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L'archéo-ichtyologie - Comprendre les stratégies alimentaires et les systèmes halieutiques de la Protohistoire à l'Antiquité

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01546496

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01546496

Preprint submitted on 24 Jun 2017

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L’archéo-ichtyologie - Comprendre les stratégies alimentaires et les systèmes halieutiques de la

Protohistoire à l’Antiquité

Myriam Sternberg

To cite this version:

Myriam Sternberg. L’archéo-ichtyologie - Comprendre les stratégies alimentaires et les systèmes halieutiques de la Protohistoire à l’Antiquité. 2017. �hal-01546496�

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L’archéo-ichtyologie

Comprendre les stratégies alimentaires et les systèmes halieutiques -

de la Protohistoire à l’Antiquité

Myriam Sternberg

Chercheur CNRS-UMR 7299

Aix Marseille Univ, CNRS, Minist Culture & Com, CCJ Aix-en-Provence, France

Introduction

L’archéo-ichtyologie nous permet de connaître la diversité des espèces piscicoles exploitées par les communautés anciennes.

Elle permet aussi de suivre l’évolution de l’exploitation de ces espèces sur le long terme, en un même lieu.

En identifiant précisément les espèces exploitées, on peut en déduire les espaces naturels investis par l’homme pour la pêche : lagunes, mers, deltas, fleuves…On peut ainsi mieux comprendre l’impact des hommes du passé sur ces milieux.

Qu’apporte l’archéo-ichtyologie par rapport aux textes ?

Les sources littéraires sont rares quand il s’agit de sortir du point de vue grec ou romain sur la question du rôle de la pêche dans l’économie, les communautés de l’Age du fer de la Celtique méditerranéenne ne pratiquant pas l’écriture. Si l’on dispose parfois de quelques anecdotes rapportées, il est souvent difficile de les replacer dans le contexte économique plus général de l’histoire de l’halieutique. Les documents iconographiques comme les sources littéraires n’offrent pas de suivi de la pêche sur le long terme pour la Protohistoire et l’Antiquité. L’archéo-ichtyologie utilise les restes de squelettes de poissons retrouvés sur les sites archéologiques comme des sources documentaires à part entière témoignant de l’impact des hommes sur les ressources naturelles. Cette discipline de l’archéozoologie permet de suivre l’évolution des pêches sur le temps long. Il est possible alors de mieux comprendre la dynamique des systèmes d’exploitation des ressources à différentes échelles d’espaces et de temps.

En principe, chaque espèce, inféodée à un biotope, reflète les lieux de capture investis par les hommes. Si certaines espèces, euryhalines ou migratrices, fréquentent au cours de leur vie voire au cours d’un cycle annuel, différents biotopes, d’autres sont plus sédentaires. La présence d’espèces associées dans un même contexte archéologique constitue un ensemble qui caractérise une stratégie d’exploitation simple ou complexe des ressources, qu’il faut tenter de comprendre. En analysant l’ensemble des restes des différentes espèces d’une même phase chronologique, on peut estimer l’importance du rôle de chacune dans l’alimentation à un certain moment. On peut aussi en déduire le type d’activité halieutique exercée par la communauté étudiée, et établir une cartographie des lieux de pêche. Pour chaque période et chaque site, l’activité halieutique peut ainsi être caractérisée : côtière, lagunaire, hauturière, marine, fluviale ou mixte, ciblée ou diversifiée. 

Récits de pêche et archéologie

Pline l’Ancien et le stragnum Latera au I er s.

Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, IX, 29) raconte qu’au I er s., sur le stagnum Latera (étang de Lattes, beaucoup plus vaste, sensiblement plus profond et plus largement ouvert sur la mer que ne le sont les lagunes aujourd’hui), les pêcheurs bénéficiaient de l’aide des dauphins pour capturer «  les bancs innombrables de muges  ». Ce type de pêche, encore connu sur les côtes de Mauritanie au début du XXe s., n’est cependant pas le seul type de pêche pratiqué à Lattara au I er s. L’archéo-ichtyologie a permis de démontrer que la part des restes de mugilidae (figure 1) ne représentait qu’entre 1% et 3% de l’ensemble des restes de poissons retrouvés au moment du témoignage de Pline. Plus d’une vingtaine d’autres espèces faisaient en réalité l’objet d’une pêche plus ou moins importante selon les espèces. Certaines témoignent d’une pêche lagunaire qui a ses racines dans les siècles précédents, d’autres d’une pêche orientée vers les petits migrateurs pélagiques (maquereaux, sardines, anchois) qui commence alors à se développer pour constituer, au milieu du I er s., la majeure partie des prises.

