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Texte intégral

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La Créolité de Charlie Chan Hock Chye

Philip Smith

Résumé

Dans ce texte, j’utilise le concept de Créolité pour comprendre The Art of Charlie Chan Hock Chye de Sonny Liew. Je commence par examiner l’applicabilité de Créolité - un concept né de l’étude de la Caraïbe francophone dans un contexte singapourien. J'examine ensuite les manières dont Liew utilise les caractéristiques d'une littérature créole décrite par Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, à savoir « l’enracinement dans l’oralité » ; « la mise à jour de la mémoire vraie » ; « la thématique de l’existence » ; « l'éclat de la modernité » ; « l’irruption dans la modernité » ; et « le choix de sa parole ». Je soutiens que The Art of Charlie Chan Hock Chye est une intervention importante dans le récit du moi singapourien.

Abstract

In this essay I use the concept of creoalite to understand Sonny Liew’s The Art of Charlie Chan Hock Chye. I begin by examining the applicability of Creoalite – a concept born in the study of the French-speaking Caribbean to a Singaporean context. I then examine the ways in which Liew employs the characteristics of a creole literature outlined by Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau and Raphaël Confiant, namely “rootedness in orality”, “updating true memory”; “the thematics of existence”; “the burst in modernity”, and “the choice of one’s speech”. I argue that The Art of Charlie Chan Hock Chye is an important intervention in the narrative of the Singaporean self.

Keywords

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Dans leur texte « Éloge de la Créolité » ; Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant cherchent à tracer le chemin menant vers une identité créole pleinement réalisée.1 Pour qu'une telle identité puisse exister - affirment-ils - nous devons d’abord reconnaître la manière dont les croyances sur le soi ont été projetées et reproduites par certains sujets historiques ; « Nous avons vu le monde à travers le filtre des valeurs occidentales », affirment-ils, « et notre fondation s’est trouvée « exotisée » par la vision française que nous avons dû adopter ».2 Que ce soit dans les Caraïbes françaises, les Caraïbes espagnoles ou encore dans les Caraïbes britanniques et, en fait, partout où un groupe de personnes a été soumis à la domination économique et culturelle d’un autre, le sujet colonisé a été contraint de comprendre sa propre existence à travers les yeux de l’autre. Une conséquence de ce processus est la fétichisation de la langue (couleur de peau, culture, etc.) du colonisateur, où, comme en Haïti, le français est la langue du discours littéraire, politique et juridique ; même deux siècles après l'indépendance haïtienne, l'architecture culturelle et juridique du colonialisme français continue à dicter la vie quotidienne des Haïtiens.

Une réponse à ce problème est le mouvement critique et littéraire de la négritude - la célébration des identités panafricaines mondiales. Pour Bernabé, Chamoiseau et Confiant, toutefois, la négritude n’est qu’une étape partielle vers une culture créole, car elle ne reconnaît pas la transculturalité de la diaspora africaine en Amérique ainsi que dans les Caraïbes. Leur travail s'appuie essentiellement sur les arguments proposés par Glissant dans sa Poétique de la relation.3 Glissant caractérise la culture antillaise comme étant résistante ou même incompatible avec un modèle de relations occidental linéaire. Pour comprendre une culture créole, affirme Glissant, nous ne pouvons pas tracer une ligne d'influence singulière, mais nous devons reconnaître des convergences multiples qui se chevauchent. Il préconise une vision du monde caractérisée, dans les paroles de Valérie Budig-Markin et celles de Martha Manier « par la diversité, la relation et l'opacité, plutôt que par la pensée linéaire, la filiation et la transparence ».4 Les auteurs développent l’argument de Glissant selon lequel les identités culturelles ont été effacées et renégociées à travers le bateau, le site littéral et métaphorique, où la violence, la transplantation et la déshumanisation ont mis en contact différentes langues et cultures africaines ainsi que européennes.

Le terme ‘créolité’, dans le sens utilisé par Glissant, décrit les cultures produites par la transplantation, la domination coloniale et l'esclavage. Pour Glissant, cela n’implique pas l’hébergement simple de différents groupes culturels et raciaux au sein d’un espace commun, mais plutôt la production d’une culture distincte. Les premiers écrits de Glissant sur la créolité concernent avant tout les Antilles, mais le même terme a été mis en œuvre par Robin Cohen, Fatima El-Tayeb, Reuben S. Gowrichan, Encarnación Gutiérrez Rodríguez et Shirley Anne Tate, à d’autres contextes mondiaux qui ont été marqués par des contacts prolongés parmi des groupes ayant des identités culturelles distinctes.5 Certains critiques ont contesté la conviction selon laquelle la théorie de la créolisation est applicable dans de multiples contextes. Thierry Fabre, par exemple, affirme que la créolisation n'est pas une lentille utile pour examiner le monde méditerranéen. En effet,

1 J'ai rédigé un premier brouillon de ce document lors de l'audit de la classe de cultures francophones du Dr. Marky Jean-Pierre à

l'Université des Bahamas au printemps 2019. Je remercie le Dr Jean-Pierre pour son inspiration et ses commentaires. Je remercie également Kenza Anbary et mon père Paul Smith.

2 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la Créolité, (Hors série Littérature, Gallimard, 1993) page 14. 3 Édouard Glissant Poétique de la relation (Paris : Gallimard, 1990).

4 Valérie Budig-Markin and Martha Manier « Traduire les Antilles en anglais : trahir ou fêter la polyphonie? » Les Antilles en

traduction 13.2, 2e semestre 2000.

