet, elle peut être une clause de variation, c'est-à-dire une « clause dont l’objet est de faire varier le montant des obligations engendrées par le contrat dans lequel elle est insérée (prêt, vente, etc.) en fonction de la valeur de l’or (clause valeur-or), d’une devise étrangère (clause valeur-devises), ou de celle d’une marchandise de référence choisie comme indice (clause d’échelle mobile ou d’indexation stricto sensu) » 1. Or, on l’a dit, la variabilité n’est ni une variation, ni une variété.

L’identification de la variabilité du droit est donc insuffisante, certainement en raison de son caractère évanescent. Au demeurant, n’y a-t-il pas des règles qui suscitent l’équivocité, et donc la variabilité ? D’emblée, on songe aux notions à contenu variable.

Les notions à contenu variable. Leur fonction première est d’enserrer dans leurs termes une matière qu’il serait impossible d’appréhender intégralement par le procédé de la définition précise et rigide : « le contenu d’une notion n’est variable qu’en raison et dans la mesure de l’imprécision, de la généralité, de son contenant, de sa définition » 2. Il y aurait une identité, une correspondance du contenant et du contenu 3 : si des facteurs ne sont pas précisés dans le contenant, le contenu devient évidemment variable. Toutefois, il est dit que « dans les notions à contenu variable, […] la variabilité est une variabilité préparée d’avance : l’intentionnalité est inhérente à la variabilité » 4. Or, selon nous, tel n’est pas toujours le cas.

Un événement fortuit peut entraîner une variabilité qui n’aurait pas été prévue. Il nous paraît indispensable d’entendre la variabilité au sens large, même s’il est vrai que souvent le droit l’encadre. Preuve en est le régime des clauses dites de variabilité.

Les clauses de variabilité. Elles apparaissent notamment en droit des sociétés. Par exception au principe de l’intangibilité du capital social, il est possible de créer des sociétés à capital variable en vertu de l’article L. 231-1 du Code de commerce. Ladite clause de

1 CORNU G., Vocabulaire juridique, Association H. CAPITANT, PUF, coll. « Quadrige », 8ème éd., 2007, V° « Variation » ; GUINCHARD R. et MONTAGNIER G. (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15ème éd., 2005.

2 LEGROS R., « Les notions à contenu variable en droit pénal », in Les notions à contenu variable en droit, Études publiées par Ch. PERELMAN et R. VANDER ELST, Travaux du Centre National de Recherches de Logique, Éd.

Bruylant, 1984, p. 21, spéc. p. 27.

3 Ibid.

4 CARBONNIER J., « Les notions à contenu variable dans le droit français de la famille », in Les notions à contenu variable en droit, Études publiées par Ch. PERELMAN et R. VANDER ELST, Travaux du Centre National de Recherches de Logique, Éd. Bruylant, 1984, p. 99.

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variabilité du capital doit être inscrite dans les statuts et être régulièrement publiée. Elle permet l’entrée de nouveaux associés et la sortie volontaire ou forcée d’anciens associés, sans qu’il y ait à modifier les statuts selon l’article L. 231-6 du même Code. En d’autres termes, la société à capital variable se caractérise par une variabilité permanente de son capital et de ses associés sans en affecter le fonctionnement. En réalité, la clause est considérée comme une simple modalité statutaire des sociétés de droit commun. Ce type de stipulation n’est pas non plus étranger au droit du travail. Il existe des clauses de variabilité du contrat de travail, même si les dictionnaires juridiques ne les mentionnent pas.

Dans cette hypothèse, le contrat de travail prévoit en lui-même que son application va se transformer. Cela signifie que l’on prévoit expressément lors de la conclusion du contrat de travail que des éléments contractuels peuvent varier. Par exemple, le salarié peut consentir d’avance à changer de lieu de travail, de fonction, voire d’une partie de son salaire. Ce genre de stipulations contractuelles paralyse la théorie élaborée pour régir la modification du contrat de travail, puisque le changement d’un élément contractuel est dans cette hypothèse accepté.

En tout état de cause, la validité de ces clauses dites de mobilité est admise variablement selon leur objet.

