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Une application des tourbillons convectifs. Formation
des sols polygonaux
V. Romanovsky
To cite this version:
UNE APPLICATION DES TOURBILLONS CONVECTIFS. FORMATION DES SOLS POLYGONAUX Par V. ROMANOVSKY.
Sommaire. 2014 Ce court
compte rendu est un résumé de mes travaux qui ont porté sur la convection et l’hydrodynamique et ont eu pour but de donner une explication physique à la genèse des sols polygonaux arctiques. Ces études se sont effectuées en deux stades : d’abord au laboratoire et ensuite
au cours d’une expédition au Spitzberg.
M. H.
Benard,
prématurément
enlevé à laScience,
avait consacré toute sa vie
à
l’étudesystématique,
d’abordthéorique
et ensuitepratique,
des tourbillons convectifs. Il avaitessayé
de rechercher les causesdes
phénomènes
de laNature,
àpremière
vue trèscomplexes, qui
étaientrégis
par cette loi de la convection(1).
M. Avsec avait établi
l’application
aux nuages(2)
et l’astronome Jansen avait découvert sur laphoto-sphère
solaire des divisionshexagonales qui
avaienttout à fait
l’apparence
de cellules convectives.Après
ces résultats très
probants,
M. H. Benard m’avaitchargé
d’étudier les solspolygonaux
pour essayer de donner à leur formation uneexplication
dueà la loi de la convection.
Les sols
polygonaux
sont desaspects
très curieux desterrains,
ce sont des réseauxpolygonaux
depierres qui
se sontdisposés
enpetits
sillons de 10 à 20 cm de haut et formant deshexagones,
despentagones,
des carrés ou des cercles de 1 à 2 mde diamètre sur des kilomètres carrés de
superficie (3).
Tout d’abord nous avons décidé
d’essayer
dereproduire
au laboratoire et à trèspetite
échelleces mêmes formations. Mais dans la Nature c’est
un
phénomène qui
demande,
pour se stabiliser et atteindre le «régime
permanent
», des semaines et même desmois,
tandisqu’au
laboratoire il fallait l’obtenir enquelques
minutes. La similitudedyna-mique
demandaitd’augmenter
considérablement la différence detempérature
existant entre les deux niveaux(fond
de la cuvette et surfacelibre).
Nousavons donc
adopté
unetempérature
du fond dela cuvette de go à 1050 suivant le matériau
employé
et une
épaisseur
de couche turbulente de o, 3 à 2 cm.Nous avons
employé
une « boue » de sucre, desel,
d’amidon ou de sable. Cette couche de « boue de
sucre »
(c’est
le matériauqui
a été leplus employé)
était surmontée d’une couche de
liquide
saturé, donc de très forte densité et degrande
viscosité;
pour les corps
insolubles,
tels que lesable,
nous avonsemployé
unliquide
renduvisqueux
par la(1) Henri BÉNARD, Thèse de Doctorat, Paris, l go I .
(2 ) H. BÉNARD et D. ANSEC, J. de Physique, VII, 9, no 11,
p. 486-500.
(3) RoxANoi;sKv, Note aux C. R. Acad. Sc., 208, p. 621.
dissolution d’un corps
(par exemple
dusirop
desucre).
Cette couche deliquide
aidait lephénomène
et
permettait
en outre au sucre de ne pas secristal-liser
trop
rapidement.
Il étaitégalement
nécessaire d’avoir entre la ( boue )) et leliquide qui
la surmontaitun écart de densité le
plus
faiblepossible (4).
Fig. i. - Vue microscopique des grains de sucre utilisés (Grosseur : 2 à 3 ~.).
Nous avons
employé
deux méthodesqui
ontpermis
d’étudier les tourbillons convectifs dans les deuxplans.
Pour leplan
vertical nous avonsemployé
une cuvette mince verticale àparois
vitrées,
et l’on obtenait une véritable « coupe » duphénomène
montrant les mouvements desparticules
solidesincorporées
et la distribution deslignes
de courant.Pour le
plan
horizontal,
nous avons utilisé une cuvetteplate métallique
circulaire où nouspouvions
obtenir l’observation de la surface libre de la couche
et reconnaître un
aspect
absolumentidentique
à celui que l’on trouve àgrande
échelle sur les solspolygonaux arctiques.
