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Voyage et tourisme

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Academic year: 2022

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Voyage et tourisme

LÉVY, Bertrand (Ed.)

Abstract

Le numéro contient une histoire du tourisme de l'après-guerre en Suisse ; une étude sur l'ancrage local/global de flux touristiques dans les Alpes suisses et autrichiennes ; deux articles géo-littéraires, l'un sur le Mexique de Pino Cacucci, l'autre sur l'Italie de Hermann Hesse ; plus un récit de voyage en Arménie.

LÉVY, Bertrand (Ed.). Voyage et tourisme. Le Globe, 2011, vol. 151

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:24945

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LE GLOBE

Revue genevoise de géographie

Voyage et Tourisme

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LE GLOBE

Revue genevoise de géographie

TABLE DES MATIERES

Accueillir les hommes, blesser le territoire : une histoire du tourisme suisse d'après-guerre

Ruggero Crivelli

5

Territorialiser les flux touristiques : les exemples du Grosses Walsertal (Autriche) et du Val d’Hérens (Suisse)

Mathieu Petite et Cristina Del Biaggio

45

L'immersion mexicaine de Pino Cacucci Gianni Hochkofler

71

Voyage et littérature : L'Italie de Hermann Hesse Bertrand Lévy

93

Sur les frontières de la République d’Arménie Renaud De Sinety

115

SOCIETE DE GEOGRAPHIE DE GENEVE - Bulletin 131

Tome 151 - 2011

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Comité éditorial :

Angelo Barampama, Ruggero Crivelli, Lionel Gauthier, Paul Guichonnet, Charles Hussy, Bertrand Lévy, Claude Raffestin, Frédéric Tinguely, Jean-Claude Vernex : Université de Genève

Alain De l'Harpe, Philippe Dubois, Gianni Hochkofler, Philippe Martin, Christian Moser, Raymond Rauss, Renato Scariati, Véronique Stein, René Zwahlen : Société de Géographie de Genève

Annabel Chanteraud, Musée d'Ethnographie, Genève Elisabeth Bäschlin, Université de Berne

Hans Elsasser, Université de Zurich Franco Farinelli, Université de Bologne

Claudio Ferrata, Université de la Suisse italienne Hervé Gumuchian, Université de Grenoble Jean-Christophe Loubier, Université de Lausanne René Georges Maury, Université de Naples Jean-Luc Piveteau, Université de Fribourg Jean-Bernard Racine, Université de Lausanne

François Taglioni, Université de Saint-Denis de la Réunion Rédacteur et coordinateur du Tome 151 : Bertrand Lévy

Lecteurs critiques du Tome 151 :

R. Crivelli, P. Dubois, L. Gauthier, B. Lévy, J.-C. Loubier, C. Moser, S. Raffestin, R.

Scariati, V. Stein, R. Zwahlen. Tous les articles ont été soumis à lecture critique.

Les articles publiés dans Le Globe engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

Ils ne peuvent être reproduits sans autorisation des éditeurs.

Les propositions de publications sont à adresser au rédacteur : Bertrand.Levy@unige.ch

Le Globe est une revue arbitrée. Tirage : ca 450 ex.

Site internet : http://www.unige.ch/ses/geo/Globe/

© Le Globe 2011 ISSN : 0398-3412

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LE GLOBE

Revue genevoise de géographie

Tome 151

VOYAGE ET TOURISME

Département de Géographie et Environnement Université de Genève

Société de Géographie de Genève

2011

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LE GLOBE - TOME 151 - VOYAGE ET TOURISME

SOMMAIRE

Accueillir les hommes, blesser le territoire : une histoire du tourisme suisse d'après-guerre

Ruggero Crivelli

5

Territorialiser les flux touristiques : les exemples du Grosses Walsertal (Autriche) et du Val d’Hérens (Suisse)

Mathieu Petite et Cristina Del Biaggio

45

L'immersion mexicaine de Pino Cacucci Gianni Hochkofler

71

Voyage et littérature : L'Italie de Hermann Hesse Bertrand Lévy

93

Sur les frontières de la République d’Arménie Renaud De Sinety

115

Société de Géographie de Genève - Bulletin 131

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ACCUEILLIR LES HOMMES, BLESSER LE

TERRITOIRE : UNE HISTOIRE DU TOURISME SUISSE D’APRES-GUERRE

Ruggero CRIVELLI

Département de Géographie et Environnement Université de Genève

Résumé : Le tourisme est une des branches traditionnelles de la Suisse contemporaine et occupe, selon les périodes, la troisième ou la quatrième place dans notre économie d'exportation. Le développement croissant de ce secteur exerce une pression très forte sur le paysage, cadre géographique fondamental de son existence. Les comportements des touristes, que nous sommes, amplifient les problèmes de la branche.

Mots-clés : tourisme, Suisse, environnement, Après-guerre, paysage, Alpes, bon air.

Abstract : Tourism is one of the traditional branches of contemporary Switzerland and occupies, according to the periods, the third or the fourth place in our exports. The development growing of this sector puts very strong pressure on the landscape, geographical fundamental of its existence. The behaviors of the tourists, who we are, amplify the problems of the branch.

Keywords : tourism, Switzerland, environment, post-war, landscape, fresh air.

Remarque et remerciements

Ce texte est le résultat (partiel) d'une recherche financée par le Programme National de Recherche PNR48, dont je remercie toute l'équipe et son directeur, le prof. Claude Reichler de l'Université de Lausanne. Un remerciement particulier va à Rafael Matos, chercheur à la HES-Vs de Sierre, pour le travail de récolte de l'information qui a permis la réalisation de ce texte.

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Introduction

L’histoire contemporaine du tourisme suisse ne peut pas être considérée sans prendre en compte deux facteurs au moins : la montagne et la santé.

La montagne représente cette forme particulière de paysage qui attire énormément les voyageurs à partir du XVIIIe siècle. Lumières et Romantisme encadrent finalement la (re)découverte de la montagne et de ses habitants en exaltant la fascination d’un décor paysager imposant et la droiture morale de ceux qui l’habitent. La santé apparaît assez vite comme la conséquence du rapport entre les hommes et la terre : un décor grandiose, fascinant et lumineux – opposé à celui malodorant, sombre et brumeux des villes qui s’industrialisent – qui crée une sensation de bien- être corporel et spirituel à celui qui le fréquente. Le XIXe siècle marque le passage d’une montagne admirée à une montagne qui guérit. Les Alpes sont ainsi fréquentées par une élite de citadins, nobles ou bourgeois, qui y vont pour les admirer ou pour soigner leur corps : le Sanatorium devient le symbole par excellence de cette fonction médicale de la montagne. En montagne l’air est bon. Cette fonction sanitaire de la montagne devient de plus en plus importante au fur et à mesure que le XIXe siècle avance, s’achève et entre dans le suivant. La lutte contre la tuberculose en est la base principale et contribue à installer la croyance sur les bienfaits de l’air de montagne : le bon air.

Le tourisme, on le sait, est une branche très importante sur le plan économique, mais elle est aussi très sensible à la conjoncture. Les crises, les guerres aussi, peuvent rapidement bouleverser ce secteur. La Première guerre va donner un premier coup d’arrêt au déroulement croissant des activités touristiques contemporaines. Elles connaîtront une certaine reprise par la suite, jusqu’à la Seconde guerre.