La clause prévoyant une variation de la rémunération du salarié n’est valable que si elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, que si elle ne fait pas porter le risque de l’entreprise sur le salarié, ou encore que si elle n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels 1. La validité des clauses de mobilité géographique n’a pas été soumise dans un premier temps à des conditions particulières, dès lors qu’elle ne heurtait pas une liberté fondamentale du salarié 2. Mais depuis 2004, une orientation jurisprudentielle s’est amorcée : la limitation de l’espace géographique, à l’intérieur duquel une mutation est possible, devient une condition de validité de ladite clause 3. Cette dernière doit définir de façon précise sa zone géographique d’application. Elle ne peut pas conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée 4.

1 Cass. Soc., 4 mars 2003, RJS 5/03, n° 568 ; 27 février 2001, Dr. soc. 2001, p. 514, obs. Ch. RADÉ. ; 30 mai 2000, RJS 7-8/00, n° 772.

2 Cass. Soc., 12 janvier 1999, Dr. soc. 1999, p. 287, obs. J.-E. RAY ; RTD civ. 1999, p. 358, note J. HAUSER ; D.

1999, p. 645, note J.-P. MARGUÉNAUD et J. MOULY ; RJS 1999, p. 94, note J. RICHARDDELA TOUR.

3 Cass. Soc., 19 mai 2004, SSL 2004, n° 1171, p. 12.

4 Cass. Soc., 10 juillet 1996, Dr. soc. 1996, p. 976, obs. H. BLAISE, Dr. ouvrier 1996, p. 457, note P. MOUSSY ; PÉLISSIER J., LYON-CAEN A., JEAMMAUD A. et DOCKÈS E., op. cit., spéc. p. 264.

Cf. WAQUET Ph., « La modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail », RJS 12/96, p. 791 ; PÉLISSIER J., « Difficultés et dangers de l’élaboration d’une théorie jurisprudentielle : l’exemple de la distinction entre la modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail », in Mélanges en l’honneur de P. COUVRAT, PUF, 2001, p. 101 ; LYON-CAEN A., « Une liaison dangereuse entre jurisprudence et théorie à propos de la modification du contrat de travail », in Analyse juridique et valeurs

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En raison de la nature déséquilibrée de la relation de travail, la mise en œuvre de ces clauses est davantage contrôlée au bénéfice des salariés. Ainsi, à propos de la clause de mobilité géographique, le juge ne se contente pas de faire échec à son application, il utilise aussi son pouvoir d’interprétation quand il estime que la clause manque de clarté par exemple.

Dans ce cas, il n’hésite pas à en limiter la portée. En d’autres termes, tantôt la surveillance s’opère à l’aune des conditions de formation du contrat, tantôt à l’aune de ses conditions d’exécution. Au demeurant, la clause de mobilité ne semble être qu’un indicateur de la présence de la variabilité en droit du travail. Selon nous, la variabilité est ancrée dans cette discipline. Elle y est sous-jacente, encore davantage qu’elle ne l’est ordinairement dans la matière juridique.

La variabilité du droit du travail. Née des luttes ouvrières, la législation travailliste tend à « substituer des rapports de droit aux rapports de force » 1 qui se sont établis entre l’employeur et ses salariés. Son objectif continu est de rétablir un équilibre entre les parties, en empruntant les traits caractéristiques de données factuelles 2 naturellement fluctuantes.

L’étude de l’État-Providence menée par François Ewald est instructive à cet égard : selon lui,

« les lois ne sont plus faites pour durer ; si les conditions sociales changent – changement que la loi a précisément pour but d’opérer –, il faudra changer la loi ; le droit social est un droit dont chaque énoncé contient le principe de sa propre réforme » 3. En effet, toute règle du droit du travail s’inscrit dans un contexte économique, politique, idéologique, dont les variations se répercutent à brève échéance sur un droit élaboré en fonction de données différentes. Par exemple, les problèmes concernant la durée de travail ne peuvent être juridiquement traités in abstracto sans tenir compte de la conjoncture économique. Ou encore l’évolution des techniques implique aussi une perpétuelle réadaptation des règles d’hygiène et de sécurité sur le lieu de travail.