5 Robin Cohen, « Creolization and Cultural Globalization: The Soft Sounds of Fugitive Power » Globalizations 4.3 (2007):

369−384; European Others: Queering Ethnicity in Postnational Europe (Minneapolis: University of Minnesota Press, 2011); Fatima El-Tayeb, « Speculation: Creolizing Europe » Manifesta Journal: Future(s) of Cohabitation 17 (2014): 9–10; Reuben S. Gowricharn, Caribbean Transnationalism (Lanham, Md.: Lexington Books, 2006); Encarnación Gutiérrez Rodríguez et Shirley Anne Tate ed. Creolizing Europe: Legacies and Transformations (Liverpool: Liverpool University Press, 2015).

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Michel-Rolph Trouillot caractérise les partisans de la créolisation comme étant, dans les pires exemples, ignorant des spécificités d'un contexte historique particulier afin d'adapter la théorie à la situation. Toutefois, d'autres, comme Erin Moira Lemrow par exemple, ont trouvé le concept utile pour décrire la vie de ceux qui vivent en Asie du Sud-Est.6

Bernabé, Chamoiseau et Confiant présentent la créolité en tant que condition globale. « Éloge de la Créolité » commence donc par l'affirmation « ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles ».7 Le terme le plus important ici est « nous ». Ce concept nous invite à nous poser la question « qui sommes-nous? » Le "nous" de la ligne d'ouverture ne représente pas seulement les auteurs ; quand ils écrivent « dans cette révolte négriste, nous contestions la colonisation française »,8 le « nous » ici est clairement une position historique spécifique - c’est-à-dire membres de la résistance anticoloniale en Haïti de 1791 à 1804. C'est un mot qui relie les idéaux des différents mouvements anticoloniaux à la lutte en cours des néo-colonisés. Le « nous » représente tous les sujets qui ont été forcés, par le colonialisme économique et culturel du "soft power", d’accepter « les valeurs [du maître] comme celles de l’idéal du monde ».9 Et pourtant, le « nous » ne se limite pas seulement à la condition de (post) (néo) colonialité, d'oblitération culturelle et de transplantation. En fin de compte, les auteurs proposent dans une note de fin de page une définition étymologique du terme « créole » comme « celui qui est né et a été élevé aux Amériques sans en être originaire, comme les Amérindiens ».10 Dès qu'ils l'ont fait, cependant, ils rejettent

immédiatement cette définition, car ils ne sont pas pertinents pour la théorie de la créolité. Se méfiant du chauvinisme voilé de « l'Universel », ils ne s'arrêtent pas aux frontières de la Créolité, préférant présenter la condition moderne globale – un contrepoint au mythe de la pureté raciale, culturelle ou économique et isolement constaté dans l'impérialisme européen et affiliation non-examinée aux identités africaines.11 Le « nous » est donc un vide qui demande à être comblé. Il émerge, bien sûr, en réponse au colonialisme, au chauvinisme culturel français et à la négritude (les « deux monstres tutélaires » de l’identité africaine et européenne), et il est fondé sur l’individualité des Caraïbes, mais cherche à reconnaître les langues, les pratiques et les croyances sont interconnectées, contingentes et soumises à des échanges ainsi qu’à des évolutions constants.12 Le « nous » implique donc une complicité avec le lecteur ; ce n’est pas « nous » dans le sens de « lui et moi » mais « nous » comme dans « vous et moi ». « Le monde », affirment-ils, « va en état de créolité ».13 La mondialisation crée les conditions dans lesquelles « le fils, né et vivant à Pékin, d’un Allemand ayant épousé une Haïtienne, sera écartelé entre plusieurs langues, plusieurs histoires, pris dans l'ambiguïté torrentielle d'une identité mosaïque ».14 Nous sommes tous engagés au projet de construction et de définition des identités créoles.

Les auteurs proposent un ensemble de caractéristiques à cultiver dans la construction d’une identité littéraire créole : « l’enracinement dans l’oralité » ; « la mise à jour de la mémoire vraie » ; « la thématique

6 Thierry Fabre, « Metaphors for the Mediterranean : Creolization or Polyphony? » Mediterranean Historical Review, 17:1 (2002)

15-24; Erin Moira Lemrow, « “Créolization” and the New Cosmopolitanism: Examining Twenty-First-Century Student Identities and Literacy Practices for Transcultural Understanding » Journal of Multilingual and Multicultural Development, 38.5 (2017) 453-467; et Michel-Rolph Trouillot. « Culture on the Edges: Caribbean Creolization in Historical Context » From the Margins:

Historical Anthropology and Its Futures. 189-210. Ed. Brian Keith Axel (Durham and London : Duke University Press, 2003). 7 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 13.

8 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 21. 9 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 50. 10 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 61. 11 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 25. 12 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 18. 13 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 51. 14 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 52.

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de l’existence » ; « l'éclat de la modernité » ; « l’irruption dans la modernité » ; et « le choix de sa parole ».15 Ces caractéristiques, dont chacune sera examinée plus en détail ultérieurement, offrent collectivement les conditions d'une voix créole. En conséquence, cette étude cherche à utiliser l’objectif de la Créolité pour examiner une géographie et une histoire liées entre elles et pourtant bien distinctes ; celui de Singapour. Plus précisément, il s’agit d’explorer le roman graphique de Créolité de Sonny Liew, The Art of Charlie

Chan Hock Chye.