Lechauffage
était obtenu àl’aide d’une résistance
électrique qui,
dans unther-mostat, chauffait le fond de la cuvette. Les différences
de
température
ont étéprises
à l’aide decouples
thermo-électriques
dont la mise aupoint
aexigé
(4) ROlB1ANOVSKY, Rev. Géogr. Phys., 12, fasc. 2.3 47
un gros travail par suite do la
précision
à obtenirel des concHtions défavorables de fonctionnement.
Fig. 2. - Schéma de la
répartition des lignes de courant dans une couche de « boue » de sucre.
(Fonda io3’.)
Fig. 3. - Réseau d’isothermes dans
une couche de « boue »
de sucre.
Les mesures de
longueurs
ont été faites à l’aide dedispositifs
trèsprécis
permettant
d’apprécier
enFig. 4. -
Aspect de la partie inférieure d’une couche
de « boue » de sucre avec incorporation de sable et portée Ù Les grains de sable se disposent en réseau polygonal au fond de la cuvette.
l’espace
dequelques
fractions deseconde,
lequart
de millimètre.Deux années de travail nous ont
permis
de fairedes centaines
d’expériences
et d’établir trois lois : JO Loi de la constance durapport
entrel’épaisseur
de la couche tourbillon naire et la
largeur
d’une cellule. Cerapport,
aux erreursd’expérience près,
est
égal
àJ ,7!).
L’épaisseur
de la coucheliquide
surmontant lacouche de « boue » n’a aucune influence sur la cons-tance de ce
rapport.
De nombreusesexpériences
faites en faisant varier
l’épaisseur
de cette couchenous en a donné la conviction.
20 Loi de la
disposition
deslignes
de courant. Leslignes
de courant sedisposent
d’unefaçon
tout à faitrégulièrc;
elles montent au milieu de lacellule,
sontcentrifuges
à lasurface,
descendent lelong
des cloisons descellules,
sontcentripètes
au fond dela cuvette et
rejoignent
le milieu de la cellule où lecycle
recommence. Le réseau de ceslignes
de courant est absolumentidentique
à celuiqui,
dansles
liquides visqueux,
a été observé par M. Benardavec ses
classiques
tourbillons convectifs.30 Loi des
températures.
Lestempératures
à l’intérieur de la couche tourbillonnaire sedisposent
d’une
façon
régulière,
le réseauisothermique
dessine des courbesqui
ont leurs maxima aux milieuxdes cellules et leur minima aux cloisons des cellules. C’est aussi exactement la même
disposition
quedans les
classiques
tourbillons convectifs.Fig. 5. --
Aspect de la partie supérieure d’une couche de « boue n de sucre avec incorporation de poudre
d’aluminium et portée à La poudre d’alumi-nium se dispose en bandes blanches sur les cloisons
Il ressort de ces trois lois que les tourbillons que nous avons étudiés étaient des tourbillons de
convec-tion,
malgré
la matière trèsparticulière
danslaquelle
ils seproduisaient.
Lephénomène
en lui-même est trèscomplexe,
nous n’avons affaire ni à unliquide,
ni à un solide, ni à un gaz, mais à un corpsparfaitement
hétérogène,
unesuspension,
où lesparticules
solidesassez grosses
(grains
de sucre enpoudre :
2 à3 p
environ)
et de formesquelconques
sont en trèsgrande
quantité.
Fig. G. -
Coupe du terrain polygonal montrant le réseau d’isothermes (schéma).
Il est
impossible
de donner uneinterprétation
ou uneexplication mathématique,
il estégalement
impossible d’appliquer
des formules connues comme celles parexemple préconisées
par LordRagleigh (5)
pour les tourbillons convectifs. Mais tout se passe comme si l’on avait affaire à un
liquide
trèsvisqueux
dont la viscosité serait
égale
à la viscosité « fictive »de cette
boue;
et avec cettehypothèse
onpeut
essayer de donner
quelques explications
mathéma-tiques
en étudiant les constantesphysiques
de la matière. C’est un travailsupplémentaire qui
esten cours actuellement.
Après
ces résultats très intéressants obtenus aulaboratoire
je
décidai departir
auSpitzberg,
pour vérifier surplace
si ces tourbillons de convectionpouvaient
être à la base de la formation des solspolygonaux arctiques.