Le droit du travail est considéré comme un outil au service d’une politique économique et sociale 4. Son ambition est de concilier les impératifs économiques et sociaux.

De lui dépend l’édification des rapports contractuels qui uniront l’entreprise à ses salariés,

en droit social, Études offertes à J. PÉLISSIER, Dalloz, 2004, p. 357.

1 SUPIOT A., « Pourquoi un droit du travail ? », Dr. soc. 1990, p. 485, spéc. p. 487. ; Critique du droit du travail, Essai, PUF, coll. « Quadrige », 2002, p. 67 et suivantes.

2 Rappelons que le fait s’entend sous diverses figures : circonstance, environnement, situation, événement, action, comportement (Cf. LABORDE J.-P., « La considération du fait par le droit du travail », in Mélanges en l’honneur de H. BLAISE, Economica, 1995, p. 277 ; BOSSU B., « Les situations de fait et l’évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation », Dr. ouvrier 1999, p. 94).

3 EWALD Fr., L’État providence, Grasset, 1986.

4 « Le droit, dans toutes ses branches, reflète les caractères généraux de la société et évolue avec elle. Mais, le droit du travail, plus que la plupart des autres disciplines, est déterminé par le jeu des forces en présence, et par les données de la politique, de l’économie, de la technique, et de la psychologie collective » (RIVERO J. et SAVATIER J., Droit du travail, PUF, coll. « Thémis », 1993, p. 36).

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sans lesquels elle n’est rien ; de lui dépend l’organisation d’un dialogue social sans lequel il est vain d’espérer que soit longtemps préservé le minimum d’harmonie, dans l’entreprise et à sa périphérie, nécessaire pour éviter tensions et conflits 1. Franck Héas enseigne que « le droit du travail est incontestablement une matière mouvante, marquée par une évolution quasi permanente ». Le droit du travail fait partie de ce que l’on appelle en langage courant les équilibres instables : il a pour objectif continu d’équilibrer les relations de travail en utilisant des instruments variables. Il est un droit mouvant lié à une situation économique et sociale qui se modifie sans cesse.

Le droit du travail est plus qu’un « droit vivant » 2, mouvant, technique, complexe, etc.

Il est par essence variable. Il est un art et une science qui se pensent, se structurent et se transforment au gré des changements de paradigmes juridiques. La variabilité du droit du travail correspond à une énergie, à une intensité, à une puissance, susceptible de degrés et d’influences. Néanmoins, toutes ces idées ne nous éclairent guère sur le sens à attribuer à la variabilité du droit du travail. Notre démonstration ne consistera pas à ajouter à la longue liste d’adjectifs qualifiant le droit du travail, mais d’assembler ces caractéristiques sous un même concept : la variabilité. Les notions voisines seront-elles d’un plus grand secours dans cet objectif ? On songe à des notions proches que la doctrine emploie pour décrire certaines des orientations du droit du travail, à savoir la notion d’adaptabilité, de réversibilité et de flexibilité.

Variabilité et adaptabilité. On pense tout d’abord à l’adaptabilité qui consiste à résorber les désajustements. Certes, le droit du travail tend à s’adapter à la relation de travail, mais il ne se contente pas d’assouplir les contraintes juridiques ; il est aussi capable de les renforcer. C’est pourquoi, on est enclin à penser que la variabilité constitue un concept plus large, en ce sens qu’elle n’a pas nécessairement vocation à s’adapter, mais juste à varier dans n’importe quelle direction, qu’elle soit sous des impulsions économiques, politiques, sociales, etc.

Variabilité et réversibilité. Pourtant, un auteur est allé dans cette voie en qualifiant le droit du travail de « technique réversible » 3. Le Professeur Gérard Lyon-Caen considère en effet que l’évolution du droit du travail peut connaître des retournements d’orientation : des règles, ou des opérations juridiques paraissant jusqu’alors servir les intérêts des salariés,

1 Cf. TEYSSIÉ B., « À propos de la pertinence économique de la règle de droit du travail », in Mesurer l’efficacité économique du droit, sous la direction de G. CANIVET, M.-A. FRISON-ROCHE et M. KLEIN, LGDJ, coll. « Droit et Economie », 2005, p. 67.