Singapour comme site de Créolité

Les bateaux qui amenaient des personnes originaires de l'Inde, de la Chine et d'ailleurs en Malaisie dans la colonie britannique située à l'extrémité sud de la Malaisie étaient d'une nature différente des navires négriers décrits par Glissant. Il n'y avait pas de projet à grande échelle de déplacement forcé pour amener des personnes à Singapour, mais plutôt une incitation à l'emploi et au commerce. Les commerçants britanniques ont commencé à se rendre en Malaisie au XVIIe siècle et la première acquisition britannique a été à Penang en 1786. Le 30 janvier 1819, Thomas Stamford Bingley Raffles a signé un accord avec Temenggong Abdur Rahman, dirigeant local des communautés du détroit, qui autorisait la Compagnie des Indes à construire une usine sur le site de la colonie des détroits en échange d'un versement annuel de 3 000 dollars. Les premiers colons à Singapour de la Compagnie des Indes orientales comprenaient trente Européens (militaires et civils) ainsi qu'une centaine de sepoys indiens. Ils ont ensuite été rejoints par deux cents soldats de Penang et par cinq cents soldats indiens qui rentraient chez eux de Bencoolen. Les commerçants et les colons de Melaka et de Chine, défiant une interdiction néerlandaise, ont rapidement afflué à Singapour au cours des décennies qui ont suivi. Au début de l'ère coloniale, Singapour était petite et non séparée. Les gens de différents groupes raciaux vivaient côte à côte et interagissaient régulièrement les uns avec les autres dans les affaires. L'afflux important de personnes d'autres régions du monde a rapidement transformé la population autochtone malaisienne en une minorité.

Il y a suffisamment de similarités entre l'histoire singapourienne et celle des caraïbes françaises, telles que décrites par Bernabé, Chamoiseau et Confiant, pour que la théorie de la Créolité puisse nous aider à comprendre l'écriture singapourienne. Comme partout ailleurs dans l'Empire britannique, à partir du XIXe siècle, il existait une politique de « diviser pour régner » et les écoles d'élite de la colonie de détroit créaient une classe de collaborateurs qui avaient été formés, comme le disait Thomas Babington Macaulay « pour servir d'interprètes entre nous et les millions de personnes que nous gouvernons ».16 Ces écoles ont

produit un groupe de personnes telles que Seah Chiang Nee, qui écrit à propos de son passage à l'école secondaire :

J’ai grandi en étudiant l'histoire britannique, parlant, pensant et rêvant en anglais. Mon idée d'un petit-déjeuner luxueux était du bacon et des œufs (pas que je puisse me le permettre), pas du porridge Teochew. J'en savais plus sur la Compagnie britannique des Indes orientales et sur Christophe Colomb que sur Confucius. Mes matériaux de lecture étaient Enid Blyton et Shakespeare, pas Marge d'Eau ou Les Trois Royaumes. En bref, je me sentais plus à l'aise avec des gens éduqués à l'anglaise et qui vivaient principalement dans un style de vie occidentale, avec des cocktails, des barbecues, etc.17

15 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, pages 33, 36, 38, 41, et 43.

16 « interpreters between us and the millions whom we govern » Thomas Babington Macaulay, Macaulay : Prose and Poetry, ed.

G. M. Young (London, Rupert Hart-Davis, 1952), page 729-30.

17 « I grew up studying British history, speaking, thinking and dreaming in English. My idea of a luxurious breakfast was bacon

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Bien qu’incomparable à la violence de l'esclavage, l'endoctrinement culturel pratiqué par les Britanniques a laissé un héritage d'individus comme Seah Chiang Nee avec, pour reprendre une phrase de Bernabé, Chamoiseau et Confiant « avoir sous la paupière que les pupilles de l’Autre » qui avaient internalisé la vision britannique du monde.18

Les politiques culturelles de Singapour après l’indépendance sont trop variées pour être discutées en détail ici. On peut toutefois affirmer que la volonté de l’État de créer un pays économiquement prospère et culturellement uni a souvent nui au développement d’une créolité singapourienne. Après l'indépendance, Singapour, dans le but d'attirer les investissements occidentaux, a adopté l'anglais comme « langue de travail », de l'enseignement et de la communication interculturelle et comme un moyen permettant aux Singapouriens de « rejoindre la communauté internationale de l'anglais mondial ».19 Les Singapouriens

apprennent maintenant deux langues à l'école - la langue anglaise et leur langue maternelle : le malais, le mandarin ou le tamoul. À partir de 1959, le ministère de la Culture a promulgué les formes d’art « asiatiques » telles que l’Opéra de Beijing. Cependant, comme le soutiennent Chong (2011) et Holden (2006), ces célébrations ont pour effet d’aplatir un éventail d’identités culturelles pour s’adapter à chaque « communauté raciale ».20 La majorité des Singapouriens chinois ne viennent pas de foyers parlant le

mandarin ou ne reconnaissent pas l'opéra de Beijing comme faisant partie de leur identité culturelle - alors que les identifiants raciaux sur les cartes d'identité, la politique du logement et l'affiliation à des associations communautaires maintiennent les divisions raciales créées par les Britanniques. Comme le fait valoir William Peterson, de nombreux Singapouriens continuent à considérer que « la partie asiatique de leur propre identité comme ayant une sorte d’“altérité” ».21 Les écrivains singapouriens sont donc souvent

laissés, selon les mots de Ee Tiang Hong, en « mimétisme d’oiseaux étrangers ». 22

Histoire dans The Art of Charlie Chan Hock Chye

Le roman graphique de Sonny Liew, The Art of Charlie Chan Hock Chye (2015), est une œuvre émergeant du milieu culturel de Singapour.23 Dans le texte, Liew décrit la vie et l'art du créateur fictif singapourien Charlie Chan Hock Chye, dont les œuvres suivent des événements marquants de l'histoire singapourienne. Le travail a été financé en partie par le Conseil national des arts de Singapour, bien que ce financement ait été retiré par la suite en raison de l’inclusion de « contenu sensible ».24 Le texte critique souvent le

gouvernement et remet en question la version de « The Singapore Story ». Dans un sens plus profond et plus subtil, le texte bouleverse également la hiérarchie des discours et des identités de Singapour. Il s’engage

Columbus than I did about Confucius. My reading materials were Enid Blyton and Shakespeare, not Water Margin or The Three Kingdoms. In short, I felt more comfortable around people who were English-educated and who lived a largely Western lifestyle, with cocktail parties, barbeques, and so on » Seah Chiang Nee, « Preserving our way of life », The Business Times, 2 février 1989, page 10.

