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La coopération judiciaire en matière civile avec les Etats tiers : les exemples de la Suisse et du Royaume-Uni

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Academic year: 2022

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La coopération judiciaire en matière civile avec les Etats tiers : les exemples de la Suisse et du Royaume-Uni

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. La coopération judiciaire en matière civile avec les Etats tiers : les exemples de la Suisse et du Royaume-Uni. In: La confiance mutuelle dans l'Espace de liberté, de sécurité et de justice : crise(s) et perspectives, Strasbourg, 7-8 octobre 2021, 2021, p. 15 p., 15 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155297

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La confiance mutuelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice : crise(s) et perspectives

Colloque organisé par l’Université de Strasbourg

Coopération judiciaire en matière civile avec les États tiers : l’exemple de la Suisse et du Royaume Uni

Strasbourg, 8 octobre 2021

Mesdames et Messieurs,

Merci de m’avoir invité à ce beau colloque.

Et d’avoir accepté que ma participation se fasse transterritorialement, grâce à la confiance que se font nos ordinateurs, jusqu’à présent, en tout cas.

Que ferions-nous sans l’interopérabilité de nos systèmes informatiques ! Je regrette de ne pas avoir pu faire le déplacement à Strasbourg :

ville de la concertation et en quelque sorte de la confiance intra-européennes ; cœur des « deux Europes », celle de l’Union européenne et celle du Conseil de l’Europe.

L’un des premiers voyages du Président Obama – je me permets de le citer – l’a emmené à Strasbourg.

Avril 2009.

Devant un parterre de jeunes surtout, il a encouragé notamment l’Europe et les États-Unis à se faire confiance tout autant qu’à être dignes de confiance.

Il a rappelé le drame et les décombres de la guerre.

Pendant longtemps, les gouvernements des pays auxquels nous appartenons se sont faits si peu confiance qu’ils ont entraîné leurs peuples dans des conflits terribles.

Guerre, quintessence du manque de confiance.

Or la paix et la prospérité dont nous bénéficions sur ce continent sont passées par la poursuite d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples » européens.

Idée inscrite dans les traités constitutifs de l’Union mais, avant cela, dans le Traité de Londres de 1949 constitutif du Conseil de l’Europe.

Il est vrai que c’est surtout l’Europe de l’Union que vise ce colloque.

Mais je prendrai la liberté de ne pas oublier l’« autre » Europe, qui est à la fois plus grande, plus ancienne et plus « strasbourgeoise ».

(3)

Alors, confiance en matière civile entre Union européenne et États dits « tiers », notamment Suisse et Royaume-Uni qui, disons-le d’emblée, sont membres plutôt actifs de cette « autre » Europe.

***

Avant de m’y pencher, félicitons les organisateurs.

D’abord car ils ont envisagé plusieurs domaines : droit civil, pénal, fiscal, investissements, migrations…

L’académie a tendance à séparer ces domaines.

La vie internationale des êtres humains, et par conséquent du droit, les mobilise souvent simultanément.

Deuxième raison : on dit aujourd’hui que le droit international privé n’in- téresserait pas directement les relations entre États.

Or la confiance mutuelle ne porte-t-elle pas témoignage d’une telle dimension interétatique ?

Il s’agit d’une relation de confiance entre États.

États, précisons-le, au sens d’appareils étatiques, d’ensembles d’autorités.

Mais ne perdons pas de vue les bénéficiaires finaux de cette relation de confiance entre autorités civiles.

Ce sont les personnes privées, lesquelles concourent à former ces États, leurs peuples et leurs populations.

Exemple :

pour encourager les personnes privées (physiques ou morales) de France et les personnes privées d’Italie à se faire confiance, et nouer des relations commer- ciales ou familiales franco-italiennes, il faut que les autorités françaises puissent faire confiance aux autorités italiennes.

Et inversement.

Si les autorités de ces États ne se font pas confiance, le risque est menaçant qu’elles perdent l’une et l’autre la confiance de leurs justiciables.

Et que les justiciables des deux États se fassent moins confiance entre eux.

Il semble bien qu’on puisse discerner, en matière civile, une triple relation de confiance : des autorités entre elles, des personnes privées entre elles, entre personnes privées et autorités.

J’y reviendrai.

Retenons pour l’instant que, pour que les particuliers bénéficient d’un règlement juridique et non pas anarchique des relations qu’ils l’engagent par-delà les fron- tières, les autorités des États co-intéressés doivent se coordonner.

