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The tombstones of the ancient jewish cemetery of the Lido of Venice : history, art, poetry and palaeography

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Academic year: 2021

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Submitted on 27 May 2020

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The tombstones of the ancient jewish cemetery of the

Lido of Venice : history, art, poetry and palaeography

Sofia Locatelli

To cite this version:

(2)

LES PIERRES TOMBALES DE L’ANCIEN CIMETIÈRE JUIF DU LIDO

DE VENISE. HISTOIRE, ART, POÉSIE ET PALÉOGRAPHIE

École doctorale de l’EPHE – ED 472

Spécialité : LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATION JUIVES

Soutenue par :

Sofia LOCATELLI

le 04 avril 2019

THÈSE DE DOCTORAT

de l’Université de recherche Paris Sciences et Lettres

PSL Research University

Préparée dans le cadre d’une cotutelle entre

l’École Pratique des Hautes Études

et l’Université de Bologne

COMPOSITION DU JURY :

Mme Judith OLSZOWY-SCHLANGER École Pratique des Hautes Études Directeur de thèse M. Mauro PERANI Université de Bologne Codirecteur de thèse M. Corrado MARTONE Université de Turin Président du jury M. Piero CAPELLI

Université Ca’ Foscari de Venise Examinateur

Dirigée par :

Mauro Perani

(3)
(4)

I

LES PIERRES TOMBALES DE L’ANCIEN

CIMETIÈRE JUIF DU LIDO DE VENISE.

HISTOIRE, ART, POÉSIE ET PALÉOGRAPHIE

(5)

II

INTRODUCTION

Ce travail de recherche découle de la prise en compte de l’importance du patrimoine culturel juif en Italie. En effet l’Italie est une mine précieuse d’œuvres architecturales, d’artisanat religieux et artistique du monde juif, ainsi que de manuscrits, d’imprimés et de documents de toutes sortes. Un immense patrimoine qui dans de nombreuses régions n’a pas encore été étudié et qui nécessite des mesures de récupération, de conservation et de mise en valeur.

Même les cimetières juifs font partie de ce patrimoine: ce sont des lieux extrêmement importants pour l’étude d’une communauté, car ils nous fournissent des informations historiques et sociologiques. Les pierres tombales qui y sont conservées, avec leurs épitaphes en poésie, gravures, symboles, emblèmes familiaux et décorations artistiques, doivent être préservées non seulement par une restauration et une protection physique des pierres tombales elles-mêmes, mais aussi par une étude approfondie qui comprend tous les aspects que la recherche dans ce domaine nécessite.

Le cimetière juif du Lido de Venise est le plus grand et le plus important en Italie, tout comme son ancienne communauté, qui survit jusqu’à aujourd’hui.

Le cœur de cette thèse est évidemment la description critique de toutes les 1240 épigraphes du cimetière ancien, y compris les fragments. Pour chacune, j’ai préparé une fiche descriptive comprenant la photo et l’analyse de certains aspects spécifiques concernant la pierre tombale elle-même, à savoir:

- le style architectural

- le support lapidaire et l’état de conservation de la pierre - les éléments figuratifs

- la forme poétique de l’épitaphe - le type d’écriture

- des informations historiques sur le défunt - les références bibliographiques

(6)

III

À partir des données réunies lors du catalogage, des analyses approfondies ont été effectuées et ont été traitées dans les premiers chapitres de cette thèse.

Le premier chapitre expose les événements historiques et les changements subis par l’ancien cimetière au cours des siècles, depuis sa création en 1389 jusqu’à nos jours, pour encadrer la présence du cimetière dans la Lagune.

Le deuxième chapitre considère les épitaphes d’un point de vue littéraire: on examine les différentes formes poétiques avec lesquelles les épitaphes ont été composées, qui sont ensuite contextualisées dans le contexte de la poésie hébraïque et italienne contemporaine, non seulement du point de vue du texte, mais aussi des contenus.

Le troisième chapitre comprend une analyse paléographique des pierres tombales, grâce à laquelle j’ai essayé de comprendre le développement de l’écriture épigraphique en Italie et ses influences. Puisque la communauté juive de Venise se caractérise par la présence des trois principaux groupes de juifs en Occident, c’est-à-dire les ashkénazes, les séfarades et les italiens, il est normal que les écritures utilisées attestent les trois traditions.

(7)

IV

CHAPITRE I

L’ANCIEN CIMETÈRE JUIF AU LIDO DE VENISE: ÉVÈNEMENTS

HISTORIQUES

1.1 – La communauté juive de Venise

La présence des juifs dans la lagune de Venise est attestée depuis le Xe siècle mais de façon sporadique. On a témoignage de permis provisoires ou d’interdictions pour les commerçants juifs qui devaient temporairement rester en ville à cause de leur commerces: il s’agit en particulier de gens originaires de l’Europe continentale et de certaines régions de l’Empire byzantin et du Proche-Orient.1

Cette alternance d’attitudes favorables et d’opposition aux juifs par les institutions politiques fut une caractéristique qui se poursuivit au cours des siècles suivants, en particulier depuis le XIVe siècle, époque où l’activité de prêt sur gages commença. Comme le nombre de juifs, en particulier ashkénazes, augmentait, l’activité de prêteurs sur gages était insuffisante pour subvenir aux besoins de tous, c’est pourquoi ils obtinrent en 1515 la revente de tissus, de vêtements et d’objets usagés, la soi-disant

strazzaria.2

La région dans laquelle les Juifs étaient confinés à partir de 1516 était donc celle du Ghetto Nuovo, entouré d’un canal qui permettait la circonscription et le contrôle.3 La population juive du Ghetto Nuovo était composée d’Ashkenazis et d’Italiens. Les Juifs Levantins, qui étaient principalement responsables du commerce avec l’Orient, étaient initialement autorisés à vivre où ils voulaient dans la ville, mais plus tard, on leur imposa également la résidence dans un nouveau espace: le Ghetto Vecchio.

Au début du dix-septième siècle, quand près de 3000 personnes vivaient dans les deux Ghettos, la zone habitée fut étendue en ajoutant une autre partie, le Ghetto Nuovissimo. Depuis la fin du quinzième siècle, après l’expulsion des marranes de la péninsule ibérique en 1492, les premiers ponentins (ou séfarades) commencèrent à s’installer dans la ville.

1

A.LUZZATTO, La comunità ebraica di Venezia e il suo antico cimitero, Il Polifilo, Milan 2000, pp. 9-10. 2 Ivi, p. 15.

3 D.C

(8)

V

La communauté commença à construire les premières synagogues, non pas en tant que bâtiments individuels, mais cachées dans des maisons privées. Des écoles furent créées, ainsi que les fraterne, c’est-à-dire des associations pour l’aide aux malades et aux familles pauvres. Aussi le cimetière fut agrandi et amélioré. Pendant trois siècles, la communauté juive poursuivit son existence ségrégée dans la région du Ghetto. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Napoléon à la fin du XVIIIe siècle, qui coïncide avec la période de l’émancipation, que les Juifs furent officiellement reconnus comme citoyens et le 11 juillet 1797, les portes du ghetto furent finalement détruites.4

1.2 – Le cimetière juif du Lido

Les Juifs installés dans la Lagune à la fin du XIVe siècle avaient le besoin de trouver un endroit pour enterrer leurs morts. La Serenissima, en la personne du doge Antonio Venier, le 25 septembre 1386 autorisa la Magistrature du Piovego à accorder une parcelle de terrain gratuite au Lido, près du couvent bénédictin de San Nicolò. Les moines, s’opposèrent à cette décision, donnant lieu à une controverse qui ne sera résolue que trois ans plus tard en faveur de l’Università degli Ebrei.5

Le cimetière fut utilisé de façon sporadique jusqu’à 1516, année de la création du Ghetto. À partir de ce moment-là, la communauté commença à se développer et ce fait conduisit les Juifs à demander une autre parcelle pour agrandir le cimetière, qui était devenu trop petit. Ainsi, en 1578, le monastère accorda un terrain en bordure de celui qui était déjà utilisé, exigeant en contrepartie un droit annuel de 5 ducats. Au cours du siècle suivant les membres de la Fraterna di Sepoltura (Ḥevrat Gemilut Ḥassadim), en charge de la gestion du cimetière, demandèrent de nouveaux espaces, toujours accordés grâce au paiement de sommes annuelles. La dernière convention, stipulée entre la Communauté et le monastère, date du 23 septembre 1640 et rapporte la cession à l’Università par les bénédictins d’une autre parcelle, de la valeur de 10 ducats.6

4

LUZZATTO, La comunità ebraica di Venezia e il suo antico cimitero, cit., p. 22.