18 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 23.

19 « join the international community of global English » de Rajeev Patke et Philip Holden, The Routledge Concise History of Southeast Asian Writing (New York, Routledge, 2010), page 48.

20 Terence Chong, The Theatre and the State in Singapore : Orthodoxy and Resistance (London, New York, Routledge, 2011);

Philip Holden, « Histories of the Present : Reading Contemporary Singapore Novels between the Local and the Global »

Postcolonial Text. 2.2, 2006, en ligne.

21 « the Asian part of [their] own identity as having a kind of “otherness” » William Peterson, Theatre and the Politics of Culture in Contemporary Singapore (Middletown : Wesleyan University Press, 2001), page 209.

22 « mimicry of foreign birds » de in Patke et Holden, page 53.

23 Sonny Liew, The Art of Charlie Chan Hock Chye (Epigram : Singapore, 2015).

24 Clarissa Yong, « NAC pulled grant from comic as it “potentially undermines the authority of the Government” », The Straits Times, 3 jun 2015, Retriever 2017-07-25.

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dans une rhétorique qui aligne, je cherche à démontrer, les caractéristiques de la littérature créole décrite par Bernabé, Chamoiseau et Confiant.

La principale caractéristique de la littérature créole identifiée dans « Éloge de la Créolité » est « l’enracinement dans l’oralité ». Alors que la forme dominante du discours français (et anglais) est l'écrit, le principal mode de Créolité, selon les auteurs, est la narration orale. La narration orale, affirment-ils, a toujours été une façon pour les peuples colonisés, privés d’autres modes de discours, de préserver leurs langues, leurs mythologies ainsi que leurs identités. Il y a, affirment-ils, « la rupture, le fossé, la ravine profond entre une expression écrite qui se voulait universo-moderne et la oralité créole traditionnelle où sommeille une belle part de notre être ».25 La tyrannie de l’écrit comme seule forme légitime de discours sert effectivement, comme dans Solibo Magnificent (1988) de Patrick Chamoiseau, à assassiner le conteur oral et à détruire ainsi l’identité créole.26

The Art of Charlie Chan Hock Chye n'est bien sûr pas une forme de narration orale. C'est une bande dessinée

composée de mots et d'images. Il engage néanmoins des modes de narration que le médium de la bande dessinée partage avec l'oralité. Terrence R. Wandtke affirme que le rendu visuel du son et le caractère éphémère de la bande dessinée confirment la particularité de la bande dessinée et de la narration orale.27 Bien que les bandes dessinées manquent d'interactivité et d'intonation dans la narration orale, elles transmettent néanmoins la nuance de gestes et d'expression faciale qui disparaît dans un texte purement écrit. Cela est particulièrement évident dans le fait qu’il est composé, en partie, d’interviews rendues sous forme de bandes dessinées, où Charlie Chan Hock Chye raconte son histoire directement à un intervieweur et se positionne de manière à faire face au lecteur.

Figure 1: Charlie Chan Hock Chye s’adresse au lecteur, imitant l’oralité.

Les bandes dessinées et la narration orale sont également associées dans le fait que les deux formes de communication contiennent un locuteur identifiable. Je m'inspire ici de Rachel Rys qui, dans son discours à la Comics Studies Society en 2018, soutenait que le discours académique écrit tend à écarter la question de savoir qui parle.28 Selon Rys, une affirmation centrale de la théorie féministe intersectionnelle est que la

25 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 35.

26 Patrick Chamoiseau, Solibo Magnificent, (Granta, 1999).

27 Voir Terrence R. Wandtke The Meaning of Superhero Comic Books (Jefferson, NC : McFarland & Company, 2012).

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question de savoir qui parle est la clé de notre compréhension de ce qui est dit - les mêmes mots prennent un sens différent lorsque nous prenons en compte la race, le genre et l'identité sexuelle de l'orateur. Comme les contes oraux, les bandes dessinées attribuent chaque parole à un locuteur, ce qui évite ainsi le faux universalisme du mot écrit.

L'importance du contexte d'un énoncé est explorée dans les premières pages de The Art of Charlie Chan

Hock Chye. Lee Kwan Yew et Lim Chin Siong répondent aux questions suivantes au fil des pages. Dans un

des panneaux, un jeune Lee Kwan Yew, représenté en noir et blanc, affirme : « j'ai toujours été le plus intelligent à l'école ».29 Sa jeunesse et son expression béate permettent au lecteur de contester cette

affirmation et le ton du scepticisme éclipse les panneaux suivants. Lee Kwan Yew affirme dans les derniers panneaux de la première page : « Certains ont contesté la voie que j’ai choisie pour Singapour… Mais où sont-ils maintenant? ».30 Sur la page opposée, Lim Chin Siong dit : « en 1996, je suis mort d'une crise

cardiaque »,31 alors que dans les panneaux précédents, il regardait devant lui, établissant un contact visuel

avec le lecteur, dans ce dernier panneau, il baissait les yeux. Les panneaux avant et après cet énoncé sont vierges. Le contraste entre les deux récits, y compris les apparences changeantes et les nuances de leurs expressions faciales, suggère que les mots ici présentent un récit incomplet - qu'il existe, quelque part entre les deux histoires, une vérité communiquée uniquement par le silence et le geste. Notre compréhension des deux récits est influencée par notre perception du locuteur.