Observer l’évolution du tourisme en Suisse, surtout à partir de l’après Seconde guerre, permet d’illustrer un aspect de l’histoire territoriale d’un pays, ainsi que de montrer l’impact exercé sur le territoire par un changement de société. Le tourisme – on l’a dit – peut être une ressource importante pour un pays. Cependant, son impact dépasse largement la sphère économique : il peut être vecteur de construction ou de destruction sociale, à travers la construction ou la destruction territoriale.

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Le tourisme en Suisse aujourd’hui (2005), selon la Fédération suisse du tourisme1, représente une ressource financière de l’ordre de 30 milliards de francs, dont plus de la moitié (61%) sont des recettes provenant de touristes internes. Ce montant représente plus de 5% du produit intérieur brut et place cette branche à la quatrième place des exportations (en 2010), après la chimie, la métallurgie et l’horlogerie. Le total des emplois directement ou indirectement liés à l’activité touristique peut être estimé à 9-10% des emplois en Suisse. Les nuitées, fluctuantes selon la conjoncture, ne sont pas loin des 70 millions d’unités. Plongeons-nous dans l’histoire de cette activité pour comprendre à la fois la société qui l’a engendrée et les problèmes qu’elle a soulevés et qui nous interrogent aujourd’hui.

Une Suisse qui accueille

Le tourisme en Suisse ou le "bon air" politique

Nous sommes en 1943. Le conflit fait rage autour de cette "île"

apparemment épargnée qu’est la Suisse. On ne se prononce pas encore ouvertement – neutralité oblige, sans doute – sur le futur gagnant de cette guerre, même si on pressent déjà la victoire des Alliés. Ce qui est sûr, par contre, c’est que la guerre va se terminer ! Les milieux touristiques helvétiques commencent alors (et déjà) à se positionner.

Voilà ce qui transparaît à la lecture d’une publication du "Séminaire de la Haute Ecole des Etudes économiques et commerciales de St-Gall", laquelle rapporte des exposés présentés à Montreux en septembre 1943 (Hunziker, 1943). La publication donne la parole à plusieurs auteurs, théoriciens ou praticiens qui appartiennent à divers domaines. Ce document est une véritable profession de foi dans le tourisme, mais surtout dans ses potentialités. Leur approche consiste à prendre en considération le tourisme dans un cadre plus global. Son importance n’est donc plus évaluée uniquement sur la base des flux financiers et économiques qu’il serait capable d’engendrer (ce qui était déjà le cas avant la guerre), mais en soulignant l’ensemble des rôles qu’il sera en mesure d’assumer, voire même qu’il aura pour mission d’assumer. Rôle social, rôle culturel, rôle idéologique même. L’anticipation qui émerge

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en 1943, esquisse-t-elle une nouvelle image du tourisme suisse ? Il est difficile de le dire, car, si les discours tenus à ce moment-là font toujours référence à la dimension curative qui a caractérisé pour beaucoup l’époque précédente, ils évoquent aussi une dimension populaire qui commençait seulement à émerger timidement dans le tourisme d’avant guerre. Le "bon air" qui soigne, en somme, reste encore un critère important. La vision des auteurs de cette publication se révélera la bonne, indépendamment des formes qu’ils ont pu imaginer sur le moment et que la réalité des choses va développer différemment. Charles Gilliard (1975 : 120) soulignera plus tard l’importance économique que le tourisme aura pris après la guerre : même si la balance commerciale de la Confédération va être fortement négative jusqu’en 1960 en tout cas, elle sera toujours compensée par l’apport financier d’autres sources, dont le tourisme. Entrons un peu plus dans les détails de cette prise de conscience qui servira de support à notre étude du développement contemporain du tourisme en Suisse.

Le directeur de l’Office fédéral des transports et du tourisme, le Dr.

Cottier (in Hunziker, 1943 : 9-32), dans la conférence donnée au séminaire de Montreux2, souligne fortement le caractère idéologique du tourisme : celui-ci développe et entretient les sentiments

"d’indépendance, de liberté et d’espace" chez les individus. Le tourisme, pour Cottier, appartient ainsi à la catégorie des besoins supérieurs, à côté de l’éducation, de la médecine, de l’art et de la science. Pour lui, la Suisse dispose d’un atout particulièrement important dans ce domaine :

"Notre climat et nos sources curatives constituent pour la Suisse une richesse nationale qui compense dans une large mesure sa pauvreté en matières premières. Dans les années qui suivront immédiatement l’après- guerre et même plus tard, ces richesses curatives seront indispensables au repos et à la guérison de milliers et de milliers de personnes. Les qualités naturelles de notre climat s’alliant chez nous à une atmosphère spirituelle et politique absolument neutre, de nombreux hôtes venant de pays qui se combattent aujourd’hui, trouveront dans notre pays un lieu de séjour idéal. Mais à côté d’une Suisse qui guérit, il existe aussi une Suisse qui éduque et qui enseigne. Nos nombreux instituts d’éducation exerceront une force attractive. Le tourisme pourra contribuer au

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rétablissement de relations normales entre les hommes. Cette valeur idéale du tourisme et sa mission culturelle nous incitent à demander en sa faveur, dans les futures négociations avec l’étranger, une place de choix, précédant celle que l’on accorde aux échanges de biens purement matériels. Peut-être que les autres pays se décideront à nous envoyer certains contingents de voyageurs ayant besoin de fréquenter nos stations climatiques avant que les frontières soient ouvertes à un large échange de marchandises3."

Cette citation est intéressante dans la mesure où elle résume très bien la conception qui est en train de prendre corps auprès des milieux touristiques et – par reflet – au sein des milieux politiques. Trois aspects de la Suisse peuvent ainsi être distingués : la Suisse qui guérit, la Suisse qui éduque et la Suisse qui accueille. Cette dernière catégorie n’est pas sans rappeler le choix que feront plus tard les autorités helvétiques d’inviter des milliers de GI’s à venir passer leurs congés en Suisse en organisant leur séjour (Hauser, 2004). Ce ne sont pas moins de 300'000 soldats américains, stationnés en Europe, qui effectueront ainsi un "grand tour" de Suisse organisé par le Département militaire fédéral et la Centrale suisse du tourisme entre 1945 et 1948. Il s’agissait entre autres d’améliorer la réputation de la Suisse qu’une neutralité mal perçue avait ébranlée pendant la guerre. Cela semble en partie sous-tendu dans l’intervention de Cottier, quand il parle des "futures négociations avec l’étranger", dans lesquelles le tourisme devra avoir une "place de choix".

A ce moment-là, on est sans doute déjà conscient du déficit d’image et probablement aussi de l’effet positif qu’un bon accueil peut exercer sur les étrangers. Il faudra, plus tard, toute l’intelligence de la diplomatie helvétique menée par le Conseiller fédéral Max Petitpierre, pour dépasser l’hostilité de certaines forces politiques alliées, en faisant participer la Suisse, sous une forme directe ou indirecte, à ce processus de reconstruction qui porte le nom de Plan Marshall4. La vision du tourisme qui se dégage du discours de Cottier semble ainsi représenter un des maillons du repositionnement politique international de la Suisse.

"Notre climat et nos sources curatives…", pour reprendre les mots de la citation, ne servent donc pas uniquement à guérir et à éduquer, mais aussi à retrouver une image (et par là une position politique) que la

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neutralité avait fortement dégradée pendant la guerre. Et cela sans déroger à ce même principe qui est, justement, la neutralité capable de créer une "atmosphère spirituelle et politique" qui s’ajoute aux qualités du climat.