5 S

OPRINTENDENZA PER IBENI ARTISTICI ESTORICI DI VENEZIA (cur.), Venezia Ebraica. Il restauro dell’antico Cimitero del Lido, Electa, Milan 1999, p. 35.

6 L

(9)

VI

De ce bref excursus, on comprend comment le cimetière israélite de Venise avait une largeur beaucoup plus grande que les trois cents mètres carrés qui constituent le cimetière actuel.

Les raisons de son déclin sont plusieurs. Sa position favorable juste en face de la Lagune fit en sorte qu’en temps de guerre le cimetière servait de gisement et de point stratégique pour la construction de fortifications. Le résultat de ces événements fut un déclin inexorable du cimetière: de nombreuses pierres tombales furent détruites, d’autres furent déplacées, d’autres encore furent dégradées. La végétation prit le maîtrise et le vieux cimetière tomba dans l’oubli même par les Juifs eux-mêmes qui, à partir de 1774, commencèrent à enterrer leurs morts dans un autre terrain concédé par la Repubblica, plus interne à la Lagune, et plus tard connu sous le nom de cimetière “Nouveau”.7

Entre 1928 et 1929, par ordre du nouveau régime fasciste, l’expropriation de la région juste avant la Lagune fut autorisée pour permettre l’élargissement et l’asphaltage de la route. 300 pierres tombales environ furent placées en partie dans l’Ancien, en partie dans le Nouveau cimetière.8

L’inquiétude croissante suscitée par l’état de dégradation dans lequel le cimetière se déchaînait conduisit le Comité du Centre historique juif de Venise à proposer et à encourager une intervention de récupération qui débuta en 1998/1999, à laquelle nombreuses institutions participèrent: la Mairie de Venise, la Région Veneto, les institutions américaines Save Venice, World Monuments Fund e Steven and Alinda

Brill Scheuer Foundation, l’anglais Venice in Peril Fund, le Ministère de

l’environnement et de la culture et la Surintendance du patrimoine artistique et historique, que déjà dans les années 1994-1995 avait favorisé un catalogage systématique des pierres tombales conduit par le prof. Gadi Luzzatto Voghera et le dr. Tobia Ravà.9

7 S

OPRINTENDENZA PER IBENI ARTISTICI ESTORICI DI VENEZIA (cur.), Venezia Ebraica, cit., p. 36. 8 Ivi, p. 37.

9 L

(10)

VII

CHAPITRE II

POÉSIE

2.1 – La structure de l’épitaphe hébraïque

L’épitaphe hébraïque est généralement caractérisée par une structure bipartite composée d’une partie en prose et d’une partie de poème, bien que de nombreuses épitaphes aient été écrits exclusivement en prose ou en poésie. Il n’y a pas des règles absolues sur l’ordre des deux parties: il y a parfois d’abord la partie en prose, suivie de la partie en poésie, mais souvent les deux parties sont échangées.

La langue utilisée dans les pierres funéraires de l’Ancien cimetière du Lido de Venise est l’hébreu. Une caractéristique commune, cependant, est l’addition, au pied de l’épitaphe hébraïque, d’une partie en portugais ou en espagnol et, vers la fin du XVIIe siècle, également en italien.10 Cette inscription, en caractères latins et chiffres arabes, indique le nom et la date du décès du défunt.

La plupart des épitaphes s’ouvrent et se ferment avec des expressions fixes et des formules conventionnelles, la plupart abrégées, typiques du langage qui caractérise le genre littéraire de l’épitaphe hébraïque.

Au début de l’épitaphe, nous trouvons des termes comme:

תרובק תבצמ

“pierre

tombale” ou son abréviation

ק״צמ

;

תרמא תאז

“cette (pierre) parle de”;

רבק לע שפנ

“âme sur l’enterrement”;

רבקנ הפ

“ici il est enterré”;

ומלוע תיבל רטפנ

“parti pour sa

maison éternelle” ou, plus souvent, son abréviation

ע״לנ

; ou les citations tirées de Gn 31,52:

הבצמה הדעו הזה לגה דע

“que ce monceau soit témoin et que ce monument soit témoin”; Dn 12,13:

ןימיה ץקל דומעל

“tu seras debout pour ton héritage à la fin des jours” e Ha 2,11:

הנעי םיפכו

ריקמ ןבא קעזת

“la pierre crie du milieu de la muraille, et le bois qui lie la charpente lui répond”. L’épitaphe termine avec d’autres citations

10 R.A

(11)

VIII

bibliques, écrites en entier ou en abrégé, dont les plus courantes sont 1 S 25,29:

יהת

םייחה רורצב הרורצ ושפנ

, abrégé avec

ה״בצנת

“l’âme sera liée dans le faisceau des

vivants”; e Ps 25,13:

ץרא שרי וערזו ןילת בוטב ושפנ

“Son âme reposera dans le bonheur, et sa postérité possédera le pays”, cette deuxième partie a également rendue avec

א״יזו

. L'expression

חונ

ת ןגב ותמשנ

est également fréquente, abrégée avec

ת״בנ

“son âme repose dans le jardin des délices”.

La plupart des épitaphes sont écrites à la troisième personne: c’est l’auteur qui parle en racontant, à travers un véritable éloge funèbre, les qualités et les mérites du défunt. En particulier, ce module narratif se trouve dans les épitaphes des érudits et des rabbins pour lesquels on loue la bonté et le dévouement à l’étude. A travers la forme du

memento mori, les passants sont invités à réfléchir sur la fugacité de la condition

humaine et sur le caractère inévitable de la mort. Il est configuré comme un véritable avertissement pour le lecteur, à qui on demande de ne pas s’occuper des choses matérielles, car la mort touche tout le monde. Plus fréquente est la forme de la plainte, dans laquelle on exprime une lamentation pour le triste sort du défunt et on invoque le pardon des péchés. Dans certains cas, c’est le mort qui parle à la première personne et prononce son propre pleuré en parlant de lui-même et en se rappelant le moment de son départ. Également on trouve la forme de la consolatio, dans laquelle le défunt lui-même console sa famille.11 Dans de rares cas, c’est une personne proche du défunt à parler, généralement un parent dans le cas de jeunes garçons ou le mari si le défunt est une femme. Parfois, finalement, c’est le tombeau lui-même qui prend la parole, s’adressant au passant et l’informant que sous sa pierre repose le corps d’un défunt, dont les vertus et les bonnes œuvres qu’il a accomplies dans la vie sont célébrées dans l’épitaphe.

