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Jean-André Rochoux (1787-1852) Un médecin philosophe à l’aube de la neurologie vasculaire

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Jean-André Rochoux (1787-1852)

Un médecin philosophe à l’aube de la neurologie vasculaire

Olivier Walusinski

Médecin de famille 28160 Brou

Résumé

Jean-André Rochoux (1787-1852) peut être considéré comme l’auteur, en 1812, de la première description clinique et neuro-pathologique de l’hémorragie et de l’ischémie cérébrales, basée sur des concepts fondant la neurologie vasculaire actuelle. Sa biographie révèle un penseur formé à une philosophie matérialiste à l’origine de la rigueur de son raisonnement scientifique.

L’intransigeance mise à défendre ses idéaux philosophiques, et son anticléricalisme affiché, lui ont valu de nombreux contradicteurs et opposants peu enclins à favoriser une notoriété posthume construite sur la qualité, réelle, de ses travaux de recherche en médecine. La présente biographie retrace ce parcours de penseur iconoclaste et de médecin avant-gardiste.

L’Union Médicale du 27 avril 1852 annonce ainsi à ses lecteurs la disparition de Jean- André Rochoux1, décédé à Paris le 16 avril 1852 : « Nous avons été douloureusement surpris du silence qui s’est fait autour de la tombe de Mr. Rochoux, de cette aimable et spirituel confrère, l’une des figures les plus singulières de ce temps. Les voix officielles se sont tues ». Les neurologues actuels ont-ils oublié pour autant Rochoux2 ? Non, espérons le, car dans sa thèse de 1812 (fig. 1), il affirme de façon pertinente que l’étiologie de « l’apoplexie » est l’hémorragie cérébrale3, ainsi que l’avaient seulement supposée Giovanni Battista Morgagni (1662-1771) en 17624. En fait, on peut considérer qu’il sort de l’oubli et remet en avant les découvertes négligées de Johann Jacob Wepfer (1620-1695) en 16585 et Théophile Bonet (1620-1689) en 167967 qui étaient déjà arrivés aux mêmes conclusions. Car en effet, la confusion règne en ce début du XIXe siècle. François Bayle (1662-1709), défendant encore la théorie hippocratique en 1677, évoque

« la concrétion de l’humeur mélancolique »8. Gregor Nymman (1594-1638) attribue l’apoplexie à « une obstruction subite du pressoir d’Hérophile »9. D’autres dissertent de l’apoplexie sanguine, de la séreuse, de la gastrique, de l’asthénique etc… « Au milieu de cette vacillation d’opinions, quel médecin qui ne doit pas désirer voir par lui-même ? […] J’avais senti de bonne heure le besoin d’observer des apoplectiques et d’en ouvrir les cadavres, dans l’espérance de pouvoir enfin asseoir mon jugement sur une base stable ». Ces quelques mots, écrits à vingt-cinq ans en introduction de sa thèse, éclairent la personnalité de Rochoux.

« Tout entier à ses goûts de science et de philosophie, il ne se livra qu’à peine à la pratique civile de la médecine » nous précise Jacques Raige-Delorme (1795-1887), dans la notice nécrologique qu’il lui consacre10. La rigueur scientifique de Rochoux, encore peu commune à cette époque, est-elle une explication ? Quelle que soit la réponse, ses attitudes scientifiques et morales, fièrement affichées, expliquent l’ostracisme qui l’a accompagné jusqu’au tombeau

1 Par erreur, notamment à la BNF, il est souvent nommé Jacques-André Rochoux.

2 Paciaroni M, Bogousslavsky J. How did stroke become of interest to neurologists?: a slow 19th century saga.

Neurology. 2009;73(9):724-8.

3 Storey CE, Pols H. A history of cerebrovascular disease. Handb Clin Neurol. 2010;95:401-15.

4 Morgagni GB. De sedibus, et causis morborum per anatomen indagatis libri quinque. Dissectiones, & animadversiones, nunc primum editas, complectuntur propemodum innumeras, medicis, chirurgis, anatomicis profuturas. Multiplex præfixus est index rerum, & nominum accuratissimus. Tomus tertius tertium continens librum quo agitur de morbis imi ventris. Neapoli, Ex typographia Raymundiana Sumptibus Dominici Terres. Superiorum permissu, ac privilegio. 1762.

5 Wepferi JJ. Medicinæ Doctoris Observationes anatomicæ, ex cadaveribus eorum, quos sustulit apoplexia. Cum exercitatione de eius loco affecto. Schaffhusii, Typis Joh. Caspari Suteri. 1658.