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Ce n’est pas une option, mais une nécessité.

Seulement, ce constat n’est pas uniquement applicable aux relations privées se déployant entre la France et l’Italie, mais également à celles qui se déploient entre la France et la Suisse et – à vrai dire – tout autre État du monde.

***

Relations entre Union européenne et Suisse.

Premier constat : compliqué, s’agissant de la Suisse, de parler d’« État tiers ».

Quelques chiffres.

Les ressortissants suisses qui ont également une nationalité de l’Union sont plus d’un million :

deux fois les habitants du Luxembourg.

La majorité (4 sur 7) des membres du Conseil d’État de Vaud – gouvernement du plus grand canton romand – sont aussi français, espagnols, italien.

Les étrangers ressortissants de l’Union qui résident en Suisse sont plus d’un million et demi.

Tenez-vous bien : la part de la population résidente de la Suisse qui a le droit de participer aux élections du Parlement européen est plus importante que celle de la Slovénie, de l’Estonie, de la Lettonie, du Luxembourg, de Chypre, de Malte.

Je continue.

200.000 Suisses vivent dans l’Hexagone.

Sans compter les Suisses qui habitent clandestinement en France voisine : l’accès à la propriété y est moins cher, l’impôt plus élevé.

200.000 Français vivent en Suisse.

A quoi il faut ajouter 80.000 « frontaliers ».

Les hôpitaux genevois et vaudois fonctionnent grâce aussi à des médecins et in- firmiers européens.

On se souvient de la crainte du Conseil fédéral au début de la pandémie.

Le Président Macron va-t-il réquisitionner le personnel soignant qui réside en France mais travaille en Suisse ?

Crainte heureusement infondée.

Bref, les familles franco-suisses sont des centaines de milliers.

Les familles helvético-italiennes encore plus nombreuses.

L’union entre les peuples suisse et de l’Union est véritablement « sans cesse plus étroite ».

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Encore : 65 % des échanges internationaux helvétiques se réalisent avec l’Union européenne.

Entre 30 et 40 % de la nourriture de nos supermarchés vient de l’Union.

Les huîtres surtout de France.

Les filets de perches surtout de Lettonie (pas souvent du Lac Léman, attention aux arnaques !).

Les « mozza » d’Italie, bien sûr.

Les mandarines d’Espagne.

***

Vous direz :

« Monsieur Romano, fort bien. Le fait est que, par rapport à l’Union européenne, la Suisse est un État tiers ».

Laissez-moi terminer.

L’Union et la Suisse ont organisé leur coopération moyennant plus de 300 ac- cords dans les domaines les plus divers.

Par rapport à leur objet, l’Union et la Suisse ne sont pas tiers l’une à l’autre.

Mais des États partenaires.

C’est une évidence.

Il y a même des Règlements liant la Suisse.

Règlement « Dublin » : coopération dans le domaine de l’asile.

Règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Des milliers de citoyens européens travaillant en Suisse en profitent tous les jours.

Confiance mutuelle dans le domaine de la sécurité sociale : elle aurait pu être intégrée à ce colloque.

Les traités entre la Suisse et tel ou tel autre État membre sont entre 1.500 et 2.500.

La France a conclu plus d’accords bilatéraux avec la Suisse qu’avec le 80 % des États membres.

A commencer par les accords sur la détermination de la frontière franco-suisse.

Frontière au demeurant assez « perméable » : en quinze ans de trajets quasi-heb- domadaires, j’ai rarement été arrêté à la douane.

Je fais souvent mes courses à Divonne, à dix minutes d’ici.

Je me promène du côté du Jura français.

Je déjeune à l’« hôtel franco-suisse » de la Cure : l’entrée est du côté suisse, la sortie du côté français de la frontière.

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Citons aussi les trente accords sur la gestion des eaux transfrontalières du Rhône.

Vingt commissions bi-nationales œuvrent pour que les ménages français et suisses disposent d’électricité et d’eau potable.

Le Léman Express, et ses comités mixtes, permettent à des milliers de passagers d’exercer leur liberté de circulation entre Genève et Annemasse.

Agglomération franco-valdo-genevoise – un million d’habitants – comptent des centaines d’instances de coopération transfrontalière dans des domaines dont on parle peu dans les Facultés de droit mais qui sont pourtant essentiels pour la vie des êtres humains : urbanisme, transport, raccordement des réseaux d’électricité, élimination des déchets.