2.2 – La prose

La partie en prose contient les données de base du défunt, à savoir le nom et le patronyme (pour les femmes mariées le nom du mari) et la date du décès (dans laquelle

11 M.A

(12)

IX

on indique le jour de la semaine, le jour du mois, le mois et l’année selon le calendrier hébreu). Cette première partie est également accompagnée d’attributs conventionnels célébrant le défunt et différenciés selon le sexe. Pour les hommes, dont les noms sont précédés des appositions

ר״כ

“honoré monsieur”;

ר״מכ

“honoré monsieur le maître”;

ר״רהמכ

“honoré monsieur le rabbin”; on retrouve adjectifs comme

ריבגה

“homme de

valeur”;

דובכ

“honoré”;

םינפ אושנ

“d’apparence vénérable”;

הלענ

“éminent”;

ןובנ

“intelligent, sage”;

םת

“honnête”;

רשי

“sain”;

לא ארי

”dévot”;12

רקיה

“cher”;

רש

“prince”;

שישיה

“ancien” et dans le cas où le défunt était un rabbin ou une personnalité

importante dans la communauté, ils sont ajoutés

שארו ןיצק

“gouverneur et patron”. Pour les femmes, les adjectifs les plus utilisés son

הריבגה

“femme de valeur”;

העונצ

“modeste, pudique”;

הדבכנ

“honorée”;

המת

“honnête”;

המימת

“parfaite” e

הנקזה

“ancienne”. Les appositions qui précèdent les noms féminins sont

תרמ

“madame” e

הנוד

“doña”, ce dernier utilisé dans les épitaphes séfarades. Pour les femmes, certaines

citations bibliques des Proverbes sont très récurrentes: Pr 12,4:

הלעב תרטע ליח תשא

“une femme vertueuse est la couronne de son mari”; Pr 31,29:

תאו ליח ושע תונב תובר

הנלכ לע תילע

“plusieurs filles ont une conduite vertueuse; mais toi, tu les surpasses

toutes”; Pr 31,30:

ללהתת איה ׳ה תארי השא יפויה לבהו

ןחה רקש

“la grâce est trompeuse, et la beauté est vaine, mais la femme qui craint l’Eternel est celle qui sera louée”. Pour les enfants (

ה/דלי

), on utilise beaucoup l’adjectif

ה/םיענה

“aimable, agréable” ou l’apposition

דימלת

“élève”.

(13)

X

Comme spécifié au début du chapitre, il n’est pas nécessaire que la partie en prose soit accompagnée d’une partie en poésie. De nombreuses épitaphes du cimetière vénitien sont des simples textes en prose, parfois enrichis par une citation biblique, mais sans rime ni mètre.

2.3 – La poésie

Les premières épitaphes avec l’ajout d’une partie poétique ou entièrement écrite en poésie qu’on retrouve dans l’Ancien cimetière de Venise, datent de la seconde moitié du XVIe siècle. Ce n’est que depuis le seizième siècle que l’épitaphe hébraïque connut un grand succès: des rabbins, des poètes et des personnalités importantes au sein des communautés commencèrent à composer des poèmes funéraires, soie commandés (et donc destinés à être gravé sur les tombeaux), soie indépendamment à la suite d’une authentique activité intellectuelle. De nombreux facteurs contribuèrent à ce fait; tout d’abord, le développement de la poésie, qui avait vu un moment glorieux dans l’Espagne musulmane dans les siècles précédant l’expulsion. Après 1492, la production de ce patrimoine littéraire se déplaça ensuite vers d’autres pays, dont l’Italie.

Les autres facteurs qui contribuèrent au développement de la poésie sépulcrale sont donc liés soie à l’influence de l’environnement culturel hébraïque de l’époque moderne, dans lequel l’exercice de la poésie occasionnelle par rapport à sa fonction sociale s’était répandu, soie à l’environnement italien, témoin à cette époque d’un nouvel intérêt pour la littérature funéraire.13 C’est donc à cette époque que l’épitaphe prit sa dignité de genre littéraire, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Ghetto.

2.3.1 Les formes poétiques

Dans le cimetière vénitien, nous avons une variété de genres et de styles, avec des formes poétiques tirées de la tradition italienne et des ajouts typiques de la littérature juive. L’influence de la poésie italienne contemporaine est prédominante. L’hendécasyllabe est en fait le vers préféré également dans la composition des épitaphes. Ensuite, il existe de nombreuses solutions stylistiques adoptées dans la

13 A

(14)

XI

littérature italienne, telles que l’utilisation de rimes embrassées, alternées et croisées, ainsi que les formes poétiques de la sestina et de l’octave.

Dans la production des épitaphes, il y a une tendance à la complexité des concepts également mis en évidence au niveau stylistique à travers les répétitions et les jeux de mots, principalement réalisés avec les noms des morts. Une autre forme qui contribue à rendre la composition particulière est aussi l’acrostiche, encore une fois réalisé à partir du nom du défunt.

Le 57,40% des épitaphes étudiées sont en poésie, tandis que le 42,60% restant est en prose. En particulier, les épitaphes en prose sont plus répandues dans la première moitié du XVIIe siècle, tandis que celles en poésie prévalent dans la période allant de la seconde moitié du XVIIe siècle à la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Le tableau suivant illustre les différentes formes poétiques des épitaphes de l’Ancien Cimetière, divisées en fonction de l’époque où elles ont été réalisées. Dans le catalogue, seulement les épitaphes clairement lisibles ont été prises en compte, c’est-à-dire celles où le nombre de versets et l’organisation rimique étaient clairement identifiables.

2.3.2 Les sujets

Comme on peut remarquer, l’influence de la littérature italienne est évidente. La fin du XVIe et le XVIIe siècle marquent la floraison du baroque, dont les thèmes ont

Tab. 1 – Formes poetiques dans les epitaphes

Distique 12,23% Tercet 2,66% Quatrain 18,89% Cinq versets 3,46% Six versets-Sestina 20,21% Sept versets 0,80% Huit versets-Octave 32,98% Neuf versets 0,53%

(15)

XII

également été assimilés par la littérature juive. La Contre-Réforme avait nourri un nouveau sens profond de religiosité et de dévotion, qui rappelait constamment aux fidèles la pénitence, l’expiation, la condamnation du péché et l’invocation du pardon.14

Cette nouvelle approche à la mort de la spiritualité chrétienne du XVIIe siècle est assimilée aussi par le monde juif.

La référence à la mort était un point fixe de la poésie sacrée chrétienne et juive du XVIIe siècle. Les descriptions macabres de la désintégration physique étaient fréquentes,15 signe de toute attention baroque à la mort et à ses aspects les plus évocateurs.16 Ainsi, dans les épitaphes, cette perspective est présente grâce à des citations bibliques comme Jb 7,5: “mon corps se couvre de vers” e “ ma peau se crevasse et se dissout ”, Es 57,20 dont on parle d’un retour “à la vase et au limon ”, ou encore Ec 10,1: “que la mort fait fermenter”. La référence aux causes de décès est présente, mais plus rare: par exemple, dans une épitaphe, l’auteur nous informe que la défunte est morte en couches; dans un autre, c’est le défunt lui-même qui nous dit que malgré le traitement, il n’a pas pu se remettre de sa blessure et est allé à sa mort; ou encore, si les morts tombent d’une échelle, il est cité Mi 7,8: “si je suis tombée, je me relèverai”. Même celle de pleurer était un thème commun de la poésie chrétienne et juive, interprété comme un instrument de purification et d’invocation du pardon. 17 Dans les épitaphes, il est largement cité avec des expressions telles que “un cri a été versé” ou avec des citations bibliques spécifiques telles que Dt 34,8: “ces jours de pleurs et de deuil”. De plus, les métaphores sont assez fréquentes et significatives, décrivant le défunt comme un être angélique ou le comparant à un bourgeon qui n’a pas encore prospéré dans les cas où la mort est survenue à un jeune. Il existe également d’innombrables citations bibliques contenant les noms des morts et comparant les qualités des personnages bibliques à ceux qui portent le même nom.

14 M. A

NDREATTA, Poesia religiosa ebraica di età barocca. L’innario della confraternita Šomerim La-boqer (Mantova 1612), Studio Editoriale Gordini, Padova, 2007, pp. 39-40.

15

C’est-à-dire le transi: D. MALKIEL,Stones Speak – Hebrew Tombstones from Padua, 1529-1862, Brill, Leiden 2013, p. 79.