6 Boneti Th. Sepulchretum sive anatomia practica ex cadaveribus morbo denatis, proponens historias et observationes omnium pene humani corporis affectuum,ipsorumq; causas reconditas revelans. Quo nomine, tam pathologiae genuinae, quàm nosocomiae orthodoxae fundatrix, imo medicinae veteris ac novae promptuarium, dici meretur. Cum indicibus necessariis. Genevae, sumptibus Leonardi Chouet. 1679.

7 Schutta HS, Howe HM. Seventeenth century concepts of "apoplexy" as reflected in Bonet's "Sepulchretum". J Hist Neurosci.

2006;15(3):250-68.

8 Bayle F. Tractatus de apoplexia : in quo hujus affectionis causa penitius inquiritur & curatio exponitur Ex doctrina Hippocratis. Tolosae, Excudebat B. Guillemette, typographus, sub signo divi Bernardi. 1677.

9 Nymmani G. De Apoplexia Tractatus : In quo hujus gravissimi morbi tum curatio, tùm ab illo præservatio perspicuè proponitur, clareq[ue]

demonstratur, istius mali caussam non tam esse, ut vulgò docetur. Wittebergæ, Typis Jobi VVilhelmi Fincelii. Impensis Pauli Helvvigii Bibliopol. 1629.

10 Raige-Delorme J. Notice nécrologique sur le Dr Rochoux. Archives générales de Médecine. 1852;4e série 18:503-508.

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d’une part, et sans doute, une variante de xénélasie attribuée à « la neuro-pathologie » d’autre part11. Pourquoi Raige-Delorme, bien injuste slon nous, juge que Rochoux « mêla les travaux les plus positifs aux dogmes les plus contestables », lui qui mit « au service d’une idée systématique, sans valeur scientifique, une intelligence d’élite ». Laissons néanmoins au talent de plume de Raige-Delorme la peinture de l’homme : « caractère doux, aimable, quoiqu’inflexible dans ses opinions ; bienveillant, quoique enclin à la contradiction et à la satire ; se laissant volontiers aller contre ses adversaires aux entrainements d’une critique malicieuse et spirituelle, mais jamais injurieuse, et en supportant les traits les plus vifs le plus agréablement du monde, prenant plaisir à les provoquer ; esprit fin, délié, et cependant solide, mais trop souvent paradoxal ».

Figure 1. Couverture de la thèse de Jean-André Rochoux.

Carrière et vie multiples

Né à Argenton-sur-Creuse le 27 mai 1787, Jean-André Rochoux, est envoyé par son père, maître de poste, à Paris en 1804, afin d’étudier la médecine. Reçu interne des hôpitaux de Paris dès 1807, il fréquente l’hôpital des vénériens (ancêtre de l’hôpital Cochin), puis celui des Enfants Malades avant d’œuvrer à la Maison municipale de santé du faubourg Saint-Martin, future maison du chirurgien et accoucheur Antoine Dubois (1756-1837). Au concours de 1811, il est nommé « aide d’anatomie » à la Faculté de médecine. Grâce au matériel collecté lors des dissections, il aide son ami et collègue Jean Rivière, agonisant, à préparer sa thèse, « Dissertation sur l’apoplexie sanguine »12 : « J’avais fait pour feu mon ami Rivière une dissertation dans laquelle se trouve le fond des idées que j’ai développées plus tard sur l’apoplexie » (fig. 2). On peut considérer cette thèse comme une première version de la sienne qu’il soutient le 14 mai 1812, titrée « Propositions sur l’apoplexie ». Sa thèse, reprise et élargie en 1814 en livre, est saluée et signalée comme apportant des réponses novatrices par Jean-Eugène Dezeimeris (1799- 1851) dans son « aperçu des découvertes faites en anatomie pathologique » en juillet 182913. Nous allons y revenir après avoir exposé le contexte médico-philosophique qui sous-tend ces travaux.

11 Poirier J, Dereouesné C. La neurologie à l’Assistance Publique et en particulier à La Salpêtrière avant Charcot. Revue Neurologique.

2000;156(6-7):607-615.

12 Rivière J. Dissertation sur l'apoplexie sanguine. Thèse Paris n°52, Didot Jeune. 1811.

13 Dezeimeris JE. Aperçu des découvertes faites en anatomie pathologique durant les trente années qui viennent de s’écouler et de leur influence sur les progrès de la connaissance et du traitement des maladies. Archives générales de Médecine. 1829;7(20):317-360.

