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Art-thérapie, passerelle du tumulte à la rêverie poétique?

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Academic year: 2022

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Art-thérapie, passerelle du tumulte à la rêverie poétique ?

Durant cet exposé, je vais vous faire part de mon travail de réflexion qui a évolué au fil de mon apprentissage et des pas qui me mènent doucement mais sûrement vers le métier d’art- thérapeute. Je me trouve aujourd’hui à mon douzième mois de formation.

Je cheminerais auprès de mes propres explorations allant du tumulte vers la rêverie poétique pour arriver à la traversée de passerelle possible à laquelle le sujet, le patient mais surtout la personne dans son unicité, est invitée en séance à explorer, bricoler, à faire avec, dans ce voyage, ce temps de création poétique éphémère à part, décalé, qu’est l’art-thérapie.

Tout d’abord, je vais définir les différents termes qui jalonnent le titre de cet exposé.

Puis je vais me balader au fil de ma cueillette qui a garni mon panier d’apprenti au cours de ces derniers mois.

Pour cela je vais m’appuyer sur la théorie que j’ai cultivée au cours de la formation.

Mon élaboration ayant pour charpente l’art-thérapie contemporaine soudée par la poutre fondatrice : son éthique, associée à son infrastructure : la psychanalyse.

Dans Psychose et Névrose (p13) Freud écrit « La plupart des comportements, et en particulier ceux des psychotiques, sont des réactions normales à un contexte anormal ». Un peu plus loin il ajoute « le malade est notre frère ». Forte de cet état d’esprit, je décrirais deux rencontres particulières pendant mon premier stage dans un Ehpad. Instants de rencontre qui au fil du temps ont évolué quand petit à petit mon regard changeait.

1/ Passerelle :

Dans le dictionnaire Larousse, une passerelle peut-être :

- Un pont donnant passage aux seuls piétons et/ou supportant des canalisations.

- C’est aussi : un plan incliné qui permet d’accéder à un bateau à quai.

- Ou encore : un dispositif mobile qui permet d’accéder à un avion ou d’en sortir.

- Autre signification : possibilité donnée à des élèves, des étudiants de passer d’un domaine d’étude à un autre.

- De plus : cela peut-être une construction édifiée dans la partie supérieure d’un studio de cinéma, de télévision et qui supporte les projecteurs.

- Et enfin : surperstructure abritant les appareils de conduite et de radiocommunication d’un navire et où se tient, à la mer, le personnel chargé de navigation.

Que de définitions pour ce même mot : passerelle. Les métaphores proposées sont nombreuses et riches de sens. Toutes ces significations ouvrent l’imaginaire il me semble ! Mon imagination fertile ne s’arrêtera tout de même que sur la première définition et je vous laisse les autres définitions qui pourraient étonnamment faire aussi écho à l’art-thérapie.

Il a fallu choisir. Tout comme au cours de la formation où j’ai été amenée à faire des choix, choix qui ont nécessité à entendre les deuils à faire.

Je vous en parle un peu plus tard.

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Bref, pourquoi le mot passerelle ? J’ai été portée par cette idée du passage, amenée par JP Royol dans le Souffle du Neutre. L’idée que ce passage mène à un espace possible, « une respiration psychique » pour le sujet.

La première définition de la passerelle parle de ce petit pont qui permet d’avancer à pied, et qui n’est accessible qu’aux piétons. Impossible d’y passer avec un véhicule à moteur. Pas d’accélérateur possible, pas de levier de vitesse, il faut prendre son temps pour traverser une passerelle à pied ou à deux roues éventuellement.

L’art-thérapie demande du temps, la formation aussi. Chacun à son rythme. Pas à pas, quitte à faire une pause, voire demi-tour pour mieux y revenir parfois.