***

Bref, Suisse et Union européenne rattachées par un réseau de liens en tout genre d’une rare densité.

Conséquence : il faut que leurs autorités organisent ensemble les relations euro- helvétiques de droit civil.

Citons en priorité la Convention de Lugano.

Régime semblable à Bruxelles I.

Certes, Bruxelles I-bis est allé plus loin : abolition de l’exequatur notamment.

Confiance mutuelle – semble-t-il – accrue.

La Suisse finira, je pense, par accepter une telle avancée.

De sorte qu’une décision helvétique exécutoire en Suisse soient exécutoire éga- lement en France sans astreindre le bénéficiaire à engager en France une autre procédure – encore une !

Ce qui devrait augmenter le nombre de décisions suisses exécutées spontanément.

Une nouvelle révision du régime Lugano interviendra tôt ou tard.

Le débat politique est déjà engagé.

Il existe donc une marge d’évolution de la confiance mutuelle helvético-euro- péenne.

Une relation de confiance, il faut l’alimenter constamment.

On en fait l’expérience tous les jours avec les personnes qui nous entourent.

***

Certes, la Convention de Lugano ne couvre pas les domaines du droit de la fa- mille.

Mais attention !

La Suisse et l’Union européenne sont membres de la Conférence de La Haye.

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Vénérable organisation bien plus ancienne que la Communauté européenne.

J’ai déjà évoqué les familles helvético-européennes.

Enfants bi-nationaux de plus en plus nombreux : italo-suisses – comme Leonardo, mon fils, qui m’a empêché de venir chez vous – hispano-suisses, lusitano-suisses, etc.

Il est essentiel de leur épargner des conflits de décisions sur la garde.

Prenons le père et la mère d’un enfant franco-suisse.

Ils se séparent.

Le père habite en France, la mère en Suisse.

Il faut éviter que le juge de Saint-Julien, en France, confie la garde au père et le juge de Genève à la mère.

L’enfant – qui va à l’école en Suisse et à la piscine en France – vivrait dans un espace bi-national d’anarchie.

A chaque fois qu’il traverse la frontière, il tomberait sous le coup d’un régime de garde différent.

C’est pourquoi les autorités de ces pays se font plutôt confiance et coopèrent entre elles : Convention de La Haye 1996.

Pensons aussi aux enlèvements d’enfants.

A l’affaire de la « petite Mia », très médiatisée.

Fillette de 8 ans confiée à la grand-mère par un tribunal français.

La mère organise son enlèvement depuis les Vosges vers Neuchâtel.

Les autorités civiles suisses s’activent pour organiser le retour en France en coopérant avec les autorités françaises.

Les autorités pénales aussi.

Coopération civile et la coopération pénale qui vont main dans la main.

***

Dans d’autres domaines, il n’y a pas encore d’instruments liant la Suisse et l’Union.

Pensons aux successions.

Les patrimoines euro-helvétiques sont de plus en plus nombreux.

Le Règlement Successions organise la confiance intra-européenne en la matière.

Une des chambres du Parlement fédéral s’est dit favorable à négocier avec Brux- elles une convention du type « Lugano ».

L’autre chambre ne l’est pas.

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Pourquoi ?

Depuis plusieurs années le Conseil fédéral et la Commission européenne négo- cient un « accord-cadre ».

Avant d’être fixé sur son sort, pas d’autres « dossiers » sur la planche.

Les négociations autour de cet accord-cadre ont été interrompues au printemps.

Rupture mal vécue par bien de partis politiques en Suisse.

Ce qui a relancé dans certains milieux le débat sur l’adhésion de la Suisse à l’Union.

Ce n’est clairement pas à l’ordre du jour maintenant.

Mais les choses pourraient évoluer.

Mon fils Leonardo participera peut-être, d’ici trente ans, à un référendum d’ad- hésion.

C’est probablement l’orientation naturelle de l’histoire du Continent.

Revenons au présent.

Successions helvético-européennes, ai-je dit.

Le Conseil fédéral s’attache en ce moment à modifier la loi suisse de droit inter- national privé pour la rendre « euro-compatible ».

Projet assez avancé.

Objectif principal : réduire les conflits euro-helvétiques de lois et de compéten- ces et les cas où les décisions des États membres ne sont pas reconnues en Suisse, et inversement.

Un Suisse qui habite à Genève mais qui a aussi la nationalité française pourra choisir le droit français et le for français.