Oppien et la pêche au thon dans l’embouchure du Rhône au II e s.

“En premier lieu, dans la mer Ibérienne, [les thons] rencontrent pour ennemis les Ibères, orgueilleux de leur vigueur; ensuite, aux embouchures du Rhône, ils sont pêchés par ces Gaulois, dont les ancêtres ont habité autrefois la ville de Phocée…Quand arrive au printemps l’armée des thons, c’est pour les pêcheurs, le signal des captures les plus riches et les plus abondantes. Tout d’abord, ils choisissent dans la mer, au pied des rivages escarpés, une anse qui ne soit pas trop resserrée, ni trop ouverte non plus au souffle des vents…Alors sur la cime élevée d’une colline, monte un homme expérimenté, chargé de guetter l’arrivée des thons: il doit signaler l’approche des diverses bandes, leur nature et leur force, et prévenir ses camarades. Aussitôt on déploie au sein des eaux, tous les filets, dont la disposition ressemble à celle d’une ville….On fait ainsi une pêche excellente, et vraiment merveilleuse  » (Oppien, Halieutiques, III, 625-648, traduction Bourquin 1877, pp. 83-84) . C’est en ces mots qu’Oppien rapporte la pêche au thon qui a lieu aux embouchures du Rhône.

Au pied d’appontements de bois, les fouilles archéologiques de la place Jules Verne à Marseille, ont livré un grand nombre de squelettes de thons en connexion anatomique, retrouvés in situ (figure 3). Datée du III e s. cette découverte fait écho au texte d’Oppien. D’autres données archéo- ichtyofauniques, issues de nombreux prélèvements échantillonnés dans les niveaux du port antique, sont datées du VI e s. av. J.-C au IV e s. ap., et ont montré que d’autres espèces, plus petites et plus sensibles aux usures du temps, étaient également pêchées, constituant généralement d’importants rendements.

Protohistoire de la pêche : le temps long et l’évènementiel

Du V e s. av. J.-C. au II e s. : six siècles de pêche à Lattes (Hérault)

Contrastant avec la stabilité observée dans l’élevage et la chasse, la pêche apparaît comme un secteur sensible aux variations et aux rendements de plus en plus forts, entre le V e s. av. J-C et le II e s (figure 2). On observe trois phases principales d’activité halieutique. Un premier système est fondé sur l’exploitation exclusive d’espèces de lagune. Il est en place dès le V e s. av.

J.-C. et dure jusqu’au II e s. av. J.-C. D’abord concentré sur les captures d’anguilles (V e s. av. J.-C.), il exploite ensuite, du IV e s. au II e s. av. J.-C., majoritairement les daurades royales et les loups (groupe 1), associés aux muges et à des petits sparidés (groupe 2). Entre le I er s. av. J.-C. et le I er s. ap.

J.-C., deuxième phase d’activité, la pêche exploite à nouveau principalement l’anguille. La dernière phase étudiée voit l’apparition d’une pêche aux petits migrateurs pélagiques (peut-être en pleine mer ?), tels que les maquereaux, sardines, anchois (groupe 3) qui s’amplifie jusqu’au II e s. À côté de ce nouveau type de pêche, la pêche lagunaire perdure, mais devient secondaire par rapport à la pêche aux petits migrateurs qui la dépasse nettement en rendement (figures 2 et 19). Les techniques ont-elles parallèlement évoluées  ? Seul constat archéologique sur les techniques: on trouve davantage de plombs de filets, de navettes et d’hameçons de tailles plus diversifiées. Il semble donc que les techniques de pêche se seraient modifiées. En étudiant les écrits encyclopédiques du XV e au XVIII e s. de G.

Rondelet, P. Gourret, Duhamel du Monceau… on constate une telle variabilité de combinaisons possibles dans l’utilisation de ces éléments en fonction des fonds exploités et/ou des espèces recherchées, qu’il est impossible, à partir des éléments isolés de reconstituer une/des technique(s) précise(s).

Des traces d’une grande pêche au thon à Marseille (B-d-R) au III e /IV e s. 

