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Patrimoine et patrimonialisation dans la démarche du LRDE
Thierry Linck
To cite this version:
Thierry Linck. Patrimoine et patrimonialisation dans la démarche du LRDE. Conseil Supérieur En- seignement Supérieur et Recherche, 2013, Ajaccio, France. pp.19. �hal-02806390�
Patrimoine et patrimonialisation
dans la démarche du LRDE
Il y a quelques années, la FRES Fédération de Recherches Environnement et Société, a identifié le patrimoine comme un domaine de recherche sur lequel LISA et le LRDE étaient fortement investis.
Cela reste vrai, en particulier pour le LRDE. Même si notre unité de recherche porte sur ces questions un regard plutôt technique et pragmatique, il ne s'interdit pas, bien au contraire, de situer ses réflexions et ses pratiques scientifiques dans le domaine des sciences sociales. Et cela d'autant moins que ses missions le conduisent à s'impliquer fortement dans le développement de la Corse.
1 - Introduction
2 - Le positionnement du LRDE
Les patrimonialisations « officielles » et le sens courant s'intéressent fondamentalement aux « saillances » patrimoniales et donc à ce qui est particulièrement notoire et relève de « l'exception ».
Considérée sous cet angle, la patrimonialisation relève logiquement d'une démarche d'inventaire -qui n'est jamais neutre- et de légitimation institutionnelle -qui dit et qui a tendance à figer « ce qui fait patrimoine ».
Elle induit une vision restrictive du patrimoine qui le dissocie des savoirs techniques et relationnels -sans doute trop obscurs et communs- auxquels il est pourtant intimement lié.
Elle conduit, enfin, à considérer le patrimoine comme un témoignage d'expériences passées, comme un « vestige » bien plus que comme une ressource permettant aux hommes d'agir et de se projeter dans l'avenir : cette dimension nous intéresse plus particulièrement.
3 - Les patrimonialisations de l'immatériel
crées par l'UNESCO il y a une quinzaine d'années sont à l'origine d'un débat qui ouvre des perspectives bien plus larges.
La patrimonialisation est un processus et ne s'intéresse plus
exclusivement aux « artefacts » mais sur ce qui constitue la mémoire collective d'un groupe social particulier.
Le patrimoine défini comme mémoire collective ne peut être qu'un
« patrimoine vivant ». Ce n'est plus un témoignage du passé mais bien plutôt une ressource collective qui fait lien entre le passé et l'avenir.
C'est en même temps un construit collectif, une synthèse d'expériences, de perceptions et de projets qui peuvent être divergents et donc un enjeu de société.
Enfin, le patrimoine, considéré comme mémoire collective, est
irrémédiablement inaccessible : il est impossible d'en faire l'inventaire.
4 - Un regard différent
sur les dynamiques identitaires
Il y a un lien évident entre patrimoine et identité, mais quel sens faut-il lui donner ? Le rattachement à la mémoire
collective d'un groupe renvoie aux deux principes d'ipséité et d'altérité sur lesquels repose le concept d'identité.
Mais cette mémoire n'est pas exclusivement tournée vers le passé : elle inclut également des représentations, des
connaissances, des savoir-faire qui sont autant de ressources mobilisables pour agir. Cet aspect mobilise
particulièrement le LRDE. L'identité est aussi, et sans doute
surtout, pour nous le rattachement à un groupe constitué pour
l'action.
5 - Le patrimoine :
une vieille histoire pour le LRDE
Le LRDE n'est pour rien dans la création du concept de « patrimoine mondial de l'humanité ». Mais il n'en reste pas moins que les perspectives « patrimoine vivant » ou patrimoine vu comme mémoire collective sont présentes dès la création de l'unité de recherche en 1979.
Le LRDE va même un peu plus loin en insistant sur l'objectif d'appropriation patrimoniale par les
acteurs concernés.
6 - Une mission et un constat
Le Laboratoire de recherche pour le développement de
l'élevage a été créé au cœur des montagnes corses avec un objectif : faire de l'élevage un pilier pour revitaliser cet « arrière- pays » insulaire profondément touché par un mouvement de déprise agricole et rural.
Face à la concurrence des élevages intensifs, un double
constat s'impose : pour préserver et développer les élevages
corses il faut à la fois consolider l'ancrage territorial des
élevages et les orienter vers la production de produits de
qualité exceptionnelle. Le LRDE travaille dans cette
perspective depuis trois décennies en structurant ses
recherches autour d'un terme et d'un projet global : préserver et
développer le pastoralisme en Corse.