16 A

(16)

XIII

CHAPITRE III

PALEOGRAPHIE

Les cimetières disséminés dans le nord de l’Italie présentent une grande richesse et variété paléographique avec des épitaphes écrites en caractères ashkénazes ou séfarades, plus ou moins influencés par un style typiquement italien.

Pour parler des écrits trouvés sur les pierres tombales du cimetière du Lido, on ne peut pas ignorer le contexte socio-culturel du territoire italien, dont la ville de Venise est un cas emblématique. Je me réfère à la présence, sur la péninsule, des groupes ashkénazes, italiens et séfarades (ponentins et levantins) due précisément aux migrations récurrentes des juifs. De plus, puisque sa position était au centre de la Méditerranée, l’Italie était également un point de transit pour tous ceux qui venaient d’Europe vers le Moyen-Orient. 18

Il était donc inévitable non seulement la coexistence de tous ces groupes, mais aussi leur influence mutuelle.

Cette situation est également transposée au niveau culturel et graphique. Comme le dit Beit-Arié, “in Italy Hebrew manuscripts were written in an Italian type of script, in a German type and in a Spanish type at the same time and place”.19

3.1 – Aspects généraux

Tab. 2 – Présence des écritures ashkénaze, séfarade et italo-séfarade en pourcentage

Épitaphes ashkénazes 6,19% Épitaphes séfarades 56,19% Épitaphes italo-séfarades 37,63%

18 M. P

ERANI, The Corpus Epitaphiorum Hebraicorum Italiae (CEHI): A project to publish a complete corpus of all the epitaphs preserved in the Italian Jewish cemeteries of the sixteenth–nineteenth centuries, en S. Reif (ed.), Death, Burial and Mourning Liturgy in the Ashkenazi Communities from the Early Medieval Period until the Early Modern Period, «Proceedings of the Congress held at Tel Aviv University, May 10-12, 2010», Walter De Gruyter, Berlin – New York (2014), pp. 265-269.

19

(17)

XIV

Si dans les cimetières du nord d’Europe l’écriture ashkénaze était le seul type d’écriture utilisé à l’époque moderne, à Venise - et en partie aussi dans d’autres régions du centre et du nord de l’Italie - avec l’arrivée des juifs séfarades, on voit le passage progressif de la prédominance de l’écriture de type ashkénaze à celle séfarade, à tel point que, depuis le début du XVIIe siècle, on ne trouve plus d’épitaphe dans l’écriture ashkénaze.

Dans l’ancien cimetière, il y a 970 pierres tombales avec des signes d’écriture visibles, dont 545 séfarades, 365 italo-séfarades et 60 ashkénazes. Le choix de l’écriture ne dépend donc pas de l’appartenance du défunt à l’un ou l’autre groupe, mais les raisons concernent simplement le moment chronologique dont la pierre tombale a été exécutée.20

Du point de vue paléographique, il n’est pas facile d’identifier des caractères communs à toutes les épitaphes, non seulement parce que leur nombre est extrêmement élevé, mais aussi parce que la période qui les concerne est très longue, de trois siècles et demi. La plus ancienne pierre tombale de l’Ancien cimetière date de 1440 (mais si l’on considère toutes les pierres tombales retrouvées au Lido, la plus ancienne est celle de l’enfant Šemu’el, fils de Šimšon, décédé en 1389, qui est conservé à la morgue du cimetière Nouveau et dont un moule est exposée au Musée juif de la ville), tandis que la plus récente date de 1791. De plus, presque chaque pierre tombale a ses propres caractéristiques stylistiques, souvent purement esthétiques.

L’aspect commun à toutes les épitaphes, cependant, est celui d’être faits en écriture carrée très élégante: en fait, c’était une écriture que dans le cimetière devait être exposé au public, donc la volonté des clients était d’avoir des pierres tombales d’une certaine pertinence esthétique, non seulement dans l’architecture mais aussi dans l’écriture; tout cela, évidemment, en fonction de leur disponibilité économique.

L’espace dédié à l’épitaphe est généralement la partie centrale de la plaque; selon la composition du texte (que ce soit en prose ou en poésie) et à sa longueur la gravure sur la pierre était réglée.

20 Comme l’a également constaté Malkiel pour le cimetière de Padoue. M

(18)

XV

La tendance dans l’écriture des épitaphes est de justifier le texte de façon qu’il respecte les marges imposées par l’espace disponible. La justification est souvent effectuée à la fois à droite et à gauche, parfois même au milieu. Pour faire ça, dans de nombreux cas,

les lettres sont dilatées comme dans les manuscrits (Fig. 1) ou plusieurs lettres du dernier mot du verset sont compressées (Fig. 2). Encore une fois pour des raisons d’espace - et parfois même de métrique - nous avons souvent recours aux abréviations. Par exemple, dans les figures 3a et 3b nous voyons que dans la plaque, le dernier

mot,

םויא

, a été raccourci en supprimant la mem finale, mais elle est présente dans la même épitaphe copiée dans le Manuscrit Soave.

3.2 – Les épitaphes ashkénazes

L’écriture ashkénaze est généralement assez élaborée et l’attention est portée sur la finition décorative

des lettres. Cette spécificité est particulièrement visible dans les lettres qui ont des traits ascendants ou descendants tels que

lamed, qof ou la ligation alef-lamed. Dans les figures 4a et 4b on voit des

lamed dont la section verticale est décorée au sommet par une petite ligne tracée

transversalement ou par une marque en forme de croissant. Sur la figure 4c, la même lettre se termine par un décor en forme de lys et dans la figure 5, c’est la ligature alef-lamed qui termine par un petit lys. Il existe également plusieurs marques au-dessus des lettres indiquant les chiffres (l’année, le jour du mois) ou au-dessus des abréviations. Dans certains cas, il s’agit de simples signes géométriques tels qu’une tique ٧ ou un triangle ▼, dans d’autres cas, ce sont de petits dessins, principalement de fleurs (Fig. 6).

Fig. 1

Fig. 2

Fig. 4a Fig. 4b Fig. 4c

Fig. 5

Fig. 6

Fig. 3a

(19)

XVI

3.2.1 Style gemmé

De nombreuses épitaphes ashkénazes sont gravées dans un style d’écriture appelé “gemmé”, adjectif dû à une sorte de gemme, avec les quatre découpes convergeant au centre, gravées aux extrémités des lettres.21 (Fig. 7). Les lettres sont caractérisées par des lignes horizontales plus épaisses et des lignes verticales très fines. Les lettres qui ont généralement des traits descendants allongés tels que le qof, le nun final, le peh final, dans cette typologie d’écriture sont très courtes, ne descendent pas verticalement, mais obliquement vers la droite et ne dépassent pas la ligne de base. Les lettres he et ḥet sont très similaires, ainsi que le zayin et le nun final.

3.2.2 Style “à goutte”

Souvent, les éléments verticaux sont modélisés sous une forme appelée “goutte”22, élément décoratif qui accentue le caractère calligraphique de l’écriture (Fig. 8), caractéristique des manuscrits ashkénazes du XIVème siècle.

21

M.PERANI, Paleografia, storia, poesia e arte nell’epitaffio ebraico italiano fra Cinque e Seicento, con un cenno sull’epigrafe di Menaḥem Azaria Fano (1548-1620) preservata da Marco Mortara, en «Cheiron. Materiali e strumenti di aggiornamento storiografico», 57-58, (2012), p. 154. Id., M.PERANI, Federico Fregoso e la più antica iscrizione ebraica di un umanista cristiano a Gubbio (ca. 1533). Esame paleografico e comparativo, en «Materia giudaica», XX-XXI (2015-2016), pour les images.

22 “Drop shape”, selon la définition de Engel: E. E

NGEL,Calamus or Chiesel: On the History of the Ashkenazic Script, in A.LEHNARDT (cur.), Genizat Germania-Hebrew and Aramaic. Binding Fragments from Germany in Context, Leiden-Boston, Brill, (2010), p. 192.

