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LA PLACE DU CONSOMMATEUR DANS L'ÉCONOMIE DIRIGÉE

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LA PLACE DU CONSOMMATEUR

DANS L'ÉCONOMIE DIRIGÉE

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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE ÉCONOMIQUE

fondée par François SIMIAND

GASTON DÉFOSSÉ

D U C O N S O M M A T E U R

L'ÉCONOMIE DIRIGÉE

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, boulevard St-Germain, Paris VIe

1941

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TOUS DROITS RÉSERVÉS DÉPOT LÉGAL FAIT LE 2 DÉCEMBRE 1941

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INTRODUCTION

Nous voudrions dans cette introduction donner quelques indications sur l'objet et le plan de cette étude.

Depuis plusieurs années le fait de l'économie dirigée s'impose dans le monde où il apparaît comme le corollaire de la crise économique et des perturbations qu'elle entraîne.

Déjà en 1934, le Directeur du Bureau International du Travail montrait dans son rapport annuel combien les effets de la crise avaient ébranlé la foi dans les anciens dogmes éco- nomiques, au point que des pays tels que l'Allemagne, les États-Unis, l'Italie et l'U. R. S. S. s'étaient engagés résolu- ment dans une voie commune en dépit des conceptions poli- tiques dissemblables de leurs dirigeants.

Depuis cette époque, nombreux ont été les États qui se sont ralliés progressivement à la nouvelle doctrine sous la pression des circonstances. L'intervention sans cesse gran- dissante des Pouvoirs publics dans l'économie apparaît de plus en plus comme devant être une caractéristique durable de la structure économique vers laquelle tend l'évolution cons- tatée au cours de ces dernières années.

Nous ne nous sommes pas appliqués à discuter la valeur de l'ordre nouveau ; de nombreuses études ont été faites sur ce sujet tout au long desquelles partisans et adversaires de l'économie dirigée ont échangé leurs arguments. Pour nous, si intéressante que nous trouvions la controverse, ce sont plutôt les aspects de la nouvelle forme d'économie qui ont retenu notre attention. Nous n'avons pas cherché s'il eût été préférable que l'économie dirigée ne fût pas ; nous observons qu'elle est une réalité.

Parmi les multiples transformations qu'elle entraîne, l'éco-

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nomie dirigée modifie la place relative que l'économie libérale faisait au consommateur. La doctrine des économistes clas- siques avait reconnu peu à peu à celui-ci une place de premier plan dans le cycle économique ; plus près de nous l'école néo-classique l'a mis à l'origine de sa construction de la notion de valeur. La contre-épreuve des faits donnait d'ail- leurs chaque jour au consommateur conscience de son impor- tance : démarches empressées des fournisseurs, publicité séduisante, abaissement progressif des prix, tout tendait à lui montrer que la production ne s'organisait que pour lui et que de lui dépendait le fonctionnement des rouages essen- tiels de la vie économique.

Nous nous sommes proposé d'étudier dans quelle mesure l'économie dirigée portait atteinte à cette situation.

Nous avons porté tout d'abord notre attention sur la notion de consommation. A cet effet, nous avons recherché la formation historique de cette notion qui apparaît comme le produit naturel de l'évolution économique complétée peu à peu grâce aux apports de la doctrine, de la science et surtout des faits économiques. La notion de consommation dégagée, nous avons cherché ensuite à en analyser le contenu actuel.

Ces divers développements ont fait l'objet du chapitre I.

En possession des données relatives au premier terme de notre construction, nous avons cherché à dégager le second : la notion d'économie dirigée, et à préciser, parmi les multiples conceptions de cette doctrine, les éléments irréductibles qu'elle suppose en même temps que les caractéristiques essentielles qui lui sont habituellement reconnues. C'est ce que nous avons examiné dans le chapitre II.

Par ailleurs, l'économie dirigée s'opposant en général à l'économie non dirigée et celle-ci ayant précédé celle-là, il nous a paru essentiel de fixer dans un chapitre III le point de départ de l'évolution étudiée, en situant la place que fait au consommateur le régime de l'économie libre sous les diffé- rents aspects que ce régime peut revêtir. Nous nous sommes trouvés ainsi voir apparaître, à côté de l'individu, le groupe,

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à côté du consommateur isolé, les consommateurs associés.

