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Ce livre est le 24e d'une collection destinée à éclairer divers

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Jean ROUSCHAUSSE Moreana Vol. 39, 149 (mars 2002), 171-186

M.T. Jones-Davies, Les sermons au temps de la Renaissance.

Paris: Klincksieck, 1999. 240 pp. (S.I.R.I.R Université de Paris Sorbonne), ISBN 2-252-03286-3, 250 Fr.

Jean Rouschausse

7, impasse de la Communauté 53390 Saint-Aignan-sur-Roë France

C

e livre est le 24e d'une collection destinée à éclairer divers aspects de la Renaissance européenne : vaste domaine qui s'étend du 15e siècle au début du 17e. À mesure que paraissent ces ouvrages, on voit se dresser le décor dans lequel va s'inscrire la prédication, qui avait alors "la valeur et l'intérêt d'un véritable genre littéraire." Le contexte historique est brièvement évoqué : "Le protestantisme gagnait du terrain, le Concile de Trente s'efforçait de réformer l'ancienne foi catholique, l'oecuménisme n'existait pas, la polémique faisait rage." Les sermons qui feront 1' objet de ces exposés s'échelonnent de 1509 aux années 1620, de John Fisher à John Donne. Dans son avant-propos, Mme Jones-Davies écrit que ces colloques de novembre 1998 et mars 1999 veulent "souligner l'importance de quelques textes et leurs particularités." C'est l'époque des controverses théologiques : le premier souci des prédicateurs est de se faire écouter pour convaincre. C'est aussi le temps du retour à la littérature ancienne, grecque et latine, et aussi à l'idéal de la primitive Église.

* * *

La Présidente de la S.I.R.I.R. (Société Internationale de Recherches Interdisciplinaires sur la Renaissance) et Directeur de la publication a signé le premier exposé, qui porte sur "Les Homélies Élisabéthaines". Sous le règne de la "reine vierge", les prédicateurs de l'Église anglicane n'avaient pas à composer leurs sermons: ils étaient rédigés et imprimés d'avance. On en possède deux volumes

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publiés en 154 7 et 1563. S'inspirant des sermons médiévaux, ils commentaient les lectures fixées pour chaque dimanche : il fallait instruire, plaire et émouvoir l'assistance en évitant un style ampoulé, un vocabulaire compliqué, des raisonnements sophistiqués. Cette prédication officielle, destinée à des auditoires populaires, utilisait les procédés traditionnels, exempta, histoires, dialogues par questions et réponses, et faisait appel aux moralistes de l'antiquité. On veillait à maintenir le sentiment d'une continuité entre l'Église médiévale et la religion 'établie'. Beaucoup de ces sermons, bien qu'anonymes, furent composés par Cranmer et John Jewel. On évite d'y parler des réformes intervenues sous les règnes d'Henry VIII, Edouard VI et Élisabeth, et plus encore de la restauration momentanée du catholicisme sous Marie Tudor. On ne se prive pas, pour autant, d'égratigner Rome et sa liturgie à propos du purgatoire, du culte des saints et des images : il fallait éliminer toute trace d'hypocrisie et de superstition. Depuis Henry VIII, le souverain est Chef Suprême de 1 'Eglise en Angleterre : on prêche donc la soumission à son autorité.

Quant à obéir au pape, souverain étranger, ce serait une trahison, de même que se soumettre aux réformateurs continentaux. Malgré tout, l'anglicanisme élisabéthain conserve beaucoup de traits du catholicisme dans sa liturgie et dans le Frayer Book. Madame Jones- Davies estime qu'en ce temps-là les homélies, s'ajoutant au "passage du temps", jouèrent un rôle considérable pour effacer les souvenirs de l'ancien culte catholique.

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La plupart des exposés de ces Colloques sont consacrés à la prédication en Angleterre. Mais les limites géographiques sont vite franchies. Il revenait à Francis Higman, de l'Université de Genève, de parler de la "Structure des sermons de Calvin." Le culte réformé consiste alors, presque uniquement, dans la prédication quotidienne, à l'exclusion de l'Eucharistie. L'année liturgique n'a conservé que trois fêtes, Pâques, l'Ascension et la Pentecôte. Le sermon est essentiel- lement un commentaire de la Bible, verset par verset : en semaine

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l'Ancien Testament, le dimanche le Nouveau Testament et les Psaumes. Le prédicateur établit des correspondances entre le texte biblique et le monde contemporain, sans omettre quelques critiques, en passant, contre l'idolâtrie romaine. Il insiste sur la déchéance absolue de l'homme, "pauvre ver de terre", et sur la miséricorde divine. Seule la foi en Jésus-Christ conduit à la justification et à l'adoption du pécheur comme enfant de Dieu. La fin dernière de l'humanité reste la gloire de Dieu. Abaissement, consolation et louange sont, selon Higman, les trois pôles dont Calvin a fait le tour systématiquement, et "qui sont effectivement l'essentiel de toute la vie humaine."