Fig. 7

(20)

XVII

3.2.3 Avec une perle décorative

Une autre caractéristique de certains écrits ashkénazes du cimetière vénitien est une petite perle ornementale, en forme de petit cercle, mais aussi d’un petit carré ou plus rarement d’un rectangle, gravé au milieu des lignes verticales des lettres ou

dans les lignes courbes des lettres comme le qof, le ‘ayin, le samek, le yod et le kaf. Cette particularité provient des litterae capitales des manuscrits ashkénazes décorés (Fig. 9). Cette caractéristique ornementale se retrouve également dans certaines inscriptions du XVIe siècle, comme celle gravée dans la corniche inférieure du palais Bocchi à Bologne en 1545, qui montre dans une belle calligraphie de style gemmé la citation de Psaumes 120,2 ou l’inscription faite peindre autour à 1533 par le cardinal Federico Fregoso dans la chapelle intérieure de l’église de Castel d’Alfiolo à Gubbio qui montre les pas du Psaume 84.23

3.2.4 Ashkénaze tardif

Comme le dit aussi Engel24, aux XVe et XVIe siècles, l’écriture ashkénaze subit un processus de simplification qui conduit les lettres à perdre tous les éléments décoratifs et à se réaliser par des traits plus linéaires et réguliers. Les figures 10a et 10b comparent une stèle du cimetière du Lido datée de 1576 et un manuscrit du XIVe siècle conservé à la BnF de Paris (Hébreu 37), tous deux réalisés dans une écriture Ashkénaze tardive.

23 P

ERANI, Federico Fregoso e la più antica iscrizione ebraica cit., pp. 52-55 e p. 69. 24 E. E

NGEL,Script, History of Development, en «Encyclopedia of Hebrew Language and Linguistics», vol. 3, Leiden-Boston, Brill, 2013 pp. 498-499 et ENGEL, Calamus or Chiesel, cit., pp. 193-196.

Fig. 9

BnF, Ms Hébreu 48-49

Fig. 10a

(21)

XVIII

3.3 – Les épitaphes séfarades et italo-séfarades

Comme on peut le voir dans le tableau au début du chapitre, les pierres tombales séfarades et italo-séfarades sont globalement à plus de 90%. J’ai décidé de parler de ces deux styles paléographiques dans le même paragraphe car ce ne sont pas des scripts complètement différents, mais il s’agit d’une écriture unique qui adopte des caractéristiques typiquement séfarades ou italiennes selon la manière dont les lettres sont gravées sur le support de pierre. Nous ne devons pas oublier que nous sommes en Italie, en particulier à Venise, à une époque où les livres imprimés et les manuscrits produits des diverses régions d’Europe et de l’Italie circulaient et influençaient la production locale, tant dans les livres que dans les épigraphes. En particulier, la comparaison de l’épigraphie avec les œuvres imprimés contemporains est très claire.

3.3.1 Écriture séfarade

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, une écriture purement séfarade prévaut. Les lettres ont un corps allongé et régulier, le style des traits est simple, sans aucun élément décoratif. Dans certains cas, les traits des lettres sont plus fins et allongés, dans d’autres cas, ils sont épais et profonds. La comparaison avec les albums de modèles de Guillaume le Bé de Troyes, conservés à la BnF à Paris, est immédiate (Fig. 11). Le Bé, célèbre graveur de caractères imprimés, a collaboré avec Marcantonio Giustiniani et a travaillé à Venise et à Paris, où il a développé le “style vénitien” de l’écriture.25 Le style est similaire aux premières pierres

tombales séfarades trouvées dans le cimetière. En outre,

dans certaines épitaphes séfarades de la première moitié du XVIIe siècle, il existe une

25 A. Y

ARDENI, The Book of Hebrew Script. History, Palaeography, Script Styles, Calligraphy and Design, The British Library, Londre 2002, pp. 108-109.

Fig. 12 Fig. 11 – Album de Guillaume le

(22)

XIX

manière particulière de rendre le ḥet

ח

, avec le trait horizontale se pliant pour former un point dirigé vers le haut (fig. 12). C’est une spécificité qu’on retrouve dans les Sifre

Torah, selon les dictats du Talmud.

3.3.2 Écriture italo-séfarade

À partir de la seconde moitié du XVIIème siècle, certaines transformations manifestent une influence évidente de l’écriture italienne: les lettres ont un corps plus irrégulier et carré, le clair-obscur et les serifs sont accentués. Dans certaines épitaphes, l’écriture adopte certaines caractéristiques du style gemmé ashkénaze, les extrémités des lettres

présentent la gravure caractéristique “à gemme”. En ce qui concerne la spécificité des lettres, on remarque que le lamed a le trait descendant court, similaire aux lamed de l’écriture ashkénaze, tandis que le trait ascendant se termine par une croissant très marquée (Fig. 13); le mem a la section verticale oblique et la section horizontale à la base légèrement détachée; la alef a la première section verticale qui part du centre de la section oblique et se courbe légèrement vers l’intérieur de la lettre.

(23)

XX

CHAPITRE IV

ART

4.1 – Architecture

Dans le cimetière juif du Lido, il y a nombreuses formes et styles architecturaux qui, s’ils obéissent d’une part à la tradition strictement juive, d’autre part, s’inspirent de l’architecture et de la sculpture italienne et vénitienne contemporaines, à la fois religieuse-funèbre et profane. Pour donner un exemple, de nombreuses stèles (pignon, lunette, portail ou baroques) sont équipées au fond d’un motif imitant un mur de briques. Il s’agit d’un expédient commun dans la construction de bâtiments à la période de la Renaissance, qui étaient recouverts à la base par un bugnato brut et affiné dans la partie supérieure par un plâtre lisse.26 Cependant, il a aussi une valeur véritablement juive: il devrait en effet évoquer le mur du temple de Jérusalem. En outre, la particularité de ce cimetière est que les différentes traditions ashkénaze, séfarade et italienne se mélangent, s’assimilent et coexistent dans un espace commun.

Les pierres tombales sont en pierre d’Istrie, un calcaire choisi pour sa couleur candide et donc similaire au plus précieux marbre, mais qui, au contact avec les agents atmosphériques, tend à devenir grisâtre. Leur état de conservation est précaire: de nombreuses pierres tombales sont bien conservées, elles ne présentent pas de fractures significatives et la pierre assez propre rend l’épitaphe très lisible, mais la pollution et l’action des agents atmosphériques et biologiques ont provoqué une dégradation progressive de nombreuses d’autres pierres tombales pour lesquelles il n’est même plus possible de reconnaître un signe d’écriture.27 En plus, aux nombreux fragments, on doit ajouter plaques brisés, mutilés ou avec de grandes ruptures.

26 M

ALKIEL,Stones Speak, cit., pp. 184-185. 27

(24)

XXI

Tab. 3 – Styles architecturaux en pourcentage

Colonne 13 1,22% Cippe 3 0,28% Pentagone simple 18 1,69% Lunette 53 4,98% Pignon 123 11,55% Portail 53 4,98% Arche 12 1,13%

Arche inscrit dans une stèle à pignon/portail 36 3,38%

À épaules tombantes/baroque 60 5,63%

Rectangulaire (couvercle de sarcophage) 674 63,29%

Sarcophage 2 0,19%

Autre 18 1,69%

La Tab. 3 montre les différentes catégories architecturales de pierres tombales qu’on trouve dans le cimetière vénitien. Déjà en première lecture, on peut voir qu’il y a beaucoup de styles, certains prédominent par rapport aux autres et la présence des différents types est certainement déterminée par l’époque dans laquelle ils ont été fabriqués. Les choix stylistiques sont différents en fonction de la période historique que nous prenons en considération: les stèles (c’est-à-dire les pierres tombales placées en position verticale et ayant un certain style architectural - lunette, pignon, portail, baroques -) sont en fait presque toutes de la moitié du XVIIe siècle, tandis que plus tard les pierres tombales rectangulaires prédominent.