La passerelle passe au dessus d’une rivière, d’un chemin, d’une route. Alors pourquoi pas y faire une pause. Prendre le temps d’observer autour de soi la nature qui nous entoure. Observer le temps d’un instant, les voitures passer, les poissons nager, les canards barboter, les bateaux naviguer et ainsi aviser la rivière, le fleuve y suivre son cours. On ne maitrise pas le temps qui passe, nous n’arrêterons pas les canards de barboter, les bateaux d’y naviguer, les voitures de rouler dans la même direction car quoiqu’il arrive la rivière, jolie allégorie de la vie va continuer de suivre son cours. Alors pourquoi pas se laisser porter par la poésie du moment, un instant de rêverie.

J’ai en tête l’image de quelqu’un se tenant à la barrière de sécurité de la passerelle, la tête tournée vers l’horizon, le regard ne fixant rien en particulier et tout le paysage en même temps.

Cela me fait penser à ce temps d’écoute flottante que l’art-thérapeute choisit pour mieux entendre la demande du patient. Mais ce regard qui ne fixe rien en particulier et tout le paysage en même temps, va percevoir le moindre mouvement, le moindre changement, les yeux soudains attirés par un animal qui apparaît dans le champ visuel. Cette écoute flottante en séance va elle aussi être à même de percevoir les détails qui vont formuler une demande chez le patient.

Mais parfois une passerelle passe au dessus du vide angoissant d’un précipice, alors, peur, appréhension, inconfort peuvent accompagner cette traversée de passerelle. Cela me fait penser au vide, au manque, au trou dans le Réel décrit par Lacan. Ce manque que le patient demande à l’art-thérapeute de combler, demande qui ne va pas être exaucée, au contraire.

Cela m’évoque aussi l’angoisse du vide de l’impossible réponse. Des angoisses presque palpables allant parfois jusqu'à des manifestations symptomatiques dans le tumulte qu’elles provoquent.

Je cite ici Madame Royol : « Il est très important que la parole de l’art-thérapeute ne soit pas clivage entre deux éléments mais que sa parole ouvre un pont invisible, une passerelle invisible mais audible entre « parle » et « être », là où certains seraient uniquement fixé sur le corps et d’autre uniquement sur la parole. C’est l’atout thérapeutique de l’art-thérapie que réintroduire cette articulation possible en s’adressant au sujet avec, dans le dispositif proposé, des ouvertures comme matière sonore. Une matière sonore et bien ça a du corps ! »

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Et si le bruit du tumulte provoqué par les souffrances psychiques avait du corps aussi ?

2/ Tumulte

Du latin, tumultus, qui est de même radical que tumor, gonflement.

Grand mouvement accompagné de bruits et de désordre.

Grande agitation désordonnée.

Signification littéraire : Bouillonnement, agitation violente, bruyante : Le tumulte des flots.

Synonymes :

boucan (familier) - brouhaha - chahut (familier) - charivari - clameur - raffut (familier) - tintamarre - tohu-bohu (familier) - vacarme.

Cela me conduit donc à la définition du mot : bruit

Définition de Bruit : Dʼune part, le Littré définit la caractéristique essentielle du bruit comme un « mélange confus de sons » (Littré, 2007). La distinction entre le bruit et le son serait ainsi de lʼordre dʼun seuil qualitatif, selon que les sons demeurent confus et indiscernables ou bien quʼils soient démarqués et distingués les uns des autres. Si tout bruit suppose des sons indistincts, tous les sons nʼengendrent pas du bruit : les phonèmes dʼune langue ou les notes dʼune mélodie sont des sons qui, par leur qualité propre, ne sont pas du registre du bruit. Cʼest bien dans cette optique que le bruit peut être opposé tant à la musique quʼà la parole, en tant quʼélément sonore qui brouille et perturbe les processus de communication intellectuelle ou de jouissance esthétique (Souriau, 1990).

Gilles Bourlot développe dans son essai nommé : Quand le bruit prend corps : une expérience subjective entre chaos mythique et élaboration symbolique :

« La problématique freudienne insiste de façon radicale sur la dimension sonore du psychisme inconscient. Dès 1891, dans sa Contribution à la conception des aphasies, le mot est, pour Freud, une matière sonore venue de lʼextérieur : cʼest une trace mnésique liée à des sons « entendus », bien avant dʼêtre « reproduits » ou « compris ».

