• Aucun résultat trouvé

I. Le droit international général entre les mains du juge pénal : la crainte de la fragmentation comme amorce de la réflexion P

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "I. Le droit international général entre les mains du juge pénal : la crainte de la fragmentation comme amorce de la réflexion P"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

PARTIE INTRODUCTIVE

La présente étude s’inscrit dans le cadre de l’Action de Recherche Concertée (ARC) intitulée « Le juge, un acteur en mutation » dont divers aspects ont été développés entre la fin de l’année 2010 et l’automne 2015 par différents centres de recherche de la Faculté de droit et de criminologie de l’Université Libre de Bruxelles1. Au moment du lancement du projet ARC,

son volet dit « international » visait à étudier le phénomène de l’activisme du juge pénal international. L’idée était la suivante : si cet activisme du juge pénal se marque d’abord dans le domaine pénal international, il se constate aussi dans le champ du droit international général, notamment à travers une interprétation particulière de certaines règles secondaires de l’ordre juridique international. Au départ conçu de manière à aborder un éventail très large de normes et questions, le projet a dû être affiné au fil du temps et à la lumière des lectures et recherches effectuées. Il a finalement été reconfiguré pour aborder la question de l’utilisation de normes secondaires du droit international général par le prisme des débats sur la fragmentation du droit international et à partir de deux ensembles de normes secondaires, celles relatives au droit international coutumier et aux principes généraux.

I. Le droit international général entre les mains du juge pénal : la

crainte de la fragmentation comme amorce de la réflexion

Le triptyque « juge pénal – droit international général – normes secondaires » évoquera chez l’internationaliste, dans un réflexe presque pavlovien, le souvenir de la navette judiciaire entre la Cour internationale de Justice et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) concernant les critères d’attribution à un État des actes posés par un groupe irrégulier. En pratique, la Chambre du TPIY devait déterminer la qualification, internationale ou non, du conflit en Bosnie-Herzégovine au moment des faits incriminés. Cette qualification lui permettait d’établir si les dispositions de la IVe Convention de Genève de 19492 pouvaient

être applicables aux actes dont l’accusé était amené à répondre. Pour déterminer la nature du conflit, la Chambre devait décider si l’armée des Serbes de Bosnie (la VRS), armée de l’« État fantoche » de la Republika Srpska, pouvait être considérée comme un organe de jure ou de

1 Pour le site Internet du projet ARC voyez : www.arcdroit.ulb.ac.be/Accueil.html [sauf indication spécifique, les

liens Internet repris dans la présente étude ont été vérifiés en février 2017].

2 Convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Genève, 12 août 1949,

(2)

facto de la République fédérale de Yougoslavie3. La question était importante car c’est en

établissant cette qualité dans le chef de la VRS que la Chambre pouvait conclure au caractère international du conflit et, partant, déclarer sa compétence ainsi que l’applicabilité du régime des infractions graves aux Conventions de Genève par le biais de l’article 2 du Statut du Tribunal.

La Chambre d’appel du TPIY constatera que « [l]e droit international humanitaire ne prévoit pas de critères qui lui soient spécifiques pour déterminer dans quels cas un groupe d’individus peut être considéré comme étant sous le contrôle d’un État, c’est-à-dire comme agissant en qualité d’agent de fait de cet État » 4. Elle précisera qu’il convient alors de se référer aux

critères retenus par le droit international général pour apprécier, dans le chef d’un individu, la qualité d’agent de fait d’un État5. En d’autres termes, la Chambre constate la « nécessité de

compléter le droit international humanitaire par des règles de droit international général, relatives aux critères permettant d’affirmer que des individus agissent de fait en qualité d’organes d’un État »6.

C’est dans ce contexte que la Chambre se penche sur le critère de « contrôle effectif » dégagé précédemment par la CIJ dans le cadre de l’affaire Nicaragua7 où il était question de savoir si

les actes des contras pouvaient être attribués aux États-Unis. Dans la logique dictée par ce critère, il fallait, pour ce faire, démontrer que l’assistance apportée par l’État en question dépassait le simple soutien financier ou la supervision générale. Il fallait prouver que cet état avait le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires en délivrant des instructions précises relatives à la commission des violations considérées.

La Chambre d’appel du TPIY remettra en cause le caractère convaincant dudit critère non seulement pour le cas qui l’occupait en l’espèce mais « au regard de la logique même de l’ensemble du système de la responsabilité des États en droit international »8 ainsi qu’au

regard de la pratique judiciaire et étatique9. Elle proposera, à l’issue de son analyse, le critère

plus souple de « contrôle global » selon lequel, bien qu’il faille aller au-delà du simple financement, d’un équipement et d’une participation à la planification et la supervision des

3 TPIY, le Procureur c. Duško Tadić, IT-94-1-A, arrêt, 15 juillet 1999, § 87. 4 Ibid., § 98.

5 Ibidem.

6 Ibid., l’intitulé précédant le § 98.

7 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis

d’Amérique), arrêt au fond du 27 juin 1986, Recueil 1986, § 115.

(3)

opérations militaires, le contrôle requis ne doit pas « s’étendre à l’émission d’ordre ou d’instructions spécifiques concernant les actions militaires précises, que ces dernières aient été ou non contraires au droit international humanitaire »10.

Les institutions dont on pourrait dire qu’elles représentent ou incarnent le droit international général rejetteront de manière ferme l’applicabilité du critère de « contrôle global » dans le domaine de la responsabilité des États. Dans les commentaires relatifs au Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, la Commission du droit international (CDI) soulignera qu’entre l’affaire Tadić et l’affaire Nicaragua « les questions de droit et la situation de fait n’étaient pas les mêmes » et que le « mandat du Tribunal porte sur des questions de responsabilité pénale individuelle, pas sur la responsabilité des États »11.

Quelques années plus tard, la Cour internationale de Justice, dans l’affaire dite du Crime de génocide, soulignait également que le TPIY n’était pas appelé à se prononcer sur la question de la responsabilité des États mais bien sur celle de la qualification du conflit armé pour les besoins de la mise en œuvre de la responsabilité pénale individuelle12. C’est dans les limites

de cette distinction que la Cour admettait la possibilité que le critère du « contrôle global » soit « pertinent et adéquat » pour la question que la TPIY devait résoudre, à l’exclusion de celle relative à la responsabilité étatique, donc13.

La doctrine a longuement commenté ce dialogue entre juges internationaux14. À côté de

commentaires substantiels ou réflexions en termes de droit positif, bon nombre d’études proposait une lecture systémique de l’épisode Tadić. On a vu dans la tentative du TPIY de redéfinir la notion de « contrôle », une illustration de la façon dont une interprétation des

10 TPIY, le Procureur c. Duško Tadić, IT-94-1-A, arrêt, 15 juillet 1999, § 145.

11 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y

relatifs, 53e session, Ann. CDI, 2001, II, 2e partie, p. 50, § 5.