4.2 – Armoiries héraldiques

Prémisse

(25)

XXII

chapitre 20 de l’Exode, on se rend compte comment un “aniconisme” total est effectivement imposé.

Ce précepte biblique n’a jamais été strictement observé par les Juifs au cours de l’histoire. Depuis les temps anciens, nous avons été témoins d’artefacts et de bâtiments décorés, tels que les anciens manuscrits bibliques illuminés à Alexandrie d’Égypte du IIIe siècle av. J-C ou l’extraordinaire cycle de fresques découvert dans la synagogue de Dura Europos en Syrie datant du I siècle av. J-C. À l’époque médiévale et moderne, le grand nombre de manuscrits décorés (tout d’abord le haggadot de Pesaḥ) et les divers objets d’art cérémoniel tels que les plats de Pesaḥ, les ketubbot, les parokot28

témoignent de l’intérêt de la culture juive pour forme possible d’art et de décoration typique du monde auquel ils appartenaient.

Le judaïsme italien en particulier a toujours eu tendance à assimiler, ou plutôt, à adapter ses habitudes et ses coutumes à l’environnement culturel dans lequel il s’était établi.29

Même dans le domaine de la figuration, la culture juive a donc été influencée et s’est inspirée du patrimoine artistique immense et varié, des courants et des artistes dont la péninsule italienne a été le berceau et la promotrice.

Le vaste répertoire de symboles représenté sur les pierres tombales vénitiennes ne fait donc pas exception: comme on va essayer de l’expliquer dans les paragraphes suivants, ils sont le résultat d’un véritable mélange de significations tirées du monde juif, chrétien et laïc.

4.2.1 La naissance de l’héraldique juive dans le contexte social de l’époque médiévale et moderne

Pour mieux comprendre la spécificité de l’héraldique juive, il est nécessaire d’indiquer les principales caractéristiques de cette discipline, son histoire et son utilisation.

28 C.A. P

ATITUCCI D’ALIFERA PATITARIO, L’antico cimitero ebraico di Venezia, 1386-1797, e quello di Cracovia, 1551-1799: raffronto iconografico fra le steli e contestualizzazione nelle locali tipologie d'arte ebraica, Thèse universitaire (Directeur de thèse prof. Dora Liscia Bemporad), Licence en Littérature et Histoire de l’art, Département de Littérature et philosophie, Université de Florence, pp. 10-11.

29 C. R

(26)

XXIII

L’origine de l’héraldique a longtemps été débattue parmi les chercheurs. Certains ont retracé l’usage des symboles et des devises dans la Rome antique, en particulier avec Jules César, qui se serait inspiré par les pratiques déjà utilisées chez les Barbares.

D’autres ont retracé la naissance de cette coutume dans le monde juif, se référant à l’histoire biblique dans laquelle on parle des douze tribus d’Israël. En Nb 2,2 il est dit que “Les fils d’Israël camperont chacun sous son étendard, sous les enseignes de leurs familles”. La tradition attribue aux douze tribus autant de couleurs et de symboles qui devaient être représentés sur les étendards respectives: pour Ruben, rouge avec l’emblème de la mandragore; pour Siméon vert avec la tour de Šekem; pour Levi blanc, rouge et noir avec les Uri et Tummim; pour Yehudah bleu avec le lion; pour Issakar noir avec un âne ou le soleil et la lune; pour Zabulon blanc avec un bateau; pour Dan le saphir avec un serpent ou un lionceau; pour Gad gris avec une tente ou un lion; pour Naphtali rose avec une biche; pour Ašer aigue-marine avec un olivier; pour Efrayim et Manasseh noir avec un symbole égyptien (Efrayim un taureau et Manassé un bœuf sauvage) et pour Benyamin toutes les couleurs et un loup.30

Un autre avis fait référence à l’époque des croisades, lorsque les croisés, ayant senti le besoin de distinguer les corps de l’armée les uns des autres, adoptèrent un système de reconnaissance utilisé par les musulmans (ou byzantins).31

Cependant, les historiens sont aujourd’hui de l’avis que le développement de l’héraldique est le résultat d’un processus en plusieurs étapes, réparti sur deux siècles, du XIIe au XIIIe, résultant de changements dans les équipements militaires et les transformations dans la société occidentale. Le premier facteur concernait la nécessité pour les chevaliers de se démarquer à la fois sur le champ de bataille et à l’extérieur, lorsqu’ils participaient à des tournois et à des défilés, car la nouvelle armure les recouvrait entièrement, les rendant méconnaissables. Ils donc commencèrent à peindre et à décorer leurs écus avec des figures géométriques, des animaux ou des fleurs. Les couleurs et les figures géométriques provenaient du type de tissu utilisé pour les fabriquer, tandis que les images étaient connectées aux sceaux et aux pièces de monnaie utilisés par les respectives familles.32

30 AA.VV.,Encyclopaedia Judaica, vol. 9, p. 6. 31 M.P

(27)

XXIV

Le deuxième facteur concerne la mise en place du système féodal à l’ère postcarolingienne, au cours de laquelle la société fut progressivement divisée en classes et catégories sociales. Les nobles ressentirent le besoin de s’identifier, de montrer leur rang, leur dignité dans ce système pyramidale. Les emblèmes héraldiques semblaient répondre à cette urgence. Au début, ils étaient individuels, puis ils commencèrent à se lier au milieu familial jusqu’à ce que leur usage devint héréditaire. Mais déjà, à partir du XIIIe siècle, on assiste à une extension des armoiries dans des catégories sociales qui n’appartiennent pas à la noblesse: bourgeois, artisans, mais aussi les corporations professionnelles et les villes se dotèrent d’emblèmes de reconnaissance et ils commencèrent à apposer leur marque d’identification sur divers biens meubles et immeubles pour en attester la propriété ou l’origine.33

Si on réfléchisse à ce fait et on prend en considération ce qui a été mentionné dans la prémisse, à savoir la caractéristique du judaïsme italien de savoir et de vouloir s’associer à la culture du territoire de résidence, on comprend pourquoi les juifs avaient commencé à utiliser des blasons et à les apposer sur leurs artefacts, sur les tombes, dans les manuscrits.

Au Moyen Âge et à la Renaissance, les Juifs ne pouvaient pas aspirer à des fonctions publiques, à des dignités telles que les diplômes de doctorat et les titres de noblesse. Il semble toutefois que déjà au XVe et puis au XVIe siècle ces restrictions aient été légèrement assouplies. En fait, il y a des documents qui parlent de trois Juifs de Rome admis au doctorat, ou, encore une fois, de la concession d’un fief et du titre de marquis au juif de Mantoue Yosef da Fano au XVIe siècle. 34 Les Juifs de la péninsule ibérique portaient des blasons déjà à partir du XIIIe siècle, car ils recevaient des tâches publics et titres de noblesse chez les cours. Cependant, avec les conversions forcées, beaucoup de ces armoiries furent perdues et les juifs séfarades les remplacèrent par ceux des parrains chrétiens qui les avaient baptisés.

Puisque les juifs n’appartenaient pas à une catégorie de noblesse formelle, les familles juives les plus importantes pouvaient être reconnues simplement comme des familles aisées, dont la “noblesse” procédait parfois d’un ordre tribal sacré dont la famille était originaire (pensez aux Kohen ou aux Levi); plus rarement, elle découlait

33 Ivi, pp. 200-202. 34 G.C. B

(28)

XXV

des concessions d’un pouvoir extérieur au judaïsme; parfois, elle était justifié par les caractéristiques d’antiquité et d’autorité dont les membres d’une certaine famille pouvaient se vanter.35 Effectivement, déjà au XIe siècle, il y avait des élites formées par des familles importantes au sein des diverses communautés juives italiennes, dont les dirigeants étaient appelés parnassim (

םיסנרפ

), littéralement “ceux qui apportent le soutien”. Cependant, si leur noblesse était déclarée au sein des communautés, les autorités nationales ne l’acceptaient pas formellement. Les armoiries des Juifs sont donc des armes “familiales” ou “nobiliaires”, c’est-à-dire qui distinguent une famille d’une autre pour répondre au désir d’affirmation de soi et sans appartenance effective à un patriciat reconnu.

