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Suicide assisté: à propos de «l’histoire d’Alice»

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En réponse au Courrier : Epiney J. A propos de suicide assisté : l’histoire d’Alice. Rev Med Suisse 2013;9:2256-7.

Je souhaiterais réagir à l’intéressant article du Dr Epiney qui, partant d’un cas concret d’une de ses patientes, s’en prend à l’asso- ciation Exit. Cette intervention soulève des problèmes éthiques et philosophiques fon- damentaux. Existe-t-il un droit à mourir ou le devoir de vivre jusqu’au terme est-il prépondérant ?

Exit, sous certaines conditions, privilé- gie la première solution : un membre souf- frant d’une maladie incurable, d’un état de santé désastreux et irréversible, pour qui la vie est tissée de douleurs chroniques et dépourvue surtout de pratiquement tout plaisir, peut être aidé, s’il le demande libre- ment et avec insistance, à quitter cette terre sans souffrance supplémentaire.

Il faut avouer qu’une telle position est loin d’être isolée. Tous les sondages, tant dans notre pays que dans I’Europe voisine, dé- montrent qu’elle est partagée par près de neuf personnes sur dix. Ses adversaires se recrutent essentiellement dans trois caté- gories : les politiques – surtout à l’étranger, moins dans notre pays grâce à la démocratie directe – les religieux et le corps médical.

Dans une revue telle que la vôtre, je ne parlerai pas des premières et m’intéresserai à l’opinion de beaucoup de mes confrères.

Ceux-ci craignent une dérive vers un de- voir de mourir et une négation du droit à terminer ses jours naturellement, sous l’in- fluence des pouvoirs économiques, si je me réfère aux différents articles que nous lisons parfois à ce sujet.

Mon expérience professionnelle de psy-

chiatre, maintenant à la retraite, et person- nelle me fait douter du bien-fondé de ces inquiétudes. Nos compatriotes ne sont pas si enclins à sacrifier leur vie pour des causes aussi peu motivantes que les exi- gences budgétaires de I’Etat ou les profits des caisses maladie.

Plus fondamentalement, je crois que l’assistance au suicide ne nous concerne pas tant, personnellement : nous savons très bien quand la partie est perdue et quand nous voulons mourir, les produits pour ce faire nous sont aisément accessibles.

Médecins, vétérinaires, pharmaciens et dentistes y recourent assez volontiers ; les médecins se suicident 2,45 fois plus que le reste de la population (cf. article BMS 2012;18:656). Pourquoi cette propension marquée au suicide ? Pénibilité de la pro- fession ? Attrait morbide pour la mort qui nous a fait choisir cette activité ? Tendance au déséquilibre psychique ? Pourtant, les facteurs protecteurs existent : situation so- cio-économique encore plutôt favorable, entourage affectif souvent de qualité et j’en passe… Je pense plutôt que, comme certains de nos patients, certains d’entre nous choisissent I’autodélivrance lors qu’ils l’estiment adéquate à leur situation.

Alors, faisons preuve d’empathie pour nos malades ; ils réclament pour eux un droit que nous avons déjà.

Dr Paul Berner Psychiatrie et psychothérapies FMH 15, avenue Soguel 2035 Corcelles

Cher Dr Epiney,

J’ai lu avec grande attention l’histoire d’Alice. Je peux bien m’imaginer vos senti- ments : échec, frustration et tristesse d’avoir perdu une patiente qui certainement vous tenait à cœur. Mais l’acteur important dans cette histoire n’est pas le médecin et ses états d’âme mais bien la patiente. Quelle était la vie d’Alice ? Sept jours sur sept, vingt quatre heures sur vingt quatre, des douleurs ischémiques, des arthralgies, pro- bablement des symptômes d’insuffisance cardiaque dans une ambiance de dépres- sion et d’anxiété bien compréhensibles.