12 CIJ, Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide

(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, 26 février 2007, Recueil 2007, §§ 402 – 403

13 Ibid., § 404.

14 Voyez notamment : MERON Theodor, « Classification of Armed Conflict in the Former Yugoslavia :

Nicaragua’s Fallout », AJIL, 1998, vol. 92, n° 2, pp. 236 – 242 ; DOPAGNE Frédéric, « La responsabilité de l’État

du fait des particuliers : les causes d’imputation revisitées par les articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », RBDI, 2001, vol. 34, n° 2, pp. 498 – 532 ; DE HOOGH André J. J., « Articles 4 and 8

of the 2001 Articles on State Responsability, the Tadić Case and the Attribution of Acts of Bosnian Serb Authorities to the Federal Republic of Yugoslavia », BYBIL, 2002, pp. 255 – 292 ; JINKS Derek, « State

Responsibility for the Acts of Private Armed Groups », Chicago Journal of International Law, 2003, vol. 4, n° 1, pp. 83 – 95 ; VAN DEN HOLE Leo, « Towards a Test of the International Character of an Armed Conflict :

Nicaragua and Tadić », Syracuse Journal of International Law and Commerce, 2005, vol. 32, n° 2, pp. 269 – 289 ; CORTEN Olivier, « L’arrêt rendu par la CIJ dans l’affaire du Crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.

Serbie) : vers un assouplissement des conditions permettant d’engager la responsabilité d’un État pour génocide ? », AFDI, 2007, vol. 53, pp. 249 – 279 ; SPINEDI Marina, « On the Non-Attribution of the Bosnian Serbs’

Conduct to Serbia », JICJ, 2007, vol. 5, n° 4, pp. 829 – 838 ; CASSESE Antonio, « The Nicaragua and Tadić

(4)

règles de droit international général par des juridictions « parallèles » mène à une tension entre différents régimes juridiques où chacun revendique une sorte de supériorité par rapport aux autres15. Bon nombre d’auteurs ont ainsi traduit cette tentative d’activisme du juge pénal

international sur le terrain des questions relatives au débat sur la fragmentation du droit international et les risques liés à la multiplication de juridictions internationales. Décriée comme une instance brisant l’unité du droit international et semant le chaos, l’affaire Tadić est révélatrice d’une certaine manière de concevoir l’ordre juridique international.

Aux yeux des généralistes, le précédent Tadić est devenu célèbre précisément parce qu’il est constamment invoqué comme synonyme de fragmentation16. Certes, il y a en l’occurrence une

fragmentation du point de vue matériel ou substantiel. Au-delà de cette fragmentation matérielle, la manière dont le TPIY raisonne attire l’attention sur l’attitude du juge pénal face au droit général. Le Tribunal dit en effet réinterpréter le droit international général existant, droit qu’il mobilise afin de compléter une lacune dans le corpus juris du droit pénal. Il n’y a aucune prétention de la part de la Chambre d’appel à créer un critère applicable uniquement dans le domaine du droit pénal ; elle estime que le critère de « contrôle effectif » est inadapté à la structure du régime de la responsabilité des États en tant que tel et tente d’en redéfinir les contours. Ce faisant, la Chambre se positionne en interprète du droit international général, ce qui met en lumière le fait que le juge pénal ne conçoit pas la branche du droit international dans laquelle il opère comme un régime isolé et étanche. En d’autres termes, il utilise les notions et concepts du droit général comme références, alors même qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’il mette en avant un raisonnement qui en est isolé et qui procède d’une logique uniquement axée sur son mandat de juridiction pénale. Au lieu de cela, le juge pénal choisit de parler le langage du droit international général et, en dépit de sa spécialisation, se place dans l’optique de ce dernier.

Comme le note Mario Prost, « [d]’une certaine manière, la Chambre d’appel se place […] sous la tutelle du droit international général. Elle ne lit ni n’applique sa branche du droit (le

15 PULKOWSKI Dirk, « Universal International Law’s Grammar » in Ulrich Fastenrath, Rudolf Geiger,

Daniel-Erasmus, Khan, Andreas Paulus, Sabine von Schorlemer & Christoph Vedder, From Bilateralism to Community Interest. Essays in Honour of Judge Bruno Simma, Oxford – New York, OUP, 2011, pp. 147 – 148.

16 DUPUY Pierre-Marie, « Competition among International Tribunals and the Authority of the International

Court of Justice » in Ulrich Fastenrath, Rudolf Geiger, Daniel-Erasmus Khan, Andreas Paulus, Sabine von Schorlemer et Christoph Vedder (éd.), supra note 15, p. 863. Mario Prost souligne que la doctrine considère le précédent Tadić comme « l’instance de fragmentation par excellence » ; PROST Mario, Unitas Multiplex. Unités

(5)

droit humanitaire) de manière hermétique »17. En partant de ce constat, l’auteur propose une

lecture plus « unitaire » de l’affaire Tadić au lieu de s’arrêter aux indices de rupture entre le juge pénal et le juge dit « général ». Dans cette optique, la tentative de réinterprétation des normes de droit positif généralement acceptées, n’est donc pas synonyme d’émancipation par rapport à l’ensemble de l’ordre juridique international général et l’utilisation des concepts et outils théoriques et normatifs qui en relèvent est loin d’être anodine.

On est amené à se demander si, et dans quelle mesure, ce même constat pourrait rester valable pour d’autres types de normes du droit international que le juge pénal est appelé à manier dans l’exercice de sa compétence. Comme l’indique l’intitulé de la présente étude, nous nous pencherons sur la coutume internationale et les principes généraux tels qu’utilisés par le juge pénal international. Notre but n’est pas d’aborder la question du point de vue substantiel. Nous nous focaliserons sur les normes secondaires relatives à la détermination ou reconnaissance de normes coutumières ou de principes généraux et à leur fonctionnement dans le raisonnement judiciaire. Autrement dit, c’est l’appréhension du concept de coutume et des principes généraux qui nous intéresse et non le contenu des normes qu’ils peuvent renfermer et qui seront in fine appliquées par le juge.

Nous proposons de vérifier, à travers une étude approfondie de l’utilisation que fait le juge pénal de la coutume internationale et des principes généraux, quelle est la vision de l’ordre juridique international, en général, et de la branche du droit international pénal, en particulier, véhiculée par les motivations articulées à l’occasion de différentes affaires.

Notre hypothèse est la suivante : en dépit de certaines apparences d’originalité, le discours du juge pénal international véhicule une attitude de conformité par rapport au droit international général positif dans l’utilisation qu’il fait des concepts de coutume et de principes généraux. Si cette attitude conformiste pourrait être lue comme l’expression de l’unité de l’ordre juridique international dans son ensemble, elle semble également traduire le souci d’opérabilité et d’effectivité du régime juridique de droit pénal et contribuer à son émancipation.

Notre démarche se veut principalement de nature empirique : on entend interroger la jurisprudence pénale afin de déterminer quelle est l’acception de la coutume et des principes

(6)

généraux qui découle des motivations articulées par les juges pénaux dans le contexte de différentes affaires, portant sur des questions substantielles différentes. Nous chercherons, dans un premier temps, à interroger le contenu des normes relatives à l’établissement de la teneur substantielle et au fonctionnement des deux sources étudiées dans le raisonnement du juge pénal. L’interrogation qui sous-tend cet examen empirique, à savoir l’appréciation de l’attitude du juge pénal face au droit général et, plus généralement, le questionnement relatif à sa vision de l’ordre juridique international général et du régime de droit pénal, suppose un examen ancré dans la théorie analytique du droit18. Il n’est pas pour nous question d’évaluer si

le juge applique bien ou mal les concepts que nous avons choisi d’étudier. Nous n’avons pas, non plus, pour ambition de proposer une nouvelle théorie relative à la mouture de l’ordre juridique international et aux rapports entre normes contenues dans ses différents (sous)ensembles.