Les bases de notre étude étant jetées, nous avons consacré le chapitre IV à l'examen des mesures d'économie dirigée et de leurs effets à l'égard du consommateur. Dans les différents développements de ce chapitre, nous nous sommes efforcés d'aller du simple au complexe, de l'économie moins dirigée vers l'économie plus dirigée, des mesures isolées et indépen- dantes aux mesures conjointes et coordonnées. Le cas échéant, nous avons repris certaines dispositions intervenues sous le régime de l'économie libre, ou réputée telle, mais qui procé- daient déjà d'une volonté d'intervention des Pouvoirs publics dans l'économie. De même, nous avons quelquefois cherché la limite de notre sujet en allant jusqu'à prendre en consi- dération des mesures se rattachant nettement à l'économie socialisée.

Quittant ensuite le domaine de l'application des lois et de leurs effets pour remonter à leur élaboration, nous avons cherché dans quelle mesure les intérêts du consommateur avaient été pris en considération par le législateur et quels essais avaient été tentés pour en assurer une représentation systématique. Le chapitre V a été consacré à cette question.

Enfin, l'analyse des conditions dans lesquelles les consom- mateurs s'associent nous ayant conduits à examiner les carac- téristiques essentielles de leurs unions, les tendances pro- fondes que suppose leur formation et les différents aspects que revêt leur fonctionnement pratique, nous avons cherché si, parmi les éléments ainsi dégagés, il n'en était pas qui venaient rejoindre et compléter la théorie de l'économie dirigée et ses applications. Dans un dernier chapitre, nous avons ainsi étudié les rapports de l'État et des consommateurs associés.

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CHAPITRE PREMIER LA NOTION DE CONSOMMATEUR

Définir ce que l'on entend par consommateur, consomma- tion, est chose relativement complexe. La notion de consom- mation ne s'est, en effet, dégagée que progressivement et assez tardivement : on semble avoir tout d'abord ignoré le rôle du consommateur dans l'ensemble du cycle économique, on l'a ensuite opposé au producteur jusqu'au moment où de nouvelles théories relatives à la valeur ont donné à la notion de consommation une place prépondérante. Mais au terme de cette évolution le contenu de la notion n'apparaît pas avec précision et les économistes contemporains ne sont pas d'accord sur l'étendue des phénomènes économiques qu'elle doit servir à désigner.

Nous nous efforcerons de déterminer : d'une part, les étapes successives de la formation du concept de consomma- teur ; d'autre part, le sens que lui attribuent actuellement les économistes.

SECTION 1

La formation progressive de la notion de consommateur Au cours de cette étude de la formation de la notion de consommateur dans la doctrine, ce que nous nous attacherons à retenir c'est la tendance qui est apparue progressivement à reconnaître au phénomène de la consommation une existence en quelque sorte autonome et à lui faire une place dans la succession des phénomènes que comporte le cycle économique complet.

Ce qui nous intéresse ici c'est donc l'effort accompli par les économistes pour analyser la consommation, pour rechercher

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l'incidence que peut avoir sur le marché l'attitude prise par les consommateurs vis-à-vis des produits vendus, pour cons- truire une doctrine de la consommation et, à la limite, pour donner à cette notion la suprématie sur les autres aspects du problème économique.

Au surplus, le présent chapitre répond à un besoin de définition et de délimitation de la notion de consommation dans la doctrine ; il ne saurait, sans être démesurément étendu, inclure un historique même sommaire des faits économiques examinés dans leurs rapports avec le consommateur en général (1).

Les faits n'ont été retenus que dans la mesure où ils sont liés à un progrès important de l'évolution de la doctrine.

De même, certaines théories économiques se trouvent avoir pris en considération, directement ou indirectement, les inté- rêts du consommateur soit par la limite qu'elles ont apportée aux profits des producteurs, soit parce qu'elles ont recherché l'amélioration de la situation du consommateur à travers celle du producteur. Nous ne les avons pas retenues, ou nous n'avons fait que les citer, sans les comprendre dans notre développement, parce qu'elles ne comportent pas une reconnaissance préalable de la fonction économique de la consommation.