Cette notion de « bain de paroles » est essentielle en ce quʼelle vise les premiers soins et lʼharmonie des relations précoces, Anzieu parlera aussi de « miroir sonore » pour décrire la façon dont la mère répond aux babillages et aux sollicitations qui viennent de lʼenfant (Anzieu, 1976 : 175).

Ces relations primaires se déploient sur différents plans : toucher, goûter, sentir, voir, entendre...

Si Anzieu en vient à privilégier deux sens — le tactile et le sonore — il défend lʼidée selon laquelle lʼespace sonore est le premier des espaces psychiques (Anzieu, 1985 : 172). Bruit implique brut, quelque chose de brutal, de violent sʼy déploie. Nous formulons en ce sens lʼhypothèse selon laquelle le bruit, dans sa dimension radicale, implique une relation dʼinconnu.

Michel Serres en 1982 a exploré cette ligne de réflexion : dans son aspect le plus brutal, le bruit gît en quelque sorte sous les découpages et artifices par lesquels nous construisons des objets de connaissance, il se situe en deçà des formes connues, il est en cela apparenté au chaos, à la Mer déchaînée.

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Le bruit peut ainsi être considéré non seulement comme un phénomène qui perturbe les processus de pensée, mais plus radicalement comme une figure de lʼimpensable et de lʼinforme.

La différence entre le son et le bruit révèle ici lʼabîme entre le connu et lʼinconnu, le nommable et lʼinnommable, elle exprime la perte du sens et du symbole de lʼun à lʼautre, passage qui introduit lʼincertitude au cœur du sonore. »

Je vais vous parler ici d’une situation que j’ai croisée, pour démontrer mon propos :

L’équipe de l’Ehpad où j’effectue mon stage m’invite à rencontrer une dame, que je nommerai Marie. Ils souhaitent que je la rencontre, je cite : « car elle est tout le temps avec son mari qui est dans une autre chambre du service et qui la sollicite énormément, elle n’a pas ou peu de temps pour elle ». Son mari, je cite l’équipe : « dans sa sénilité est agressif, autoritaire, verbalement violent, bref, il l’étouffe quotidiennement avec ses demandes incessantes ». Je réalise dans un premier temps que je dois entendre ce que l’équipe me dit et ensuite m’en détacher pour créer une rencontre sans projections, sans images figées afin de « préserver cet écart entre cause et effet » comme le dit Fabienne Royol.

Dans cette première rencontre après m’être présentée et avoir expliqué les raisons de ma présence, elle me demande de but en blanc : « Pourquoi êtes-vous là ? Et en quoi cela peut m’être utile ? »

Au début de ce stage, les réflexes d’éducatrice spécialisée bien ancrés en moi, je me retrouve en manque d’objet à fabriquer, à créer, à produire, de thème à inventer, de vecteurs de productivité. Etre dans le faire et proposer du faire c’est ce que je connais de mieux. J’ai existé en tant que professionnelle par le faire, le projet, la réalisation de ce projet et enfin en exposant, démontrant, racontant, présentant les résultats de ce projet. Et là je ne sais plus comment me rendre utile… Que d’ajustements, de bouleversements. Un véritable tumulte intérieur !

Finalement son interrogation fait écho à la mienne.

L’écho c’est un bruit qui se répète et qui semble n’avoir pas de fin… Alors je me répète : Pourquoi je suis là ? Qu’est ce qui m’amène aujourd’hui face à Mme Marie ? Que suis-je en train de lui dire vraiment ?

Cela me fait réfléchir. Je suis arrivée dans la formation pleine de désirs, mais surtout au fond dans une envie de combler des manques, contenter des inconnues, panser même des frustrations j’ai pu rencontrer dans mon parcours professionnel. Je découvre au fil de la formation que je ne pourrais pas les satisfaire et les réponses seront tout autres que celle que j’attends.

« Qu’est-ce que je fous là ? » : Question à toujours se poser dit Jean Oury, psychiatre et psychanalyste, dans son livre Clinique des psychoses.