Sous le titre shakespearien de "Sermons in stones", Marie- Madeleine Martinet, professeur à la Sorbonne, réfléchit ( 49-52) sur la connivence entre le sermon et la chaire de pierre (sans majuscules) :

"La disposition des chaires," écrit-elle, "interagit avec la conception du sermon." Elle a examiné successivement les chaires de Nicola Pisano, dans le baptistère de Pise ; de Giovanni Pisano, à la cathédrale de Pise; d'Anton Pilgarn, à la cathédrale de Vienne; de San Giovanni à Urbino, qui lui rappelle le retable de Giotto où S.

François prêche aux oiseaux, et les auditeurs d'Hercule enchaînés à sa parole.

Mme Martinet ne craint pas d'employer des termes techniques : prédelle, écoinçons, trilobes ; ou abstraits : linéarité, circularité, incurvation ; elle insiste sur la forme générale de la chaire, qui peut être carrée, hexagonale, octogonale ; elle perçoit un symbolisme dans la disposition et l'ornementation des panneaux qui l'entourent; elle remarque les sculptures, les statues ; elle identifie les sibylles, les prophètes, les scènes représentées sur les panneaux.

Bref, on apprend, en la lisant, à regarder tout ce qui entoure le prédicateur, quitte à perdre le fil du discours. La lecture de cet exposé serait utilement accompagnée de quelques photos pour ceux qui n'ont pas eu 1' occasion de visiter les lieux.

Que peut être un sermon fictif? Un pseudo-sermon? un sermon imaginaire? En fait, il s'agit de la tirade de 35 vers que Shakespeare met dans la bouche du duc, au début de 1' acte III de Mesure pour

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Mesure. Ce morceau de bravoure a fait l'objet d'un exposé par Isabelle Schwartz-Gastine, professeur d'anglais à l'Institut Catholique de Paris. Le jeune Claudio a été condamné à mort par le gouverneur Angelo pour avoir séduit et engrossé Juliette, sa promise. Le duc, déguisé en moine, veut persuader Claudio que la mort doit s'envisager comme la libération de cette "vie de misère," qu'il interpelle dans une prosopopée en crescendo: Vie, tu n'es qu'un souffle, tu n'es pas noble, tu n'es pas vaillante, tu n'es que matière, tu n'es pas heureuse, tu n'es pas sûre, tu n'as pas d'amis, tu n'es ni jeunesse, ni vieillesse, mais une simple sieste d'après-midi, où l'oubli tient lieu de consolation. L'homme, soumis à l'influence des astres, ne peut acheter l'amour: jeune il n'a pas d'argent et la vieillesse amène sa cohorte de maladies ; les enfants finissent par désirer la mort des parents. Donc la mort est le seul soulagement. Ce discours abonde en réminiscences bibliques, mais n'est pas un sermon chrétien. Claudio en tire la conclusion : résigné, il accepte la mort, mais en épousant le néant, il trouve la vie.

L'introduction de cet exposé en explique le titre, et met en parallèle la chaire et le théâtre. Quelques indications permettent de mieux situer la pièce dans l'oeuvre de Shakespeare, encore qu'on ignore la date de sa composition et celle de sa première représentation.

On hésite à la classer entre comédie et tragédie, "comédie aux résonances tragiques", dit l'auteur. En tout cas, son titre fait penser à la loi du talion, telle que reprise par le Christ : "On se servira pour vous de la mesure dont vous vous serez servis pour les autres" (Mt 7, 2).

L'auteur s'attarde à commenter les rôles de Lucio, "un débauché, fier de l'être", qui dispense volontiers des "sermons à l'envers", qui manifeste une connaissance "intime" de la morale chrétienne qu'il se charge de dénigrer à tout instant, et qui, en appelant Isabelle au secours de son frère Claudio, sera l'intermédiaire entre le coupable et le juge Angelo, "trop sévère pour être pleinement humain". Quelques réflexions encore sur le déguisement du duc en moine et sur les règles du droit canonique concernant les confesseurs, dont il ne tient aucun compte. Vient ensuite l'analyse du pseudo-sermon de ce faux prédicateur.