Après avoir rappelé les grands traits de l'évolution écono- mique contemporaine et marqué son influence sur la formation de la notion de consommateur, nous avons suivi le développe- ment historique des doctrines économiques du XVII siècle à nos jours en suivant la ligne de conduite que nous venons d'exposer.

§ 1. LE DÉVELOPPEMENT DE LA NOTION DE CONSOMMATEUR ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

Il est simple de constater que l'homme peut être considéré tantôt comme producteur, tantôt comme consommateur, mais tant que dans un groupe déterminé les échanges sont restreints, tant que les hommes appartenant à ce groupe se

(1) Sur ce sujet voir la thèse de M. Georges Z. Strat, Le Rôle du consommateur dans l'économie moderne, Paris, Éditions de la Vie universitaire, 1922.

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LA NOTION DE CONSOMMATEUR 3

livrent à un travail indifférencié et se suffisent à eux-mêmes à de rares exceptions près, en produisant ce qu'ils consomment, il n'y a pas grand intérêt à séparer les deux notions pour expliquer le fonctionnement de la vie économique. Le groupe sait qu'il doit pourvoir lui-même à sa subsistance et le seul problème qui se pose pour lui est de rechercher les moyens d'obtenir, donc, dans notre hypothèse, de produire ce qu'il désire consommer (1).

Dans cet état primitif, il ne semble pas discutable que ce soit l'homme consommateur qui dirige les efforts de l'homme producteur : c'est parce qu'il a faim que l'homme chassera ou pêchera, c'est parce qu'il a froid qu'il fabriquera des vête- ments. Le problème de la vie économique sera donc pour lui un problème de production et non un problème de consom- mation et c'est vers l'organisation de la production que ses efforts vont se diriger.

Mais peu à peu, à mesure que les échanges se développent, que la division du travail prend une importance croissante l'homme se trouve placé dans une société où il produit pour les autres et où les autres produisent pour lui. Le producteur se sépare donc du consommateur en ce sens que l'individu ne produit pas lui-même ce qu'il désire consommer et qu'il ne consomme peut-être jamais ce qu'il produit. La notion de consommateur acquiert alors son autonomie et le problème des débouchés conduit le producteur à se pencher constam- ment sur les possibilités d'absorption du marché, c'est-à-dire sur les dispositions de l'ensemble des consommateurs à l'égard du produit qu'il fabrique.

Plus large sera le marché, plus important et plus complexe sera le problème de la consommation.

Or, au cours de ces derniers siècles et jusqu'à une époque récente, d'importants facteurs n'ont cessé de jouer en faveur de l'élargissement du marché : les uns dûs à l'évolution de nos institutions, les autres dûs à des causes externes.

Ce fut d'abord, sous l'ancien régime, le développement de

(1) C'est ce qu'exprime Karl Bücher, en disant qu'à ce stade qu'il dénomme le stade de l'économie domestique, il y a coïncidence entre la communauté de produc- tion et celle de consommation. Karl Bücher, Études d'histoire et d'économie politique, (Trad. française), Paris, Alcan, 1914, 3e éd.

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l'autorité royale. La tendance de plus en plus ferme du roi de faire prévaloir les intérêts généraux du royaume sur les intérêts particuliers des seigneurs s'est constamment manifes- tée par des mesures tendant à assimiler les diverses parties de la France et à faire du marché local ou provincial un mar- ché national. Citons à titre d'exemple les efforts de Colbert relatifs à l'unification douanière des provinces dites « pro- vinces soumises au régime des cinq grosses fermes », l'édit de 1763, définitivement confirmé en septembre 1774 sous l'influence de Turgot, qui établissait à l'intérieur du royaume la liberté du commerce des grains.

Ce fut également l'évolution de la condition des personnes et, particulièrement, l'émancipation progressive des classes qui vivent de leur travail. A mesure que le servage a été aboli dans notre ancienne France, que la condition des classes laborieuses, d'abord réduite au strict minimum, n'a plus été réglée de façon immuable, que la liberté de consommation leur a été peu à peu reconnue, la masse des acheteurs s'est accrue et le marché s'est élargi.