Je m’oblige à me poser les bonnes questions pour avancer. Je vois que j’ai figé en moi une image désirée de l’art-thérapeute. En prendre conscience me donne la possibilité de choisir de m’en libérer. Je dois m’engager et ainsi faire le deuil d’un métier fantasmé. Pour pouvoir investir une place d’art-thérapeute qui me ressemble et qui m’apporte du plaisir.

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Mr Royol dit qu’il faut « S’assurer que ce n’est pas soi dans sa parole au sujet, qu’il faut bien connaître sa place afin de ne pas devenir créateur nous même de ce débordement ».

« Si on est prisonnier de l’image que l’on veut renvoyer alors il n’y a pas d’ouverture possible ».

Passées ces questions plutôt désagréables à concevoir et à mettre en évidence dans mon esprit, je vois un peu plus clair.

Je sens que je choisis ma direction plus sciemment, j’accepte d’aller plus sereine dans une direction que je ne connais pas encore.

Revenons à Marie qui une autre fois me dit : « Je ne suis pas souvent seule » « le silence, c’est exceptionnel pour moi » et après un temps de silence, elle semble s’interroger à voix haute :

« Pourquoi pas un temps pour moi ?» et rapidement une question est formulée : « Mais je vais être seule avec vous ? » « Alors ce n’est pas un temps rien que pour moi puisque vous serez-là » Une autre phrase qui m’a bien fait méditer !

Par la métaphore « d’un tapis volant » je l’invite une autre fois à l’explorer et y inventer des trésors. Madame Marie me semble soudain fébrile, manifeste très vite de l’impatience et me dit : « Qu’est-ce que je vais en faire ? » Elle ouvre un panier ou se trouvent de la mousse noire et rouge avec des formes géométriques, elle tente de faire un puzzle. Un impossible puzzle puisque les pièces ne s’accordent pas entres elles. « Si mes enfants me voyaient ils me prendraient pour une folle » dit-elle. Elle me dit aussi : « On dirait que je suis neu-neu » quand elle n’arrive pas à assembler les pièces de mousse. Elle me demande « C’est quoi le résultat ? » Elle montre de l’énervement et me dit : « Je ne suis pas patiente, c’est difficile » Je lui répète qu’il n’y rien pas de demande de résultat, pas de performance et pas de production, ni de puzzle à réaliser. Juste se laisser porter par cette exploration. Je garde le silence pendant un temps puis elle me dit l’air toute joyeuse : « C’est comme un jeu alors ! ».

Elle pousse sur le côté le panier avec les pièces de mousse qui avaient l’air de la mettre en échec. Elle prend, dans un tube argenté, des bâtons de chenilles de toutes les couleurs. Elle les manipule : « c’est comme des fleurs, c’est doux, plein de couleurs ». Elle sourit, les tord, fait comme des boucles avec. « Mais alors je peux jouer toute seule quand personne n’est avec moi ! » s’exclame-t-elle soudain. Elle regarde autour d’elle et semble à la recherche d’objets dans sa chambre, propices à une exploration future. Elle se montre plus calme, parle peu. Elle ajoute « J ‘ai d’autres endroits à explorer sur votre tapis volant, mais plus tard ! » En partant, au moment ou je ferme sa porte je la vois faire le tour de la pièce en saisissant les objets exposés sur ses étagères, comme si elles les découvraient sous un nouveau jour.

3/Du tumulte, vers le silence

Ce tumulte, ce bruit provoqué par les changements que demande la formation : il a un sens.

Ce bruit intérieur que crée cette gêne peut devenir source de mouvement, vivant, riche, prometteur car si cela est creusé, interrogé, si j’ose y faire face, alors je les intériorise, je les dépasse, l’inconfort du tumulte s’apprivoise, voire s’apaise et mène vers le silence, silence qui invite à la rêverie, rêverie qui est comme une balade poétique, ou une cueillette imaginaire d’idées, idées qui pourrait apporter une opportunité d’un changement possible à saisir ou pas.