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Figure 2. Couverture de la thèse de Jean Rivière.

Peu récompensé par l’exercice de la médecine à Paris, il se fait nommer « médecin du Gouvernement à La Martinique » en août 181414. Rochoux exerce à l’hôpital militaire de Pointe- à-Pitre, en Guadeloupe donc, jusqu’en 1819 avec le titre de « médecin en chef du corps d’armée de La Grande Terre ». « C’est là qu’il a recueilli ses observations sur la fièvre jaune des Antilles, dont il a publié, après son retour en France, une très bonne monographie » 10 dans laquelle il conclut que la fièvre jaune n’est pas directement contagieuse15 16. Ainsi reconnu pour sa compétence en pathologie infectieuse, le gouvernement le nomme, en 1821, pour enquêter sur une épidémie sévissant alors en Catalogne. Ayant constaté l’extrême contagiosité de la maladie qui y sévit, il se refuse à entrer dans Barcelone où la population est décimée, ce qui lui vaut quelques réflexions peu indulgentes de couardise… à Paris. Il baptise la maladie du nom de

« typhus amaril ou typhus jaune »17, réfutant le diagnostic de ‘fièvre jaune’.

En 1824 Rochoux est reçu au concours d’agrégation en médecine, puis est nommé au Bureau central des hôpitaux en 1831. Il accède en janvier 1838 à la chaire d’hygiène de la Faculté, alors qu’il ambitionnait celle de clinique médicale18, après avoir soutenu une thèse titrée

« Causes qui peuvent rendre insalubres les boissons ; moyens de reconnaître cette insalubrité et d’y remédier »19 dans laquelle il propose une nouvelle méthode pour déceler les boissons alcooliques frelatées. Elu membre associé de l’Académie royale de médecine en 1823, puis titulaire en 1835 (section d’anatomie pathologique), il est nommé en 1830 médecin de l’infirmerie de l’hospice de Bicêtre. Resté célibataire, « il vécut là confiné pendant plus de quinze ans, jusqu’au moment où il prit sa retraite, en 1848, ne venant à Paris que pour les séances de l’Académie de médecine, qu’il suivait avec une grande régularité, et pour quelques devoirs sociaux ». Très assidu, en effet, à l’Académie, « il ne se passait presque aucune discussion où il ne prit la parole ».

14 Duméril C. Compte-rendu de la séance da la Faculté du 18 août 1844. Bulletin de la Faculté de Médecine de Paris et de la Société établie dans son sein. 1814;4(8):200.

15 Rochoux JA. Notice sur la fièvre jaune. Bibliothèque médicale ou Recueil périodique d’extraits des meilleurs ouvrages de Médecine et de Chirurgie. Paris, Chez Gabon. 1820 ;68(avril) :17-23.

16 Rochoux JA. Recherches sur la fièvre jaune et preuves de sa non-contagion dans les Antilles. Paris, Béchet jeune. 1822.

17 Rochoux JA. Dissertation sur le typhus amaril, ou maladie de Barcelone, improprement appelée fièvre jaune. Paris, Béchet Jeune. 1822.

18 Archives de la Faculté de Médecine de Paris. Série AJ16, cartons 6226 et 6227. Archives nationales, Centre de Pierrefitte.

19 Rochoux JA. Plan d'un cours d'hygiène. Causes qui peuvent rendre insalubres les boissons, moyens de reconnaître cette insalubrité et d'y remédier. Thèse pour la Chaire d’hygiène. Paris, Rignoux. 1838.

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Affecté de la ‘maladie de la pierre’, il décède dans d’horribles souffrances lors d’un épisode fébrile d’allure septicémique. D’après Raige-Delorme « ses souffrances ont pu par moments lui arracher des cris de douleurs mais elles n’interrompirent ni la sérénité de son âme ni sa passion de l’étude ».