Figure 2: Le changement d'expression du visage et les panneaux vides suggèrent une histoire qui a été effacée.

La remise en question de l'histoire et l'historiographie se répercutent dans l'ensemble du texte. La littérature créole, selon Bernabé, Chamoiseau et Confiant, doit s'attaquer à l'histoire ; ceux qui ont été soumis à la domination d'autrui, soutiennent-ils, sont une «fleur incapable d'en voir la tige», contraints d'accepter une version de leur propre histoire écrite par le colonisateur et perpétuée par une dépendance économique et culturelle (896). Liew met cette idée en scène dans l'exposition « The Singapore Story », dans laquelle un ministre singapourien essaie de décrire la version officielle de « The Singapore Story », notamment en célébrant le fondateur de Singapour, Sir Stamford Raffles.

Conference, Urbana-Champaign, 10 août 2018.

29 « I was always the smartest in school » Liew, page i.

30 « Some have challenged the path I have chosen for Singapore… But where are they now? » Liew, page i. 31 « In 1996 I died of a heart attack » Liew, page ii.

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Figure 3: Liew illustre la manière dont l'histoire est construite.

Des récits historiques qui, à l’instar de la version de l’État de « Singapour Story » évoquant l’empirisme, selon Bernabé, Chamoiseau et Confiant, ne permettent pas de reconstruire l’histoire détruite. Au lieu de cela, « seuls le savoir poétique, le savoir fictif, le savoir littéraire, bref le savoir artistique, peuvent nous découvrir » (ibid.). En conséquence, dans The Art of Charlie Chan Hock Chye, Liew propose divers récits de l'histoire singapourienne racontés à travers différents genres de bandes dessinées. Ces genres changeants, employant métaphore et allégorie, permettent à Liew de mettre en lumière l'artifice des récits historiques qu'il offre ; aucune version des événements n’est jamais présentée comme étant, au sens empirique, « ce qui s’est passé », mais une interprétation donnée par un observateur à travers un médium artistique. Nous pourrions faire ici un parallèle avec l'autobiographie d’internement de son père à Auschwitz d’Art Spiegelman dans laquelle Spiegelman représente les individus impliqués comme étant des animaux. Andrew Loman affirme que « l’une des ambitions majeures de Maus est de révéler l’insuffisance de la métaphore qui le gouverne ».32 Liew et Spiegelman sont tous les deux visiblement confrontés à l'impossibilité d'une

représentation historique transparente. Ils utilisent tous les deux l'art pour mettre en avant cette lutte et présenter des récits historiques qui, par nature, sont incomplets.

Un épisode de la bande dessinée illustre l’impossibilité d’extraire une « vérité » historique de récits concurrents. Charlie Chan Hock Chye raconte l'histoire de Chong Lon Chong, un étudiant manifestant qui a été touché par une balle lors des émeutes du bus de Hock Lee :

Plutôt que de l'emmener à l'hôpital où il aurait pu être sauvé… Des étudiants procommunistes le défilent pendant deux heures et demi. En conséquence, Chong meurt de ses blessures. C’est un récit que vous lisez partout… dans des livres d’histoire et de fiction historique, sur des blogs ainsi que sur des sites Web. Et pourtant, les reportages de cette journée n'appuient pas nécessairement cette interprétation… Mais laissons la question ouverte. Chong Lon Chong a-t-il été tué sur le coup ?

32 « one of Maus’s cardinal ambitions is to disclose the inadequacy of its governing metaphor » Andrew Loman, « That Mouse’s

Shadow : The canonization of Spiegelman’s Maus », The Rise of the American Comics Artist : Creators and Contexts, Ed. Williams, Paul and Lyons, James 210–34 (Jackson, University Press of Mississippi, 2010), page 221.

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Aurait-il pu être sauvé ? 33

Plutôt que de résoudre cette histoire contestée, Liew répète le panneau dans lequel le corps de Chong Lon Chong est porté par des manifestants, le premier sous le texte relatant la version des événements consignée dans les livres d’histoire et le second avec le texte de la spéculation de Charlie Chan Hock Chye. Aucune version de l'image ne permet de savoir si Chong Lon Chong est vivant ou mort. Chose cruciale, l’œuvre de Charlie Chan Hock Chye n’est pas épargnée par le fait que les phénomènes de l’histoire sont transformés par le fait de raconter. Il commente son récit des émeutes du bus de Hock Lee : « on peut toujours gagner le lecteur de son côté en montrant des animaux innocents blessés. Est-ce manipulateur? Sûrement. Mais c’est comme ça qu’on raconte des histoires ».34 Le point de vue de Liew n’est pas que l’art, qu’il soit oral ou

visuel, qu’il soit plus précis que les historiographies traditionnelles, mais que, contrairement aux récits empiriques, il met en avant son artifice et accepte la possibilité d’une réinterprétation et d’une révision. Nous pouvons relier ici les travaux de Liew à ceux d’Adrien Genoudet, qui soutiennent que la fiction historique, et la bande dessinée en particulier, peut, contrairement à d’autres récits historiques (supposés) empiriques, représenter l’histoire en tant qu’expérience plutôt que l’histoire tout court. Ils peuvent ainsi découvrir que « ces personnages dessinés qui nous regardent ce sont les absents, les absents de l’histoire, de la mémoire nationale, des photographies, des familles ».35 Genoudet utilise la distinction de Gil Bartholeyns

entre « histoire » et « passé » (représentations populaires de l’histoire).36 Selon lui, les bandes dessinées