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Quand Idées et actions se lient étroitement alors l’action ouvre à des prises de choix qui me semblent plus authentiques. Le processus de création des dispositifs m’offre cette fraîcheur là.

Finalement un art-thérapeute ne cesse jamais de se mettre en mouvement. Mais d’abord, dans le silence de mon bureau, loin du brouhaha de la vie quotidienne, je prends le temps. Ce temps de silence créatif où je peux laisser ma réflexion avancer et quand je laisse aller mes gestes à bricoler là, sans réfléchir juste comme ça, je comprends ainsi pourquoi en séance l’art-thérapeute fait le choix de faire silence et de laisser le sujet s’en saisir.

La question du silence en art-thérapie demande donc de s’y pencher un peu.

Le choix de ce temps de silence de l’art-thérapeute nous intéresse car le silence est l’équivalent d’un dire qui n’est pas véhiculé par des mots. Les mots font chaîne et la parole glisse, tandis que le dire fait nœud et arrête le sens. Lacan représente l’objet a par les objets de la pulsion et il précise dans le Séminaire Le sinthome que
«La pulsion est l’écho dans le corps de ce qu’il y a un dire ». Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil.

Car les bruits, qui finalement sont un peu de mèche avec le silence dans une danse alternative, ne sont pas seulement des matières à symbolisation, ils demeurent, en particulier pour les bruits du corps, des vecteurs de rêveries et d’imaginaire.

« Je parle sans le savoir. Je parle avec mon corps et ceci sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je ne sais » (Lacan, 1973). Selon Lacan le Parlêtre véhicule Lalangue qui constitue un bouillon sonore qui n’existe que comme parlé, donc aussi entendu.

Mon silence fait donc du bruit ?

« En art-thérapie le Parlêtre est un être d’expression singulière qui peut se laisser entre apercevoir dans une relation transféro-contre transferentielle » dit Fabienne Royol. Ce qui est formulé par l’art thérapeute : une alternance de sons et de silences sont les éléments fondateurs de son cadre.

« Le son ouvre au silence pour accueillir le dire du sujet » dit Lacan dans « Les non-dupes errent ». Par le mi-dire, nommé par Lacan qui mène au bien dire, l’art-thérapeute invite à

« une possible ouverture à la voix, la voie du sujet (…) laissant au sujet de se dire autrement dans cet espace/temps ».

Alors je me suis demandée : Comment amener la personne à découvrir, explorer, s’inventer dans cette autre nature du langage ? Valère Novalia dans « Devant la parole » énonce : « On est à la fois captifs du langage et délivré par lui ». Le langage est une matière sonore ou les sonorités peuvent autant parler que le sens des mots. Le dispositif proposé en art-thérapie peut offrir un support à ce décalage du sens et de la matière.

L’idée en art thérapie est d’ouvrir la possibilité de parler de ce qui n’est pas là, ce qui peut évoquer le grand absent : C’est le Réel décrit par Lacan. En art-thérapie l’invitation à la rêverie poétique approche la possibilité pour le sujet d’une ouverture psychique et invite le sujet à la créativité pendant la séance, puis en dehors de la séance.

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Nous pourrions peut-être imaginer que le patient est un poète quand il avance par la rêverie poétique, il existe autrement au langage et possiblement différemment envers le grand Autre, à l’aide de métaphores posées par l’art-thérapeute, d’énigme en énigme.

Je cite Fabienne Royol : « L’art-thérapie ouvre à une nouvelle musicalité loin du « brouhaha » ou des dires de la vie sociale. C’est un temps ouvert au silence. Là où le sujet est parlé en dehors, là où il est identifié à une place par cette parole »

« L’interprétation du silence comble le manque qu’il souligne » énonce JP Royol dans « Le souffle du neutre ». Il poursuit plus loin : « L’art thérapeute imaginera des dispositifs poétiques qui ouvriront plus au silence qu’au bruit ».

Cette possibilité de devenir cette présence silencieuse, vivante, vecteur de décalage, un endroit où le sujet prend sa place au creux du cadre et de l’éthique posée par l’art-thérapeute. Cela peut permettre au sujet, à travers ces douces vacances psychiques, de tenter de faire entrer du sens dans sa relation à l’autre et le sortir de ce brouhaha tumultueux, répétitif et douloureux.