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Miles Mosse, lui, est un vrai prédicateur, auteur de vrais sermons. Wendy Robeyrol, de l'Université Paris XII (Val de Marne), ne donne guère de détails sur la carrière de ce pasteur de Bury St Edmunds, Suffolk. Elle s'intéresse davantage aux six sermons contre l'usure, qu'il fit imprimer à Londres en 1595 sous le titre "The Arraignment and Conviction ofUsury".

Le prêt à intérêt était une pratique fort courante au temps de la reine Élisabeth 1; elle s'imposait aux grands autant qu'aux humbles : quand ils traversaient des temps difficiles ou désiraient lancer une entreprise, il leur fallait emprunter des sommes plus ou moins conséquentes et, naturellement, ils s'adressaient à des prêteurs connus, souvent professionnels, qui étaient unanimement détestés, mais indispensables à la vie économique. Ils exigeaient un intérêt sur les sommes avancées, mais le plus souvent à des taux exagérés, jusqu'à 40 ou 50 %. L'Église se faisait l'alliée des opprimés, conformément aux enseignements du Christ et aussi des philosophes antiques, comme Aristote.

En un temps où se développaient le commerce et la circulation de la monnaie, la prédication ne traitait pas de 1' économie comme telle, mais elle préconisait une éthique conforme à la morale chrétienne et visant au salut des âmes. Mosse avait dédié son livre à l'archevêque de Cantorbéry, John Whitgift; il se proposait de traiter le sujet de façon claire et suffisamment exhaustive pour que nul ne puisse se prévaloir de 1' ignorance.

Il distingue soigneusement l'usage du prêt, parfaitement légitime, de l'usure à laquelle un chrétien ne peut s'adonner, à l'exception de l'usure "spirituelle", qui consiste à prêter gratuitement en espérant une récompense au ciel. On pourra cependant prélever un intérêt librement accepté par 1' emprunteur en reconnaissance, ou pour compenser quelque retard dans le remboursement. Un chrétien ne peut pas refuser de prêter de 1' argent, par charité, à qui lui en demande,

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mais la charité n'espère pas d'intérêt, ni des pauvres ni des riches. Une loi qui admettrait le prêt à intérêt serait contraire à la loi de Dieu.

Sous les règnes de Henry VIII et d'Élisabeth, on permit le prêt à intérêt modéré, 10% au plus, mais cet accommodement gênait Miles Mosse, de même que le laxisme de Calvin sur ce point. Il dénonce aussi une usure camouflée sous le couvert d'un contrat d'achat ou de vente, ou d'échange, et la pratique frauduleuse des clipped coins. La doctrine de Mosse s'accorde, en somme, avec la doctrine catholique, mais à ses yeux la papauté hésite trop à condamner le péché et l'injustice.

Ton Hoenselaars, professeur à l'Université d'Utrecht, a présenté le "Portrait d'un Prédicateur", Robert Cawdrey, né vers 1538. Maître d'école à Oakham avant de "prendre les ordres", Cawdrey fut recteur de South Luffenham pendant une quinzaine d'années. Pasteur indocile, il fut accusé de ne pas lire les homélies officielles et suspendu pour avoir indûment célébré un mariage. Démis de sa charge en 15 86, il reprit 1 'enseignement avant de mourir 1 'année suivante.

Son ouvrage posthume, Table alphabeticall of hard usual English Words, paru en 1604, réimprimé en 1609, 1615 et 1617 fut, dit-on, le premier dictionnaire de la langue anglaise. Pour 1 'usage des prédicateurs, Cawdrey y collecta des centaines d'exemples, de métaphores bibliques, de proverbes populaires, pillant les anciens historiens, les philosophes, les Pères et les rhétoriciens. Foncièrement protestant, il critique les interprétations catholiques de la Bible, le culte des saints et des images, la transsubstantiation, etc.

Les sermons, dit-il, doivent utiliser un langage simple et compréhensible pour tous. Le prédicateur doit viser à édifier et ne pas chercher à se faire valoir comme les acteurs de théâtre. Sa propre prédication fait écho aux démêlés entre protestantisme et catholicisme : l'époque s'y prêtait, avec le passage du catholicisme de Henry VIII à l'anglicanisme d'Élisabeth, après le calvinisme du règne d'Edouard VI et la tentative de restauration catholique sous Marie Tudor. Cawdrey traite sévèrement les prédicateurs qui ne mettent pas en pratique ce qu'ils prêchent et qui font fuir les fidèles par leurs

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dissensions. La soumission au souverain régnant devrait, pense-t-il, assurer l'unité doctrinale.

Hoenselaars rend hommage à ses collaborateurs Paul Franssen et Raymond Siemens. Dans une suite de notes précieuses, il mentionne des ouvrages anciens et récents, livres et articles de revues, qui parlent de son héros.