Les phases anciennes de la colonie de Marseille (VI e s. et V e s. av. J.-C) ont révélé une variété de choix dans les espèces pêchées  et une pêche côtière adaptée au littoral environnant, relativement proche de celle pratiquée par les autres communautés étudiées pour l’Age du fer. Les hasards des découvertes ont permis de mettre au jour un lot spectaculaire de restes de thons (figure 3) dans des niveaux de sédimentation du port antique datés des III e et IV e s. ap. Ces déchets, qui présentent des traces de découpes le long de l’axe vertébral, ont été retrouvés en connexion anatomique, ce qui indique qu’une fois la chair des thons prélevée, les parties inutilisables pour la consommation ou pour la confection de produits secondaires, étaient rejetées à la mer. On sait par des iconographies plus tardives que ces déchets pouvaient également être brûlés. Cette découverte dans le vieux port de Marseille permet de réaliser à quel point la perte des informations peut-être grande en contextes archéologiques urbains et terrestres. Cette découverte qui fait par ailleurs écho au texte d’Oppien, a permis d’enregistrer des informations sur la taille des thons pêchés, sur leur saison de capture et sur la manière dont ils étaient découpés.

Figure 1 : Operculaires de mugilidés. Photo: C. Durand –CCJ. Figure 2: Schéma figurant l’évolution de la pêche à Lattes entre le Ve s. av. J.-C. et le IIe s. ap.

d’après Sternberg 1995 modifié

Figure 3 : Vertèbres caudales de thon (Thunnus thynnus).

Fouilles de la Place Jules Verne. Marseille. Photo : L. Damelet-CCJ.

Groupe 1 Anguilla anguilla Groupe 2 Groupe 3 Groupe 4 Autres

La    Capelière  

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Comment travaille-t-on ?

L’archéo-ichtyologie s’est développée dans les années 1980-1990, grâce à l’application de nouvelles façons de travailler lors des fouilles archéologiques : l’application de méthodes d’échantillonnage (figure 8) et l’utilisation de techniques de tamisage à mailles fines (figure 9). Pour mettre au jour et recueillir les vestiges osseux de poisons, il est en effet indispensable d’utiliser une maille de 1mm pour tamiser les sédiments fouillés. Ainsi les données recueillies donnent une image de la pêche très complète et tout à fait représentative de ce que fut effectivement l’exploitation halieutique sur un site.

   

Échantillonnage et tamisage

Pour les périodes protohistoriques, antiques et médiévales, étant donnée l’étendue des sites, on effectue un échantillonnage par Unité Stratigraphique, par contexte fouillé, et par phase d’occupation du site.

Généralement, l’échantillonnage se fait en sélectionnant un volume de terre réduit de 20 à 50 litres, dans chaque contexte ou Unité Stratigraphique fouillée. Si l’intérêt d’un contexte est manifeste, il est tout à fait possible de tamiser exhaustivement son contenu. C’est souvent le cas des fosses, des dépotoirs, des caniveaux, ou des latrines dans l’Antiquité. Pour recueillir les restes de poissons, on utilise une colonne de tamis superposés dont la maille va de 5mm à 1mm. Les refus de tamis sont ensuite triés pour en extraire les restes. 

Chaque reste est ensuite identifié au niveau anatomique (figure 11), puis taxonomique*/spécifique à l’aide d’une collection de squelettes de référence (figure 12). Certains restes trop abîmés resteront indéterminés (figure 11A). Le taux de restes identifiables jusqu’à la famille, le genre ou l’espèce peut varier de moins de 30%, si la conservation est mauvaise, à plus de 60%, dans les meilleurs cas.

Les restes sont ensuite dénombrés par taxon*/espèce. L’enjeu de ce dénombrement est d’évaluer l’importance de chaque espèce pêchée.

Protohistoire de la pêche : le temps long et l’évènementiel

(suite)

Au V e et IV e s. av. J.-C  : une importante exploitation de l’esturgeon à Arles (Bouches-du-Rhône)

Les fouilles archéologiques menées au Jardin d’Hiver à Arles dans les années de 1983 à 1989, ont révélé pour leur part, dans des niveaux d’habitation du V e et IV e s. av. J.-C. une activité de pêche, en grande partie, ciblée sur l’esturgeon (figure 4). Si le brochet, les muges, les loups et les daurades étaient également recherchés et consommés sur place, c’est surtout l’exploitation de l’esturgeon qui caractérise l’activité halieutique de la communauté protohistorique installée sur la rive gauche du Rhône.