Rochoux, philosophe épicurien et matérialiste

Figure oubliée du matérialisme français du XIXe siècle, Rochoux exprime ainsi en 1836 l’inspiration qui le guide : « La satisfaction que l’on goûte à connaître les causes, est assurément un des plus puissants motifs qui aient porté l’homme à cultiver les sciences et soutenu la persévérance de ses études »20. Rochoux rend un mémoire au concours organisé en 1839 par l’Académie des Sciences morales et politiques, sur proposition du philosophe spiritualiste Victor Cousin (1792-1867), intitulé « Examen critique du cartésianisme »21. Le jeune Charles Renouvier (1815-1903), fraichement diplômé de l’Ecole polytechnique, entame alors sa carrière de philosophe en devenant le lauréat de ce concours. Mais alors que celui-ci tente une sorte de symbiose de toutes les écoles philosophiques connues, afin de n’en froisser aucune, et notamment pas la spiritualiste alors en vogue, Rochoux remet, lui, un mémoire ayant « le caractère d’une polémique étroite et passionnée, et non d’une critique impartiale » d’après le rapporteur Jean-Philibert Damiron (1794-1862)22. Tous ses écrits philosophiques sont de la même veine érudite : « Épicure opposé à Descartes », « Examen phrénologique de la tête d’un supplicié », « Principes de philosophie naturelle appuyés sur des observations microscopiques »,

« Esquisse de psychologie », sans manquer de souligner que ses écrits médicaux ont aussi une allure de professions de foi philosophiques, qui, apparemment, contrariaient Raige-Delorme.

Rochoux peut apparaitre comme un philosophe survivant du Siècle des Lumières, puisant ses sources dans « Le Dictionnaire historique et critique » de Pierre Bayle (1647-1706) et

« l’épicurisme restauré » par Pierre Gassendi (1592-1655)23, dixit Damiron. Rochoux voue une grande reconnaissance à Gassendi « Gassendi, l’émule, le rival, ou plutôt l’antagoniste de Descartes » dont le mérite est d’avoir « sa vie toute entière fait revivre la philosophie d’Épicure »24 car il adhère totalement à la physique ‘épicurienne’, c’est à dire celle reposant sur les propriétés des atomes composant la matière « solidité, diversité de formes, indivisibilité, mouvement spontané », lui permettant de « montrer comment l’action de ces mêmes propriétés devient la source de tous les phénomènes de la nature inanimée ou animée »25. Son matérialisme lui fait ramener le monde physique, la vie et donc la pensée à de la matière et du mouvement comme le développera le philosophe allemand Ludwig Büchner (1824-1899) en 186626. Mais à côté de cet ‘atomisme’, Rochoux, agnostique, défend l’idée de la génération spontanée tout en développant ses critiques envers la religion et les prêtres, à la manière de l’anticléricalisme du XVIIIe siècle. S’opposant au spiritualisme cartésien, il privilégie l’étude de « l’homme biologique », niant l’existence de l’âme et de tout principe spirituel vital « les propriétés vitales se manifestent toujours par suite de conditions purement matérielles »23. Afin d’expliquer les phénomènes psychologiques, il ignore les présupposés d’un Être supérieur guidant des âmes :

« les actes intellectuels ou moraux, généralement regardés comme le produit d’un principe spirituel, sont le résultat d’actions corporelles, et par conséquent, des fonctions de la matière »23, c’est à dire des activités du cerveau. Ainsi se justifie sa quête d’examiner celui-ci afin de tenter d’expliquer le mouvement, les sensations, la conscience, l’éveil et le sommeil, à partir des déficits observés dans les suites d’accidents d’apoplexie. Il espère ainsi « montrer que toutes les opérations de l’entendement humain attribuées à l’action d’une âme ou d’un principe spirituel indépendant du corps, sont tout simplement des mouvements organiques, en un mot des modifications de l’innervation ».

Si Épicure a placé le bonheur dans la volupté, pour Rochoux, il faut entendre par volupté, non les jouissances de la débauche, mais la douce satisfaction, en l’absence de douleur, du goût à exercer l’intelligence. Rappelons qu’en ce début du XIXe siècle, le monde intellectuel subit le

20 Rochoux JA. Sur l’hypertrophie du cœur considérée comme cause de l’apoplexie, et sur le système de Gall. Mémoire lu à l’Académie royale de Médecine le 19 avril 1836. Archives générales de Médecine. 1836;2è série 11:318-328.

21 Bloch O. Matière à histoires. Collection Histoire de la philosophie. Paris, Vrin. 1997.

22 Damiron JP. Mémoires de l'Académie royale des sciences morales et politiques de l'Institut de France. Paris, Institut de France.

1844;4:165-243.

23 Taussig S. Vie et mœurs d’Épicure par Pierre Gassendi, version bilingue, notes, introduction et commentaires. Paris, Les Belles Lettres.

2005.