Savoir renouer avec la poésie, le hors sens, l'incertitude peut assoir la place de l'art thérapeute dans sa fonction symbolique, son silence en est générateur.

En préparant cet exposé, je suis tombée sur quelques phrases qui parlent du silence et qui m’ont fait réfléchir. Les voici :

« Si le silence nous pèse, c’est que nous en avons terriblement besoin ». G. Courtois

« Le silence est la clé de la prudence, et le sanctuaire de la sagesse ». William de Britaine (La prudence humaine, 1689)

« On ne voit rien dans un lac agité ». Omraam Mikhaël Aïvanhov

« Un arbre qui s’abat fait beaucoup de bruit ; une forêt qui germe, on ne l’entend pas ».

Gandhi.

Alors le silence mène-t-il à la rêverie poétique ?

4/ Rêverie poétique

Je vais vous lire un court poème de Henri-Frédéric Amiel pour introduire cette partie :

La rêverie

Au paysage que révèle Le matinal rayon du jour, La brume, gaze du contour, Ajoute une grâce nouvelle : La rêverie est, pour l'esprit, Cette vapeur qui rend plus belle La pensée et qui l'accomplit.

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Pourquoi l’art-thérapeute pense-t-il son espace comme ouverture à une rêverie poétique ? Et d’abord qu’est-ce que la rêverie ?

La rêverie est définie dans le Larousse comme : « un état de conscience passive et généralement agréable dans lequel l’esprit se laisse captiver par une impression, un souvenir, un sentiment, une pensée et laisse son imagination au hasard des associations d’idées ».

Dans la « Poétique de la rêverie » Bachelard parle lui de « rêverie positive, qui peut bien être dénommée comme rêverie poétique. La rêverie assemble de l’être autour de son rêveur. Elle lui donne l’illusion d’être plus qu’il n’est. », « c’est près de l’eau et de ses fleurs que j’ai compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur ».

Freud en 1901 a introduit les rêves dans le domaine de l’analyse, en faisant de l’interprétation des rêves un moyen pour accéder à l’inconscient. Le rêve est selon lui « Via Regia », « la Voie Royale » vers l’inconscient dans « L’interprétation du rêve ». De manière répétitive le rêve revient, repart sans prévenir et peut laisser des traces dans la psyché, bonnes ou traumatiques, toujours objets des désirs du sujet, l’expression de sa jouissance.

Lacan lui repense ce concept et dépassant l’interprétation du rêve il amène le Parlêtre : « Cela signifie que le sujet est composé de jouissances, de Lalalangue et de langage ». Se raconter comme dans un rêve, par « une pulsion dans le verbe » (Lacan). Par le manque, l’impossible dicible, l’inaccessible même, qui vient du plus loin du plus profond archaïque, avant même le stade du miroir, « Le sujet que le langage divise ».

Ici Lacan explique :« La répétition est un désir de jouissance et dans cette répétition même se reproduit quelque chose qui fait défaut, échec ».

Le rythme que l’art-thérapeute propose à l’intérieur de la séquence est « comme une écriture qui sait s’effacer et en même temps, ce rythme, cette matière sonore que prend l’art- thérapeute, est un acte ».

L’art-thérapeute conscient du travail de transfert à effectuer dans sa relation au sujet peut par la suite introduire, je cite Fabienne Royol : « l’effort de poésie, évanouissement de l’objet pour le faire apparaître sous une nouvelle lumière ».

Un déplacement est alors possible car, sans chercher à savoir de quoi, dans un acte créatif éphémère, il s’agit, et en laissant place à cette parole, que : « quelque chose se joue comme une petite musique étrangère au goût familier » explique Fabienne Royol (cours Le transfert et le Sujet).

C’est là que l’art-thérapeute s’aide des idées d’ouverture poétique, avec pour outil un dispositif, pour y ouvrir un espace de rêverie poétique qui pourrait être art-thérapeutique.