LDIP qui s’aligne sur le Règlement.

Je préfère ne pas m’y attarder.

***

Car je n’ai encore rien dit du Royaume-Uni !

Brexit marque une absence de confiance envers certains aspects du fonctionne- ment de l’Union.

C’est certain.

51.9 % des votants ont été pour le Brexit, 48.1% pour le « remain ».

La majorité des Ecossais et les Irlandais du Nord ont voté pour le « remain ».

Quelques autres éléments de décryptage, moins connus.

Les femmes britanniques entre 18 et 24 ans ont voté à 80 % (!) pour le « remain ».

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Les hommes et les femmes entre 18 et 50 ans nettement favorables au « remain » : plus de 55%.

Les Britanniques vivant dans des familles internationales ou travaillant dans des sociétés internationales ou possédant des investissements en dehors de leur pays ont largement voté pour le « remain ».

Autre donnée d’importance :

beaucoup d’expatriés britanniques – on parle de deux millions, jusqu’à quatre selon certaines sources – n’ont pas eu le droit de vote.

Chose curieuse.

Tous les « Italiani all’estero » ont le droit de voter.

C’est, je pense, pareil pour les Français établis hors de France.

Pour les Britanniques établis hors du Royaume-Uni, ce n’est souvent pas le cas.

Les Britanniques qui avaient depuis plus de quinze ans pris leur résidence en Es- pagne, en Belgique ou en Italie n’ont pas pu voter.

Je reformule :

les Britanniques qui ont tiré profit du droit de l’Union européenne ont été privés du droit de se prononcer sur la question de savoir si le Royaume-Uni devait con- tinuer à faire partie de l’Union !

La Cour suprême du Royaume-Uni a été saisie par certains de ces Britanniques, outrés.

Dans un jugement rendu peu avant le référendum, elle a dit :

« Je ne peux pas invalider cette interdiction ».

Elle n’en a pas moins reconnu que l’objet du vote (je cite) les « concerne profon- dément » («… concern them deeply »).

Pourquoi j’insiste sur cela ?

Car le droit international privé européen était destiné surtout aux Britanniques à la vie et aux activités trans-européennes.

Or ces Britanniques-là avait plutôt confiance dans le droit européen et, en tout cas, dans la capacité du Royaume-Uni et des autres États membres de l’améliorer au sein des institutions de l’Union.

Et d’alimenter la confiance réciproque.

En tout cas : les Britanniques à l’horizon de vie spatial et temporel plus restreint ont voté pour le Brexit.

Se doutaient-ils qu’autant de marchandises chez Marks & Spencer venaient de l’Union ?

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Ou qu’une bonne partie des chauffeurs qui ravitaillaient les stations de services étaient polonais ou slovaques ?

170.000 conducteurs de poids lourds manquent à l’appel.

Files d’attente aux stations d’essence.

On dit souvent : « confiance mal placée ».

Il y a aussi la méfiance mal placée.

Pensons à celle à l’égard des vaccins.

Quoiqu’il en soit, les Anglo-américains disent :

« What ain’t broken, don’t fix it ».

Les Règlements organisant la confiance en matière civile donnaient plus ou moins satisfaction.

Je ne pense pas que Brexit visait ces Règlements.

L’incompréhension suscitée par certaines décisions de la Cour de Luxembourg – je pense à l’affaire Owusu – était plutôt l’exception.

***

Mais l’heure n’est pas aux regrets.

Il s’agit plutôt de connaître le sort infligé par Brexit à ce paquet de règlements.

Car ce n’est pas parce que ces règlements ne sont plus applicables que les dizaines de milliers de familles anglo-européennes s’évaporent.

Ou que des sociétés anglo-européennes cesseront d’avoir des difficultés suscep- tibles d’en entraîner une insolvabilité enjambant la Manche.

Je me permets d’y insister : la coopération en matière civile n’est pas une option mais une nécessité.

Si on tient à épargner aux personnes engagées dans des relations commerciales ou familiales britannico-européennes, il faut leur épargner les conflits britannico- européens de lois, juridictions, décisions.

Il faut se « refaire » confiance malgré le Brexit : titre de l’intervention de Michael Kennedy, mon co-orateur.

Il faut continuer à travailler à l’inter-opérabilité de nos systèmes juridiques, com- me nous tenons, je l’ai rappelé, à l’inter-opérabilité de nos systèmes infor- matiques.