2 RAY J.-E., Droit du travail, Droit vivant, éd. Liaisons, coll. « Droit vivant », 18ème éd., 2009.

3 LYON-CAEN G., Le droit du travail, une technique réversible, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1995.

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peuvent ainsi être mises à profit par les employeurs 1. De cette réversibilité, on peut déduire que « l’essence du droit du travail n’est ni la défense des intérêts des salariés, puisqu’il peut être utilisé au bénéfice des entreprises, ni le camouflage hypocrite des rapports de force, puisqu’il peut utilisé au bénéfice des salariés » 2. Il est fondamentalement ambivalent. Mais là encore l’assimilation est excessive, car l’étude de la variabilité ne consiste pas à se contenter d’une telle alternative favorable tantôt au salarié, tantôt à l’employeur. Il s’agit de démontrer que le droit du travail est disposé à varier au-delà de cette préoccupation doctrinale de l’ambivalence.

Variabilité et flexibilité. Qu’en est-il enfin de la flexibilité ? Par nature, elle demeure une notion économique 3 : l’emploi flexible s’oppose à l’« emploi affecté à un individu salarié, fortement réglementé, exercé à temps plein et à durée indéterminée, sur le site de l’entreprise, rémunéré selon des modalités issues de la négociation collective ou de la législation en vigueur » 4. Les pratiques de flexibilité consistent donc à faire évoluer l’ensemble des conditions d’emploi : temps de travail, nature du contrat, lieu de son exercice et modalités de sa rémunération 5. Cette tendance a été caractérisée une forte revendication des employeurs dans les années 1980 face à une prétendue rigidité des règles travaillistes.

Les employeurs contestent en effet la multiplication des contraintes juridiques pesant sur leur acquisition et usage de la main d’œuvre, et en souhaitent l’allègement. En d’autres termes, ils désirent une souplesse de gestion de l’entreprise à travers les conditions d’emploi et les coûts de main d’œuvre, qui ne serait pas permise par les rigidités du droit du travail.

Quelques axes de contestation peuvent être stigmatisés : le régime du contrat 6, du temps de

1 LYON-CAEN G., op. cit. ; PÉLISSIER J., SUPIOT A. et JEAMMAUD A., Droit du travail, Dalloz, coll. « Précis Droit privé », 24ème éd., 2008, n° 22.

2 FAVREAU O., « Le droit du travail face au capitalisme : d’une normativité ambiguë à la normativité de l’ambiguïté », in Le droit du travail confronté à l’économie, sous la direction d’A. JEAMMAUD, Dalloz, coll.

« Thèmes et commentaires », 2005, p. 39, spéc. p. 43.

3 Preuve en est son absence de définition dans les lexiques juridiques : Cf. CORNU G., Vocabulaire juridique, Association H. CAPITANT, PUF, coll. « Quadrige », 8ème éd., 2007 ; GUINCHARD R. et MONTAGNIER G. (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15ème éd., 2005.

4 CADIN L., GUÉRIN F. et PIGEYRE F., Gestion des ressources humaines, Dunod, 2ème éd., 2002, p. 142.

5 DIETRICH A. et PIGEYRE Fr., La gestion des ressources humaines, La Découverte, coll. « Repères », 2005, p. 63.

6 « […] réglementation des formes d’emploi restreignant la liberté contractuelle, limites à la mobilité du salarié découlant des principes du droit des contrats, soumission du licenciement à des exigences de fond et de procédure » (JEAMMAUD A., « Le droit du travail en changement. Essai de mesure », Dr. soc. 1998, p. 211, spéc.

p. 217).

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travail 1, de la rémunération 2, les droits reconnus aux salariés et aux syndicats pour la défense de leurs intérêts dans l’entreprise 3, etc.

Dans une approche schématique – et surtout économique, une étude anglaise distingue trois logiques de flexibilité recherchée par les employeurs 4 : une flexibilité fonctionnelle permettant d’adapter rapidement la main d’œuvre aux changements de la production, une flexibilité numérique permettant de faire varier les effectifs selon le marché, en développant l’annualisation du temps de travail, le temps partiel et l’intérim, et une flexibilité de gestion permettant de recruter et licencier à moindre coût et avec moins d’entraves 5.