Par notre examen de la jurisprudence pénale internationale, nous voulons tenter de déterminer la portée et le fonctionnement des normes choisies au sein de l’ordre juridique international existant et voir si leur application dans le domaine pénal peut nous permettre d’en comprendre davantage sur la vision de cet ordre. Pour cela, nous prenons comme arrière-fond de nos réflexions le débat sur la fragmentation du droit international. Restituer notre questionnement sur l’attitude du juge pénal face à la coutume et aux principes généraux par rapport à ce débat suppose qu’il soit articulé en termes de relations entre l’ordre juridique général et un régime spécialisé, ici celui du droit international pénal. Pour pouvoir établir la nature de ces relations, nous devons déterminer les points où le régime général se recoupe avec le régime spécialisé. Tout cela impose à ce stade que nous procédions à quelques précisions méthodologiques et conceptuelles.

Nous reviendrons brièvement d’abord sur ce que nous entendons par normes primaires et secondaires. De cette manière, nous pourrons conceptualiser la nature des points de rencontre entre le général et le particulier que nous souhaitons étudier (II.). En partant de cette distinction, nous déterminerons la portée des notions de « droit international général » (IV.) et « régimes spécialisés » (III.) et expliquerons comment elles s’inscrivent dans notre réflexion sur la vision de l’ordre juridique véhiculée par la jurisprudence pénale internationale. Ayant préalablement expliqué notre choix de nous pencher sur la coutume et les principes généraux

18 CORTEN Olivier, Méthodologie du droit international public, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles,

(7)

en particulier (V.), nous offrirons, dans un dernier temps, quelques précisions quant au matériau empirique utilisé dans la présente étude (VI.).

II. La distinction entre normes primaires et normes secondaires et le

postulat de l’« unité formelle » de l’ordre juridique international

Nous estimons qu’il est ici utile de revenir sur la distinction entre normes primaires et secondaires car, comme mentionné ci-avant, nous ne souhaitons pas nous pencher directement sur le contenu ou la substance des normes coutumières ou des principes généraux, mais les aborder de manière davantage conceptuelle, déterminer ce que sont ces figures normatives aux yeux du juge pénal international et comment elles fonctionnent dans son raisonnement et, plus largement, dans l’ordre juridique. Par ailleurs, puisque notre but est de traiter des rapports entre le droit général et le droit spécialisé, nous devons d’abord déterminer si ces deux ensembles normatifs possèdent a priori des caractéristiques à l’aide desquelles nous pourrions les mettre en relation.

Pour les besoins de notre réflexion, nous proposons de retenir la distinction qu’opérait Hart entre les règles primaires et les règles secondaires. Pour rappel, cet auteur définissait le premier type de règles comme « […] prescriv[ant] à des êtres humains d’accomplir ou de s’abstenir de certains comportements […] »19. Autrement dit, il s’agit de règles qui imposent

une obligation. Par rapport au deuxième type de règles, Hart notait notamment qu’elles

« sont, en un certain sens, parasitaires ou secondaires par rapport aux [règles primaires] ; elles veillent en effet à ce que les êtres humains puissent, en accomplissant certains actes ou en prononçant certaines paroles, introduire de nouvelles règles de type primaire, en abroger ou en modifier d’anciennes, ou, de différentes façons, déterminer leur incidence ou contrôler leur mise en œuvre. […] les règles du second type pourvoient à des opérations qui entrainent non seulement un mouvement ou un changement d’ordre physique, mais la création ou la modification de devoirs ou d’obligations »20.

Ainsi, tandis que les règles primaires « […] régulent le comportement des sujets du droit international, les règles secondaires régulent les règles primaires : leur création, modification,

19 HART Herbert L. A., Le concept de droit, traduit de l’anglais par Michal Van De Kerchove, 2e éd., Bruxelles,

Facultés Universitaires Saint-Louis, 2005, p. 101.

(8)

extinction, interprétation et fonctionnement »21. En d’autres termes encore, et pour reprendre

l’expression utilisée par Bruno Simma et Dirk Pulkowski, la raison d’être de l’existence des règles secondaires est de renforcer l’efficacité des règles primaires22. Dans la logique de Hart,

c’est l’union de ces deux types de normes qui définit l’existence d’un système juridique. En partant de la distinction opérée par Hart, Pierre-Marie Dupuy décrivait l’approche formelle de l’unité de l’ordre juridique international, basée sur l’idée que le droit international disposait d’un ensemble complet de normes primaires et, surtout, de normes secondaires23, leur

prétendue absence ayant été le principal argument que Hart avançait pour dénier au droit international la qualité de « droit » ou de « système juridique » abouti24. Dupuy voit l’unité

formelle de l’ordre juridique international comme étant « liée à l’utilisation des mêmes règles secondaires, de reconnaissance, de production et de jugement » indépendamment du contenu des normes primaires25. Ainsi conçue, l’unité formelle procède, plus spécifiquement, des

« modes de formation du droit » et des « conditions d’application du droit international »26,

les aspects précis que nous souhaitons interroger par rapport au droit coutumier et aux principes généraux.

Nous noterons ici que l’unité formelle dont parle Dupuy dessine l’ordre juridique international dans son ensemble, conçu comme une entité composée de plusieurs ensembles de normes primaires, ensembles connectés par une toile de fond de normes secondaires. L’approche formelle de l’unité suppose que, lorsqu’un régime spécialisé emprunte les normes secondaires du droit international général, il les appréhende et les applique d’une manière qui soit en phase par rapport au système dans son ensemble. Or, en dépit de la lecture unitaire qu’on peut en donner, l’affaire Tadić montre précisément que ce n’est pas toujours le cas.

21 MARSCHIK Axel, « Too Much Order ? The Impact of Special Secondary Norms on the Unity and Efficacy of

the International Legal System », EJIL, 1998, vol. 9, p. 212 [traduction libre de l’anglais].

22 SIMMA Bruno et PULKOWSKI Dirk, « Of Planets and the Universe : Self-Contained Regimes in International

Law », EJIL, 2006, vol. 17, p. 487 [traduction libre de l’anglais].

23 DUPUY Pierre-Marie, « The Danger of Fragmentation or Unification of the International Legal System and the

International Court of Justice », NYU Journal of International Law and Politics, 1999, vol. 31, pp. 793 – 794 Pour une critique de cette approche, voyez : PROST Mario, supra note 16, pp. 93 – 102.

24 HART Herbert L. A., supra note 19, pp. 232 – 233. D’autres ont également interrogé le caractère systémique

du droit international : COMBACAU Jean, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de

philosophie du droit, vol. 31, 1986, pp. 85 – 105 ; SHANY Yuval, The Competing Jurisdictions of International

Courts and Tribunals, Oxford – New York, OUP, 2003, pp. 85 – 103 ; TOMUSCHAT Christian, « International Law as a Coherent System : Unity or Fragmentation » in Mahnoush H. Arsanjani, Jacob Katz Cogan, Robert D. Sloane et Siegfried Wiessner, Looking for the future. Essays on International law in honor of W. Michael Reisman, Leiden / Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2011, pp. 323 – 354 ; SINGH Sahib, « The Potential of

International Fragmentation and Ethics », LJIL, 2011, vol. 24, pp. 30 – 33.