Prenons les enfants franco-anglais.

Il faut éviter que les tribunaux de ces pays soient en conflit entre eux quant à l’attribution de la garde d’un enfant dont la mère vit en Angleterre, le père en France ;

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que l’enfant soit victime du bras de fer entre les tribunaux de deux États qui ne se feraient plus confiance.

Exit Bruxelles II-bis mais… Convention de La Haye de 1996.

Heureusement.

Encore :

il faut éviter que les enfants vivant au Royaume-Uni aient plus de difficulté qu’au- paravant à recevoir la pension alimentaire de leur père habitant l’Italie.

C’est l’intérêt du Royaume-Uni : à défaut, ils tomberont à l’aide sociale britan- nique (et non pas italienne).

Voilà pourquoi Londres s’est empressée de ratifier la Convention de 2007.

On le voit : les instruments de La Haye offrent le back-up, une espèce de « plan B ».

***

Qu’en est-il du sort de Règlement Bruxelles I-bis ?

Le chapitre sur la compétence a été repris unilatéralement par le Royaume-Uni.

Technique suivie également en Suisse, on l’a dit.

Quid de la reconnaissance ?

La Commission ne souhaite pas que le Royaume-Uni adhère à Lugano.

Arguments peu convaincants, qui sentent le vindicatif.

Et contraires à l’intérêt des États membres.

En voici une illustration : une entreprise parisienne bénéficie d’une décision fran- çaise à exécuter sur sol britannique.

Le plus la circulation de cette décision rencontrera des obstacles au Royaume- Uni, le plus le débiteur sera tenté de ne pas l’exécuter spontanément.

Et la société française devra encore attendre et payer pour obtenir son dû.

Pourquoi infliger à nos entreprises de telles tracasseries ?

***

Suisse et Royaume-Uni, Etats membres du Conseil de l’Europe, ai-je dit.

La Cour de Strasbourg n’est pas insensible à la coopération inter-étatique civile.

Bien-sûr que non.

Article 6 : il implique le droit à l’exécution, si nécessaire transfrontalière, d’un jugement.

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Gageons que la Cour dira tôt ou tard clairement que le besoin qu’éprouvent les justiciables nouant des relations « bi-nationales » à ce que les autorités civiles des États « co-intéressés » coopèrent répond au droit fondamental inscrit à l’article 6.

Je reprends un cas déjà évoqué : père vivant à Paris, mère à Londres.

Le tribunal parisien confie la garde au père.

Il dit à l’enfant : « Tu dois vivre à Paris ».

Le tribunal londonien dit à l’enfant : « Tu dois vivre à Londres avec Maman ».

Ce conflit de décisions viole le droit de l’enfant à une décision de justice, qui implique le droit d’en avoir une seule, pas deux se neutralisant mutuellement.

Lors d’un dîner à Genève, j’ai soumis la question à Françoise Tulkens, juge à Strasbourg.

« Vous avez raison », m’a-t-elle dit en substance.

***

Je n’ai pas encore fini, hélas pour Samuel Fulli-Lemaire.

Car je voudrais rapidement me hisser à un plan inter-continental.

Relations entre l’une ou l’autre Europe et États tiers à l’une et à l’autre.

Il y a des Roumains en Italie, mais aussi beaucoup de Latino-américains.

Et de plus en plus de Chinois.

J’ai vécu à Milan jusqu’à 2002.

Aujourd’hui, pas loin de mon chez moi milanais, surgit un Chinatown ! Des investisseurs chinois ont même acheté mon club de foot : l’Inter.

Et c’est tant mieux pour les tifosi si cela nous vaut de gagner le scudetto, comme c’était le cas l’année dernière, après une longue disette.

L’Union européenne s’efforce d’intensifier les échanges commerciaux avec d’au- tres pays.

Accords « globaux » avec la Corée du Sud, Canada, Singapour, etc.

Ce sont les entreprises françaises, allemandes, polonaises qui « échangent » avec les entreprises sud-coréennes, canadiennes, de Singapour…

Pour favoriser de tels échanges, il faut que les autorités européennes compétentes en matière civile entrent en dialogue avec les autorités compétentes de ces États, et développent ensemble un espace bi- ou multi-territorial de droit civil.

On peut le faire à travers la Conférence de La Haye.

Pensons à la Convention de 2019 dite « mondiale » sur la reconnaissance des jugements en matière civile et commerciale.