éludent des questions naïves de vérité et de mensonge, proposant plutôt « une autre histoire » qui reconnaît la manière dont nos préoccupations contemporaines façonnent notre compréhension du passé. La bande dessinée imagine, compte tenu de l'impossibilité d'une re-création historique transparente et littérale, un objet historique tel qu'il aurait pu se produire. Kate Polak, de même, affirme que si « l’empathie » entre un lecteur moderne et un objet historique est impossible, la bande dessinée peut donner au lecteur un moyen unique de faire l’expérience d’une réponse émotionnelle plutôt qu’intellectuelle à un objet historique.37

The Art of Charlie Chan Hock Chye réalise ces moments chargés d'émotion en capturant des incidents

mineurs qui n'ont aucune place dans les histoires traditionnelles. À la page 208, par exemple, sur une série de quatre panneaux, Liew documente la disparition de cinémas portables à Singapour. Dans le premier panneau, nous voyons un vendeur de cinéma portable à vélo. Dans le second cas, l’arrière-plan disparaît et la figure est entourée d’une série de chiffres, comme si l’image avait été dessinée à partir d’un livre pour enfants dessiné par numéros. La série de panneaux fige la scène dans une image et l'introduction des chiffres rend cette image familière, ce qui permet au lecteur de prendre conscience qu'il regarde une reproduction plutôt qu'une représentation littérale d'un objet historique. Dans le troisième panneau, les lignes disparaissent, ne laissant que des chiffres et des couleurs. Dans le dernier panneau, il ne reste que quelques chiffres. La série de panneaux communique un sentiment non seulement de disparition, mais aussi d'effacement : ces petits moments cessent non seulement de se produire, mais n'ont pas de place dans les archives historiques officielles. Ils ont été réduits à des images séparées de l'expérience vécue dont ils sont tirés. Dans le panneau final, même les chiffres sont hors séquence, de sorte que même la possibilité de récupération a été effacée.

33 « Rather than take him to the hospital where he might have been saved … Pro-communist students instead parade him around

for two and a half hours. As a result, Chong dies of his wounds. It’s an account you read about everywhere… in books on history and historical fiction, on blogs and websites. And yet reports of that day do not necessarily support this interpretation… But instead leave the matter open. Was Chong Lon Chong killed on the spot? Could he have been saved? » Liew, page 54.

34 « You can always win the reader over to your side by showing innocent animals getting hurt. Is it manipulative? Sure. But that’s

how you tell stories » Liew page 53.

35 Adrien Genoudet, Dessiner l’histoire : Pour une histoire visuelle (Paris, Éditions Le Manuscrit Paris, 2015), page 154. 36 Gil Bartholeyens. « Loin de l’Histoire » Le Débat, 177, Novembre-Décembre 2013.

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Figure 4: Liew relate la disparition des histoires de tous les jours.

La Langue dans The Art of Charlie Chan Hock Chye

Un fragment de l’histoire de Singapour que le texte cherche à préserver est la langue. Une page est donnée à une femme qui décrit l'effondrement du bâtiment Lian Yak en 1986. Son discours est sous-titré et la note d'accompagnement se lit comme suit : « la bande dessinée de Chan cherche à illustrer l'écart entre le dialecte riche et expressif de la personne interrogée et les légendes incolores traduites en anglais fournies par l'émission télévisée ».38 L'anglais, dans ce sens, diminue et réduit au silence les locuteurs dialectaux, les

privant ainsi des moyens de s'exprimer.

La langue a longtemps été une question controversée à Singapour - le mouvement anticolonial était fortement lié aux identités chinoises et une grande partie de la politique britannique en matière d'éducation des années 1930 à l'indépendance reposait sur la nécessité perçue de réduire l'influence des écoles chinoises. À la suite de cette campagne, après la Seconde Guerre mondiale, les britanniques ont augmenté considérablement le nombre d'écoles de langue anglaise et, en 1946, le lieutenant-colonel D. Roper a exprimé les objectifs du régime :

C’est ma conviction profonde que ce que la langue anglaise et sa littérature peuvent signifier pour la jeunesse anglaise, ils peuvent aussi signifier pour la jeunesse asiatique de Singapour. Ce que l'anglais est à l'anglais, il peut également l'être aux chinois, à l'eurasien, à l'indien et au malais. L'enfant asiatique à qui on a appris à faire des déclarations correctes, concises et lucides [en anglais] a un avenir dans cette colonie britannique. Il a été formé à l'art de l'expression de soi et à l'acquisition d'expérience - de bonnes définitions de la véritable éducation dans n'importe quel pays ou langue.39

38 « Chan’s comic sought to illustrate the gap between the interviewee’s rich and expressive dialect and the colourless English

translated captions provided by the television programme » Liew, page 258.

39 « [I]t is my deep conviction that what the English language and its literature can mean to [the] youth of England, they can also

mean to the Asiatic youth of Singapore. What English is to the English, it can also be to the Chinese, the Eurasian, the Indian and the Malay. The Asiatic child who has been taught to make correct, concise and lucid statement[s] in English has a future in this British colony. He has been trained in the art of self-expression and in the art of acquiring experience - which are good working definitions of true education in any country or language » D Roper, « English Education in Singapore - its Aims and its Spirit »,

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L’adoption de l’anglais comme « langue de travail » de Singapour au lendemain de l’indépendance a permis de poursuivre la politique linguistique britannique. Liew affirme que les Chinois ont été « marginalisés des années 1950 aux années 1970 en raison de leurs liens perçus avec le communisme et le chauvinisme chinois ».40 Le gouvernement singapourien a depuis lors changé de position et promu l'étude du mandarin

dans le cadre de la campagne « Speak Mandarin » depuis 1979, tout en décourageant l'utilisation d'autres langues chinoises telles que le hokkien et le fujianese. Beaucoup ont affirmé que la priorité accordée au mandarin sur les cultures dialectales avait permis de dissocier les Singapouriens de leur patrimoine et laissait de nombreux Singapouriens incapables de communiquer avec leurs propres grands-parents.