7 - Le patrimoine comme système
Le pastoralisme renvoie à un ensemble de pratiques associées à un ancrage territorial fort. Il est d'abord question d'autonomie fourragère : les animaux doivent pouvoir trouver sur les parcours une part substantielle de leur alimentation. Développer le pastoralisme conduit donc à développer une approche intégrée de la gestion du troupeau (et non de l'animal considéré isolément) et de l'espace fourrager.
Le LRDE s'est ainsi très tôt centré sur l'étude des pratiques d'élevage et des modes de conduite des troupeaux dans une démarche de zootechnie système. Cette démarche « englobante » s'impose dans la mesure où l'ancrage territorial fait référence à une mise en valeur globale des ressources locales.
Il s’agit ici principalement de la culture technique des éleveurs qui est objet de patrimonialisation.
8 - Le renouvellement patrimonial
Les pratiques d'élevage, les modes de conduite des troupeaux sont autant de pratiques qui reposent sur des connaissances techniques et sur des savoirs relationnels, les unes et les autres constitutifs d'une mémoire collective. Mais cette mémoire est vivante, elle évolue en fonction des circonstances et des apprentissages. Elle constitue aussi un préalable pour la mise en œuvre d'un pastoralisme durable
et la conception d'innovations système.
La pratique du LRDE s'inscrit donc dans une perspective de
construction patrimoniale. Le LRDE s'est donc inscrit très tôt dans
une démarche de recherche-action participative : comprendre les
pratiques des éleveurs, les situer dans leur contexte, produire avec
eux de nouvelles connaissances et les accompagner dans les
actions de valorisation qu'ils conduisent...
9 - Réinventer la tradition
pour préserver le patrimoine (Hobsbawn)
Tels qu'on pouvait les observer dans les années quatre-vingts (et a fortiori aujourd'hui) ne sont qu'un pale reflet des pratiques qui avaient cours deux ou trois générations en arrière. Les élevages étaient alors étroitement associés à la céréaliculture vivrière (pâturage des jachères notamment).
La déprise agricole et rurale a complètement changé la donne.
Pour faire patrimoine, les savoirs pastoraux doivent désormais
être aménagés et transformés, reposer sur la construction de
nouveaux rapports à la nature et à la société. Être appropriés,
enfin, pour pouvoir être transmissibles.
10 - La ressource locale est un patrimoine :
elle n'existe pas si elle n'est pas associée à des savoirs locaux et donc à une mémoire collective.
La ressource -en l'occurrence l'écosystème- est inscrite dans les temporalités ouvertes du lien intergénérationnel : elle est gérée au quotidien mais a aussi vocation à être transmise.
Le LRDE s'est ainsi impliqué dans la gestion des races locales. La
race présente un triple intérêt : L'animal est un patrimoine (une
mémoire collective) sur pattes : la construction et la gestion d'une
race sont nécessairement le fruit d'actions collectives inscrites
dans les temporalités longues des apprentissages et des cycles
reproductifs et visent le développement d'aptitudes spécifiques,
notamment d'adaptation au milieu. L'implication du LRDE dans la
reconstruction de la race porcine Nustrale, dans le développement
des races ovines et caprine s'inscrit, dans cette même perspective
de construction patrimoniale. Cet engagement est ancien et reste
plus que jamais d'actualité.
11 - La biodiversité
Le déplacement des animaux sur les parcours multiplie les occasions de rencontre entre faunes sauvages et domestiques. Dans un contexte marqué par le développement des communications et le changement climatique, ces rencontres accentuent les risques sanitaires pour les animaux, mais aussi pour les hommes.
Le LRDE a donc ouvert récemment une ligne de recherche sur la gestion collective des risques sanitaires. Ici, la construction patrimoniale renvoie à la conception et mise en œuvre de nouveaux savoirs, à la fois techniques et relationnels, directement liés à l'accroissement des risques sanitaires. Les recherches conduites sur la trichinella, en lien avec les associations de chasseurs et les autorités sanitaires ouvrent de nouvelles perspectives, par exemple sur l'hépatite E ou sur les kystes hydatiques.
Cela fait partie des défis sociétaux d’aujourd’hui et intéresse en particulier les rapports à la nature.
12 - Un patrimoine ouvert Les produits de terroir
Mais les élevages pastoraux ne peuvent être viables que dans la mesure où les efforts investis dans l'entretien des ressources, la conduite des troupeaux et l'acquisition des compétences soient correctement rémunérés.