La Révolution française, en exaltant les droits de l'indi- vidu, en abolissant le régime corporatif, a achevé cette œuvre et préparé les conditions juridiques et sociales dans lesquelles s'établirent au cours du XIX siècle les relations entre la production et la consommation.

A côté de ces facteurs d'ordre interne, d'autres influences ont exercé sur la vie économique de la France une pression constante qui a contribué à la désorganisation du marché fermé du moyen âge et à sa transformation en un marché national, puis international ; citons dans cet ordre d'idées l'affaiblissement de la puissance morale de l'Église dont les théories du juste prix et du juste salaire développées par les canonistes avaient fortement contribué à l'organisation et au maintien du marché fermé, le développement des foires, les pèlerinages et croisades, les grandes découvertes et leurs conséquences particulièrement dans l'ordre monétaire, enfin les transformations qui se sont opérées dans la seconde moitié du XVIII siècle en ce qui concerne la technique des métiers : première tentative de navigation à vapeur, pompes à vapeur, inventions concernant les métiers à tisser, amélioration de la

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LA NOTION DE CONSOMMATEUR 5

fabrication métallurgique, création de la plupart des grandes forges.

L'essor de l'industrialisme au XIX siècle est venu accélérer l'évolution commencée. Dans de nombreux domaines, des entreprises se sont créées, employant un matériel mécanique issu des récentes découvertes et d'une valeur telle qu'il ne pouvait être la propriété des ouvriers apportant à l'entreprise leur force de travail. Il y avait désormais dissociation entre le capital et la main-d'œuvre, et partant élimination des producteurs indépendants, substitution de la manufacture à l'entreprise individuelle, production en série et d'autant plus intense que, plus élevé est le nombre des produits fabriqués, plus bas est le prix de revient de chaque unité.

L'augmentation rapide de la production a posé alors avec une acuité nouvelle le problème des débouchés. Pour écouler la masse considérable des produits manufacturés, les fabri- cants ont dû se pencher de plus en plus sur les consommateurs, s'efforcer de rechercher leurs goûts, de les prévenir, de les susciter, et l'importance de la notion de consommation s'est alors affirmée avec éclat.

La courbe générale de l'évolution économique et de ses rapports avec la notion de consommation ayant été ainsi rapi- dement tracée, nous allons chercher maintenant quelle a été l'incidence des faits sur la doctrine et quels économistes ont, les premiers, réservé une place au consommateur dans leurs écrits.

§ 2. LA NOTION DE CONSOMMATION AU XVII ET AU XVIII SIÈCLE

Les quelques considérations qui précèdent suffisent à expliquer que la notion de consommation soit restée à peu près ignorée au cours du XVII siècle et, lorsqu'elle apparaît, il est assez difficile de différencier les économistes qui retien- nent réellement, encore que rarement et de façon très impré- cise, les conditions d'existence du consommateur comme un élément de la vie économique, de ceux qui se contentent d'une certaine tendance humanitaire à s'apitoyer sur le sort des petites gens.

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C'est, semble-t-il, vers la fin du XVII siècle que fut déga- gée cette idée qu'il était nécessaire, pour la bonne compréhen- sion de certains phénomènes économiques, de faire une place aux questions relatives à la consommation. Bien que quelques économistes paraissent avoir entrevu antérieurement ce pro- blème, sous réserve d'ailleurs de l'imprécision que nous avons rappelée, il semble que c'est à Pierre Le Pesant, sieur de Boisguillebert, lieutenant général au bailliage de Rouen, que revient le mérite d'avoir, un des premiers, mis en évidence la fonction de la consommation dans une étude intitulée Le détail de la France qui parut en 1697.

Boisguillebert consacre en effet la deuxième partie de son ouvrage à l'étude des causes de la diminution de la ressource nationale et ses recherches le conduisent à affirmer que la véritable cause de la diminution du revenu public est le défaut de consommation, que consommation et revenu sont une seule et même chose, et enfin que l'accroissement du revenu national est proportionnel, non à l'augmentation de la somme de numéraire, mais aux progrès de la consomma- tion. Nous n'avons pas à discuter ici la pertinence des conclu- sions auxquelles aboutit Boisguillebert, nous ne voulons que retenir l'effort ainsi fait par lui pour rechercher dans l'ana- lyse du phénomène de la consommation la solution des questions posées.