25 DUPUY Pierre-Marie, « L’unité de l’ordre juridique international : cours général de droit international public »,

RCADI, vol. 297, p. 39 ; DUPUY Pierre-Marie, supra note 23, pp. 793 – 794.

(9)

Plusieurs métaphores ont été utilisées par la doctrine pour décrire l’interaction entre différents régimes du droit international, entre eux et avec le droit international général. On a pu par exemple parler de « planètes et de l’univers » 27 ou encore d’un « univers d’iles

interconnectées »28.

Nous nous abstiendrons d’employer ici une nouvelle expression imagée. Nous relèverons simplement que l’unité formelle de Dupuy s’applique à « l’univers » qui se veut être le milieu où naissent et évoluent les créatures qualifiées de « planètes » ou d’« iles ». Pour mieux saisir l’interaction qui caractérise ces ensembles, il nous faut à présent en définir la portée. Plus spécifiquement, nous déterminerons ce que nous entendons par branche ou régime spécialisé – qualité que nous attribuons au droit international pénal – par opposition au droit international « non spécialisé » et donc général. Dans la mesure où la définition du droit international général nous parait quelque peu plus intuitive et plus aisée à déterminer par rapport à ce qui s’en différencie, à savoir les régimes spécialisés, nous nous permettons de traiter de ces derniers dans un premier temps.

III. La notion de régime spécialisé dans le débat sur la fragmentation

du droit international

Afin de définir la notion de régime spécialisé, nous prenons comme point de départ les travaux de la Commission du droit international sur la question de la fragmentation du droit international qui ont abouti à la publication d’un rapport définitif en 200629.

Il convient d’emblée de souligner que nous ne prétendons pas offrir au lecteur une étude qui chercherait à comprendre le phénomène de fragmentation à proprement parler. Aussi fascinante que puisse être cette thématique, loin de constituer une nouveauté30, elle a déjà

donné lieu à une quantité très substantielle d’études doctrinales, y compris, et peut-être

27 SIMMA Bruno et PULKOWSKI Dirk, « Of Planets and the Universe : Self-Contained Regimes in International

Law », EJIL, 2006, vol. 17, pp. 483 – 529.

28 PAUWELYN Joost, « Bridging Fragmentation and Unity : International Law as a Universe of Inter-Connected

Islands », Michigan Journal of International Law, 2003-2004, vol. 25, pp. 903 – 916.

29 CDI, Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du

droit international. Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international établi sous sa forme définitive par Martti Koskenniemi, A/CN.4/L.682, 58e session, 13 avril 2006. Ci-après : CDI, Rapport sur la

fragmentation.

30 Pour une analyse de la relation entre les approches de la fragmentation et les périodes historiques

correspondantes voyez : MARTINEAU Anne-Charlotte, « The Rhetoric of Fragmentation : Fear and Faith in

(10)

surtout, à celle de la Commission du droit international. Le débat doctrinal autour du phénomène de la fragmentation est d’ailleurs devenu lui-même l’objet de commentaires critiques de qualité31. À la lumière du nombre extraordinaire d’écrits déjà existants au sujet de

la fragmentation en tant que phénomène et au sujet du traitement que lui a réservé la doctrine, vouloir se lancer dans une nouvelle étude de ces questions semblerait quelque peu superflu. Par ailleurs, comme nous l’avons mentionné, nous souhaitons garder le cadre conceptuel du débat sur la fragmentation comme arrière-fond de nos réflexions et non en faire l’objet de notre étude.

Cela étant, les questions théoriques abordées à l’occasion de ces études ont alimenté la réflexion de l’auteure de la présente thèse de doctorat et ont inspiré le cadre conceptuel qui y est retenu. C’est pour cette raison que nous nous permettons de revenir brièvement sur la manière dont la question des régimes spécialisés y a été abordée.

« Fragmentation of, or between, [issue-areas or] regimes becomes an issue when such functionally specialized regimes claim autonomy either from each other […] or from general international law », écrit Joost Pauwelyn lorsqu’il tente de définir les contours du phénomène de la fragmentation32. Dans sa logique – et dans celle de la vaste majorité des auteurs ayant

traité de la fragmentation – l’ordre juridique international est présenté comme une entité avec de multiples branches de plus en plus spécialisées qui coexistent et interagissent entre elles et avec le droit international général. L’idée même de fragmentation repose sur le postulat de l’existence d’un ordre général – qui dit fragmentation, présume l’unité préexistante33 – et sur

celui qu’une revendication de l’autonomie de la part des différentes branches spécialisées en tant que porteuse du risque d’« érosion du droit international général »34.

31 PROST Mario, supra note 16 ; MARTINEAU Anne-Charlotte, Le débat sur la fragmentation du droit

international. Une analyse critique, Bruxelles, Bruylant, 2016, 584 pp.

32 PAUWELYN Joost, « Fragmentation of International Law » (dernière mise à jour, septembre 2006) in Rüdiger

Wolfrum (dir.), Max Planck Encyclopedia of Public International Law (accessible en version électronique sous le lien opil.ouplaw.com/home/EPIL).

33 DUPUY Pierre-Marie, « Fragmentation du droit international ou des perceptions qu’on en a ? » in Rosario

Huesa Vinaixa et Karel Wellens (dir.), L’influence des sources sur l’unité et la fragmentation du droit international. Travaux du séminaire tenu à Palma, les 20-21 mai 2005, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. VIII – IX ; GOURGOURINIS Anastasios, « General / Particular International Law and Primary / Secondary Rules : Unitary Terminology of a Fragmented System », EJIL, 2011, vol. 22, pp. 994 – 1003 ; PROST Mario, supra note 16, p.

12.

(11)

En 2000, Gerhard Hafner, dans sa proposition d’étudier la fragmentation au sein de la Commission du droit international, constatait qu’il n’existait pas d’ordre juridique international homogène et que le système de droit international était « […] fait de systèmes, sous-systèmes et sous-sous-systèmes universels, régionaux voire bilatéraux dont le degré d’intégration vari[ait] »35. Si cette logique systémique sous-tend l’ensemble du travail de la

Commission sur le sujet de la fragmentation, le rapport final est très largement axé sur la notion du « conflit de normes » décrite, en grande partie, par rapport aux dispositions conventionnelles antinomiques reprises dans des instruments concurrents36. Très technique,

l’approche adoptée consiste surtout à présenter différents outils du droit positif censés rendre possible ou assister la gestion des contradictions entre normes. Comme cadre contextuel37, le

rapport utilise surtout la Convention de Vienne sur le droit des traités de 196938. La CDI

aborde la question de la fragmentation principalement sous l’angle du droit des traités. La Commission précise qu’

« il est utile de tenir compte de la multitude de techniques existant en droit traditionnel pour traiter des tensions ou des conflits entre règles et principes de droit. Ces techniques ont pour point commun de chercher à créer des relations dignes de ce nom entre ces règles et principes de façon à savoir comment les utiliser dans un différend ou un conflit donné »39.

L’approche fonctionnelle et pragmatique que choisit la Commission en traitant des questions relevant de relations entre le droit général et le droit spécial, entre le droit antérieur et le droit postérieur, en s’attardant sur la question de la hiérarchie de normes et sur le principe d’intégration systémique, a pour but de traiter du raisonnement juridique, le rapport devant

35 CDI, Les risques que pose la fragmentation du droit international (Gerhard Hafner), 52e session, Ann. CDI,

2000, II, 2e partie, p. 150.