Si l’approche basée sur une conception globale du tourisme permet de dépasser celle qui le considère comme une activité purement commerciale et d’en faire ainsi un instrument de politique extérieure, elle permet aussi d’en faire un instrument de politique intérieure et de politique sociale. Cottier (comme d’autres intervenants) en est tout à fait convaincu quand il affirme "que les séjours de vacances et de cure ne doivent plus être le privilège des milieux aisés5". La force de travail, étant à la base de la prospérité d’un pays sans matières premières, l’Etat a la responsabilité de le préserver. Le tourisme peut alors servir aux travailleurs en tant que source régénératrice. Un "esprit" et un "corps sain" sont des éléments qui permettent un travail de qualité et qui doivent être cultivés pendant le "repos" :

"Si le développement gigantesque du machinisme et de ses facultés de production doit nous contraindre après la guerre à réduire encore la durée du travail, il faudra consacrer les loisirs devenus plus nombreux au repos et à l’entraînement du corps, autant que possible dans nos régions favorisées par le climat6."

Si l’on observe l’évolution du temps de travail7, on s’aperçoit que, sur le long terme, en effet, il a fortement diminué en Suisse : pratiquement de moitié entre 1850 et 1990. L’affirmation de Cottier repose, bien entendu, sur les observations faites jusqu’à l’avant-guerre et son

"optimisme" découle du fait que la plus forte réduction s’est manifestée jusqu’en 1920 : par la suite, en réalité, vont surtout se développer les congés annuels. Avoir du temps, mais aussi avoir les moyens de voyager, c’est la base de toute activité touristique et, pour Cottier, il est important de penser à favoriser aussi bien la diminution du temps de travail que l’épargne pour le voyage dans la période d’après-guerre. Il songe même à l’introduction d’un système de quote-part :

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"Les employés et ouvriers consentiraient à laisser régulièrement, pendant toute l’année, une partie de leur salaire pour les vacances, tandis que les employeurs verseraient une modeste contribution pour les encourager à cette épargne8."

C’est une idée surprenante (l’Assurance vieillesse et survivants et son système de cotisation ne sont pas encore en place !), mais qui démontre une forte conscience de la fonction que peut assumer le tourisme pour la santé publique et, par conséquent, pour la qualité du travail. En effet, Cottier se demande dans son intervention : "Pourquoi les machines doivent-elles être seules soumises à un amortissement régulier, et non pas aussi les forces humaines qui sont à l’œuvre dans les ateliers et les bureaux ?9" Sur sa lancée, il arrive même à imaginer un système de

"péréquation" du coût du voyage, car "il ne devrait plus arriver non plus que le prix du billet de chemin de fer soit l’élément décisif dans le choix d’une station balnéaire10". Quoi qu’il en soit, la Suisse connaît l’existence d’une Caisse de voyage avec un système de timbres, ce qui, pour Cottier, devrait jouer un rôle important dans le développement des déplacements et du tourisme intérieur. Il est difficile de savoir si ses remarques ont ensuite été entendues et utilisées dans le cadre d’une politique volontariste, toutefois sa vision des choses était parfaitement pertinente. En effet, l’évolution dans l’après-guerre de la Caisse suisse de voyage confirme l’engouement des travailleurs helvétiques pour le tourisme :

Année Timbres vendus (indice)

Timbres encaissés (indice)

Capital social (indice)

Nombre de participants (indice) 1949 14’659 (100) 14’411 (100) 77’000 (100) 149'000 (100) 1965 55’393 (378) 52'230 (362) 272’000 (353) 239'000 (160)

Tab. 1 : Caisse suisse de voyage, 1949-196511

En l’espace d’une quinzaine d’années, le nombre de participants augmente d’un peu plus d’une fois et demie (indice 100 en 1949, indice 160 en 1965). Ce n’est pas négligeable. Le mouvement d’argent est, quant à lui, encore plus marquant : la quantité des timbres vendus

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comme celle des timbres encaissés augmente de plus de 3,5 fois et le capital social suit le même chemin. Il s’agit sans doute du signe que l’épargne des ménages est bien aussi consacrée à la régénération du

"facteur travail".

En somme, c’est déjà pendant la guerre que l’on a commencé à pressentir l’importance du tourisme en tant qu’activité autre qu’économique et le rôle qu’il pouvait assumer sur le plan social.

Pourtant, la situation de l’hôtellerie est très mauvaise : Cottier estime la dette de cette branche12 à 1-1,2 milliard de francs, dont au moins 125 millions de surendettement, sur la base du rendement des dix années qui ont précédé la Deuxième Guerre mondiale. Mais – précise-t-il – ce sont des estimations minimales. Cela nous incite à penser que les milieux touristiques n’évaluent pas l’importance que représente la branche pour le pays uniquement sur la base d’une vision prospective par rapport à la reprise d’après-guerre, mais aussi sur la base du formidable gaspillage de ressources qu’aurait été un patrimoine touristique laissé à lui-même.

L’observation de quelques statistiques d’avant-guerre – dans la mesure où elles peuvent être fiables – nous laisse imaginer que la situation décrite doit être en deçà de la réalité.

Année Nombre de lits Nombre d’hôtes Nuitées

1934 199’641 3'307’364 13'990’247

1939 193’123 2'930’690 13'653’317

Evolution - 3 % -11% -2%

Tab. 2 : L’hôtellerie entre 1934 et 193913

Le nombre des hôtes chute fortement (-11%), influençant – même si c’est dans une moindre mesure – les nuitées et le nombre de lits à disposition sur le marché. Il est vrai que le graphique suivant montre que la période en question n’est pas homogène, car elle connaît un sursaut juste avant la guerre (en 1937 en particulier) :

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Fig. 1 : Hôtellerie suisse, 1934-1939, évolution des nuitées et du nombre d'hôtes

Cependant, les opérateurs touristiques restent constamment en difficulté, car le nombre des lits sortant du marché est d’un bon millier chaque année, comme le confirme la figure suivante.

Fig. 2 : Hôtellerie suisse, 1934-39, évolution du nombre de lits

La branche des établissements de cure, d’après les maigres statistiques à notre disposition, ne se comporte pas mieux, même si la rationalité de son fonctionnement est sans comparaison avec l’hôtellerie

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proprement dite, car le taux d’occupation des lits est de l’ordre de 80%

contre un peu plus de 25% pour la catégorie hôtelière.

Voilà donc que la guerre semble avoir obligé à prendre conscience de trois choses au moins :

- l’existence d’un patrimoine touristique important (hôtels, établissements de cure, paysages, pour citer les éléments considérés à l’époque) sur lequel reconstruire l’avenir ;

- la nécessité d’une aide sous forme financière (crédits et subventions de la Confédération surtout) et à travers la mise en place d’une politique volontariste où tous les acteurs auraient leur rôle à jouer : privés (hôteliers, vacanciers, etc.) et publics (Confédération, on l’a dit, mais aussi cantons et communes). En d’autres termes, l’économie de guerre, mais aussi les théories économiques dominantes du moment14 (Keynes, par exemple) permettent, même en Suisse, de concevoir l’intervention de l’Etat dans l’économie ;

- l’atout important que représentent pour le tourisme les changements sociaux et techniques engendrés par la guerre. Ce dernier point mérite qu’on s’y attarde un moment.

Le monde change

Nous nous étonnons parfois aujourd’hui de la dimension des évolutions sur le plan social pendant la seconde moitié du XXe siècle. Et pourtant, ce qui est peut-être encore plus surprenant, ce sont les prévisions que certains responsables ont été capables d’imaginer il y a plus de soixante ans. Pour ce qui nous intéresse, parmi les mutations qui affectent la branche touristique en Suisse, nous pouvons en souligner deux : les changements sociaux dans le domaine des loisirs et le développement des transports. Il s’agit de deux champs fondamentaux dans la mesure où ils ont des répercussions considérables sur deux des éléments les plus importants du tourisme : le paysage et l’environ- nement.