Une convocation par les mots de cette ouverture qui ne collent pas avec les matières proposées dans la structure.

Mots et matières ne sont pas mis en miroir. « Un espace est ouvert entre les deux avec une parole qui convoque une articulation possible laissant de l’air » Fabienne Royol.

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Une autre rencontre au cours de ce premier stage en Ehpad va me le prouver :

Madame Marguerite (son prénom a été changé) m’est présentée comme une personne agitée, qui manifeste de l’agressivité, présente des signes de démence profonds, avec des épisodes où elle est « verbalement agressive avec le personnel et peut avoir des gestes violents ». La première fois que je la rencontre en présence de la psychologue, je ressens appréhension, voire méfiance envers elle. Le bruit de mes doutes, le bruit des préjugés, le bruit de probables ses injures verbales font brouhaha et m’empêchent de la rencontrer, vraiment.

A notre deuxième rencontre Madame Marguerite est assise à une table de la salle à manger.

Elle semble accueillante, désireuse de parler quand je me présente cette seconde fois, seule, à elle. Je lui propose alors de m’asseoir un moment avec elle à cette table. Elle m’y invite comme si nous étions chez elle, sans personne autour. Elle me répète d’ailleurs plusieurs fois, d’une voix forte : « Ne le dites pas aux autres » « Surtout il ne faut pas leur dire » « comme si » nous étions les seules présentes et les seules porteuses d’un secret. « Mais c’est trop beau pour moi ça ! » me dit-elle comme si je lui offrais mon dispositif comme cadeau lorsque je lui présente. Je lui précise tout de même que c’est mon outil de travail. Elle semble bien prendre l’information.

Nous allons alors nous rencontrer chaque semaine à cette table. Au milieu de la salle à manger, au milieu des passages du personnel et des autres résidents. Mais Marguerite me donne la sensation que nous sommes seules dans la pièce. Comme si ces entretiens avaient lieu dans le huit clos d’une pièce à part, en toute intimité.

Notons qu’au cours de ces rencontres, elle n’est pas une seule fois sujette a une attitude violente, ni verbalement agressive. Elle semble investir ce que je lui propose, je dirais même être participative.

Pendant de ces temps, à par du temps institutionnel, elle me raconte des versions variées de moments de sa vie. Qu’ils soient vécus ou imaginés, peu importe. « j’en ai ti vu » me répète- t-elle. Parfois elle rit, parfois elle pleure et elle m’explique de temps en temps sa vision ou pas.

Et chaque rencontre est comme une première rencontre, au fil de ce temps éphémère. Car au cours de nos rencontres une à deux fois par semaine, elle n’a jamais semblé me reconnaître.

Comme si elle faisait ma connaissance à chaque fois pour la première fois.

Par le biais du jeu, de petites histoires, en faisant « comme si » elle m’a montré un jour cette merveilleuse capacité de s’offrir (je cite Mr Royol) : « une négociation poétique » avec la vie.

En furetant, elle découvre un petit pompon jaune dans une pochette cachée dans le tissu de la zone créative d’un tapis volant que j’ai posé devant elle, sur la table. Ce petit pompon a semblé comme prendre vie dans ses mains. Son visage s’illumine à sa découverte. « Oh qu’il est mignon ce petit poussin ! » s’exclame-t-elle. Et elle se met à jouer avec ce petit poussin qu’elle dit voir. Elle le voit, alors pourquoi pas ?

Elle répète à plusieurs reprises : « mon petit poussin tout mignon, que tu es gentil ! ». Elle le caresse, fait rouler la boule jaune dans le creux de sa main. Elle lève la tête dans ma direction et dit : « Qu’il est drôle, il est courageux ! ». Elle rit comme une petite fille, puis pleure soudain tout en s’excusant de pleurer. Elle se mouche avec une serviette sortie de sa poche avec sa main gauche, sa main droite ne lâchant pas le pompon jaune. Puis elle cesse de pleurer, essuie

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ses larmes et approche alors de sa bouche sa main ouverte contenant l’objet jaune et rond et se met à chuchoter comme des secrets à « l’oreille de ce petit poussin ».