36 Jenks constatait, déjà dans les années 1950, que les conflits de normes étaient inévitables dans le domaine du

droit international ; JENKS C. Wilfred, « The Conflict of Law-making Treaties », BYBIL, 1953, vol. 30, pp. 402 –

405. Sur la notion de « conflits de normes » voyez notamment : VRANES Erich, « The Definition of ‘Norm

Conflict’ in International Law and Legal Theory », EJIL, 2006, pp. 395 – 418. Selon l’Encyclopedia of Public International Law, les conflits entre traités sont « a problem of the applicability of rival norms. They are no peculiarity of treaty law, for conflict occur also between, or within, other sources of international law. Neither are conflicts between norms confined to international law, but they are more frequent and more difficult to solve here on account of the decentralized law-making structure and the absence of common norm-setting agencies which are characteristic of the international legal order […] » ; WOLFRAM Karl, « Treaties, Conflicts between »,

in Rudolf Bernhardt (éd.), Encyclopedia of public international law, vol. IV, Amsterdam – Londres – New York – Oxford – Paris – Shannon – Tokyo, North-Holland – Elsevier, 2000, pp. 935 – 936.

37 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 17.

38 Convention sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, p. 331,

entrée en vigueur le 27 janvier 1980.

(12)

servir de « boite à outils grâce à laquelle les juristes confrontés à ce problème […] pourront parvenir à une décision motivée »40.

Voilées quelque peu par cette approche technique, la logique et la réflexion systémiques sous-tendent pourtant l’ensemble du rapport. La Commission explique le phénomène de la fragmentation en utilisant le vocabulaire relevant de cette logique. « Ce qui semblait à un moment donné réglementé par le “droit international général” relève désormais du champ d’application de régimes spécialisés […] »41, nous dit la CDI. Plus loin, la Commission

souhaite « insister sur la question de fond – le saucissonnage du droit en secteurs hautement spécialisés qui revendiquent une autonomie relative les uns par rapport aux autres et par rapport au droit général »42. On l’aura compris, la Commission réfléchit en termes

d’opposition « général / spécial », et c’est de cette manière qu’elle conçoit l’ordre juridique international.

La Commission définit les « régimes autonomes (spéciaux) » dans le cadre des développements relatifs à l’interaction entre le droit général et le droit spécial43. Nous

noterons que le raisonnement s’appuie largement sur la distinction entre normes primaires et secondaires44. Les développements opérés par la CDI servent ici de base pour la définition de

régime spécialisé retenue dans la présente étude.

Nous devons d’ores et déjà attirer l’attention sur un point. À l’issue de son examen des différentes acceptions possibles, la Commission du droit international, ou plutôt le groupe d’étude sur la question de la fragmentation, trouvera que le terme régime ou système autonome, utilisé au départ par la doctrine, était incorrect et trompeur car il impliquait l’idée d’un régime totalement isolé du droit international général45. Une telle hypothèse peut être

écartée par rapport au droit pénal. Nous avons déjà vu, à travers l’affaire Tadić, que le juge pénal ne fonctionne pas en autarcie ; il se réfère aux normes de droit général et revendique même leur réinterprétation. La présente étude montrera que cela est vrai non seulement dans le domaine de la responsabilité internationale mais, de manière encore plus marquante, également dans le domaine des sources du droit international. Au qualificatif autonome, la

40 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 20. Voyez également : PAUWELYN Joost, supra note 28, p. 906 41 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 8.

42 Ibid., § 13.

43 Sur la partie concernant les conflits entre droit spécial et droit général qui fait environ 93 pages, une

quarantaine sont consacrées à la question de « régimes autonomes (spéciaux) », cet intitulé étant, par ailleurs, retenu par la Commission elle-même.

(13)

Commission préfère celui de spécial46. Dans notre analyse, nous utiliserons également les

termes système ou régime spécial ou spécialisé, et ce de manière interchangeable.

La notion de systèmes spéciaux a, à l’origine, été liée aux règles relatives à la responsabilité des États47. La notion a pour la première fois été utilisée dans l’affaire des Otages devant la

Cour internationale de Justice qui déclarait que les règles de droit diplomatique constituaient un « régime se suffisant à lui-même »48. À travers cette notion, la Cour introduisait l’idée que

certains régimes, dits autosuffisants, devaient être pris en compte dans la codification des règles de la responsabilité étatique puisqu’ils prévoyaient des règles propres quant à la violation des normes primaires en relevant49. C’est en partant de ce raisonnement que le

rapporteur spécial de la Commission du droit international sur la question de la responsabilité des États pour fait internationalement illicite, Willem Riphagen, reprenait la théorie des sous-systèmes dans son deuxième rapport50 et la développait ensuite dans son troisième rapport. Il

écrivait alors :

« […] un traité peut créer un sous-système de droit international doté de ses propres règles secondaires, explicites ou implicites, adaptées à ses règles primaires. Ceci ne signifie pas nécessairement que l’existence de ce sous-système exclut de façon permanente l’application de toute règle générale du droit international coutumier relative aux conséquences juridiques d’actes illicites. […]. [Un] tel sous-système est en principe autonome en ce sens qu’il est indépendant des considérations et des situations qui relèvent d’un autre sous-système. Cette dernière remarque peut sembler contredire ce qui vient d’être dit. En réalité, les relations entre les divers sous-systèmes peuvent être compliquées par le fait qu’une série donnée de circonstances effectives peut relever de plus d’un sous-système. C’est ici que l’organisation de la relation devient particulièrement intéressante ; s’il n’est pas possible d’appliquer à cette

46 Sur la distinction entre régimes spéciaux et sous-systèmes voyez : BUFFARD Isabelle, « Une relecture de la

théorie des sous-systèmes en droit international » in Isabelle Buffard, James Crawford, Alain Pellet et Stephan Wittich (éd.), International Law Between Universalism and Fragmentation. Festschrift in Honour of Gerhard Hafner, Leiden – Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, pp. 19 – 23.

47 Sur la genèse de la théorie des sous-systèmes voyez notamment : BUFFARD Isabelle, ibid., pp. 15 – 18. Voyez

également : SIMMA Bruno et PULKOWSKI Dirk, supra note 27, pp. 483 – 529 ; SIMMA Bruno, « Self-contained regimes », NYIL, 1985, vol. XVI, pp. 111 – 136.

48 CIJ, Affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c.

Iran), arrêt du 24 mai 1980, Recueil 1980, § 86.

49 En ce sens : BUFFARD Isabelle, supra note 46, p. 16.

50 Voyez : CDI, Deuxième rapport sur le contenu, les formes et les degrés de la responsabilité internationale

(14)

situation l’un ou l’autre des systèmes, celui qui est le plus organisé prévaut tant que son inefficacité n’aura pas été démontrée »51.

Dans les rapports de Riphagen, l’on ne retrouve pas de définition articulée de sous-système ou régime autosuffisant. Ce n’est que dans le cadre des débats à la Commission du droit international qu’il procède à une distinction entre un système et un sous-système. Le premier est, selon le rapporteur spécial, « un ensemble ordonné de règles de conduite, de règles de procédure et de dispositions statutaires, qui forment un circuit juridique fermé pour un domaine particulier de relations de fait »52. Le second, quant à lui, peut être défini de la même

manière mais « sans être fermé, dans la mesure où il y a des incidences réciproques entre lui et d’autres sous-systèmes »53.