24 Rochoux JA. Epicure opposé à Descartes ou examen critique du cartésianisme : mémoire envoyé au concours ouvert par l'Académie des sciences morales et politiques Paris, Joubert, 1843.

25 Rochoux JA. De l'épicurisme. Paris, F. Didot et Béchet. 1831.

26 Büchner L. Science et nature : essais de philosophie et de science naturelle (Traduction Augustin Delondre). Paris, Germer-Baillière. 1866.

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contrecoup du tournant réactionnaire post révolutionnaire. La bourgeoisie libérale, acquise aux progrès de la science, se cambre en face de la dictature monarchique alliée à l’Eglise. Le prolétariat se dote, lui, de théories socialistes et de revendications afin de s’affirmer et d’améliorer ses pénibles conditions d’existence face à cette bourgeoisie et à l’État. La défiance vis à vis de l’idéologie bourgeoise manifestée par Rochoux, son rationalisme et son irréligion, le rejettent vers les courants radicaux, au moins jusque à la fin des années 30. Le jugement, posthume, porté par Louis Peisse (1803-1880), journaliste et commentateur de la vie médicale de l’époque, éclaire l’hostilité qu’il sut catalyser contre lui « il avait pour la philosophie une véritable passion, passion malheureuse, à la vérité, car elle était accompagnée d’une inaptitude et d’une inintelligence irrémédiables. Il avait en même temps une persuasion si naïve de la force de son esprit, qu’il tranchait, décidait à tort et à travers sur les choses qu’il entendait le moins, mais qu’il croyait de bonne foi savoir à fond »27.

Pourtant, actuellement, Rochoux s’apprécie comme un précurseur et en neuro-pathologie et en philosophie. En neuro-pathologie, il ouvre la voie à Camillo Golgi (1843-1826) et Santiago Ramon Y Cajal (1852-1934) quand il écrit « Désirant savoir jusqu’à quel point le microscope permettait d’apercevoir la texture organique du cerveau, je l’ai employé plusieurs fois à étudier l’organisation de minces filaments nerveux enlevés au calamus scriptorius, et de quelques fibrilles prise sur le pont de Varole. Toujours ces parcelles, si déliées à l’œil nu, m’ont paru composées par des milliers de globules de substance nerveuses, à formes assez variées, soutenues par des filaments d’une excessive ténuité, et dont l’arrangement, pour nous être inconnu, pour être sinon impossible au moins fort difficile à suivre, n’en n’est pas au moins soumis à cette régularité merveilleuse, à cette délicatesse incroyable d’exécution qui se retrouve dans tous les opérations de la nature »28. En philosophie, il ouvre la voie à Hippolyte Taine (1828-1893), à Émile Bertin, auteur d’un « Matérialisme physiologique » en 1864 et à Jules Soury (1842-1915) « lorsqu’on affirme que les processus psychiques sont une fonction de la matière, on n’énonce plus un simple axiome philosophique, cette affirmation a tous les caractères d’un postulat scientifique »29. Rochoux défend constamment, en polémiste acéré, que

« tout phénomène du domaine de la psychologie est le produit de l’encéphale et n’a pas d’autre cause »30 d’où la nécessité de l’étude scientifique de celui-ci et son rejet argumenté de la phrénologie31 « ce système qui consiste à admettre dans l’entendement humain un nombre illimité de facultés, et à les supposer s’exerçant chacune au moyen d’un organe cérébral particulier ». Rochoux se classe parmi les holistes « il n’y a aucune indépendance absolue dans les fonctions du système nerveux » et pour lui « l’unité du moi ou du sentiment de conscience » sont incompatibles avec les localisations proposées par la phrénologie29.

Le matérialisme psycho-biologique professé par Rochoux sous l’appellation de matérialisme épicurien n’est sans doute pas original mais permet d’expliquer son intérêt pour l’étude des cerveaux lésés et les corrélations anatomo-cliniques qui en découlent « On peut, suivant les cas, définir les maladies d’une des trois manières suivantes : 1°) par la cause, 2°) par les symptômes, 3°) par les lésions anatomiques […]. Une définition anatomo-pathologique est incontestablement préférable à une définition fondée sur un groupe de symptômes formé avec plus ou moins de discernement, véritable pis-aller, sorte de provisoire à n’employer que faute de mieux. Voilà pourquoi j’ai emprunté à l’anatomie, une définition dont le sens très précis et très restreint coupe court à une foule d’assertions contradictoires qui pourraient presque toutes être soutenues avec une égale raison, si, comme par le passé, on continuait à définir l’apoplexie par les symptômes »27.