Outre divers dialectes chinois et indiens ainsi que le malais, Singapour possède également son propre créole anglais, le singlish, qui emprunte des mots et des structures grammaticales de diverses langues asiatiques, dont le hokkien et le malais. Les singlishophones vont substituer les mots anglais (« wah today damn shiong »), répéter les mots pour souligner (« we buddy buddy ») et ajouter des mots à la fin de la phrase pour en infléchir le sens (« wait lah! »). Les membres du gouvernement ont activement découragé l'utilisation du Singlish. Le Premier ministre Lee Kuan Yew a décrit le créole comme un « un handicap que nous ne voudrions pas imposer aux Singapouriens » et, à partir de 2000, le gouvernement a organisé une campagne annuelle « Speak Good English ».41 Des ministres du gouvernement sont intervenus dans

l'émission télévisée singapourienne Phua Chu Kang, forçant les créateurs de l'émission à présenter un scénario dans lequel le personnage titulaire parlant le singlish suit des cours d'anglais et commence à parler un dialecte anglais plus normalisé.42

Le dramaturge et poète Alfian Sa’at affirme que le singlish est généralement utilisé comme source d’humour dans l’écriture singapourienne ; « habituellement, lorsque vous faites un certain type de casting sur scène, les locuteurs de singlish ont tendance à être ceux qui apportent l'humour, les éléments comiques, les clowns ».43

Singlish, affirme-t-il, « a été décrit de diverses manières comme une sorte de sténographie, car nous sommes paresseux, nous ne voulons pas former de longues phrases. Nous omettons certains mots ou il pourrait y avoir certains éléments rythmiques ou phonétiques ».44 Certains écrivains, dont Alfian Sa’at, Kuo Pao Kun,

Arthur Yap et Quah Sy Ren, ont cherché à déstigmatiser le Singlish en produisant des œuvres dans lesquelles les caractères alternent entre le Singlish et d’autres variétés de l’anglais. Néanmoins, le Singlish est généralement associé à de faibles niveaux de scolarité. Le canon britannique, décrit par le poète singapourien Edwin Thumboo comme « Les grandes voix cathédrales » et « la grande tradition » continue à servir le plus haut standard en matière d’écriture anglaise.45

La hiérarchie des langues à Singapour, avec l'anglais et le mandarin en haut, les dialectes chinois en dessous et le singlish en bas, correspond aux concepts clés de Créolité. Pour Bernabé, Chamoiseau et Confiant, l’un

The Straits Times, 3 fevrier 1946 page 2.

40 « marginalised from the 1950s to the 1970s over its perceived links with communism and Chinese chauvinism » Liew page 255. 41 « handicap we would not want to wish on Singaporeans » de Lionel Wee « Intra-Language Discrimination and Linguistic

Human Rights : The Case of Singlish » Applied Linguistics 26/1, 48–69, page 60.

42 James St. André « Revealing the invisible : Heterolingualism in three generations of Singaporean playwrights » Target. International Journal of Translation Studies 18.1, 2006, 139-161.

43 « usually when you do a certain kind of casting on stage, Singlish-speakers tend to be the ones who bring in the humour, the

comic elements, the clowns » Alfian Bin Sa'at and Jennifer Lindsay, « Out of Synch : On Bad Translation as Performance »

Between Tongues : Translation and/of/in Performance in Asia, ed. Jennifer Lindsay 272-283 (Singapore : NUS Press 2007), page

272.

44 « has been variously described as a kind of shorthand, because we're lazy, we don't want to form long sentences. We leave out

certain words, or there might be certain rhythmic or phonetic elements to it » Alfian et Lindsay page 272.

45 « the great cathedral voices » … « the grand tradition » Tiang Hong et Liew Geok Leong ed. Responsibility and Commitment : The Poetry of Edwin Thumboo, (Singapore, NUS Press, 1997), page 61.

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des éléments clés de la littérature créole, est « le choix du discours ». À Singapour, la politique linguistique du gouvernement a restreint ce choix. Le traitement de Singlish par l'État se retrouve dans les mots de « Éloge de la Créolité » « Chaque fois qu'une mère, croyant favoriser l'acquisition de la langue française, a refoulé le créole dans la gorge d'un enfant, cela n’a été en fait qu’un coup porté à l'imagination de ce dernier, qu’un envoi en déportation de sa créativité ».46 Le dénigrement continu du singlish et la marginalisation des

dialectes chinois ont historiquement constitué un obstacle au développement de la littérature singapourienne.