Le LRDE a développé une approche originale de la
qualification territoriale des ressources et des produits. Par
exemple, le LRDE a été fortement impliqué dans la mise en
œuvre et le suivi de l'AOC Brocciu, dans le processus de
qualification de la charcuterie Corse, travaux sur Prisuttu, sur
Ficateddu, ainsi que dans les actions en cours en vue de la
qualification des fromages (thèse qui démarre) et des viandes
de lait corses (Agneddu et Caprettu) (thèse en cours).
13 - Le patrimoine comme enjeu
Le signe de qualité (par exemple une AOC) ne doit pas simplement viser l'accès à de nouveaux débouchés ou l'obtention d'une rente, mais bien la valorisation des pratiques et des ressources locales (dont l'usage permet d'accroître la qualité sensorielle des produits) et le développement territorial.
En particulier, l’espace social de l’aliment repose ici sur les savoir- apprécier des usagers locaux, fins connaisseurs des spécificités.
La qualification est un processus qui met en scène des intérêts, des pratiques et des sensibilités divergents voire, contradictoires d'autant plus difficiles à concilier si le secteur reste profondément divisé.
Pour le LRDE, la qualification constitue nécessairement une démarche de patrimonialisation qui appelle pragmatisme et prudence.
14 - La patrimonialisation comme projet collectif
On le voit, le pastoralisme n'est pas -et n'a jamais été- simplement une affaire d'individus. Les éleveurs sont concernés au premier chef, mais assez peu sur le seul plan individuel. L'autonomie des élevages pastoraux suppose que les éleveurs (et les autres acteurs concernés par le développement du pastoralisme) s'organisent pour mieux faire entendre leur voix et agir plus efficacement.
Considérée dans cette perspective, la construction de l'autonomie repose sur un processus de patrimonialisation, c'est-à-dire sur le partage et donc l'appropriation collective d'expériences, de connaissances et de savoir- faire. Cela ne coule pas de source : le tri et l'organisation des connaissances, la distribution des conditions d'accès (les formes d'apprentissage) sont sources de conflits.
15 - Un projet collectif ambitieux et englobant
L'action collective est également une exigence pour ce qui concerne la gestion du vivant. Il ne s'agit plus ici simplement de la gestion des races mais bien d'une action sur les interactions qui structurent la biodiversité en vue de la mise en place de systèmes d'élevages écologiquement durables.
Cette question peut être rattachée à celle des chaînes de
valorisation. Au-delà des liens entre élevages et filières, il
s'agit ici d'ouvrir une réflexion transversale sur le poids des
valeurs symboliques associées à l'aliment, aux traditions
et aux ressources locales et donc sur la construction d'une
identité pastorale.
16 – Les perspectives
Notre approche de la patrimonialisation s'inscrit dans le principe de recherche finalisée, qui marque la spécificité de l'INRA. La recherche a un double objectif :
- produire des connaissances génériques, notamment des concepts
- et mobiliser la recherche pour la mise en
œuvre du développement.
17 – Développer nos partenariats scientifiques et les recentrer
sur l'espace méditerranéen
Nos recherches sur le pastoralisme sont développées dans une démarche comparative, principalement sur des terrains méditerranéens, Sardaigne, Toscane, Espagne et Grèce, mais aussi Maroc, Tunisie, et plus lointains comme le Mexique.
Le LRDE est désormais membre associé du Laboratoire
Mixte international créé à l'initiative de l'IRD, des
universités de Rabat et de Marrakech. Le LRDE est
également partenaire d'un projet européen Transmed qui
couvre l'ensemble du bassin méditerranéen ainsi que
18 – Partenariat pour le développement du pastoralisme en Corse
La mise en œuvre de partenariats étroits avec les organisations et associations professionnelles ainsi qu'avec les instances territoriales concernées (Chambres, ODARC, DRAAF) constitue une constante de la stratégie mise en œuvre par le LRDE. Ce partenariat positionne le LRDE en tant qu'organisme de recherche dont la mission fondamentale est de participer, de façon autonome, à l'instruction du débat sur le devenir des élevages corses, autour d'une vision globale, pragmatique et prospective du pastoralisme.
Dans la perspective d’en renforcer la cohérence, un projet européen, piloté par le LRDE, sera déposé dans le programme KBBE, l'ODARC y est étroitement associé.