« Recherches sur l’apoplexie »

Sous la plume de Rivière, Rochoux explique « la véritable médecine consiste bien plus dans la connaissance approfondie de l’histoire des maladies que dans l’application si souvent frivole des formules bizarres et mal combinées, vérité si bien démontrée par l’illustre auteur de la Nosographie philosophique, et si peu sentie par le commun des médecins »12. Il débute sa propre thèse32 par un bref rappel historique « qu’il serait aussi facile qu’inutile de pousser plus

27 Peisse L. La médecine et les médecins : Philosophie, doctrines, institutions, critiques, mœurs, et biographies médicales. Paris. J.-B.

Baillière; Londres, H. Baillière. 1857.

28 Rochoux JA. Sur l’hypertrophie du cœur considérée comme cause de l’apoplexie, et sur le système de Gall. Mémoire lu à l’Académie royale de Médecine le 19 avril 1836. Archives générales de Médecine. 1836;2è série 11:167-188 /318-328.

29 Soury J. Les fonctions du cerveau et les échanges organiques. Annales Médico-psychologiques. 1898;8e série(8):427-450.

30 Rochoux JA. Esquisse de psychologie. Paris, Rignoux. 1843.

31 Bouillaud, Martin-Solon, Rochoux. Examen phrénologique de la tête d'un supplicié, Rapport à l'Académie de médecine. Paris, Rignoux.

1839.

32 Rochoux JA. Propositions sur l’apoplexie. Paris Thèse n°76, Imp. Didot Jeune. 1812.

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loin, autant d’opinions différentes ou différemment modifiées », c’est à dire que la définition aussi bien que la symptomatologie ou l’étiologie de l’apoplexie lui demeurent opaques à la lecture de ses prédécesseurs, critique à peine voilée du livre d’Antoine Portal (1742-1832) venant de paraître en 181133.

Persuadé par ses premières observations de la constance de l’hémorragie cérébrale comme cause de l’apoplexie, Rochoux se fixe comme objectif de démontrer que « la différence tranchée qui se trouvait entre les symptômes qu’offraient les individus dont la mort était due à un épanchement de sang, et les symptômes que présentaient ceux à l’ouverture desquels on trouvait de l’eau ou tout autre altération du cerveau, séparait distinctement ces maladies de manière à laisser aucun doute sur leur nature différente ». Pour lui, l’apoplexie associe l’installation rapide, mais pas foudroyante comme lorsque le cœur est la cause de la mort, de « la perte plus ou moins complète du sentiment et du mouvement », et l’existence d’un épanchement de sang « logé dans une cavité creusée dans la propre substance du cerveau », dont l’origine pourrait venir « d’une faiblesse ou d’un mauvais arrangement dans son organisation qui le dispose à devenir le siège des hémorrhagies ». Quant au pronostic, « la plupart des hommes âgés qu’elle atteint recouvrent rarement leur première santé […]. Le plus ordinairement, elle mutile ceux qu’elle frappe, les laisse dans un état d’enfance et d’imbécillité, produit des épanchements consécutifs de sérosité, ou bien amène des lésions organiques du cerveau qui traînent lentement, mais inévitablement la mort après elles ». Son jugement des thérapeutiques à offrir recèle une sincérité qui sied toujours actuellement « quelque énergie que l’on suppose à tous ces moyens, l’extrême lenteur avec laquelle se dissipent les accidents produits par l’apoplexie montre évidemment leur peu de prise sur la cause matérielle de la maladie. Le temps plus que les médicaments, je ne crains pas de l’assurer, produit les bons effets dont on leur attribue toute la gloire ».

L’apoplexie. Lithogravure d’Ambroise Tardieu

Rochoux reprend sa thèse dans un livre en 181434, complété pour sa réédition en 183335 (fig. 3). Ces ouvrages sont d’une tout autre ampleur, non pas seulement par la centaine d’observations de cas rapportés associant la clinique et l’anatomie pathologique, mais surtout par un essai de distinction des diagnostics différentiels possibles. Rochoux tient en particulier à

33 Portal A. Observations sur la nature et le traitement de l’apoplexie et sur les moyens de la prévenir. Paris, chez Crochard. 1811.

34 Rochoux JA. Recherches sur l'apoplexie. Paris, Méquignon-Marvis. 1814.

35 Rochoux JA. Recherches sur l'apoplexie, et sur plusieurs autres maladies de l'appareil nerveux cérébro-spinal. Paris, Béchet jeune. 1833.