Si pour les membres d’un milieu noble officiel, la discipline héraldique et la composition des emblèmes adoptaient des règles strictes et fixes, pour tous les autres, les signes, faits par des héraldistes occasionnels, “étaient traités beaucoup plus librement, avec imagination et en respectant le goût artistique du moment et se révèlent plus animés que ceux officiels, et souvent plus beaux. Au contraire, parfois ils sont plus simples et artisanaux, avec quelques inexactitudes par rapport aux règles”.36 L’héraldique juive, comme on verra dans les armoiries du cimetière vénitien, s’inscrit parfaitement dans la deuxième catégorie, puisque avec des emblèmes réalisés selon le langage héraldique, on a aussi d’autres qui ne respectent pas absolument les strictes règles de cette discipline.

4.2.2 Une origine possible des emblèmes: les sceaux

Si les premiers symboles auxquels se réfère la culture juive sont certainement ceux liés aux douze tribus d’Israël, parfois représentées sur les manuscrits et les codices juifs, les figures qui ont été transmis au cours des siècles en tant que marques distinctives individuelles ou de familles entières se retrouvent dans les sceaux. L’utilisation des sceaux doit être retracée en temps reculés. Les premiers sceaux juifs datent du VIIIème siècle av. J-C et leurs matrices pourraient être cylindriques ou en

35

A.SCORDO, Della nobiltà e delle antiche insegne degli ebrei d’Italia, in «Atti della Società Italiana di studi araldici: 16.-17. Convivio: Oropa, 16 ottobre 1999 – Milano, 20 maggio 2000», 11, Torino (2001), p. 123.

36 B

(29)

XXVI

forme d’anneau. Les figures gravées sur eux ne différaient pas initialement de la sigillographie d’autres civilisations du Proche-Orient ancien.37

Les sceaux juifs entrèrent en Europe au XIIe siècle et leurs images non seulement s’inspiraient par le monde juif, reprenant les symboles déjà mentionnés des tribus d’Israël, mais examinaient aussi les traditions anciennes comme dans le cas des représentations du croissant et des étoiles. La production chrétienne contemporaine est cependant celle qui influença le plus le choix des images à graver sur les sceaux juifs: il existe d’innombrables représentations du lion, de l’aigle et de la fleur de lys. Souvent, les Juifs et les Chrétiens utilisaient les mêmes symboles et parfois, il était possible de distinguer l’origine juive de certains sceaux seulement de l’inscription hébraïque qui indiquait le nom du possesseur. Cette influence s’explique si l’on pense que les Juifs qui avaient eu le privilège de posséder des sceaux appartenaient à une élite qui voulait s’assimiler aux personnalités économiquement et socialement importantes des villes. Certaines figures des sceaux étaient configurées comme des armes parlantes, c’est-à-dire qu’elles représentaient le nom de famille du propriétaire; une tradition qui n’a été abandonnée qu’à la fin de l’époque moderne. En tant que signe personnel, l’utilisation d’une matrice devait prendre fin à la mort de son propriétaire. La pratique habituelle consistait à la détruire ou à l’abandonner. Cependant, il semble que cette pratique n’ait pas toujours été respectée. Il est donc possible de penser que certains emblèmes gravés sur les sceaux furent transmis au cours des siècles au sein du même groupe familial.

Ce qui est certain, c’est que le concept idéal du sceau en tant que marque caractéristique et identificatoire sera ensuite transféré aux armes nobles adoptées par les familles juives en tant que signe distinctif et de valorisation personnelle.

4.2.3 Le langage héraldique et les significations des armoiries des familles enterrées dans l’Ancien Cimetière Juif du Lido

Il est possible d’identifier les caractéristiques des blasons juifs à travers l’analyse de certains emblèmes de l’Ancien Cimetière Juif de Venise.

En ce qui concerne l’écu, on voit que les formes changent en fonction des différentes périodes dans lesquelles elles ont été réalisées. Au XVIe siècle, les écus

(30)

XXVII

apparaissent comme des médaillons aux contours réguliers et sobres, mais déjà au XVIIe siècle ils sont enrichis de rouleaux, de plis, de boucles qui répondent bien aux tendances baroques de cette époque. Souvent, cependant, les écus ne sont pas présents et les personnages sont représentés directement dans le pignon de la stèle ou dans la partie supérieure de la pierre tombale.

Les pièces honorables, c’est-à-dire les figures héraldiques par excellence qui ont généralement une position fixe sur le champ de l’écu, ne sont presque jamais représentées, mais parfois ils sont remplacés par d’autres figures occupant leurs positions.

De plus, la plupart des blasons représentés sur les pierres tombales juives de Venise sont sans partitions. Il y a quelques rares cas d’écu parti (divisé en deux parties égales par une ligne verticale passant par le centre), d’un écu coupé (divisé en deux parties égales par une ligne horizontale le divisant par deux) et un seul écu écartelé, qui est divisé en quatre sections égales par une ligne verticale et une ligne horizontale.

(31)

XXVIII

Les figures naturelles, artificielles et fantastiques sont donc l’élément principal de l’écu juif. En parlant de figures, il faut mentionner une caractéristique récurrente dans l’héraldique, à savoir leur instabilité. Il était en fait fréquent qu’un individu modifiait ou abandonnait l’écu hérité de ses ancêtres, soit délibérément pour ses goûts personnels, soit pour des erreurs de représentation, soit pour alliances, mariages, mais également à la suite d’une brisure. Dans l’héraldique juive, cette variabilité est très répandue, mais plutôt que d’être liée à des raisons officielles, elle est constituée “d’éléments ajoutés selon un critère strictement personnel”.38 Dans le cimetière de Venise, il existe de nombreux cas dans lesquels une même famille a des armoiries différentes. Par exemple, certaines emblèmes de la famille Baruk ont une étoile à huit branches surmontée d’une couronne et accompagnée des vagues de mer (Fig. 14a), tandis que d’autres n’ont que l’étoile à huit branches et la couronne (Fig. 14b). Pour la famille Valensin, nous avons des figures totalement différentes, y compris la grenade, une colombe avec trois lis de jardin, une gerbe de blé ou un lion tenant un

loulav.

Parfois, cependant, on voit que des membres de familles différentes, Sépharade et Ashkenazite, utilisent le même symbole, tel que l’aigle bicéphale chez les membres de la famille Ḥarob, Ḥabiglio et ceux de la famille Aškenazi.

L’extrême variété des images est une spécificité typique des cimetières juifs italiens. Par rapport à la plupart des cimetières européens, dans le cimetière vénitien les armoiries sont très diversifiées et il existe des différences entre les emblèmes d’origine ashkénaze, séfarade et italienne, qui s’influencent toutefois et vivent ensemble dans un espace commun.

38 E.G

IUDITTA,Araldica ebraica in Italia, Società Italiana di Studi Araldici, Bologna, 2007, p. 7. Fig. 14a - Šemu’el

(32)

XXIX

En particulier, ce qui caractérise le plus les pierres tombales des morts d’origine ashkénaze et italienne, c’est précisément la présence “d’armes parlantes”, c’est-à-dire de symboles dont le nom fait référence au nom de famille du défunt. Quelques exemples sont donnés par l’image de l’ange tenant une pointe ou une étoile à huit branches sur les

pierres tombales de la famille Malak (en italien connue avec le nom “De Angeli”), ou le marteau qui frappe sur l’enclume de Yiśra’el

Hammerschlag (Fig. 15), dont le nom en allemand signifie “coup

de marteau”. L’échelle des Sullam est un autre exemple d’écu parlant. La Fig. 16 montre le double blason gravé sur la pierre

tombale de la poétesse Śarah Copio Sullam, qui porte une échelle à droite, symbole des Sullam et un scorpion à gauche, symbole parlant également des Copio.