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L’amorce des modifications dans le domaine social a commencé avant la guerre, mais c’est pendant celle-ci, paradoxalement, qu’on en mesure l’importance. Prenons les mots du secrétaire du contrôle des prix, C.-F. Ducommun, lequel, sous le titre "Mutations sociales de la clientèle hôtelière" écrit :

"Toutefois, il ne faut pas s’attendre à retrouver la clientèle d’autrefois. L’économiste suédois Dr. Erik Lindahl a publié […] une étude […] dans laquelle il montre qu’au cours de ces dernières années, l’augmentation du revenu du travail a été plus considérable que celle du revenu des capitaux, l’intérêt sur le capital ayant diminué.

Ce phénomène dure depuis trente ans. Il s’ensuit une égalisation des fortunes, les gros revenus se faisant plus rares, tandis que se multiplient les fortunes dites moyennes. Ce déplacement a pour corollaire un déplacement de la puissance politique qui, des détenteurs de capitaux passe ainsi aux représentants des classes moyennes et ouvrières […].

En vertu du déplacement social signalé par Lindahl, le Grand-Hôtel de Territet, par exemple, ne recevra certainement plus, en grandes masses, cette société qui, en 1931 encore, payait cinquante francs suisses par jour et par personne15."

Bien sûr, les auteurs n’imaginent pas précisément les dimensions de l’évolution qui suivra, d’autant plus que pendant la guerre les salaires ont subi une forte rétention (surtout par rapport aux prix) qu’il faudra combler à la fin des hostilités16. Cependant, la tendance prévue est clairement affichée et le tourisme reprendra effectivement son rythme d’avant-guerre en atteignant facilement les 15 millions de nuitées, comme cela avait été soutenu par Cottier dans son exposé de 1943. En 1945 déjà, par exemple, nous comptons 17 millions de nuitées, qui ne cesseront de croître jusqu’en 1949, se chiffrant même à 23 millions en 1947. Par contre, 1950 est une année de brutale rechute car celles-ci retombent à 15 millions ; un nouveau cycle s’ouvre ainsi pour le tourisme suisse, plus raisonnable sans doute, car moins frénétique, mais toujours en expansion. La période qui va de 1945 à 1950 semble bien correspondre aux prévisions faites pendant la guerre : après 1950, le pays est sans doute en train de sortir définitivement d’une économie encore

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sous contrôle pour entrer dans une période où le marché reprend sa cadence plus librement. Parallèlement, le poids du tourisme intérieur devient progressivement plus important, signe qu’il intéresse des couches sociales plus larges qu’auparavant.

Simultanément, nous assistons à un changement considérable dans le domaine des transports. Si les opinions exprimées par les experts d’alors sont toutes d’accord pour imaginer une augmentation de la mobilité touristique, il est très intéressant de voir qu’elles ne sont pas toutes convergentes si l’on considère les moyens de transport. Pour le directeur du premier arrondissement des Chemins de fer fédéraux, le rôle de la voie ferrée va être fondamental dans les années qui suivront la guerre. Il développe toute une série d’arguments que nous ne reprenons pas ici.

Limitons-nous à souligner deux points : l’augmentation du trafic de banlieue dans le processus d’urbanisation que va connaître le pays pendant la deuxième moitié du XXe siècle ; et la nécessité de coordonner pour des raisons touristiques les liaisons directes entre grands centres urbains et entre ceux-ci et les régions du tourisme :

"Au point de vue du tourisme et plus spécialement du tourisme interne, le facteur masse qui, comme déjà dit, caractérise les transports par chemin de fer, joue un rôle essentiel. Le tourisme et les sports ne sont plus réservés aux privilégiés de la fortune. Toutes les couches sociales s’y intéressent et y participent. Les fervents du week-end se rendent en foule, le samedi après-midi, à la campagne ou à la montagne.

Ils demandent à être transportés rapidement, le plus loin possible et à bon compte. Le chemin de fer est de tous les moyens de transport le plus apte à les satisfaire, étant le mieux à même d’effectuer des transports massifs se concentrant sur deux ou trois jours de la semaine17."

Pour cet auteur aussi, la société change : la période d’après-guerre sera caractérisée par le tourisme de masse et par une mobilité croissante.

Le chemin de fer remplit sa fonction en assurant aussi les liaisons entre localités d’agglomération :

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"Lutry, Cully, Vevey, Montreux, Morges et même Rolle et Yverdon sont des villes satellites de Lausanne et le chemin de fer pourra certainement contribuer à leur développement en les reliant à la métropole par des relations rapides et nombreuses, à toutes les heures de la journée, tôt le matin et tard le soir18."

Dans un certain sens, on croit rêver en lisant ces propos formulés il y a plus de soixante ans ! Que serait, aujourd’hui, l’état de notre environnement si on avait tenu compte de ces "pré-visions" ? Non seulement nous disposerions actuellement de transports urbains en commun, mais en plus ceux-ci seraient en mesure de répondre au tourisme des citadins qui cherchent à la campagne et à la montagne le bon air qui leur manque en ville (ou, mieux encore, n’auraient peut-être pas besoin de chercher le bon air ailleurs !)

Chenaux voit surtout les avantages du chemin de fer : mais son raisonnement est intéressant dans la mesure où il a aussi une vision articulée des choses :

"En Suisse, pays du tourisme par excellence, il importe de laisser la route libre à la voiture automobile de tourisme et de l’interdire au gros roulage dans toute la mesure du possible19 […]."

Bien que l’on devance de soixante ans le projet d’Alp-Transit (qui n’est d’ailleurs pas encore terminé !), on pensait déjà, dans cette publication de 1943, que le trafic lourd sur longues distances à l’intérieur du pays aurait dû être réalisé par voie ferrée. Cependant, le mot est lâché : la voiture automobile de tourisme. Déjà pendant la guerre, les acteurs du monde touristique perçoivent les changements qui pourraient profiter à la branche : la voiture de tourisme, mais aussi l’avion, vont prendre le relais des chemins de fer.

Transport et loisir

Le transport est l’un des principaux facteurs de fonctionnement du tourisme, lequel, par définition, implique un déplacement. Le chemin de fer, dans l’histoire, n’a pas été le premier moyen pour voyager à des fins

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touristiques, mais il a fortement contribué à développer cette branche grâce à sa rapidité et à sa capacité à transporter en masse. La Deuxième Guerre mondiale semble marquer un tournant et, là aussi, certains contemporains le ressentent. Le colonel Primault, dans son intervention au séminaire de Montreux20, exprime bien cette conscience à travers un exposé plein d’enthousiasme que ses charges justifient : il est colonel de l’aviation militaire, directeur de l’Automobile Club de Suisse et président de la Commission sportive de l’Aéro-Club de Suisse. Sa passion pour l’avion et l’automobile lui permet de deviner le formidable potentiel que ces deux moyens de transport représentent pour le tourisme et les loisirs. Même si ses considérations sur la fonction de l’avion ne se vérifieront pas dans le sens qu’il avait imaginé21, il ne s’était pas trompé en ce qui concerne la voiture.