D’autres auteurs ont depuis lors développé des classifications plus élaborées que nous souhaitons remodeler de manière plus simple, en isolant les conditions de la relation de travail à l’échelle interne et externe : la première échelle interne consiste à rechercher dans l’entreprise les meilleurs ajustements de la main d'œuvre aux objectifs de la production, ce qui permet de préserver une sécurité d’emploi ; la seconde échelle externe, à ajuster les effectifs de l’entreprise aux objectifs de production en utilisant des contrats de travail courts, en développant la sous-traitance ou en licenciant si nécessaire. Cette forme de flexibilité se caractérise par une action exclusive sur le volume de travail. C’est pourquoi on la qualifie souvent de « quantitative ».

Au demeurant, toutes les formes de flexibilité donnent à l’employeur une capacité potentielle d’ajustement face aux fluctuations de son activité et/ou à ses choix stratégiques sur le marché : « il s’agit de faire fluctuer les effectifs de l’entreprise en fonction des besoins en utilisant des contrats de travail de courte durée et en licenciant en tant que de besoin » 6. Le point commun est toutefois d’octroyer aux normes du travail une capacité d’évolution, afin d’être en adéquation avec les exigences économiques auxquelles sont confrontées les

1 « […] d’une part l’institution d’une durée légale hebdomadaire, assortie d’un principe de l’horaire collectif et de répartition régulière du temps de travail, avec limitation et rémunération majorée ou compensation des heures complémentaires, d’autre part l’imposition de temps de repos déterminés (repos hebdomadaire et en principe dominical, congés payés, etc.) » (Ibid.).

2 « […] les coûts inhérents au régime de rémunération, qu’il s’agisse de l’existence d’un salaire minimum légal et de cotisations assises sur les salaires pour financer la protection sociale, ou des normes salariales des conventions ou accords collectifs » (Ibid.).

3 « […] rigidités et coûts induits par l’exercice de divers droits reconnus dans cette optique » (Ibid.).

4 Plus simplement, certains dissocient seulement la flexibilité fonctionnelle interne de l’entreprise, qui s’appuie sur la définition de la place des salariés (réorganisation du travail, polyvalence, autonomisation) et la flexibilité numérique externe qui limite le contrat à l’accomplissement d’une tâche déterminée, qu’il s’agisse d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat commercial auprès d’une entreprise tierce ou sous-traitante, voire d’un travailleur indépendant (IRES, Les mutations de l’emploi en France, La découverte, coll. « Repères », 2005, p. 6).

5 Etude présentée par le Professeur Antoine Jeammaud : « Flexibilité : le procès du droit du travail », in Flexibilité du droit du travail, objectif ou réalité, Editions législatives et administratives, coll. « Centre de Recherche de Droit Social », 1986, p. 26, spéc. p. 27.

6 LE GOFF J., Du silence à la parole, Une histoire du droit du travail, des années 1830 à nos jours, PUR, coll.

« L’univers des normes », 2004, p. 486.

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employeurs. Compte tenu de toutes ces explications, il permis de penser que la flexibilité n’est en réalité que l’une des traductions de la variabilité : sa capacité à varier dans un sens plus souple. Elle n’en est qu’un attribut. Que recouvre donc la variabilité en droit du travail ? À la réflexion, ne correspond-elle pas simplement aux notions à contenu variable expliquées précédemment ?

Un droit à contenu variable. L’idée relève de la tautologie tant les similitudes se font cette fois sentir : par essence indéfinissables de manière objective, on l’a dit, les notions à contenu variable sont de la même manière traduites à travers d’autres empruntées aux sciences dures telles que l’équivalence, l’aléa ou l’adéquation. Elles sont des notions « dont la dénomination, le signifiant, restent constants, mais dont le domaine, le champ, le signifié sont mouvants, évoluent, plus spécialement en fonction de facteurs spatio-temporels » 1, voire en fonction du milieu social. Leur utilisation répond à diverses exigences qu’un auteur a catégorisées en trois fonctions respectivement « de concrétisation, de résolution des contradictions et de représentation idéologique » 2.