Des idées analogues, inspirées d'ailleurs par la lecture du Détail de la France se retrouvent chez Vauban dans son étude sur La Dîme royale parue en 1707, où il retient en particulier le défaut de consommation comme cause de la diminution des biens de la campagne, ce qui l'entraîne à condamner les entraves à la consommation intérieure.

Il y a lieu de noter également que l'importance du rôle du consommateur dans l'économie a été retenue par Cantillon (1) qui ayant défini d'abord ce qu'il appelle la valeur intrinsèque des choses, mesurée par la valeur de la terre et du travail qui entre dans leur production, fait observerensuite que souvent les choses ne se vendent pas sur le marché suivant cette valeur : « La

(1) Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général, Londres, Fletcher Gyles, 1755.

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valeur sur le marché dépendant, dit-il, des humeurs et fan- taisies des hommes et de la consommation qu'ils font. » Si, maintenant, nous passons à l'examen des doctrines physiocratiques et que nous recherchions quelle a été leur contribution dans la formation de la notion de consommateur, nous ne trouvons pas, chez les économistes de cette école, de position bien nette, ni de développement important sur le sujet qui nous occupe.

La place prépondérante qu'ils réservent à l'agriculture les a, en effet, conduits à porter leur attention sur le producteur et, spécialement, le producteur agricole, et non sur le consom- mateur en tant que tel.

Certes, les physiocrates ont développé un certain nombre d'idées qui devaient, par la suite, trouver dans la défense des intérêts du consommateur leur meilleur point d'appui, mais ce n'est pas à ce dernier point de vue qu'eux-mêmes se sont placés pour les soutenir.

Ainsi, les physiocrates désirent la liberté du commerce et, en particulier, du commerce des produits agricoles ; mais c'est beaucoup plus dans l'intérêt du producteur, de l'agri- culteur, que dans celui du consommateur, bien que ce dernier soit directement intéressé à la liberté des importations. Ce qu'ils visent, en effet, c'est surtout, par réaction contre les tendances de leur époque : d'une part, la liberté du commerce intérieur à peu près inexistante à ce moment, d'autre part, la liberté des exportations et, en particulier, des exportations de produits agricoles, restreinte par les mercantilistes qui sacri- fiaient, sur ce point, les cultivateurs au profit des fabricants de produits manufacturés (1).

Rien n'est plus caractéristique à ce sujet que la position prise par Turgot dans ses différentes lettres relatives à la liberté du commerce des grains.

Les arguments dont se sert Turgot peuvent être résumés de la façon suivante (2) :

« 1° La liberté accroîtra le revenu des propriétaires, donc ceux-ci n'ont rien à redouter d'elle.

(1) Cf. Gide et Rist, Histoire des doctrines économiques, Paris, Sirey, 1926, p. 34.

(2) Lettres sur la liberté du commerce des grains, œuvres de Turgot, Paris, Guillaumin, 1844, t. I, p. 155. Observation de l'éditeur.

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« 2° La liberté augmentera les ressources du cultivateur, donc le cultivateur n'a pas à redouter la liberté.

« 3° La liberté n'augmentera pas le prix moyen du blé, donc le consommateur n'a rien à redouter de la liberté. »

On constate quelle est la place timide qu'occupe le consom- mateur dans l'argumentation de Turgot et ceci se conçoit puisque Turgot revient constamment sur cette idée que, pour qu'une nation soit prospère, il faut que le revenu du proprié- taire soit élevé.

Dans sa cinquième lettre, Turgot indique d'ailleurs formel- lement que le véritable but de la liberté n'est pas le bas prix, mais le prix « égal », c'est-à-dire stable ; en ce qui concerne le consommateur, il se contente de démontrer que cette sta- bilité ne conduira pas à une augmentation, c'est tout (1).