Il serait intéressant de retranscrire sa démonstration montrant le rôle que joue "l’individualisation des transports" (pour utiliser ses mots), mais nous renvoyons directement aux pages de l’auteur. Limitons-nous à ce passage qui résume bien l’intérêt pour ce "nouveau" moyen de transport qu’est le véhicule privé :

"Est-il permis de croire que les perfectionnements dans les transports en commun, perfectionnements dont je viens de donner quelques exemples, ont été provoqués, imposés par l’automobilisme ? Ou plutôt, ne faut-il pas constater que le développement si rapide, si puissant de l’automobilisme ne tient qu’au fait que l’auto a permis de réaliser, dans une plus large mesure que tous les autres moyens de transport, des préférences et des désirs humains, nécessairement irréalisables pendant longtemps sauf pour un groupe restreint de privilégiés, disposant de carrosses et de chevaux ?

Pour moi, ma conviction est faite. L’avenir est aux transports

"individualisés", sur terre, dans les airs22."

Suivent d’intéressantes démonstrations par rapport au développement technique et aux potentialités de la voiture et de l’avion, sur lesquelles, par ailleurs, les autorités commencent à se pencher. Le mot n’est pas encore utilisé, mais en lisant entre les lignes de l’intervention de E.

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Primault, on voit apparaître la nécessité de construire des autoroutes, en créant ainsi un véritable réseau de voies carrossables. Et il ne s’est pas trompé en concluant :

"Ma conviction est que "l’homme de la rue" de demain sera détenteur ou propriétaire d’une auto, de ces merveilleux instruments de travail, de ce moyen de délassement incomparable, de ce facteur d’enrichissement physique, culturel et moral, bref de ce multiplicateur de toutes les possibilités humaines. L’auto deviendra, demain, aussi indispensable à chacun et dans le cadre de vie moderne, que la montre qui mesure le temps de nos travaux, de nos joies et de nos peines.

Et cet homme de demain ne sera pas plus automobiliste que l’on est [sic], actuellement, l’homme qui voyage en chemin de fer, l’homme qui possède un frigidaire ou l’homme qui porte une montre-bracelet. Par contre, il sera un touriste, sans le savoir, exactement comme "Monsieur tout le monde" qui, écrivant ou discourant, ignore sa qualité momentanée de prosateur23."

L’auteur ne pouvait pas être plus rêveur et plus réaliste à la fois, comme les chiffres du tableau suivant nous le confirment :

Année Nb. de voitures

Nb. de voitures par 1000 habitants

Bicyclettes par 1000 habitants

Indice voitures

Indice voitures par 1000 habitants

Indice bicyclettes

par 1000 habitants

1925 28’697 7 170 100 100 100

1930 60’735 15 202 212 214 119

1935 70’765 17 236 247 243 139

1940 65’947 16 326 230 229 192

1945 18’279 4 352 64 57 207

1950 146’998 31 381 512 443 224

1955 270’821 56 372 944 800 219

1960 485’233 94 330 1691 1343 194

1965 845’124 155 248 2945 2214 146

Tab. 3 : Voitures et bicyclettes en Suisse, 1925-196524

(24)

Les chiffres sont parlants : on peut vraiment observer le contraste entre la situation d’avant la guerre et celle de l’après-guerre. En quarante ans, le parc automobile (sans compter d’autres types de véhicules, comme les camionnettes, les camions, les tracteurs industriels, etc.) a été multiplié par 30. Mais ce qui ressort bien de ces chiffres, c’est l’explosion de la voiture individuelle dans les années qui ont suivi la guerre : on peut presque dire que le rythme de croissance a grossièrement doublé tous les cinq ans, ce qui donne un taux d’accroissement annuel d’environ 14%. Le tableau indique aussi l’évolution des bicyclettes et, en particulier, celle du nombre de bicyclettes par 1000 habitants. La comparaison avec le nombre de voitures par 1000 habitants est tout à fait saisissante : la bicyclette, même

"petite", reste "reine" jusqu’en 1950, période à partir de laquelle elle perd son importance par rapport à l’automobile, comme cela est montré par l’évolution des indices.

La réalité d’après-guerre a dépassé les "prévisions" faites pendant celle-ci, mais cela n’est pas très important. Ce qui l’est, c’est qu’en déplaçant l’analyse autour du tourisme d’une vision simplement économique et commerciale à une vision plus sociale et politique, les auteurs auxquels nous avons fait référence, perçoivent son caractère de masse. C’est une société toute entière qui change : en s’urbanisant, elle ressent de plus en plus le besoin de se ressourcer ailleurs ; en améliorant ses moyens matériels d’existence, elle consacre plus de temps et plus d’argent aux loisirs et aux vacances. Par exemple, en 1965 un ménage suisse consacrait – en moyenne – environ 15% de ses dépenses aux loisirs, tandis qu’en 1990 ce même taux est monté à 22% (OFS, 1996 : 2). Il s’agit d’une augmentation de 7 points, au sujet de laquelle il faut encore remarquer qu’elle était partagée par 3,1 personnes (moyenne du nombre de personnes par ménage) en 1965, alors qu’en 1990 elle est partagée par 2,3 personnes. Ce qui signifie qu’il y a pour les loisirs presque deux fois plus d’argent disponible par personne en l’espace d’une génération.

"Depuis 1965, les dépenses au titre des [sic] loisirs et du tourisme ont, pour la moyenne de tous les ménages suisses, quadruplés en termes

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absolus (nominalement) pour atteindre un total de quelque 32 milliards de francs en 1990. Durant la même période, elles se sont accrues de 50%

en termes réels25."

La dépense totale a été estimée, en 1990, à un peu plus de 11'000 francs par ménage. Environ 40% de cette somme sont consacrés aux vacances proprement dites et au voyage (ce dernier représente un tiers des dépenses de transport du ménage) : le reste concerne d’autres loisirs (télévision, vidéo, ordinateur, presse imprimée, etc.).

Si les dépenses affectées aux loisirs n’ont cessé d’augmenter depuis 1965, elles ont connu une croissance plus soutenue jusqu’au milieu des années 1970. Le graphique du document consulté nous permet de reconstituer le tableau suivant :

Année Dépenses Indice

1965 2’750 100

1975 7’132 260

1985 8’901 324

1990 11’157 406

Tab. 4 : Dépenses de loisirs par ménage, 1965-1990, en francs26 Toujours croissantes, ces dépenses connaissent un petit fléchissement à cause de la crise des années 1970, mais repartent de plus belle par la suite.

En observant maintenant le tourisme dans son ensemble, et non seulement comme ici par rapport aux dépenses des ménages suisses, nous voyons l’importance de cette branche, qui a atteint presque 75 millions de nuitées en 1994. Elle se positionne ainsi à la troisième place des branches exportatrices. Avec ses 21 milliards de francs de recettes, dont 40% proviennent du pays, le tourisme procure un revenu – directement ou indirectement – à presque 10% des actifs. Nous avons donc affaire à un véritable "instrument" de production et de culture (75 millions de nuitées dans un pays qui compte quelque 7 millions d’habitants, c’est un formidable système de brassage) qui s’est

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énormément développé depuis la fin de la guerre. Ce développement, en prenant l’hôtellerie comme "thermomètre", montre deux grandes phases ascendantes : la première, courte, se trouve liée à la fin de la guerre et semble se dérouler entre 1945 et 1950 ; la deuxième marque une moindre mais longue montée jusqu’aux années 1970. C’est la période de la grande croissance économique.

Il devient alors important d’observer les réactions que cette époque de massification a suscitées surtout, dans notre optique, celles qui concernent le tourisme. Pour fonctionner, ce dernier a en effet besoin, en tout cas, de deux choses : un attrait et une infrastructure en mesure de satisfaire la demande. L’attrait, avant même la réputation des opérateurs touristiques, est représenté par le paysage, véritable façade du territoire.