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nier, comme cause de l’apoplexie, le concept de « céphalite » développé, par exemple, dans sa thèse en 1807 par Pierre-Auguste Dan Delavauterie (1780-?)36, élève de Joseph Claude Anthelme Récamier (1774-1852), adepte de la théorie de l’inflammation due à François Joseph Victor Broussais (1772-1838), et que Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881) amplifie, à la suite, en 182537. Il est probable que les constatations de ces tenants de l’encéphalite s’expliquent soit comme des zones de résorption tardive d’hématomes ou de territoires infarcis, soit comme des méningites tuberculeuses ou des « paralysies générales » dont l’isolement nosographique par Antoine Laurent Jessé Bayle (1799-1858) n’interviendra qu’en 182238, et sera nommé

« paralysie générale » par Jean-Baptiste Delahaye en 182439.

Rochoux introduit aussi, en 1814, la notion de « coup de sang », dont il précise « qu’à son début il est à peu près impossible de l’en distinguer » de l’apoplexie. Reprenant la physiopathologie proposée par Wepfer, Rochoux indique qu’« il arrive que la circulation se trouve tout à coup empêchée dans les vaisseaux de l’encéphale et de ses enveloppes, d’où résulte cette espèce de congestion, suivie de compression, à laquelle je réserve exclusivement le nom de coup de sang ». Les symptômes sont « douleur de tête, souvent accompagnée d’obscurcissement de la vue, de gêne de l’articulation des mots, de faiblesse et de fourmillement tantôt dans tous les membres, tantôt d’un seul côté, qui quelquefois semble complètement paralysé. Quelques heures plus tard, ces mêmes accidents ont déjà perdu beaucoup de leur intensité ; enfin il est rare de ne pas les voir se dissiper complètement au bout de six ou huit jours ». Cette description magistrale de l’ischémie cérébrale est complétée d’une hypothèse étiologique parfaitement observée « l’état du cœur n’en exerce pas moins une très grande influence sur la production du coup de sang, tandis qu’il en a très peu sur celle de l’apoplexie. C’est encore un caractère distinctif entre les deux affections ». Enfin Rochoux ne manque pas de donner une observation

« de coups de sang » espacés et répétés.

Il précisera, en 1844, « l’expression de ramollissement, dont j’ai bien été forcé de me servir en 1814, puisqu’elle était déjà admise dans le langage scientifique depuis six ou huit ans, devait par le vague de sa signification, conduire à rapprocher, ou plutôt à confondre des affections de natures fort différentes ». En fait, il donne en 1814 seulement deux observations de

‘ramollissement’, « des coups de sang », comme diagnostic différentiel de l’apoplexie. C’est bien Léon Rostan (1790-1866) qui, en France en 1820, complète la recherche initiée par Rochoux de la clinique et du pronostic du « ramollissement cérébral », usant aussi du terme de

« congestion cérébrale »40, mais sans concevoir une origine carotidienne ou cardiaque. La physiopathologie41 sera plus précisément approchée par John Abercrombie (1780-1844) en Grande-Bretagne en 182842, Gabriel Andral (1797-1876)43 en 1829 et Maxime Durand- Fardel (1815-1899) dans sa thèse en 184044.

Rochoux complète ses « Recherches sur l’apoplexie » de 1833 par la liste des diagnostics différentiels de l’apoplexie afin d’aider aux « diagnostics des maladies ayant leur siège hors du crâne ». Il passe en revue notamment « la paralysie de la moitié de la face », l’hystérie, l’asphyxie, la syncope, « la fièvre pernicieuse ». Quant au pronostic, « évidemment, il n’y a pas de guérison, à prendre le mot dans son sens rigoureux et strict, qui suppose le retour de la partie malade à son état primitif, et non sa destruction, sans autre suite fâcheuse […]. Ce mode de terminaison ne doit pas même être accordé au ramollissement cérébral, qui, en conséquence de la texture extrêmement délicate et toute particulière du cerveau, désorganise et détruit d’abord les parties qu’il frappe, et s’étend nécessairement ensuite à d’autres par un véritablement envahissement […]. L’anatomie pathologique est loin de venir à l’appui de ceux qui croient à la curabilité du ramollissement encéphalique »45.