Néanmoins, il est certain que la méthode apportée par ceux qui sont considérés comme les fondateurs de l'économie politique les amènent à exprimer des idées et à pressentir des théories qui seront reprises après eux et qui se rapportent directement à notre sujet.

En affirmant que les faits économiques sont liés entre eux par des rapports nécessaires et qu'il suffit de déterminer et d'analyser ces rapports pour avoir une vue d'ensemble de l'ordre naturel des choses, les physiocrates ne pouvaient ignorer le phénomène de la consommation qui constitue un des éléments essentiels du cycle économique et ils ont été conduits à en indiquer certains aspects.

(1) Turgot écrit notamment dans sa cinquième lettre sur la liberté du commerce des grains (1770) : « Rappelez-vous, Monsieur, ce que j'ai eu l'honneur de vous développer fort au long dans ma dernière lettre sur la différence du prix moyen du laboureur et du prix moyen du consommateur. Je crois y avoir démontré que la seule égalisation des prix, véritable but et infaillible effet de la liberté, sans aug- menter en rien le prix moyen du consommateur et en rapprochant seulement de ce prix le prix moyen du laboureur-vendeur, assure à celui-ci un profit immense. Ce profit est assez grand pour qu'il en reste encore beaucoup, quand même il diminue- rait un peu par la baisse des prix à l'avantage du consommateur. Or, s'il y a encore du profit pour le cultivateur en baissant le prix, la concurrence entre les cultiva- teurs le fera baisser. Peut-être, dans la suite, l'augmentation des revenus, en augmentant la masse des salaires, fera-t-elle augmenter la demande ; ceux qui ne mangeaient que de la bouillie de blé noir mangeront du pain ; ceux qui se bornaient au pain de seigle y mêleront du froment. L'augmentation de l'aisance publique accroîtra la population et, de cette augmentation de personnes naîtra une légère augmentation dans les prix ; nouvel encouragement pour la culture qui, par la multiplication des productions, en fera de nouveau baisser la valeur. » (Œuvres de Turgot, Paris, Guillaumin, 1844, t. I, p. 194.)

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C'est ainsi que Dupont de Nemours, dans son Abrégé des principes économiques (1772) réserve une section à la consom- mation en indiquant que l'ordre selon lequel se fait la consom- mation doit suivre l'ordre des besoins dictés par la nature et qu'il est naturel à l'homme de s'y conformer. C'est une affirmation encore bien vague que les consommations doivent être classées suivant les besoins qu'elles satisfont, mais c'est une idée qui, analysée et approfondie, est à la base de la théo- rie de l'utilité marginale.

Le même auteur, dans une note rédigée sur le para- graphe LXXVIII des Réflexions sur la formation et la distri- bution des Richesses de Turgot (1) procède à une discrimina- tion des dépenses en : dépenses folles, dépenses stériles, dépenses conservatoires, dépenses productives, qui annonce la discrimination qui sera faite par la suite entre la consomma- tion improductive et la consommation reproductive, la consommation rapide et la consommation lente.

Mercier de La Rivière exprime, lui aussi, des idées annon- çant celles qui seront développées avec tant de talent au XIX siècle par Bastiat, lorsqu'il insiste sur ce fait que ce sont en réalité les consommateurs et non les commerçants qui

« font » le commerce, et qu'il faut se garder de confondre l'intérêt commun de la nation relativement au commerce avec l'intérêt particulier des commerçants nationaux qui ne sont que les instruments du commerce, enfin, lorsqu'il affirme que la consommation est la fin que tout commerce se propose.

Pour compléter ces quelques observations sur la notion de consommation au XVIII siècle, ajoutons qu'Adam Smith, lui, proclame de façon péremptoire que la consommation est le seul but de toute production et que l'intérêt du producteur ne doit être considéré qu'en tant qu'il sert à celui du consom- mateur. « Cette maxime, ajoute-t-il, est d'une telle évidence qu'il serait absurde de vouloir la démontrer. »

Par contre, il y a lieu de faire en ce qui concerne Adam Smith, la même remarque que nous avons faite pour les phy- siocrates : alors que l'intérêt du consommateur constitue le meilleur argument en faveur de la liberté des échanges, il ne

(1) Œuvres de Turgot, Paris, Guillaumin, 1844, t. I, p. 49.