Du V e s. av. J.-C au V e s. ap. : un millénaire de pêche ciblée dans le delta du Rhône, à la Capelière (Bouches-du-Rhône)

Le site de la Capelière se caractérise par une pêche ciblée tournée vers la recherche intentionnelle d’anguilles (figure 5) de la première occupation du site (V e s. av. J.-C.) à la dernière (V e s. ap. J.-C.). Le changement d’ère et la première moitié du I er s. ap. J.-C. sont néanmoins marqués par une diversification du spectre des espèces recherchées, où entrent en compte les sparidés, les loups, les mugilidés. La présence du maquereau, espèce commercialisée par excellence, à cette période, jusque sur les sites continentaux, indique comme sur d’autres sites de Gaule méridionale, l’introduction de nouveaux goûts dans la consommation.

Le V e s. ap. voit un retour à la pêche ciblée et une remarquable augmentation de son rendement. La densité de restes d’ichtyofaune retrouvée est aussi importante (4,3 restes par litre) que celle des premières phases d’occupation. On observe également, à cette phase, un nombre de restes recueillis, trois fois plus important que celui de la faune mammalienne, même si les volumes prélevés sont réduits pour l’ichtyofaune. Le nombre de restes de coquillages est aussi plus élevé qu’aux phases précédentes.

S’il a généralement été admis qu’en Gaule méridionale, à l’Age du fer et aux premiers siècles de l’Antiquité, la pêche s’inscrivait dans un système de production fondé sur l’agriculture et l’élevage, les données archéo-ichtyofauniques de la Capelière, posent la question de l’existence de systèmes de production locaux fondés sur la pêche dès le V e s.

av. J.-C. Seraient-ils liés à une demande locale particulière de ce produit ? Seraient-ils dus à une adaptation de l’activité économique à l’abondance des ressources environnantes ? Un rapide regard sur les textes anciens montre que l’anguille a pu jouir d’un statut particulier tant culturel que cultuel dans le monde grec, et les comparaisons avec d’autres sites de Gaule méridionale indiquent que cette espèce est partout consommée. Le profil archéo-ichtyofaunique de la Capelière met alors en lumière un aspect de la pêche encore inconnu pour les périodes protohistoriques et plus particulièrement pour les V e et IV e s. av. J.-C.  : celui d’une économie halieutique ciblée, spécialisée, orientée vers une espèce dominante.

Pêcher à Olbia de Provence   (Var): de la fondation de la colonie (vers 325 av. J.-C) à l’Antiquité tardive

La pêche au thon est pratiquée à Olbia dès la fondation de la colonie (vers 325 av. J.-C.) et reste active durant l’occupation romaine. A cette période 12% des restes de poissons retrouvés appartiennent aux thons et certains présentent d’importantes traces de découpe. En même temps, des conserves à base de petits pageots sont constituées sur le site et stockées en amphores (figures 6 et 7). Dans la dernière phase d’occupation du site (VI e s. ap.), deux fosses remplies de nombreux restes de poisson ont été mises au jour et les espèces pêchées indiquent une petite pêche côtière de proximité, identique à celle pratiquée depuis la fondation de la colonie.

Figure 5 : Vertèbres d’anguilles. Photo: L. Damelet CNRS-CCJ.

Figure 4 : Plaques osseuses dermiques d’esturgeons. Photo: L. Damelet –CCJ.

Identification anatomique et taxonomique des restes

Facteurs taphonomiques et quantification

Après enfouissement, les restes du squelette sont soumis à de nombreux facteurs taphonomiques* qui affectent différemment chaque espèce et parties du squelette d’un même individu. Il faut donc, avant toute étude, analyser et identifier ces facteurs de disparition. Chaque espèce enregistre les agressions anthropiques* et naturelles de l’enfouissement en fonction de sa capacité osseuse de résistance aux différentes attaques.

Par consensus l’unité de dénombrement utilisée pour les comparaisons entre espèces/taxons* est le nombre de restes déterminés par espèce (NRD), précisé dans la mesure du possible, par un nombre minimum d’individus (NMI).

Ce dernier est particulièrement difficile à utiliser pour les poissons, car les restes les plus souvent retrouvés sont les vertèbres.