J’ai donc étéenvoyé
en mission par le Centre national de la Recherchescientifique
pour un
séjour
de deux mois dans lesrégions polaires.
Un trèsgrand
nombre degéologues
et degéographes
avaient
déjà
étudié cephénomène,
mais aucunn’avait admis la théorie
convective,
ne la connaissant pas à fond. Ils avaientproposé
un tas de théories toutesplus
ou moins erronées.On
peut
classer les solspolygonaux
en deux groupessuivant que le sol est
hérétogène
et contient despierres
qui
sedisposent
à la surface en un réseaupolygonal (1er groupe)
ou bienhomogène
etexempt
de cailloux(2e groupe).
J’ai établi la classification suivante : I er groupe. -
a, anneaux de
pierres;
b,
réseaux depierres;
c, bandes depierres;
d,
ilôts de décombres.(5) Lord RA YLEIGII, Phil. lLlug., 1916.
2e groupe. --
a,
polygones
defissures; b,
buttesgazonnées.
Fig. 7. -
Coupe du terrain polygonal montrant la disposition
des pierres qui dessinent les lignes de cnuranl (schéma).
Mon
premier
travail sur le terrain a consisté dans l’étude de la surface dusol,
j’ai
mesuré leslongueurs
des anneaux et despolygones,
photographié
lesdivers
aspects
rencontrés.Ensuite, des terrassements m’ont
permis
de merendre
compte
de ladisposition
despetits
caillouxplats
ouallongés
à l’intérieur de la masse,pierres
qui
matérialisaient le sens deslignes
de courant.Les
températures
ont étéprises
à l’aide dethermo-mètres
enregistreurs
àlongue tige
pouvant
descendrejusqu’à
1 m dans le sol.Les lois établies sur des
expériences
àpetite
échelle ont été entièrement vérifiées et
s’appliquent
intégralement
à la formation des solspolygonaux.
On retrouve le mêmerapport
constant1,75
et le réseau deslignes
de courant ainsi que celui desisothermes sont
respectivement identiques
à ceuxdes tourbillons des « boues » de sucre.
Dans les sols
polygonaux
lephénomène
se passede la
façon
suivante :pendant
toutl’été,
à uneprofondeur
de 1 menviron,
existe une couche de terre éternellementgelée appelée
«tjale
»qui
estabsolument
imperméable
etjoue
le rôle de fond de cuvette;au-dessus,
pendant
la fonte desneiges
et de la
glace,
seplace
une couche deboue,
plus
ou moins
liquide
etplus
ou moinshétérogène, qui,
à cause des différences de
températures
existantentre le fond et la
surface,
et des variations detempératures
brusques,
est lesiège
de tourbillons convectifsqui, grâce
à leurslignes
de courantscentrifuges
de lasurface,
amènent tous les caillouxà la
périphérie
et lesdisposent
en cloisons verticalesqui apparaissent
à la surface sous forme de réseaupolygonal.
L’action
poussante
de lagelée
préconisée
parHogbom (6)
aide et accélère lephénomène pendant
legel,
enpoussant
lespierres
vers lapériphérie,
mais cette action détruit la formehexagonale
de la cellule tourbillonnaire en la transformant enforme circulaire
(7).
(6) HOG136-,,r, Bull. géol. Insl. J 008- J gog.
349
Fjg, S. -
Photographie d’un polygone du
groupe II en terrain homogène (Spitzberg).
Sur des
pentes
inférieures à 100 nous trouvons des bandes depierres disposées
suivant deslignes
de
plus
grande pente,
cettedisposition
découle de lacomposition
de l’effet convectif avec lapesanteur.
Dans lesexpériences
de laboratoirej’avais
également
trouvé des traînées
analogues
en inclinant la cuvette.Comme
j’avais
admisqu’il
étaitpossible
d’assi-miler la bouequi
forme le milieu tourbillonnaireFig. 9. -
Photographie montrant l’aspect classique des réseaux de pierres
( Spitzberg).
à un
liquide homogène
trèsvisqueux, j’ai rapporté
du
Spitzberg
unegrande quantité
d’échantillonde cette boue afin d’étudier les constantes
physiques
de ce matériau. Ce travail est en cours.Ainsi nous avons pu établir la liaison entre une
théorie
physique
trèsrigoureuse
et une formationgéologique
qui
jusqu’ici paraissait
uneénigme
dela Nature.