Les autres armoiries parlantes sont liées au lieu d’origine de la famille. Par exemple, le croissant des Lunel, originaires du village homonyme du sud de la France, était déjà représenté sur l’emblème de la même ville française dans de sources manuscrites. Ou encore l’écu des Luzzatto, dont le nom de famille provient de la ville de Lausitz, en Allemagne de l’Est, d’où ces Juifs ont émigré entre le XIVe et le XVe siècle en Italie du Nord. Selon certains historiens, le blason des Luzzatto, qui représente un coq avec une épi dans le bec accompagnée d’un croissant et de trois étoiles, provient de l’ancienne armoirie de Freyhan, une petite ville située à proximité de cette région.39

Comme je l’ai déjà dit, les images et les iconographies se fondent dans le cimetière, à tel point qu’on trouve parfois des armes parlantes même dans le domaine sépharade, par exemple le lion rampant de Ricca Leon, ou l’emblème représentant une couronne de la famille séfarade Abenatar, dont le nom de famille dérive du mot arabe qui indique la profession de l’apothicaire, mais qui, dans les épitaphes hébraïques s’écrit

רטע

׳ן

, avec le verbe ‘atar qui signifie “couronner”. Jouer sur les mots, les images et les significations était typique de la mentalité juive, et cela se réalisait avec la création d’armoiries parfois configurées comme de véritables rébus à déchiffrer. En ce sens, un cas particulier est représenté par la harpe représentée sur les pierres tombales des

39 R

OTH, Stemmi di famiglie ebraiche italiane, cit., p. 178. Fig. 15 - Yiśra’el

Hammerschlag, 1615

(33)

XXX

membres de la famille Mugnon: il est possible que ce lien soit dû à l’assonance entre le nom de famille “Mugnon” et le mot hébreu

ןגנמ

, (menagen) qui

signifie “musicien”. Un autre cas similaire concerne la famille

Calvo, dont les pierres tombales présentent la gravure de la scène

biblique tirée de Nb 13,23 qui raconte l’inspection du territoire de Canaan par les représentants des tribus d’Israël, et en particulier le moment où les deux espions coupent une grappe de raisin et la portent avec un perche sur leurs épaules (Fig. 17). Comme Luisella Mortara Ottolenghi l’avait déjà suggéré, il est possible que les

membres de cette famille avaient choisi cette image en raison du nom de l’un des explorateurs de la vallée, Caleb, qui fait assonance avec “Calvo”.40

En général, cependant, en ce qui concerne les emblèmes des Juifs séfarades, nous avons une multiplicité de symboles qui ne sont pas liés à leurs noms et prénoms. En effet, les Juifs d’Espagne et du Portugal apportaient souvent avec eux les blasons hérités des parrains hidalgos41 qui les avaient baptisés lors de conversions forcées antérieures à l’expulsion. L’attribut de la noblesse est donné par le heaume et par les lambrequins au-dessus de l’écu et souvent, les emblèmes représentés ne font pas référence à l’iconographie juive. Pour vérifier cette persistance dans le temps, il était indispensable de consulter deux précieuses armoiries conservées à l’Arquivo Nacional da Torre do Tombo de Lisbonne, considérées parmi les plus beaux manuscrits enluminés du Portugal. Le premier est le Livro do Armeiro-Mor, écrit en 1509 et le second est le Livro da Nobreza et le Perfeiçam das Armas, produits entre 1521 et 1541. Certaines parmi les plus nobles familles portugaises énumérées dans les deux volumes

40 L

UZZATTO, La comunità ebraica di Venezia e il suo antico cimitero, cit., p. 305.

41 Hijo de algo ou hijo de alguien (“fils de quelqu’un”), c'est-à-dire le terme utilisé pour désigner les membres de la noblesse et qui se divisaient en quatre catégories: de solar conocido, qui incluait les nobles de sang; notorios, dont le souvenir de leur première implantation géographique avait été perdu mais dont la noblesse était consacrée par la mémoire collective (cependant, à l’époque où la prérogative de limpieza de sangre était poussée à l’extrême, la noblesse de certaines de ces hidalgos était interrogé dans le cas où un ancêtre d’origine juive apparait dans l’arbre généalogique); hidalgos de ejecutoria, qui pour prouver leur noblesse devaient avoir un document rédigé et scellé par l’une des chancelleries du royaume, Valladolid ou Grenade; et enfin le hidalgos de privilegio, titre conféré par le roi à ceux qui lui avaient offert des services importants, mais qui était souvent obtenu par un versement en argent ou par la renonciation à une dette. B.BENNASSAR PERILLIER, Los hidalgos en la España de los siglos XVI y XVII. Una categoría social clave, en Vivir el Siglo de Oro. Poder, cultura e historia en la época moderna. Estudios en homenaje al profesor Ángel Rodríguez Sánchez Poder, Ediciones Universidad de Salamanca, Salamanca 2003, pp. 49-52.

(34)

XXXI

se trouvent aussi dans le cimetière de Venise. Évidemment ce ne sont pas les mêmes familles, mais ce sont des Juifs qui avaient adopté ces noms après la conversion et qui, en plus du nom, avaient également conservé le blason correspondant. Cette comparaison est très intéressante car elle nous permet de savoir quelles étaient les couleurs originales de certaines armoiries, car il n’est pas possible de les déduire des pierres tombales.42

L’exemple le plus significatif est la famille marrane des Carvaglio. L’écu de la famille chrétienne avec le même nom se trouve non seulement dans les deux armoiries susmentionnées (Fig. 18a), mais également dans la Sala dos Brasões du Palácio Nacional à Sintra, ce qui témoigne de l’importance de cette famille chez la cour royale. Le terme Carvalho en portugais signifie “chêne”; par conséquent, l’un des emblèmes d’identification représente un arbre et l’autre représente une étoile inscrite dans un quadrilobe. La famille juive portant ce nom de famille conserve les anciennes armoiries héritées au moment de la conversion. Il est à noter que dans l’Ancien Cimetière du Lido, les défunts de cette famille apparaissent souvent avec un double nom de famille:

Baruk Carvaglio ou Nunes Carvaglio. À la première branche, le symbole de l’arbre

déraciné correspond plus fréquemment, tandis qu’à la seconde branche, il correspond normalement celui de l’étoile inscrite dans un quadrilobe (Fig. 18b). Dans deux pierres tombales seulement les deux symboles sont représentés dans un seul blason, sans partition, mais avec une simple juxtaposition des deux images.

À côté de cette grande variété d’images et de motifs héraldiques, dans le cimetière on retrouve également des symboles typiquement juifs. Tout d’abord, le

Magen Dawid, représenté sur les pierres tombales de certains membres de la famille

Yiśra’el et Ḥarabon. Ou la cruche avec le bassin des Lévi, ou les mains en signe de

bénédiction des Kohen, parfois surmontées d’une couronne pouvant faire référence à la couronne de la Torah ou, dans le cas d’un Kohen Coronel, être une arme parlante.

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Selon l’étude de Moisés Espírito Santo, de nombreuses armes portugaises sont des armes parlantes dont les emblèmes correspondent au mot hébreu qui fait assonance avec le nom de famille auquel l’emblème correspond. Cette théorie a été illustrée dans le livre ESPIRITO SANTO,MOISES, O brasonário português e a cultura hebraica, Inst. de Sociologia e Etnologia das Religiões, Lisbonne 1997.

Fig. 18a - Livro do Armeiro-Mor, f.

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Références

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