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On espère qu’elle sera vraiment mondiale.

Sans doute il faudra attendre plusieurs années.

Les rapporteurs citent « un des grands objectifs du droit international privé : l’entraide judiciaire ».

Les États qui la ratifieront sont prêts à s’accorder une certaine entraide, une cer- taine confiance.

***

Mais je souhaiterais évoquer une enceinte plus vaste encore.

Les Nations Unies, qui englobent la quasi-totalité des pays de notre planète.

Le but des Nations Unies – lisons la charte ! – est, je cite l’article premier, de

« développer entre les nations des relations amicales ».

La confiance n’est-elle pas la marque de l’amitié ?

Ce qui rappelle la « comity », « courtoisie internationale », discerné par les tribu- naux anglo-américains au fondement de la reconnaissance.

Eh bien, il est un type de décisions qui inspire souvent davantage de confiance : sentences arbitrales.

Convention des Nations Unies de 1958 : presque 160 États parties, représentant le 95 % de l’économie et de la population mondiales.

Je rappelle que pour un arbitrage d’investissement – souvent plus médiatisé – il y a des dizaines, peut-être des centaines, d’arbitrages commerciaux, plus discrets.

Ce que la Professeure Gabrielle Kaufmann-Kohler, ma collègue à l’Université de Genève, n’a de cesse de rappeler.

Je me réfère là aux débats, intéressants, qui ont eu lieu ce matin.

Très peu d’États sont « tiers » au système de New York, dont Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations Unies, célébrait le succès il y a vingt ans déjà.

Il y soulignait à quel point cet instrument avait contribué à permettre aux « na- tions unies » de se faire confiance, à leurs entreprises de commercer en confiance.

La Chine ne fait par exemple pas toujours confiance aux décisions « mono-natio- nales » françaises.

Elle fait davantage confiance aux décisions émanant d’un tribunal transnational sino-français – quant à l’origine de son investiture, sinon à sa composition – de type arbitral, y compris de siège français.

Je travaille sur une affaire concernant les conséquences financières résultant du divorce d’un couple vivant entre la Suisse et l’Azerbaïdjan.

L’Azerbaïdjan n’a pas tout à fait confiance dans les décisions judiciaires suisses.

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Un jugement genevois n’y serait probablement pas reconnu.

Une décision azerbaïdjanaise ne serait, en l’espèce, probablement pas efficace en Suisse.

Comment faire ?

Comment les protagonistes de cette affaire peuvent-ils obtenir une décision de justice, une seule – pas deux, avec tout ce que cela leur coûte, et avec le risque qu’elles soient conflit entre elles – mais exécutoire sur les territoires des deux pays ?

Arbitrage helvético-azéri.

Suisse et Azerbaïdjan : membres du « système de New York ».

Chacun de ces pays accepte de mettre à exécution sur son territoire les sentences

« internationales » provenant du territoire de l’autre État.

Question intrigante :

pourquoi la confiance qu’inspire une décision arbitrale est souvent plus naturel- le ?

S’agissant d’une relation « bi-nationale », helvético-azéri, un tribunal « bi-natio- nal », englobant une composante helvétique et une composante azéri, est perçu, à la fois par les personnes privées et les autorités des deux États, comme garant d’une plus grande neutralité.

C’est pourquoi les entreprises font souvent davantage confiance à une justice arbi- trale transnationale qu’à une justice judiciaire mono-nationale.

Je me suis permis de le rappeler : la justice doit gagner la confiance – être digne de la confiance – de ses justiciables.

L’insistance sur la composante inter-étatique – confiance mutuelle entre États – ne doit pas nous faire oublier la composante « étatico-privée », c’est-à-dire la confiance que la justice civile se doit de susciter chez les particuliers usagers de cette justice.

Pas plus que la composante inter-interindividuelle.

Car la clause arbitrale encourage la confiance mutuelle entre les particuliers eux- mêmes.

C’est aussi fondamental.

C’est même la première chose que recherchent les êtres humains qui interagissent entre eux par-delà les frontières.

Quand une entreprise française veut distribuer ses produits à une entreprise chi- noise, ne souhaite-t-elle d’abord pouvoir lui faire confiance ?

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Eh bien, cette confiance inter-privée – entre partenaires commerciaux d’États dif- férents – est favorisée par la clause arbitrale, et par la Convention de New York qui en encourage le respect.