Figure 6 : Fond d’amphore Dressel 2/4, daté de 50 ap., réemployée pour conserver des poissons. Photo: M.

Sternberg-CCJ.

Figure 7 : Prémaxillaires gauches de Pagellus erythrinus (pageot).

A gauche: spécimen de référence. A droite: pièce archéologique.

Photo : M. Sternberg-CCJ.

Figure 8 : Échantillonnage sur le terrain. Mission de fouilles de Caraburun (Roumanie), juillet 2016. Programme: Colonies grecques de Mer Noire. Direction : A. Baralis (Musée du Louvre).

Figure 9 : Colonne de tamis à trois mailles différentes

Figure 10 : Séchage des sédiments tamisés avant extraction des restes osseux

A

B

C

D

Figure 11: Divers types de restes de poissons retrouvés au tamisage. A- Fragments indéterminables. B- Fragments de vertèbres. C- Diverses épines et arêtes.

D- Écailles. Photos: C. Durand-CCJ

Figure 12 : Collection de squelettes de référence. MMSH-CCJ-Aix-en-Provence. Responsable: M. Sternberg, CNRS-CCJ.

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Calculer les tailles avec l’ostéométrie

La sclérochronologie : lire l’âge et les saisons de capture dans les os et les otolithes

Plus de viande que de poisson ?

Il est difficile de mesurer l’importance de chacune des denrées alimentaires au sein du régime des anciens. Les analyses isotopiques ne peuvent par ailleurs refléter le régime alimentaire que sur les dix dernières années de vie d’un humain. La paléo-démographie, de son côté, a encore bien du mal à estimer précisément les populations anciennes. Il est donc difficile de savoir à quel volume alimentaire consommé nos restes correspondent. Que reflètent alors les déchets que nous étudions  ? Comment les comprendre ? Les comparaisons quantitatives de plusieurs types de vestiges proposent des images que nous pouvons discuter.

 

0"

20"

40"

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80"

100"

120"

350/300" 300/250" 250/200" 200/150" 150/100" 100/50" 50/0" 0/50" 50/100"

Ichtyofaune"(NRD)"

Faune"mammalienne"(NRR)"

Coquillages"(NRR)"

Vaisselle"(NF)"

Grâce à l’ostéométrie, il est possible de reconstituer la taille des poissons pêchés. Le principe repose sur le fait que certaines mesures prises sur les os (figure 13) offrent de bons coefficients de corrélation avec la longueur standard du poisson (figures 14 et 15). Connaître la taille des poissons pêchés permet d’observer s’il y a eu sélection ou non de certaines tailles et de préciser les techniques de pêche utilisées (mailles de filets par exemple).

Cela permet aussi d’avoir des informations sur la courbe de taille des stocks exploités. La taille des espèces pêchées peut exprimer une sélection par une technique utilisée mais elle peut aussi, couplée à l’estimation de l’âge, renseigner sur la vitesse de croissance des individus. Les courbes d’âge et de tailles peuvent alors indiquer si le milieu est favorable à une croissance rapide des espèces, comme cela peut être le cas en lagune par exemple, pour certaines espèces.

L’ensemble des os du squelette des poissons, mais aussi les pièces calcifiées que sont les otolithes (figure16), présentent une alternance de “zones”, à ostéogenèse importante (vitesse de croissance élevée), d’annuli, à ostéogenèse réduite (vitesse de croissance ralentie) et de lignes d’arrêt de croissance, structures très fines qui indiquent un arrêt de l’ostéogenèse (figure 17). Ces marques de croissance constituent ensemble un cycle annuel, et peuvent être observées à la loupe binoculaire, pour être dénombrées. Elles donnent ainsi l’âge du poisson. La lecture de la saison de capture repose sur l’interprétation de la dernière marque visible. Une «  zone  » correspondra à une activité métabolique intense, donc à «  la belle saison  », un annulus à une période d’activité métabolique ralentie lors d’un refroidissement du milieu extérieur.

Ces lectures peuvent être faites à la binoculaire et projetées sur un écran d’ordinateur grâce à une caméra (figure 18), mais le recours aux analyses isotopiques est souvent plus précis, car elles permettent de comparer la valeur isotopique mesurée au bord extérieur de la pièce calcifiée (c’est-à-dire enregistrée par l’animal juste avant sa mort) avec la variation sur l’ensemble de la vie de l’animal.