En ce qui concerne les notions de circuit fermé et ouvert dont parlait Riphagen, Martti Koskenniemi et Païvi Leino font remarquer, dans le contexte du débat sur les risques de la fragmentation par rapport à l’unité du droit international, que les régimes tout à fait autonomes (systèmes chez Riphagen) représentent un danger moindre pour le droit international général que des systèmes semi-autonomes54. En effet, les seconds appliquent des

règles de droit général avec une perspective et un but particuliers55, ce qui contribue, in fine, à

remettre en cause la teneur originale de ces concepts. Quant aux premiers, n’appliquant tout simplement pas les règles du droit général, ils ne peuvent en influencer la teneur.

Les développements faits par Riphagen se reflètent au sein de l’article 55 des Articles de la Commission sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite56. Dans le

cadre des travaux sur la fragmentation du droit international, le rapporteur spécial Martti Koskenniemi partira justement de cet article 55 pour en dégager la notion de régime autonome ou spécial57. Dans l’acception étroite des normes sur la responsabilité des États,

51 CDI, Troisième rapport sur le contenu, les formes et les degrés de la responsabilité internationale (deuxième

partie du projet d’articles), par M. Willem Riphagen, rapporteur spécial, Ann. CDI, 1982, vol. II, première partie, p. 35, § 54.

52 Comptes rendus analytiques de la 1731e séance, 34e session, 21 juin 1982, Ann. CDI, 1982, vol. I, p. 200 [nous

soulignons]

53 Ibid., pp. 200 – 201.

54 KOSKENNIEMI Martti et LEINO Païvi, « Fragmentation of International Law ? Postmodern Anxieties », LJIL,

2002, p. 561.

55 Ibidem.

56 « Les présents articles ne s’appliquent pas dans les cas et dans la mesure où les conditions de l’existence d’un

fait internationalement illicite ou le contenu ou la mise en œuvre de la responsabilité internationale d’un État sont régis par des règles spéciales de droit international » ; CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra note 11.

(15)

cette notion vise « […] le cas dans lequel un ensemble spécial de règles secondaires revendique la priorité sur les règles secondaires du droit général de la responsabilité de l’État »58, autrement dit la spécialité des conséquences liées à la violation par un État de ses

obligations internationales. Même en gardant à l’esprit l’affaire Tadić, il nous serait difficile de vouloir orienter notre analyse en fonction de cette définition très étroite.

Dans le rapport sur la fragmentation, le groupe d’étude ne se limite pas à poser la question des régimes spéciaux simplement dans le cadre des règles relatives à la responsabilité de l’État et élargit la portée de la notion en en proposant deux autres définitions.

La première d’entre elles contient une définition plus large visant des « ensembles imbriqués de règles primaires et secondaires, parfois également appelés “systèmes” ou “sous-systèmes” de règles qui gouvernent un problème particulier autrement que ne le ferait le droit général »59. Comme le constate Dirk Pulkowski,

« En pratique, les sous-systèmes semblent fonctionner de manière plus autonome par rapport au droit international général lorsqu’ils atteignent un degré élevé “d’épaisseur” normative et institutionnelle. Plus le fonctionnement d’un système est autonome du droit international qui l’entoure, moins il existe de probabilité pour qu’il se rabatte sur ce droit international général […] »60.

Autrement dit, plus un système ou un traité sur lequel il se fonde est complet, moins on aura de raisons d’avoir recours à d’autres sources du droit, en particulier celles du droit international général. Cependant, il nous semble fondé d’affirmer, qu’en tout cas au moment de l’apparition des tribunaux pénaux ad hoc, le régime du droit international pénal ne pouvait répondre aux caractéristiques de la deuxième acception proposée par la Commission. Il s’agissait, nous aurons l’occasion d’en reparler, d’un corps de règles très rudimentaire, que ce soit du point de vue de règles primaires ou secondaires.

Enfin, la dernière acception de la notion de régime autonome s’applique à des « […] champs entiers de spécialisation fonctionnelle, de compétence diplomatique ou académique, [qui sont autonomes] en ce que des règles et techniques spéciales d’interprétation et d’administration

58 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 124. 59 Ibid., § 128.

60 PULKOWSKI Dirk, « Narratives of fragmentation. International Law between Unity and Multiplicity »,

(16)

sont censées s’appliquer »61. Sont donnés comme exemples notamment les domaines des

droits de l’homme ou du droit de l’Organisation Mondiale du Commerce62 étant donné que

« […] les règles du droit international général sont censées être modifiées, voire exclues, dans leur administration »63.

L’effet d’un régime spécialisé entendu dans ce dernier sens est d’aboutir à des interprétations ou « des orientations qui, d’une façon ou d’une autre, s’écartent des règles du droit général »64. De manière schématique, la Commission met cette troisième acception en rapport

avec une subdivision du droit international en plusieurs branches65 qui, bien que seulement

illustrative et didactique, permet de bien saisir la portée de la notion de sous-systèmes. En effet, comme le fait remarquer le rapport sur la fragmentation, « il est courant de lier les branches ou sous-systèmes ainsi identifiés à des principes juridiques spéciaux concernant l’administration des règles pertinentes »66. Il s’agit de régimes à finalité essentiellement

fonctionnelle dont l’existence exprime, dans un sens, certaines rationalités sociales représentées par des intérêts guidant l’administration des règles pertinentes à ces régimes67.

Bref, cette notion la plus large de régime autonome « couvre tout un domaine de spécialisation fonctionnelle ou d’orientation téléologique à l’échelle universelle »68.

Comme le fait remarquer la CDI, les régimes spéciaux dans l’acception la plus large sont le résultat des activités non formalisées des juristes, des diplomates ou encore de groupes de pression69. Ils seraient, selon la CDI, « le résultat plutôt d’une évolution de la culture juridique

et des solutions apportées aux nécessitées pratiques de la spécialisation que de démarches

61 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 74.

62 À ce sujet voyez : PAUWELYN Joost, supra note 28 pp. 903 – 916. 63 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 129.

64 Ibid., § 132.

65 Ibid., §§ 132 – 133. Rappelons que dans l’Examen d’ensemble du droit international, document rédigé par le

Secrétaire général, A/CN.4/245, Ann. CDI, 1971, vol. II, deuxième partie, § 14), l’on retrouve une division du droit international en dix-sept branches, dont le droit criminel international. En réalité, le Secrétaire général est bien conscient du fait qu’à défaut de pouvoir passer en revue l’ensemble du droit international, la Commission ne peut se pencher que sur les principales branches du droit, ce qui sous-entend que d’autres catégories peuvent encore s’ajouter à la liste retenue (§ 16).

66 Ibid., § 132. Pour un bref rappel des positions sceptiques par rapport à la théorie des branches du droit

international voyez le § 133 du rapport.

67 Ibid., § 133 et note 168. KOSKENNIEMI Martti et LEINO Païvi, supra note 54, pp. 566 – 567 : à propos de

l’échange entre la CIJ et le TPIY sur la notion de « contrôle », les auteurs soulignent : « [no] doubt the sensibilities of humanitarian law experts differ from those prevalent among the judges of the ICJ on the propriety of international judicial involvement in civil wars where important interests of powerful states are concerned. If the ICTY judges manifest a striking Missionbewusstein, it is futile to struggle against it but arguments about consistency or the privileged role of the ICJ : the point is precisely to challenge that consistency, and those preferences ».