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lui accorde qu'une importance restreinte et se place presque toujours du point de vue du producteur pour en défendre le principe (1).

Par ailleurs, l'année même où Adam Smith publiait son ouvrage, Les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, un célèbre philosophe l'abbé de Condillac publiait à 60 ans un livre intitulé Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l'un à l'autre qui contenait, sur la nature de la valeur, des vues extrêmement profondes qui ne seront reprises que près de cent ans plus tard par les promo- teurs de la théorie psychologique de la valeur et qui font, par voie de conséquence, une place de premier plan au consom- mateur dans l'évolution économique.

C'est ainsi que Condillac expose déjà que la valeur des choses est fondée sur leur utilité, sur le besoin que nous en avons, sur l'usage que nous pouvons en faire (2), que les productions se règlent d'après les consommations (3), que c'est, par conséquent, la consommation qui guide la produc- tion et, en particulier, qui décide de l'emploi des terres (4) et conduit à cultiver celles-ci en vignes, forêts, pâturages, selon que les consommateurs réclament du vin, du bois, de la viande.

Enfin, il y a lieu de remarquer que Malthus, lorsqu'il établira tout à la fin du siècle sa célèbre loi de la population, le fera en comparant l'accroissement de la population d'un pays déterminé et l'accroissement des substances produites par ce pays, alors qu'une conception plus exacte de la notion de consommation l'aurait conduit à faire intervenir, non seu- lement les richesses produites, mais la totalité des richesses consommées ; le problème ainsi élargi l'aurait amené à inclure le correctif des importations qui, grâce au développement des moyens de transport, constitue l'une des principales lacunes du raisonnement de Malthus en cette matière.

(1) Gide et Rist, Histoire des doctrines économiques, Paris, 5 éd., 1926, p. 116, en note.

(2) Condillac, Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l'un à l'autre, Paris, Lecointe & Durey, 1821-1822, chap. I : « Fondement de la valeur des choses ».

(3) Ibid., chap. XXIV.

(4) Ibid., chap. XXV.

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LA NOTION DE CONSOMMATEUR 11

En résumé, on peut dire, si l'on fait abstraction de Condil- lac qui doit être considéré comme un précurseur, que la notion de consommation est bien dégagée à la fin de la période que nous examinons, mais que les économistes n'ont pas encore développé systématiquement les effets de l'action du consom- mateur dans la vie économique comme certains le feront au cours du XIX siècle.

§ 3. LA NOTION DE CONSOMMATION AU XIX SIÈCLE Les doctrines économiques du XIX siècle n'ignorent plus le phénomène de la consommation qui a désormais acquis droit de cité en économie politique, mais elles diffèrent entre elles par l'importance qu'elles confèrent au rôle du consom- mateur et l'examen de chacune d'elles à ce point de vue par- ticulier déborderait le cadre de notre étude.

Nous nous contenterons donc ici de marquer seulement les étapes essentielles de la progression de la notion de consom- mation. A cet effet, après avoir rappelé brièvement les liens existant entre les diverses tendances observées au début du XIX siècle et notre sujet, nous retiendrons deux ordres de faits : d'une part, les œuvres de Bastiat ; d'autre part, la nouvelle impulsion donnée aux environs de 1872 à la théorie psychologique de la valeur.

a) Diverses tendances observées pendant la première moitié du XIX siècle Les transformations qui se sont produites vers la fin du XVIII siècle et au début du XIX siècle, dont nous avons rappelé précédemment l'importance, notamment dans le domaine de l'industrie, ont eu des conséquences nombreuses et complexes, tant sur le plan économique que sur le plan social.

La concentration des entreprises et, parallèlement, la concentration des capitaux, l'extension de la division du travail, le machinisme, le problème des débouchés, la conquête des marchés, l'âpreté de la concurrence, la lutte pour l'abais- sement du prix de revient, la politique des bas salaires, ont été quelques-uns des principaux faits caractéristiques de cette période.

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NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE ÉCONOMIQUE Fondée par François SIMIAND

104 13 N° PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE VENDOVE FRANCE

40 francs

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