La Suisse, dans son ensemble ou dans sa diversité, possède cet atout depuis longtemps : le paysage qui guérit, le paysage qui éduque sont des réalités acquises. Mais parallèlement, pour que cela fonctionne, il faut un paysage qui accueille. Nous voyons alors apparaître27 une tension entre le territoire (c’est-à-dire le système de relations économiques, sociales et environnementales qui sous-tend le tourisme) et le paysage. D’un côté un système de relations qui s’emballe, de l’autre un paysage qui s’alourdit de manière désordonnée : cela ne pouvait que susciter des résistances, même très marquées. C’est en effet avec la fin des années 1960 et la décennie qui suit, que nous voyons apparaître un certain nombre de réflexions politiques, préoccupées par un développement qui semble échapper à tout contrôle et engendrer ainsi des dysfonctionnements dont les conséquences détruisent les atouts sur lesquels se base cette même croissance.

Le territoire blessé

Le territoire sous tension

Le tourisme est une branche importante, on l’a dit, mais ce n’est qu’un secteur parmi d’autres. Il est à la fois objet de préoccupation et d’attention particulières, mais aussi partie d’un contexte plus général.

Les années soixante sont une période de forte croissance sur le plan économique et social, mais elles le sont aussi sur le plan spatial.

(27)

Bâtiments d’habitation, de travail, voies d’accès, etc. sont autant d’infrastructures qui raréfient l’espace disponible et qui engendrent par là une forte spéculation par rapport au sol. Spéculation qui induit, à son tour, la rareté du sol. Le tourisme contribue aussi à cette situation, en occupant surtout les zones les plus fragiles. Après d’âpres discussions politiques, c’est en 1969 que le peuple accepte enfin des articles constitutionnels (les 64ter et 64quater de l’époque) posant ainsi les bases pour une loi sur l’aménagement du territoire. L’occupation rationnelle du sol, l’attention portée sur le gaspillage des surfaces et le respect de leur vocation deviennent alors les principes sur lesquels devrait se baser la gestion territoriale. Cela demandera encore beaucoup de patience, car ce n’est qu’en 1979 que la loi voit enfin le jour. Entre-temps, en attendant que les acteurs politiques se mettent d’accord, le Conseil fédéral, à partir de 1972, tentera de mettre un frein à l’expansion des constructions via une série d’arrêtés urgents.

La nécessité et la volonté de contrôler, même modérément, les dysfonctionnements engendrés par la forte croissance économique donnent naissance dans différents domaines à des études (à des

"Conceptions…") commandées par les autorités. Il s’agit d’approches sectorielles, dont l’une concernera aussi le tourisme : le rapport final de la "Conception suisse du tourisme" paraîtra ainsi en 1979. Le document est intéressant pour comprendre l’évolution des esprits dans l’après- guerre et les intentions face au futur.

Nous retrouvons, sous forme chiffrées parfois28, la vérification des

"prévisions" de 1943 vues plus haut. Le contexte se confirme29 : entre 1950 et 1975 les revenus réels par habitant se sont multipliés par 3,2 ; la population considérée comme urbaine (celle qui recherche le "bon air"

des Alpes) par 2,2 et les voitures de tourisme par 12,230.

Les nuitées ont suivi le même chemin : dans l’hôtellerie celles des étrangers ont été multipliées par trois, surtout entre 1948 et 1968 (d’environ 6 à environ 18 millions), tandis que celles des Suisses, qui avaient par ailleurs pris le relais assez tôt, restent stables entre 11 et 12 millions (1948-1968-1975)31. L’intérêt des Helvètes pour le tourisme

(28)

dans son ensemble (ce qui est plus large que l’hôtellerie) reste cependant important dans cette deuxième moitié du XXe siècle. En effet, en 1977 par exemple, le tourisme national32 atteint 36,2 millions de nuitées contre 32,9 millions de nuitées pour le tourisme de provenance extérieure. Par contre, ce dernier continue de générer plus de valeurs, car le chiffre d’affaires a été, avec 6,1 milliards de francs, plus d’une fois et demie celui créé par le tourisme national (3,9 milliards de francs). Pour les étrangers, l’hôtellerie reste proportionnellement plus attractive que pour les Suisses, souvent attirés, par ailleurs, par les autres pays.

Si nous comparons, maintenant, les nuitées totales (environ 70 millions en 1977) aux nuitées dans l’hôtellerie (environ 31 millions en 1975), nous nous rendons vite compte du changement structurel du phénomène touristique : non seulement il a littéralement explosé, mais le tourisme d’après-guerre sort de l’hôtellerie pour occuper d’autres terrains.

"Le tourisme suisse s’est développé énormément de l’après-guerre jusqu’en 1973. De 1959 à 1973, le nombre de nuitées a augmenté de 30 millions, soit de 82%. Plus de 2/3 de cette augmentation étaient dus à la parahôtellerie, c’est-à-dire à l’hébergement dans les chalets ou appartements de vacances, dans l’hébergement par groupes et les places de camping33."

Chalets (mais les chalets occupés par les propriétaires échappent souvent aux statistiques), appartements de vacances, campings, etc.

occupent de plus en plus l’espace. On comprend alors aisément les titres des études de Krippendorf (1977), Les dévoreurs de paysages !

C’est ainsi que pour permettre à la fonction d’accueil de satisfaire les besoins des vacanciers tout en s’auto-entretenant, il a fallu développer les infrastructures nécessaires. La Conception suisse du tourisme nous éclaire sur la dimension de cette explosion où "les régions de montagne sont mises en valeur par des téléphériques afin de faciliter la pratique du ski34" (mais pas seulement, pourrions-nous ajouter). En effet35 :

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- entre 1950 et 1975, le nombre de téléphériques sur l’ensemble du territoire suisse est multiplié quasiment par dix, passant respectivement de 39 à 381, pendant que le nombre de téléskis se multiplie par 15 : 72 en 1950 et 1'000 en 1975. "Depuis 1950, on a construit en moyenne 50 nouveaux télécabines et téléskis par an36". En 1978, une ordonnance fédérale refroidit quelque peu les ardeurs, mais sans vraiment changer fondamentalement la situation, car Krippendorf peut encore écrire qu’"au début 1985, 88 demandes étaient encore à l’étude auprès de l’Office fédéral des transports […]37" ;

- le nombre de lits augmente : quasiment stable dans l’hôtellerie, il est multiplié par 2,4 dans la parahôtellerie entre 1963 et 1976 ;

- les résidences secondaires se multiplient par 2,6 entre 1960 et 1974 : 70'000 résidences en 1960 et 131'000 (quasiment le double) en 1970, mais 180'000 résidences en 1974, c’est-à-dire 50'000 unités supplémentaires en quatre ans seulement. Cela signifie que le rythme de construction double à partir des années 1970.

Jost Krippendorf précise :

"De 1970 à 1985, les logements de vacances et résidences secondaires en Suisse ont augmenté de 130%. Leur nombre est passé de 110'000 à 250'000, le nombre de lits de 500'000 à 1 million38."

Les chiffres de cet auteur, sans correspondre exactement à ceux de la Conception suisse du tourisme, sont du même ordre de grandeur. Ce qui est spécialement intéressant dans son discours, c’est l’attention qu’il porte à l’emprise spatiale du tourisme39 :

- 250'000 résidences secondaires occupent, au sol, 160 km2 de surface, contre 8 km2 pour les 7'200 hôtels que compte la Suisse à ce moment-là.