The Art of Charlie Chan Hock Chye est multilingue - chaque titre de chapitre est présenté en anglais avec un

sous-titre en caractères chinois. Il comporte également plusieurs exemples de dialectes singlish et chinois. Wee Kiat, un ami du partenaire commercial de Charlie Chan Hock Chye, par exemple, alterne entre le singlish, le standard anglais et le hokkien en deux groupes seulement. Quand il apparaît pour la première fois, il décrit sa vie quotidienne comme étant « sama sama lah » avant de passer à un anglais plus formel.47

Dans le panneau suivant, s'adressant à son ami Boon Siong, il parle en hokkien. Charlie Chan Hock Chye quant à lui, ne se déplace pas aussi facilement entre les registres et les dialectes. Il vient d'un ménage parlant le hokkien et a fréquenté une école de langue anglaise. Il comprend un peu le hokkien et le parle parfois (par exemple, en s'adressant à Boon Siong à la page 99) mais communique principalement en anglais. Son quasi-monolinguisme est souvent une barrière. Quand, par exemple, il raconte l'histoire de l'émeute de Hock Lee Bus, il doit demander à une camarade de classe de lui dire ce qui se passe. Dans sa précipitation, elle commence à lui répondre en caractères chinois avant de passer au Singlish. Son incapacité de communiquer efficacement en chinois autrement que rudimentaire, Hokkien, le laisse perpétuellement en retrait face à ses pairs dans le mouvement de résistance anticolonial ; il est donc, à certains égards, le modèle parfait du système éducatif de langue anglaise dans la mesure où il a effectivement été réduit au silence par l'anglais. Il a déclaré à l’intervieweur : « dans les écoles anglaises, nous avons généralement accepté ce que les Britanniques ont dit sans faire de bruit ».48

Figure 5: Charlie Chan Hock Chye est handicapé par son monolinguisme.

46 Bernabé, Chamoiseau et Confiant, page 43. 47 Liew 98.

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En partie, le rejet des dialectes singlish et chinois est une forme de discours légitime qui découle de la croyance, encore véhiculée aujourd'hui par la rhétorique du gouvernement, selon laquelle l'anglais standard écrit est, selon Patke et Holden, la « La langue de la technologie et du développement ».49 Alors que

Bernabé, Chamoiseau et Confiant conçoivent un avenir multilingue où les langues créoles tiennent le même pied que les divers dialectes anglais et français, pour les ministres de Singapour, l’anglais est la langue de la technologie et les langues asiatiques sont la source de la tradition. Les transactions technologiques et économiques du futur se feront donc exclusivement en anglais normalisé. Dans The Art of Charlie Chan

Hock Chye, Liew résiste à cette rhétorique. La première bande dessinée du volume est ‘Ah Huat’s Giant

Robot’ dans laquelle deux garçons découvrent un robot géant dans une grotte. Le robot ne répond pas quand on s’adresse à lui en anglais mais se réveille lorsque les garçons lui parlent en chinois. Liew renverse ainsi la conception orientaliste des relations est-ouest, troublant toute séparation facile entre les deux influences. Même si Charlie Chan Hock Chye a du mal à s’exprimer dans une langue autre que l’anglais, son éventail artistique suggère une variété d’influences culturelles. Il a indiqué que sa première source d'inspiration était le manga Tezuka, mais ses œuvres ultérieures imitent le style d'EC Comics, de MAD Magazine, de The Eagle et de Carl Barks. Vers la fin du livre, Liew décrit les outils de l'artiste dans une note en bas de page sous le nom de « Crayon Faber-Castell HB, Sakura Pigma Micron 03, stylo à bille (marque inconnue), stylo de calligraphie Artline 2.0, Winsor & Newton série 7, taille 1 pinceau, pinceau calligraphique chinois ».50

Ses outils viennent donc d'Allemagne (Faber-Castell), de Japon (Sakura Pigma), d'Australie (Artline), d'Angleterre (Winsor & Newton) et de Chine (un pinceau de calligraphie). Celles-ci, plus que le langage écrit ou parlé, sont les moyens de communication de Charlie Chan Hock Chye. Ils donnent forme à un langage visuel ni européen, ni africain, ni asiatique, mais entièrement créole.

Conclusion

Pour Bernabé, Chamoiseau et Confiant, la tradition orale est le principal vecteur de la culture créole. Comme j'ai cherché à le montrer ici, la bande dessinée peut également incarner des aspects de la Créolité. Dans The

Art of Charlie Chan Hock Chye, Liew attribue un discours à des locuteurs spécifiques et positionne ainsi

chaque énoncé dans un réseau de relations socioculturelles. Comme le montre Lew, la forme de la bande dessinée convient également à la déconstruction des récits historiques ; la bande dessinée fait prendre conscience à son lecteur que ce qu’elle montre est une version d’un objet historique et jamais une vérité absolue ou finale. Liew utilise cette fonction pour interroger certains récits d’états de l’histoire de Singapour. Il utilise également le multilinguisme dans son texte – la combinaison d'images et de textes lui permet de raconter une histoire cohérente tout en passant d'une langue à l'autre. Cette qualité de polyvocalité lui permet de critiquer la primauté de l'anglais et du mandarin dans la rhétorique des États singapouriens. Ensemble ces éléments s'alignent sur le modèle de culture créole décrit par Bernabé, Chamoiseau et Confiant.

49 « language of technology and development » Patke and Holden page 93.

50 « Faber-Castell HB Pencil, Sakura Pigma Micron 03, Ballpoint Pen (brand unknown), Artline Calligraphy Pen 2.0, Winsor &

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Philip Smith a obtenu son doctorat à l'Université de Loughborough. Il est l'auteur de Reading Art

Spiegelman (Routledge) et son travail a été publié, entre autres, dans Studies in Comics, The Journal of Graphic Novels and Comics, The International Journal of Comics Art et The Journal of Popular Culture.

Il est professeur d'anglais au Savannah College of Art and Design. Email : philipsmithgraduate@gmail.com

Figure

Figure 1: Charlie Chan Hock Chye s’adresse au lecteur, imitant l’oralité.
Figure 2: Le changement d'expression du visage et les panneaux vides suggèrent une histoire qui a été effacée
Figure 3: Liew illustre la manière dont l'histoire est construite.
Figure 4: Liew relate la disparition des histoires de tous les jours.
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