Enfin, soulignons combien l’ambiguïté de certaines phrases rédigées par Rochoux donne une impression d’un savoir prémonitoire « quoique recevant une énorme quantité de sang, le

36 Dan Delavauterie PA. Dissertation sur l'apoplexie, considérée spécialement comme l'effet d'une phlegmasie de la substance cérébrale. Paris Thèse n°68, imp. Didot Jeune. 1807.

37 Bouillaud JB. Traité clinique et physiologique de l’encéphalite. Paris, J.-B. Baillière. 1825

38 Bayle ALJ. Recherches sur les maladies mentales. Paris Thèse n°247, Imp. Didot le Jeune. 1822.

39 Delaye JB. Considérations sur une espèce de paralysie qui affecte particulièrement les aliénés. Paris Thèse n°224, Imp. Didot le Jeune.

1824.

40 Rostan L. Recherches sur une maladie encore peu connue qui a reçu le nom de ramollissement du cerveau. Paris, Béchet & Crevot. 1820.

41 Schiller F. Concepts of stroke before and after Virchow. Med Hist. 1970;14(2):115-31.

42 Abercrombie J. Pathological and practical researches on diseases of the brain and the spinal cord. Edinburgh, Waugh. 1828.

43 Andral G. Précis d'anatomie pathologique. Paris, Gabon. 1829.

44 Durand-Fardel M. Recherches anatomico-pathologiques sur l’infiltration sanguine et l’inflammation aiguë du cerveau. Paris thèse n)261, Imp de Rignoux. 1840.

45 Rochoux JA. Du ramollissement du cerveau et de sa curabilité. Archives générales de Médecine. 1844;4°série6:265-282.

(8)

cerveau n’en conserve pas un seul atome combiné avec son tissu ; le courant non interrompu qui arrose chaque molécule de sa masse paraît uniquement destiné à faire naître le phénomène comme électrique de l’innervation »34.

Entéléchie

Claude Lachaise (1797-1881), sous le pseudonyme de Claude Sachaile de la Barre, ne manque pas d’ajouter, à la fin de la biographie46 qu’il consacre à Rochoux, la participation de celui-ci à la rédaction de plusieurs articles dans la première édition de Dictionnaire de Médecine d’Adelon en vingt et un volumes (1821-1828), « acclimatement, apoplexie, désinfection, infection, marais, pathologie, postule maligne, scorbut, suette miliaire et mesures sanitaires »47. Certains de ses pairs, malgré ses nombreux détracteurs, ont donc reconnus les compétences médicales de Rochoux à défaut de partager son militantisme philosophique.

Après la disparition de Rochoux, Raige-Delorme termine son éloge assez dubitatif et ambivalent « Rochoux eut le mérite de tracer, d’après une observation rigoureuse, à laquelle il a été peu ajouté, la description anatomique et symptomatique d’une maladie qui, avant lui, n’était pas nettement délimitée, et de prouver que l’hémorrhagie cérébrale par rupture de tissu, à laquelle il réservait le nom d’apoplexie, est caractérisée par des symptômes qui lui sont propres. Il eut seulement le tort de conserver ce nom d’apoplexie pour la maladie cérébrale qu’il voulait séparer de tout autre, de s’attacher obstinément à cette dénomination, qui était avant lui, et a été encore depuis, la source de tant de confusion ». Par contre, Jean-Nicolas Corvisart (1755- 1821) s’était montré plus louangeur dans le compte-rendu qu’il donnait à son Journal de médecine, chirurgie et pharmacie, en février 1815, peu après la sortie de la première édition des

« ‘Recherches sur l’Apoplexie’, par M. Rochoux, [qui] seront lues avec fruit par les médecins, et ne pourront que contribuer puissamment à ramener les esprits à des idées plus exactes et plus saines que celles sur lesquelles ont été fondées, jusqu’à ce jour, la doctrine de cette redoutable maladie »48. Partageons ce point de vue et reconnaissons à Jean-André Rochoux une juste place parmi les pionniers de la neurologie vasculaire.

Figure 3. L’exemplaire personnel de Jean-André Rochoux.

46 Lachaise Cl (Sachaile de la Barre). Les médecins de Paris jugés par leurs œuvres, ou, statistique scientifique et morale des médecins de Paris. Paris, chez l’auteur. 1845.

47 Adelon, Béclard, Biett. Dictionnaire de médecine. Paris, Béchet jeune. 1821-1828.

48 Cor… Nouvelles littéraires : ‘Recherches sur l’apoplexie’ par J.A. Rochoux médecin du gouvernement à La Martinique. Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie. 1815;32:179-187.

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