Cela veut dire un millier de m2 par hôtel, contre 640 m2 environ pour une résidence secondaire ou appartement de vacances40 ;

(30)

- cela signifie aussi (et surtout) 30 m2 par lit dans une structure hôtelière contre 160 m2 par lit dans le cadre d’une structure résidentielle secondaire. Compte tenu des nuitées, le contraste est encore plus fort : 1/5 de m2 par nuitée en hôtel, contre 3 m2 dans des résidences secondaires et appartements de vacances. En somme, cinq fois plus de surface occupée au sol en termes de lit, mais compte tenu de l’utilité pratique – du taux d’occupation des lits, on devrait dire – la différence se multiplie jusqu’à 15 fois !

Indépendamment du jugement que l’on peut porter sur cette situation – jugement sans doute facilité par le regard rétrospectif – il est indéniable que le tourisme suisse d’après-guerre a fortement nourri le processus d’urbanisation et contribué à modifier considérablement le paysage. Les réactions politiques ne manquent pas : la situation difficile de l’hôtellerie, le succès fulgurant du tourisme, les changements structurels de celui-ci, etc. débouchent sur les interrogations et analyses contenues dans le rapport de 1979, Conception suisse du tourisme. Des chercheurs comme Jost Krippendorf, pour ne citer que l’un des plus connus, s’interrogent sur l’impact que cette explosion peut avoir pour le pays : alors qu’il avait déjà fait ce constat dans d’autres publications, il lance en 1987 un cri d’alarme face à la situation en démontrant la contradiction engendrée par une activité, celle du tourisme, qui détruit sans vergogne sa propre ressource en dégradant sol, air et eau. Or, si un cri dérange, secoue, réveille parfois, la sortie du sommeil est aussi fonction du stade dans lequel se trouve le dormeur : on prend petit à petit conscience que le paysage, façade du territoire, exige une attention particulière, et c’est en 1998 (onze ans plus tard) que la Confédération publie les Principes de base de la conception "Paysage suisse". La

"somnolence" a ainsi été assez longue. Le réveil a apparemment été plus rapide, car cinq ans après, en 2003, la Confédération précise ses directives dans un Cahier de l’environnement intitulé "Paysage 2020"41. Si, d’un côté, cette attention soutenue pour le paysage permet de mesurer à quel point la sensibilité des Suisses a évolué42, de l’autre, elle suscite quelques interrogations.

(31)

Un paysage sous stress

L’horizon 2020 représente la limite temporelle que les autorités se sont fixées pour imaginer un paysage suisse. Une période finalement courte pour pouvoir véritablement en dessiner les contours de manière précise43, car le paysage change à un rythme qui n’est pas immédiatement perceptible. Cependant, dans la situation actuelle, nous pouvons déjà identifier suffisamment de tensions et d’indices pour esquisser une évolution possible.

Dans les pages précédentes, nous avons vu le formidable développement du tourisme pendant la deuxième moitié du XXe siècle et de toute une série d’éléments qui l’ont accompagné (véhicules, infrastructures, constructions, etc.). S’il est certain que le tourisme n’est pas responsable à lui seul des charges que doit supporter le paysage, il est indéniable que son expansion contribue à en augmenter le poids, voire – comme l’a montré Jost Krippendorf – à créer des problèmes spécifiques dans de nombreuses stations ou régions.

Quelques chiffres, tirés de Paysage 202044, suffisent à entrevoir la pression qu’exerce le tourisme sur le paysage :

- un parc de voitures individuelles multiplié par 24 depuis 1950, atteignant aujourd’hui les 3 millions et demi de véhicules ;

- un trafic motorisé routier en augmentation constante : multiplication par 3 entre 1960 et 1995 pour le trafic individuel, et de même pour le trafic des marchandises entre 1970 et 1995 ;

- un accroissement du nombre de kilomètres parcourus par les véhicules : autour de 9% entre 1993 et 2000.

Le tableau 6 du document Paysage 202045 fournit la répartition des kilomètres parcourus par les véhicules entre 1993 et 2000. Si nous calculons la progression en pourcent depuis 1993 de chaque catégorie, nous constatons que la mobilité a augmenté de 9,6% par rapport au total et de 8,4% pour les voitures. Seuls les vélomoteurs connaissent une

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chute. Par contre, motos et autocars accroissent leur kilométrage de plus de 20% (20% et 23% respectivement). Nous avons affaire ici à deux éléments intéressants, dans la mesure où ils peuvent traduire à la fois un développement de l’urbanisation (qui étend potentiellement les besoins en tourisme) et du trafic de nature touristique.

En ce qui concerne les marchandises, le kilométrage des poids lourds augmente aussi de 20% environ, tandis que le trafic de livraison fait carrément un bond de 30%. Ce dernier point traduit, à notre avis, ce que l’on pourrait appeler la "capillarité spatiale" de la mobilité routière, qui est constituée par deux éléments complémentaires : la capacité des véhicules à moteur à atteindre tous les endroits du pays et la grande dispersion des points à atteindre.

En somme, cette croissance a induit un important développement des infrastructures (qui génèrent, à leur tour aussi, une augmentation de la mobilité routière) :

"Avec ses quelques 71'000 kilomètres de routes nationales, cantonales, communales […] et ses 5'000 kilomètres de voies ferrées […], la Suisse dispose de l’un des réseaux de transports [sic] les plus denses d’Europe. […] Entre 1972 et 1983, quelque [sic] 1'700 hectares ont été utilisés chaque année pour la construction de routes et de chemins ; depuis on constate un certain ralentissement de ces aménagements. Pour la période allant de 1979 à 1989, on a relevé, par le biais du programme d’observation du territoire suisse, une utilisation annuelle de 700 ha pour les routes et les chemins. Selon les dernières données de la statistique de la superficie, entre 1985 et 1997, 7'800 ha ont été consacrés à de nouvelles surfaces de transport46."

La figure 17 du rapport sur l’évolution du paysage47 illustre, à travers des cartes, l’impact du développement de ces infrastructures et, notamment, la compartimentation qu’elles créent dans le paysage. Le morcellement est, en effet, considérable. Par rapport à l’espace proprement alpin, la figure à laquelle nous faisons référence montre bien deux phénomènes : le paysage alpin est relativement plus dégagé que

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celui du Plateau, cependant, il est fortement pénétré via les fonds de vallée par l’urbanisation. Seuls les espaces d’altitude semblent échapper à l’emprise des chemins routiers. "Semblent" échapper ! L’illusion est de courte durée, car Paysage 2020 nous fournit d’autres informations :

"Les régions de montagne proposent à l’heure actuelle 5 millions de lits de vacances et 15'000 téléphériques et téléskis. On estime que les stations de sports d’hiver sont équipées de 41'000 pistes de descente préparées, d’une longueur totale de 120'000 km. (…) En 2001, on a enregistré dans le secteur de l’hébergement 68 millions de nuitées dans les hôtels et 35% dans les stations de montagne à plus de 1'000 m d’altitude48."