(17)

créatrices délibérées »70. Au cours de notre étude, nous aurons l’occasion d’interroger

l’exactitude de cette affirmation par rapport au droit international pénal. Nous relèverons alors que l’utilisation de la coutume et des principes généraux est effectivement, dans nombre de cas, dictée par les « nécessités pratiques » découlant de la spécificité du droit international pénal et de sa structure. Nous noterons cependant également que le caractère délibéré de la démarche créatrice du juge pénal ne peut toujours être exclu et saute parfois aux yeux.

L’adéquation du droit pénal en tant que branche avec la troisième acception « fonctionnelle » de la notion de « régime spécial » reste à vérifier, en ce compris si on garde à l’esprit la sophistication et la complexification progressive du droit international pénal dont les instruments fondateurs de la Cour pénale internationale sont les meilleures illustrations. Le droit pénal international a-t-il pour effet, ou au moins pour ambition, d’aboutir à des interprétations ou « des orientations qui, d’une façon ou d’une autre s’écartent des règles du droit général » ? C’est ce que nous nous proposons de vérifier à travers l’étude de l’utilisation de la coutume et des principes généraux par le juge pénal.

La notion même de régime spécialisé repose sur l’idée qu’il se différencie par rapport à quelque chose qui ne l’est pas. Il est temps de définir ce que nous entendons par « droit international général ».

IV. Définir l’univers : la notion de droit international général retenue

dans la présente étude

Le concept de « droit international général » est une notion polysémique71. Cette expression

est souvent entendue, de manière générique, comme désignant le doit « applicable à la communauté internationale universelle »72. Elle a également pu être définie à partir de la

70 CDI, Rapport sur la fragmentation, § 158 [caractères italiques ajoutés].

71 Voyez notamment : HUESA VINAIXA Rosario, « Le rôle de l’opinio juris » in Rosario Huesa Vinaixa et Karel

Wellens (dir.), L’influence des sources sur l’unité et la fragmentation du droit international. Travaux du séminaire tenu à Palma, les 20-21 mai 2005, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 56 ; CDI, Premier rapport sur la formation et identification du droit international coutumier, présenté par Sir Michael Wood, rapporteur spécial, A.CN.4/663, 65e session, 17 mai 2013, § 42 ; CDI, Rapport sur la fragmentation, pp. 276 – 279.

72 DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias et PELLET Alain, Droit international Public, 8e éd., Paris, LGDJ, 2009, p.

49, § 6 ; SALMON Jean, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 384, verbo

« Droit international général », A. ; BUZZINI Gionata P., « La “généralité” du droit international général.

Réflexions sur la polysémie d’un concept », RGDIP, 2004, pp. 383 – 385 ; TOMUSCHAT Christian,« What is ‘General International Law’ ? » in Guerra y paz, 1945 – 2009 : Obra homenaje al Dr. Santiago Torres Bernárdez, Universidad del País Vasco – Euskal Herriko Unibertsitatea, 2010, p. 331 ; ABI-SAAB Georges,

(18)

théorie des sources du droit international comme un « ensemble des règles internationales coutumières d’opposabilité générale »73. Dans notre cas, ces définitions ne sont pas

suffisantes en ce qu’elles ne rendent pas – la première étant trop générale et la seconde trop étroite – la dimension systémique ou structurelle et fonctionnelle de la notion du droit international général que nous entendons aborder dans la présente étude.

Dans la mesure où nous souhaitons interroger la manière dont le droit général est appliqué par des juridictions spécialisées, il nous faut en retenir une acception qui reflète sa « généralité » en contraste avec la « spécialité » de normes substantielles appliquées par ces institutions. C’est d’ailleurs une telle acception qui semblait poindre à travers les différentes acceptions de régimes spécialisés décrites par la CDI. En gardant à l’esprit les précisions relatives aux régimes spéciaux, nous entendrons le droit international général comme un ensemble de

« […] règles fondamentales qui déterminent la structure et le fonctionnement de l’ordre juridique international, ou les règles qui sont en principe applicables aux divers domaines du droit international par opposition à celles qui relèvent de systèmes ou domaines spécifiques faisant partie intégrante du système plus large que constitue précisément l’ordre juridique international »74.

Le droit général est le milieu normatif qui détermine la manière dont ont lieu les mouvements à l’intérieur de l’ordre juridique, qu’il s’agisse de la naissance de normes, de leur interprétation, de leur application, de leur évolution substantielle ou de leur disparition. C’est ce qui détermine la ou les dynamiques au sein du système de droit international. C’est l’optique structurelle.

Mais le droit international général est également un outil de description et d’appréhension de ces mouvements et dynamiques. Il agit comme un étalon pour « apprécier les intérêts spécialisés visés et les opérations techniques menées dans le cadre de régimes de traités

73 SALMON Jean, supra note 72, p. 384. Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.

384, verbo « Droit international général », B [italiques ajoutés] ; BUZZINI Gionata P., supra note 72, p. 382 ;

TOMUSCHAT Christian, supra note 72, pp. 331, 335 – 339 ; CIJ, Plateau continental de la Mer du Nord

(République fédérale d’Allemagne c. Pays-Bas), arrêt, 20 février 1969, Recueil 1969, § 63. Pour un examen de l’expression « droit international général » à la lumière de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, voyez : TOMUSCHAT Christian, supra note 72, pp. 332 – 340. Voyez également : TPIY, Le Procureur c.

Anto Furundžija, IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998, § 137.

(19)

spécifiques » 75 . En d’autres termes, les normes du droit général serviront aux

internationalistes comme une sorte de référence pour comprendre, représenter et, dans une certaine mesure, évaluer les « opérations techniques » au sein de régimes qui relèveraient, eux, non pas du droit général donc mais bien d’une de ses branches spécialisées.

Qui dit « opérations techniques », dit « outils ». Le droit international général se présente comme une boite à outils techniques à la disposition des branches spécialisées. C’est là une vision fonctionnelle de la notion du droit international général. Deux questions se posent à ce stade : comment fonctionne cette boite à outils et de quels types de normes est-elle « équipée ».

Nous partons du constat que le droit international ayant une visée essentiellement « dispositive », ses acteurs ont, en principe76, la liberté de sortir du régime général. Dans cette

optique, le droit international général se présente comme un ensemble de règles supplétives, applicables à défaut de règles particulières dans une matière donnée ou pour un problème spécifique. Les règles que nous visons comme relevant du droit international général constituent en ce sens des solutions de fall-back77 ou des solutions « par défaut », faute d’existence de règles spéciales ou particulières propres à telle ou telle branche du droit international.

Il ne faudrait pas, de par la distinction que nous avons faite de normes primaires et secondaires, que l’on donne l’impression que, dans notre optique, le droit international général est uniquement composé de normes secondaires. Cependant, vu la particularité des normes substantielles appliquées par le juge pénal, évaluer son acception des normes secondaires nous parait plus pertinent pour apprécier où il se situe par rapport aux figures issues de la logique du droit international général.