Même le médecin le plus empathique qui voit sa patiente lors des consultations ne peut pas vraiment vivre le drame quoti- dien qui a amené Alice à demander l’aide d’Exit. Et les locutions un peu passe-par- tout, mêmes si elles sont sincères, du genre

«entrer dans sa souffrance», ne changent rien à la brutalité d’une situation sans is- sue vécue par Alice. Laborit (ou Leriche ?) a dit un jour : la douleur la plus facile à supporter est celle des autres… Qu’avait la médecine à offrir à Alice : la gangrène, l’amputation, l’œdème pulmonaire ? C’est bien la patiente qui, faisant le bilan, a opté pour la solution ultime, exerçant son droit le plus strict. Ce n’est pas au médecin de le lui contester. Sa mort n’a pas été «infligée»

(sic) mais bien demandée.

Le geste ultime d’accompagnement pour cette patiente aurait été d’être présent auprès d’elle lorsqu’elle a décidé de partir là où les souffrances n’existent plus… Y étiez-vous ?

Dr Antoine de Torrenté 9, chemin de Pouillerel 2300 La Chaux-de-Fonds

Suicide assisté :

à propos de «l’histoire d’Alice»

360 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 5 février 2014

courrier

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Réponse du Dr J. Epiney

Je remercie la rédaction de la Revue Médi- cale Suisse de me permettre de répondre aux courriers des Drs Paul Berner et Antoine de Torrente, deux personnes que

j’estime en tant qu’hommes et médecins.

La controverse sur la fin de vie, le suicide assisté et l’euthanasie n’a pas de fin et j’essaierai de me limiter à quelques points qui me semblent cruciaux.

On l’aura compris, dans «l’histoire

d’Alice», j’ai voulu exprimer mon malaise vis-à-vis d’une situation complexe à la- quelle les protagonistes d’Exit ont apporté une solution réductrice et définitive. Ce malaise, effectivement je le partage avec d’autres médecins, notamment dans le

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groupe Balint que je fréquente à Neuchâtel, dans diverses discussions sur les expérien- ces d’autres collègues et lors d’échan ges épistolaires entre consœurs et confrères.

Le Dr Berner parle de sondages nette- ment favorables aux idées d’Exit. Pardon- nez-moi, mais je me méfie des sondages qui posent des questions basiques pour des problèmes complexes sans en expli- quer les enjeux profonds, sondages dont la valeur n’est peut-être pas plus grande que le fait de savoir – si oui ou non – il faut nommer Michel Pont à la tête de l’équipe suisse de football. C’est ce que le philo- sophe Jacques Ricot appelle «la démocra- tie sondagière… qui sape la démocratie».

Je suis également interpellé par la rela-

tion que fait le Dr Berner entre le taux élevé de suicides chez les médecins et le droit des patients de choisir leur mort. Exerçaient-ils un droit, mes amis médecins qui se sont pendus ou fait éclater la tête ? Avaient-ils la conscience que leur geste retomberait comme une malédiction sur leur famille et peut-être même sur plusieurs générations ? Où plutôt ont-ils été happés par quelque chose de mystérieux qui dépassait et leur volonté et leur liberté, au-delà de tout droit ?

Enfin j’observe dans les propos d’Antoine de Torrenté, à qui j’ai déjà répondu per- sonnellement, une étrange inversion de la logique médicale (démarche de vie dans laquelle s’inscrivent entre autres les soins

palliatifs) où le membre actif d’Exit devient l’être de compassion par excellence et le médecin, qui s’est attelé des années durant à soulager la souffrance de son patient, est considéré, parce qu’il s’interdit de faire mourir, comme un personnage tout-puis- sant qui entrave son désir.

Je terminerai par quelque chose d’encore plus personnel : le seul fait d’imaginer qu’un acte médical intentionnel (même s’il est consenti par un autre) puisse donner la mort en quelques minutes me remplit d’un immense effroi.

Dr Jacques Epiney 19a, rue du Castel 2024 St-Aubin-Sauges

Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 5 février 2014 361

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