Tout d’abord, elles permettent d’apporter des solutions concrètes distinctes selon les circonstances que l’on aura retenues comme pertinentes. C'est-à-dire qu’elles ont la faculté

« de régler la conduite de communautés réduites où les sujets sont au surplus très dissemblables par leur situation géographique, leur taille, leur structure politique économique et sociale, leur puissance militaire, leurs besoins et leurs ressources et aptitudes économiques » 3. En ce sens, le droit du travail ne régit-il pas tous les salariés indépendamment de leur âge, tous les employeurs indépendamment de la taille de l’entreprise ? Au surplus, ne permet-il pas la conclusion de conventions et accords collectifs à des niveaux différents pour être au plus proche des réalités ?

Ensuite, les contrariétés factuelles sont résolues par des rapports de force que vient dépasser le droit. C’est la deuxième fonction consistant en la résolution des contradictions par un pari sur l’avenir : « Désormais la règle juridique complète ou remplace par son propre poids (exigence du respect de la norme et de la sécurité) celui de la force (politique, économique ou militaire, etc.) qui a résolu la contradiction » 4. On l’a dit, le droit du travail,

1 LEGROS R., « Les notions à contenu variable en droit pénal », in Les notions à contenu variable en droit, Études publiées par C. PERELMAN et R. VANDER ELST, Travaux du Centre National de Recherches de Logique, Éd.

Bruylant, 1984, p. 21.

2 SALMON J. A., « Les notions à contenu variable en droit international public », in Les notions à contenu variable en droit, Études publiées par Ch. PERELMAN et R. VANDER ELST, Travaux du Centre National de Recherches de Logique, Éd. Bruylant, 1984, p. 251, spéc. p. 265.

3 Ibid.

4 SALMON J. A., op. cit., spéc. p. 266.

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né des luttes ouvrières, tend à « substituer des rapports de droit aux rapports de force » 1 qui se sont établis entre l’employeur et ses salariés. Son objectif continu est de rétablir un équilibre entre les parties.

Enfin, les notions à contenu variable cacheraient en réalité tels rapports de force « sous un masque de bons sentiments » 2. Ce sont sur les vertus idéologiques que ces notions colportent que l’État légiférant ou appliquant le droit, aime à se parer. Et il ne manque pas de ces vertus en droit du travail : « il serait de la nature du droit du travail de ne pas pouvoir s’arrêter sur des principes, d’être en perpétuelle transformation, en gestation incessante » 3. Le droit du travail aurait l’aptitude à varier dans ses fonctions, son genre, ses formes, etc. sous l’influence de facteurs externes ou internes, et ce de manière alternative ou successive. C’est un droit dynamique, plastique, malléable, vivant.

À l’image d’un funambule, il avance sans jamais perdre l’équilibre entre les impératifs économiques et sociaux du marché. La doctrine a été spectatrice de cette manifestation. Les auteurs ont décelé plusieurs tendances 4, mais il ne s’agit pas là d’en faire un exposé fastidieux et inorganisé. Sans prétention non plus de devenir un baromètre de l’atmosphère travailliste 5, cette étude consistera à mesurer les changements 6 du droit du travail et leur sens.

On observera que la variabilité de son contenu a atteint un paroxysme tel que c’est le contenant lui-même qui est variable. L’analyse du fond des règles ne suffit plus à expliquer la variabilité ainsi devenue inhérente à cette branche du droit.

Un droit à contenant variable. C’est pourquoi, on prend l’audace d’intituler cette recherche « la variabilité du droit du travail », afin de ne pas se contenter d’observer les changements possibles du rapport de travail à l’image d’une analyse simple de sa variation.

Une telle description ne peut suffire. Celle-ci conservera toutefois sa qualité illustrative pour tenter d’expliquer les mutations profondes qu’a subi et subit encore le droit du travail. Une

1 SUPIOT A., « Pourquoi un droit du travail ? », Dr. soc. 1990, p. 485, spéc. p. 487. ; Critique du droit du travail, Essai, PUF, coll. « Quadrige », 2002, p. 67 et suivantes.