Au bout d’un long temps de silence mutuel, elle décide de ranger le pompon jaune : « dans sa maison » dit-elle. Et au moment où je lui dis qu’on peut peut-être s’arrêter pour aujourd’hui, elle me touche le bras et me regarde droit dans les yeux et me murmure, non sans avoir d’abord regardé autour d’elle : « Je sais pourquoi ils disent que je suis méchante » elle me chuchote, comme pour ne pas être entendue : « C’est parce que je suis en colère, ils m’ont abandonnée ici. ».

J’ai devant moi, Marguerite, une personne vivante, en évolution perpétuelle, faite de désirs, de manques, de choix, qui ne m’appartiennent pas mais qui exigent de ma part une écoute vigilante flottante et bienveillante.

Quand Marguerite a mis des mots sur sa colère et sa sensation d’abandon », je me suis dis :

« C’est donc cela que le silence peu ouvrir comme possibilités en art-thérapie ?». Cet instant suspendu, à part, unique, Marguerite semble avoir choisi de s’en saisir.

CONCLUSION

Vers la fin de mon bilan de stage présenté auprès de l’équipe de l’Ehpad, la directrice adjointe m’a posé une question : « Pensez-vous que le comportement des personnes, à qui vous avez fait expérimenter ces temps de poésie éphémère, a changé ? »

En début de stage j’aurais répondu, avec mes réflexes d’éducatrice spécialisée, les observations de changement, de comportement que j’aurais remarqué, portée par la pulsion scopique si tentante, mais pourtant si intrusive et écrasante. Portée par la volonté, l’idée de changer la personne vers un mieux-être formatant. Et finalement j’aurais peut-être plus parlé de moi et de mon intervention auprès de cette personne, dans un désir compréhensible de montrer mes compétences.

Pourtant une réponse toute autre m’est venue : « Je ne sais pas si les personnes ont changé au contact de ces temps de créativité poétiques éphémère proposé, et d’ailleurs ce n’est pas vraiment ma place de vous parler de constats de changement, c’est leur histoire.

Eux seuls savent.

Peut-être en ont-ils parlé auprès de l’équipe ou pas. Mais en revanche ce que je peux vous dire c’est, parce que je n’attendais aucun changement, parce que l’expression au sein de ces séances était marquée par la liberté de la personne à s’exprimer ou pas, d’explorer ou pas, de jouer ou pas, de bricoler ou pas. Parce que c’était un espace proposé dans le respect de leur intime, à leur rythme, où il n’y avait aucune demande de productivité.

Parce que c’est moi qui était au travail en tant que stagiaire pour ouvrir ce temps, cet espace à part, portée par ma volonté de créer cette respiration psychique, mon désir de leur laisser toute la place et de m’effacer (et là j’ai évoqué le Souffle du neutre nommé par Jean-Pierre Royol) alors c’est moi qui ai changé et qui ai appris grâce à eux ».

Madame Royol, m’a un jour notifié : « être art-thérapeute c'est aussi savoir considérer la vie psychique afin de ne pas enfermer la personne uniquement du côté de la perte et ainsi être en mesure d'entendre le réveil des pulsions qui sont bien souvent tues par les Autres ... ».

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Alors quand le bien-dire, par le mi-dire de l’art-thérapeute, donne la main au silence pour créer un pont invisible, dont on peut imaginer le dispositif comme plancher, n’est-ce pas une invitation à faire un pas puis un autre en direction de cette possible passerelle ? Le sujet ou plutôt la personne dans sa singularité, est invitée à la traverser en marchant, en courant, en déambulant, en furetant, en flânant, passant par des trajets surprenants, qu’il ignore encore, à son rythme. Par sa créativité réengagée il peut s’inventer de lui-même des moyens uniques pour lâcher prise sur des bouts de tumulte et pourquoi pas les remplacer par autre chose.

Et après, dans son chemin de vie réel, il pourra peut-être choisir de donner un peu de poésie, à la « crudité de son Réel ».

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