15'000 installations de remontée, 120'000 km de pistes répartis en 41'000 tracés et 23 à 24 millions de nuitées à plus de 1'000 mètres d’altitude donnent déjà une idée (encore partielle) de l’impact sur le paysage49. Evoquer l’idée d’un stress peut paraître excessif. Cela ne l’est probablement pas, car ce que nous venons de décrire renvoie surtout à l’occupation du sol : or, le paysage n’est pas une carte sur laquelle on aurait simplement dessiné les infrastructures. Si celles-ci, d’un côté, occupent lourdement le champ de vision, de l’autre, elles induisent des effets physiques, comme par exemple l’imperméabilisation des surfaces, la disparition de biotopes (avec notamment le recul ou la modification de la végétation), la modification de la morphologie du terrain, etc. Tous ces aménagements remplissent certes leur fonction en assurant la mobilité et en améliorant l’accessibilité de zones qui deviennent ainsi intéressantes pour la résidence, notamment touristique. Mais cette

"vitalité" que permet le système d’infrastructures est paradoxale : bénéfique par certains côtés, elle augmente aussi la charge en polluants chimiques, en bruit(s) et en particules de poussières :

"Les polluants atmosphériques peuvent non seulement nuire à la santé de l’être humain, mais également endommager des écosystèmes. En premier lieu on trouve les effets de surengraissement et d’acidification des oxydes d’azote (NOx). Les oxydes d’azote dégagés par la combustion de carburants et de combustibles fossiles se déposent en

(34)

grandes quantités dans le sol et les eaux. Il en résulte un déséquilibre de substances nutritives, le confinement de certaines espèces aux stations pauvres en azote et une hypersensibilité des plantes à des facteurs de stress extérieurs, comme les tempêtes. La quote-part des transports dans les émissions de NOx est actuellement de 60% environ. De plus, combinés au SO2, les NOx entraînent une acidification des sols pouvant conduire à un déséquilibre des substances nutritives et à un ralentissement de la croissance. Par ailleurs, l’acidification a un effet toxique sur les lacs50."

On pourrait, bien sûr, ajouter d’autres indications et précisions, mais cela nous semble suffisant pour constater que le paysage suisse en général et le paysage alpin en particulier peuvent être considérés comme étant sous stress : l’évolution des transports, mais aussi des industries et de l’artisanat, le développement des résidences secondaires, etc.

contribuent à la modification de la qualité de l’air. A tel point que "dans le canton de Zurich, une réserve naturelle sur deux présente des signes de surcharge de matières nutritives. Dans les régions de montagne, les milieux pauvres en substances nutritives sont eux aussi touchés par l’apport de nitrates (…)51."

Il serait temps d’admettre que la qualité de l’air n’est pas seulement importante pour ses effets directs sur la santé des êtres humains, mais qu’elle l’est aussi pour ses conséquences indirectes dérivant des impacts sur la croissance de la végétation, sur la modification des espèces végétales présentes, etc. Les passages que nous avons cités montrent qu’il n’y a pas que les êtres humains de nos contrées qui soient surnourris : l’environnement aussi est menacé… d’obésité ! Et l’air est un véhicule extraordinaire, peut-être plus encore que les cours d’eau ou la morphologie du paysage.

Conclusions : du paysage des hommes aux hommes dans le paysage ?

A travers cet aperçu de l’évolution du tourisme suisse d’après-guerre, apparaissent un certain nombre de caractéristiques intéressantes. Nous avons évoqué, en particulier, l’idée d’une Suisse qui guérit, d’une Suisse

(35)

qui éduque, d’une Suisse qui accueille. La Suisse qui éduque nous intéresse moins ici52. La Suisse qui guérit et la Suisse qui accueille sont par contre deux notions, liées à la montagne helvétique, que nous pourrions considérer comme fondatrices du tourisme suisse d’après- guerre. Ces images sont cependant un peu paradoxales. La notion de Suisse qui guérit a pris corps bien avant la Seconde Guerre mondiale.

L’air des montagnes – sous certaines conditions – guérit53. En termes simples, l’air des montagnes est "bon" ! Cet argument a été à la base des considérations de certains conférenciers intervenus en 1943 à Montreux : le rôle thérapeutique étant "acquis", allant de soi, la montagne se prêtait bien, à ce moment-là, à l’accueil des malades et des blessés de la guerre.

Un discours prospectif sur les potentialités touristiques de la Suisse ne pouvait donc qu’être optimiste. La guerre n’était cependant pas le seul argument sur lequel fonder l’optimisme prospectif des acteurs touristiques. En effet, pour importante et dramatique qu’elle pouvait l’être, la thérapie des victimes ne pouvait pas durer indéfiniment. Un autre élément qui a aussi joué un rôle probablement majeur est contenu dans le caractère populaire qu’a revêtu alors la conviction que l’altitude peut guérir. Cela est présent autant chez les acteurs du monde touristique qui s’expriment à Montreux, que dans la réalité quotidienne de la société.

La lutte contre la tuberculose, la création des sanatoriums populaires, l’hygiénisme, les luttes syndicales, etc. contribuent à montrer l’importance du repos dans un environnement propre et ordonné.

L’espace de la "guérison" est là, en montagne, et il est prêt à accueillir, d’autant plus que les infrastructures existent mais – qu’on nous permette l’expression – sont "vides"54. Le paradoxe de cette Suisse qui guérit ne se manifestera ainsi que par la suite : si l’air des montagnes a servi, jusqu’avant la Deuxième Guerre à attirer les visiteurs sur les pentes ensoleillées ou enneigées des Alpes, il disparaît des références dans les années de la plus forte croissance économique. On n’en reparlera plus de manière systématique ou explicite, du moins jusqu’à ces dernières années. L’air de montagne, qui "guérit" presque par définition, n’est rappelé que de temps en temps, surtout actuellement, dans les campagnes de marketing55, aussi bien par l’Office suisse du tourisme que par des offices locaux.

(36)

La Suisse qui accueille, pour sa part, prend dans la deuxième moitié du XXe siècle des dimensions impensables auparavant. Nous n’allons pas redonner les chiffres, mais seulement souligner l’évolution croissante et continue qu’a connue le tourisme et que nous avons mesurée à travers les quelques variables retenues. Ce qui est plus intéressant, cependant, c’est la nature paradoxale de cette évolution : pour donner l’hospitalité, la Suisse qui accueille érode, ronge même, l’un de ses atouts principaux, le paysage. Elle le "dévore", pour rester en syntonie avec l’analyse de Jost Krippendorf. La Suisse qui reçoit ses 70 millions de nuitées s’est répandue partout, s’est fixée partout, avec ses immeubles, ses chemins, ses câbles, ses pylônes… Les activités de toutes sortes et les transports, localement ou ailleurs dans le monde, contribuent à travers leur frénésie à dégrader l’air des montagnes, comme le montre amplement la publication fédérale Paysage 2020. La Suisse qui accueille a, aujourd’hui, quelques difficultés à… "guérir", en tout cas par l’air.

En observant tout cela, on finit par se demander s’il est vraiment important de se soucier de la qualité de l’air de nos montagnes, c’est-à- dire d’allier la "guérison"56 et l’accueil ! La question, posée de cette manière, peut irriter ! Nous l’admettons d’autant plus que l’importance de la qualité de l’air va de soi tant écologiquement que socialement. Par contre, d’un point de vue sociologique, les choses sont quelque peu différentes et, en réalité, elles ne vont plus du tout de soi : donc, si la question irrite, tant mieux ! Expliquons-nous.

Dans le cadre du PNR 48, une enquête a été effectuée dans onze stations touristiques du canton du Valais, auprès de propriétaires, habitants et vacanciers, en collaboration avec la HEVs57. Ce sont justement les réponses à certaines des questions posées qui nous incitent, d’une façon un peu provocatrice, à nous demander si, en fin de compte, cela a encore du sens de se préoccuper de la qualité de l’air en montagne.

En premier lieu, il y a les raisons qui poussent propriétaires et vacanciers à choisir la montagne : par rapport à cela, la qualité de l’air se fait relativement discrète.

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