Sur le site de Lattes, du IV e au I er s. av. J.-C., les restes de faune élevée et chassée sont plus importants en pourcentages que les restes d’ichtyofaune. A partir du I er s. ap. J.-C., le nombre relatif de restes de poissons dépasse celui des mammifères et va jusqu’à représenter 80% des restes. Cette inversion dans le rapport faune mammalienne/ichtyofaune intervient à un moment où un changement important apparaît dans les structures de la pêche. Le poisson prend alors, semble-t-il, une place de choix dans la consommation (figure 19).

Sur le site de la Capelière, petit village implanté dans le delta du Rhône, le nombre de restes relevant de l’élevage et attestant de la consommation de viande, comparé au nombre de restes relevant de la consommation du poisson montre que le nombre de restes de poissons est souvent plus élevé que celui des mammifères (figure 20). Ici, c’est le nombre de restes dans chacune des Unités Stratigraphiques qui est utilisé pour les comparaisons. Lorsque les Unités Stratigraphiques sont riches en restes osseux, il y a systématiquement plus de restes de poissons que de mammifères.

Ces comparaisons, basées sur la quantité de restes osseux restent à être transposées, dans l’avenir, en valeur nutritive réelle. C’est une des voies de recherche à développer.

Même si ces estimations chiffrées ne sont pas extrêmement précises, elles permettent de mettre en évidence des variations dans les modes de consommation, au cours du temps. L’archéo-ichtyologie et plus généralement l’archéozoologie proposent ainsi des jeux de données qui autorisent à réfléchir sur les comportements alimentaires et à repenser les schémas admis jusqu’alors.

Figure 19 : Lattes : Nombre de restes d’ichtyofaune et autres restes animaux par rapport à une donnée supposée constante, la vaisselle céramique.

0!

2!

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Nombre d'US!

Nombre de restes recueilliis!

Comparaison entre le NNR faune (volume total de l'US) et le NRR ichtyofaune (volume réduit de l'US)!

NRR faune mammalienne!

NRR ichtyofaune!

Figure 20 : La Capelière : comparaison entre le nombre de restes de faune d’élevage et de chasse et le nombre de restes d’ichtyofaune Figure 13: Différentes prises de mesures sur les os

Figure 14 : Courbes de taille du loup (Dicentrarchus labrax) en fonction de mesures prises sur le quadratum. Extrait de Sternberg 1993.

I  

A

B

Figure 15 : Longueur standard d’un poisson (A) et longueur totale (B)

Figure 16 : Otolithes de daurades royales (Sparus aurata)

Figure 17: Alternance de « zones » et d’annuli sur une vertèbre de thon.

Figure 18 : Caméra Leica DFC 420 reliée à un ordinateur et couplée à une loupe stéréoscopique Leica MZ6.

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Éléments de bibliographie

1) Sur les systèmes halieutiques méditerranéens protohistoriques et antiques

D. Faget et M. Sternberg dir., Pêches méditerranéennes. Origines et mutations. Protohistoire-XXIe s., Actes des séminaires internationaux de l’Atelier Thématique de Recherches Interdisciplinaires «  Systèmes productifs, circulations, interdépendances  » de la MMSH d’Aix-en-Provence, Collection L'atelier méditerranéen, Karthala-MMSH, Aix-en-Provence, 2015, 243 p.

G. Piquès, Consommation et modes d’approvisionnement du poisson à Lattara au V e s. av . n. è. In : T. Janin (dir), Premières données sur le cinquième siècle avant notre ère dans la ville de Lattara. Lattara 21, pp. 387-417.

M. Sternberg, Une activité de pêche ciblée à la Capelière du V e s. av. J.-C. au V e s. ap. J.-C.  : le témoignage de l’archéo-ichtyofaune. In  : C. Landuré, P. Arcelin, G.-A.

Fassetta (dir.), Le village de La Capelière en Camargue (Arles, Bouches-du-Rhône). Du début du V e s. av. n. è. à la période du Haut Moyen-Âge, BIAMA, à paraître.

M. Sternberg, La pêche dans l’économie des sociétés du Bronze final au III e siècle de n.-è. de la Méditerranée occidentale : apport de l’archéo-ichtyologie. In: P. Béarez, S.