2 SALMON J. A., op. cit., spéc. p. 267.

3 EWALD Fr., « Le droit du travail : une légalité sans droit ? », Dr. soc. 1985, p. 723.

4 PÉLISSIER J., SUPIOT A. et JEAMMAUD A., Droit du travail, Dalloz, coll. « Précis Droit privé », 24ème éd., 2008, spéc. n° 22. Cet ouvrage distingue cinq tendances : l’extension de la place de la négociation collective, l’assouplissement des conditions juridiques d’usage de la main d’œuvre, l’évolution des dispositifs légaux aux fins de réduction effective du temps de travail ou de réduction de la durée de la vie de travail, l’affermissement des droits de la personne du salarié notamment par l’invocabilité des droits fondamentaux, et le développement des obligations d’information et plus encore des procédures préalables à un certain nombre de décisions patronales.

5 « Il faut se souvenir que tout discours à ambition scientifique sur un phénomène social tend plus sûrement à sa compréhension qu’à son explication » (JEAMMAUD A., « Crise et relations de travail », in Droit du travail, démocratie et crise en Europe occidentale et en Amérique, Essai comparatif, sous la direction de A. LYON-CAEN et A. JEAMMAUD, Actes Sud, 1986, p. 96).

6 Pour reprendre l’idée du Professeur Antoine Jeammaud : « Le droit du travail en changement. Essai de mesure », Dr. soc. 1998, p. 211.

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perspective historique peut rendre compte de la lente mais continue élaboration du droit du travail. Selon les époques, « il apparaît clairement que des strates différentes du droit du travail conduisent à des problématiques fort contrastées » 1. Cela s’explique par le fait que le droit du travail est le fruit des luttes ouvrières, des pratiques patronales et des interventions de l’État. Chacune de ces initiatives n’ont pas manqué de transformer les règles du droit du travail.

Problématique. La multiplication et la diversification des acteurs normatifs ont provoqué des changements importants dans les modes de production des sources du droit du travail. En effet, déjà dans les années 1980, la loi, norme de référence, s’est vue reprocher des maux mettant en cause sa légitimité à équilibrer les rapports de force de la relation de travail ; ils n’ont pas cessé malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics. Par exemple, l’absence de décret d’application ne rend-elle pas une grande partie de la loi inefficace ? L’attente contemporaine de simplification du droit n’altérera-t-elle pas sa substance ? La recodification est-elle réellement à droit constant ? Certaines lois ne sont-elles pas la simple transposition de directives communautaires ?

Les réponses à ces multiples questions permettront de dessiner la tendance générale à la transformation de la nature juridique des sources, notamment en raison d’un changement du rôle des acteurs : le gouvernement légifère par la voie des ordonnances, le législateur incite à la négociation, le juge s’aventure sur le terrain même de la création des normes, etc.

Autrement dit, la loi est réglementarisée, négociée et interprétée à l’excès. Les procédures classiques d’élaboration du droit du travail sont ainsi dévoyées au prix d’une dénaturation de ses sources. La loi varie en elle-même dans ses modes de production, tout comme elle est sujette à des variations extrinsèques (facteurs politiques, médiatiques, populaires, etc.), ce qui traduit un affadissement 2. En d’autres termes, le droit du travail ne semble pas être l’unique détenteur d’une capacité à faire varier ses règles, il peut faire varier l’environnement qui l’entoure, et l’on ose même affirmer qu’il tend à varier de lui-même. Il serait à la fois acteur et sujet de variabilité. Et c’est en observant ses modes d’élaboration et d’application qu’on se rend compte de l’impact des changements de son existence.

Les sources ainsi désorientées s’appliquent avec difficultés : comment s’articulent- elles dans un contexte d’enchevêtrement d’un droit global et d’un droit local dont l’État se fait le relais ? Le principe de faveur prime-t-il toujours en cas de conflit de normes ? Ne laisse-t-il pas le champ libre à la dérogation ? Et parviendra-t-on à la construction universelle et

1 JAVILLIER J.-C., Droit du travail, LGDJ, coll. « Manuels», 7ème éd., 1999, p. 21.

2 DEBBASCH Ch., L’inflation législative et réglementaire en Europe, éd. CNRS, 1986.

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