V. Le choix d’étudier l’utilisation de la coutume et des principes

généraux

Étant donné la diversité des normes secondaires et, partant, l’impossibilité de procéder à une analyse exhaustive et cohérente de leur emploi par le juge pénal, nous avons fait le choix de

75 CDI, Rapport sur la fragmentation, p. 278. 76 Ibid., § 154.

(20)

nous pencher sur un certain type de normes secondaires en particulier, à savoir celles relatives à la détermination et à l’emploi de la coutume et de principes généraux.

Il nous est apparu que bon nombre d’études ont avancé le fait que le juge pénal avait une approche quelque peu originale de la coutume internationale, qu’il manquait de véritable méthodologie dans la recherche d’une norme coutumière ou qu’il « abusait » de cette source du droit pour promouvoir des solutions substantielles novatrices78. Ces constats étaient, pour

la plupart, tirés à partir de quelques exemples jurisprudentiels isolés dont les commentaires s’attardaient d’ailleurs davantage sur les résultats substantiels et leur justiciabilité au regard du droit positif et non sur la démarche intellectuelle que le juge met en œuvre lorsqu’il raisonne en termes de droit coutumier. Les quelques auteurs qui se sont penchés, de manière plus systématique, sur la méthode utilisée par le juge pénal en ont constaté l’inconsistance79

dont ils ont tiré la conclusion de la « spécificité » de l’acception de la coutume en tant que source80. Nous souhaitons quant à nous, en dépassant les apparences d’originalité ou

d’inconsistance, offrir une lecture plus structurelle du concept de coutume internationale telle qu’elle découle, selon nous, de la jurisprudence pénale internationale.

La question de la formation et des éléments d’une norme coutumière relève de l’actualité du droit international. En 2000, l’Association de droit international a produit un rapport sur la question de la formation du droit international général coutumier81 et la Commission du droit

international mène présentement une étude sur la formation et l’identification du droit

78 Voyez notamment : KREß Claus, « International Criminal Law » in Rüdiger Wolfrum (dir.), Max Planck

Encyclopedia of Public International Law, dernière mise à jour mars 2009, version électronique disponible sous le lien opil.ouplaw.com/home/EPIL ; BANNELIER-CHRISTAKIS Karine, intervention dans le cadre de la table

ronde « Les Nations Unies et l’ex-Yougoslavie : une problématique pluridimensionnelle » in Yves Daudet et Rostane Mehdi (dir.), Les Nations Unies et l’Ex-Yougoslavie, Paris, Pedone, 1998, pp. 195 – 197.

79 ARAJÄRVI Noora, The Changing Nature of Customary International Law. Methods of Interpreting the Concept

of Custom in International Criminal Tribunals, Londres – New York, Routledge, 2014, pp. 117 – 119 ; SCHLÜTTER Birgit, Developments in customary international law. Theory and practice of the International Court of Justice and the International Ad Hoc criminal tribunals for Rwanda and Yugoslavia, Leiden – Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, pp. 279 – 280.

80 GRADONI Lorenzo, « L’attestation du droit international pénal coutumier dans la jurisprudence du Tribunal

pour l’ex-Yougoslavie. “Régularités” et “règles” » in Mireille Delmas-Marty, Emanuela Fronza et Élisabeth Lambert-Abdelgawad (dir.), Les sources du droit international pénal. L’expérience des Tribunaux pénaux internationaux et le Statut de la Cour pénale internationale, Paris, Société de législation comparée, 2004, pp. 52 – 74.

81 Association de droit international, Statement of Principles Applicable to the Formation of General Customary

(21)

international coutumier82. Dans ce cadre, elle s’est entre autres demandée « si, s’agissant de la

formation et de l’identification du droit international coutumier, on a procédé différemment dans chaque branche du droit, comme par exemple […] le droit pénal international et le droit international humanitaire »83. Il faut noter que la Commission a estimé dès son premier

rapport, que les juridictions pénales s’appuyaient généralement sur une approche classique du droit coutumier et de ses éléments constitutifs84.

Comment se fait-il que la doctrine académique d’une part, et celle considérée comme « la plus autorisée », émanant de la CDI, ont une interprétation différente de ce que fait le juge pénal lorsqu’il se sert du droit coutumier ? Si on peut, dans une certaine mesure, suspecter que, pour pouvoir mener à bien ses travaux, la Commission ne pouvait pas véritablement se permettre d’attribuer une signification particulière à chaque instance faisant une utilisation en apparence originale de la coutume, nous pensons néanmoins que la divergence des points de vue relève du contexte théorique plus large dans lequel ces différentes études sur l’utilisation du droit coutumier s’inscrivent.

La Commission place son étude dans l’optique du droit international général. Elle a pour ambition de « fournir des orientations aux personnes appelées à appliquer les règles du droit international coutumier pour identifier lesdites règles dans des cas concrets »85. Un peu

comme dans le cadre de l’étude du phénomène de la fragmentation, nous retrouvons ici une approche très technique et pragmatique de la question.

Les autres études doctrinales sur l’utilisation du droit coutumier par le juge pénal ont pour contexte spécifique le droit pénal en tant que tel et ont pour but, soit de conceptualiser la supposée « nouvelle » acception de la coutume qui serait véhiculée par la jurisprudence

82 CDI, Formation et identification du droit international coutumier, note de Michael Wood, rapporteur spécial,

A/CN.4/653, 64e session, 30 mai 2012 ; CDI, Premier rapport sur la formation et identification du droit

international coutumier, présenté par Sir Michael Wood, rapporteur spécial, supra note 71 ; CDI, Deuxième rapport sur la détermination du droit international coutumier, présenté par Michael Wood, rapporteur spécial, A/CN.4/672, 66e session, 22 mai 2014 ; CDI, Troisième rapport sur la détermination du droit international

coutumier, présenté par Michael Wood, rapporteur spécial, A/CN.4/682, 67e session, 27 mars 2015 ; CDI,

Quatrième rapport sur la détermination du droit international coutumier, présenté par Michael Wood, rapporteur spécial, A.CN.4/695, 68e session, 8 mars 2016.

83 CDI, Premier rapport sur la formation et identification du droit international coutumier, présenté par Sir

Michael Wood, rapporteur spécial, supra note 71, § 19.

Références

Documents relatifs

 Le TPIY est chargé de réprimer les crimes internationaux qui sont visés par son statut : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide commis durant le

15h15 - 16h30 DEUXIÈME SÉANCE : Quelle complémentarité entre justice transitionnelle et justice (pénale) internationale. Président de séance : Emmanuel Decaux, Professeur

Cette intrusion du droit international dans la sphère du droit interne algérien est le résultat de la consécration constitutionnelle du principe de la primauté

sur un impératif moral. On ne s'étonnera pas que le droit international pénal, matière d'ordre public et d'intérêts communau- taires propres à l'humanité tout

une voile récente et une radio mise en service en juin 1998, soit quelques semaines seulement avant l'accident, et de réputation très fiable ; qu'elle a également constaté que «

Mais attendu que l'action directe instituée par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 trouve son fondement dans la volonté du législateur et non dans les contrats conclus

3°/ que pour retenir enfin que la clause litigieuse n'aurait pas été imposée économiquement à la société FBA par l'assureur, la cour d'appel a retenu que

Allant ainsi du droit international général et du droit des organisations internationales au contentieux international, en passant par la protection internationale de la personne