Grouard, B. Clavel (dir.), Archéologie du poisson. 30 ans d’archéo-ichtyologie au CNRS. Hommage aux travaux de Jean Desse et Nathalie Desse-Berset. XIV th ICAZ Fish remains working group meeting XXVIII e rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 18-20 oct. 2007, ed. APDCA, Antibes, 2008, pp. 369-378.

M. Sternberg, Les poissons. In : M. Bats (dir.) : L’îlot VI d’Olbia de Provence (fouilles  1982-1989), chap. X, Etudes Massaliètes 9, 2006, pp. 431-449.

M. Sternberg, Les produits de la pêche et la modification des structures halieutiques en Gaule Narbonnaise du III e s. av. J.-C. au I er s. ap. J.-C., Mélanges de l’École Française de Rome, 110, 1998-1, pp. 81-109.

M. Sternberg, La pêche à Lattes dans l’Antiquité à travers l’analyse de l’ichtyofaune, Lattara 8, 1995, 152 p.

2) Sur les méthodes d’échantillonnage de terrain

R. Buxo I Capdevilla, Échantillonnage et enregistrement des prélèvements. In: M. Py (dir.), Système d’enregistrement, de gestion et d’exploitation de la documentation issue des fouilles de Lattes, Lattara 4, ARALO, 1991, pp. 101-114.

M. Sternberg, La pêche à Lattes dans l’Antiquité à travers l’analyse de l’ichtyofaune, Lattara 8, 1995, chapitres 5 et 6, pp. 41-60.

3) Sur les atlas d’identification des restes osseux

M. Coutemache et V. Legendre, Os de poissons : nomenclature codifiée, noms français et anglais, Rapport technique, Montréal, 1985, 61 p.

G. Desse, M.-H. du Buit, Diagnostic des pièces rachidiennes des téléostéens et des chondrichthyens, vol. II : Condrichthyens, Paris, 1974.

E. Rosello, Contribucio al Atlas Osteologoco de los Teleosteos Ibericos, I. Dentario y articular, Universidad autonoma de Madrid, Coleccion de Estudios 14, Madrid, 1988.

http://www.acanthoweb.fr/content/osteobase-un-site-web-pour-lexploration-osteologique

4) Sur la quantification, l’ostéométrie, la sclérochronologie et les analyses isotopiques

E. Dufour et D. Gerdeaux, Apport des isotopes stables (13C/12C, 15N/14N  , 18O/16O  , 36S/34S, 87Sr/86Sr) aux études écologiques sur les poissons, Cybium, Société française d’ichtyologie, Paris 2001, vol. 25, n°4, pp. 369-382.

 

E. Dufour, C. Holmden, W. Van Neer, A. Zazzo, W.-P. Patterson, P. Degryse et E. Keppens, Oxygens and strontium isotopes as provenance indicators of fish at archaeological sites : the case study of Sagalassos, SW Turkey, JASc, 34, 8, 1226-1239.

  O. Le Gall, La squelettochronologie appliquée aux poissons. Une méthode de reconnaissance des saisons de capture, Bulletin Préhistoire du Sud-Ouest,10, 2003-1, 9-24.

 

F.-J. Meunier, Détermination de l’âge individuel chez les Ostéichthyens à l’aide de la squelettochronologie  : historique et méthodologie, Acta Oecologia, Oecologia Generalis, vol. 9, n°3, 1988, 299-329.

A.  Morales, K. Rosenlund, Fish bones Measurements. An attempt to Standardize the Measuring of Fish Bones from Archaeological Sites, Streenstrupia, Copenhagen, 1979, 48 p.

Lexique

Anthropique* : Du grec anthropos (homme). Relatif à l'activité humaine. Qualifie toute forme d’activité provoquée directement ou indirectement par l'action de l'homme:

érosion, pollution…

Taphonomie* : La taphonomie (du grec taphos, « enfouissement », et nomos, « loi ») est la discipline de la paléontologie et de l'archéothanatologie qui étudie la formation des gisements fossiles et tous les processus qui interviennent depuis la mort jusqu'à la fossilisation d'un organisme

Taxon* : Un taxon est une unité quelconque (genre, famille, espèce, sous-espèce, etc.) des classifications hiérarchiques des êtres vivants. Généralement le terme est

employé aux rangs spécifique (l'espèce) et subspécifique (la sous-espèce).

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