Chaque partie accepte de se voir retirer l’incitation à la course vers le for de son choix dès l’apparition des premiers problèmes.

Grâce à la clause arbitrale des manœuvres unilatérales opportunistes, d’une partie contre l’autre, sont déjouées.

Beaucoup de forum shopping, beaucoup de contentieux sont évités.

Tout le monde est gagnant.

Ce n’est jamais agréable pour les particuliers de devoir se faire des procès.

Vérité souvent négligée par les juristes que nous sommes.

N’oublions que la clause arbitrale est souvent assortie d’une clause de médiation.

Ce système encourage chaque contractant à renouveler mutuellement sa confiance en l’autre malgré des désaccords pouvant surgir au cours de leur relation.

Le fait de pouvoir compter sur un tribunal « bi-national » équidistant des parties, et où chacune y est reconnue, dissuade les parties de le saisir pour de bon.

Pour dix procédures arbitrales qui s’engagent effectivement, des milliers sont évi- tées.

La clause arbitrale y contribue.

***

Je voudrais revenir au sein de l’Union européenne.

Et évoquer un souvenir.

Il y a dix ans j’ai assisté à une séance de la commission des pétitions du Parlement européen.

Doléances des pères français.

S’agissant de la garde des enfants franco-allemands, la justice allemande, di- saient-ils, n’est pas « neutre ».

Parent allemand privilégié par les juges d’Outre-Rhin.

Ceux-ci suivent les recommandations des Jugendämter, qui eux-mêmes pratique- raient ouvertement une sorte de « germanisation » des enfants issus de couples germano-étrangers.

Accusation grave mais qui doit retenir l’attention.

Car tout le monde en conviendra : un tribunal qui n’est pas neutre n’est pas digne de confiance.

J’ai depuis constaté que le problème est sérieux tout autant qu’il est généralisé.

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D’où l’idée que j’ai avancé dans plusieurs forums : tribunaux européens, de composition mixte.

Un père français fait plus confiance à un tribunal franco-allemand – ou siègent un juge français et un juge allemand – qu’à un tribunal germano-allemand.

J’ai passé des dizaines d’interviews.

Vérité incontestable.

Une mère allemande fait plus confiance à un tribunal allémano-français qu’à un tribunal franco-français.

La simple mise à disposition de ces tribunaux mixtes désamorcerait la bataille sur le for, la course vers le juge, l’escalade des conflits qui déchirent nos familles.

***

Problème généralisé, ai-je dit.

Il a été récemment porté à l’attention du public par des pères européens ayant eu des enfants de femmes japonaises.

Drames terribles.

Plusieurs émissions télévisées leur ont été consacrées.

Justice japonaise peu pressée d’ordonner le retour de ces enfants vers l’Europe.

Et les pères français et italiens de crier au scandale :

« Nous n’avons aucune confiance dans la justice japonaise quand il s’agit de fa- milles euro-japonaises ».

Pères souvent privés de tout contact avec leur enfant.

Leur enfant ne peut plus remettre son pied en France même pour une courte visite à cause de la méfiance mutuelle des deux appareils de justice.

Le Japon dit à la France :

« Si je laisse l’enfant voyager en France à Noël, tu ne vas plus me les restituer.

Donc je ne peux pas le faire ».

Conséquences : désespoir et tendances suicidaires de ces parents, parfois de ces enfants.

Il y a aussi des suicides consommés.

Ce qui doit nous révolter.

De telles tragédies ont donné lieu à une importante résolution du Parlement eu- ropéen.

Et à des échanges entre Emmanuel Macron et Shinzo Abe.

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La création des tribunaux franco-japonais – ou euro-japonais – au besoin arbi- traux, pourrait redonner la confiance de ces familles transfrontalières en la justice transfrontalière.

Évolution à discuter au sein Nations Unies.

Car elle est conforme à la lettre et à l’esprit de la Convention sur les droits de l’enfant.

A laquelle aucun État n’est « tiers », à l’exception regrettable des États-Unis.

***

Il faut conclure.

Un progrès considérable a été réalisé depuis la Convention de Bruxelles quant à la justice euro-internationale en matière civile.

Voilà qui nous incite à l’optimisme quant à la possibilité d’avancées ultérieures.

Ce sont le bien-être et la prospérité des personnes privées qui les exigent : sur le plan intra-européen – des deux Europes – mais aussi inter-continental.

N’oublions les familles franco-japonaises ou helvético-azerbaidjanaises.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.

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