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Le second Colloque s'ouvre sur le Cistercien Alain de Lille, mort en 1203. Après une brève biographie de ce prédicateur bien connu des médiévistes (cf. les articles du D. T. C. et de Catholicisme), Jean Longère, directeur de recherches au CNRS, parle de sa formation, influencée, dit-il, par l'École de Chartres. Ses écrits occupent le tome 210 de la Patrologie Latine de Migne ; ce sont des ouvrages littéraires et théologiques, des commentaires bibliques et liturgiques et des pages de théologie pastorale. J. Longère précise la place d'Alain de Lille dans l'histoire de la prédication et parmi les auteurs de traités sur l'art oratoire. Puis il présente son oeuvre majeure, Ars praedicandi (P. L. 210, 1 09-198). Alain y distingue sept degrés dans la vie chrétienne, de la conversion à la prédication, qui est le septième. Elle concerne la foi et les moeurs, le dogme et la morale, qui sont les deux parties de la théologie. Le sermon doit éveiller les esprits à la vérité, exciter les coeurs à la contrition par la crainte du jugement et les promesses du bonheur éternel. Le prédicateur doit user d'un langage simple et digne, éviter la prolixité, recourir à la Bible, aux Pères de 1 'Eglise et aux écrivains profanes, dont Alain propose une anthologie. Prêcher est un devoir qui s'impose à tous les pasteurs, et un art qui doit s'adapter à tous les auditoires.

Cet exposé est suivi de notes qui signalent plusieurs ouvrages récents, en particulier celui de Marie Thérèse d' Alverny, Alain de Lille, Paris, 1965, celui de Françoise Hudry, Règles de Théologie, Paris 1995, et les publications de Jean Longère lui-même ; ajoutons

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quelques éditions critiques et traductions française et anglaise de plusieurs oeuvres d'Alain.

Jean-Claude Margolin ne consacre pas moins de 32 pages à un seul sermon d'Érasme; il fait remarquer que le grand humaniste n'était pas un prédicateur de talent et qu'il préférait l'écrit à l'oral.

Son sermon sur (ou de) l'Enfant Jésus pourrait servir de canevas à I'Ecclesiastes, cours d'éloquence sacrée publié à Bâle en 1535. La Concio de Puera Jesu fut composée pour les élèves de l'école fondée par John Colet à Londres, en 1509, et où l'Enfant Jésus était représenté par une statue comme le maître des lieux. Dans la pensée d'Érasme, ce discours, prononcé par un enfant devant ses condisciples, serait un excellent exercice de déclamation en même temps qu'un modèle proposé à de futurs prédicateurs.

Il est construit selon les règles classiques de la dissertation, en trois parties, précédées d'un exorde et suivies d'un épilogue.

Toutes les ressources de l'art oratoire y sont exploitées : exemples, interrogations, exclamations, etc. La seconde partie présente Jésus comme le modèle à imiter, depuis son enfance jusqu'à son crucifiement, folie de l'amour en quoi se révèle la véritable sagesse.

Fidèle à la logique de son incarnation, Jésus a voulu vivre toutes les phases de l'aventure humaine. Il est pour les enfants à la fois le précepteur (magister), le champion (vindex) et le chef (imperator) qu'il faut admirer, aimer et imiter, car il est venu pour allumer en nous le feu de l'amour.

Le jeune orateur citera, à profusion, le Nouveau Testament, évangiles et épîtres, les Pères de l'Eglise, mais aussi l'Ancien Testament et des exemples tirés de la mythologie grecque ou latine.

L'enfance prépare l'âge adulte : Jésus voyait dans la simplicité et la pureté des enfants le modèle de tout chrétien, qui doit lutter pour conserver ces qualités de l'enfance ... idéale.

J.-Cl. Margolin relève la richesse du vocabulaire latin de ce sermon, nourri de lettres sacrées et profanes et usant même de termes militaires. En conclusion, il exprime un "souhait unique" : que ce sermon soit sans tarder traduit en français, ce qui n'a pas été fait

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depuis ... 1543, alors qu'on peut Je lire en anglais, en espagnol, en italien et en néerlandais.

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Robert Ellrodt, naguère professeur à la Sorbonne-Nouvelle (Paris III), nous fait franchir tout un siècle par son exposé, "Aspects de la modernité chez John Donne". Ce poète voulait rompre avec le passé imprégné de pétrarquisme et de pastoralisme. Né catholique, mais passé à l'anglicanisme pour faire carrière à la cour, Donne entra dans les ordres sur injonction du roi Jacques 1er, qui le fit doyen de St. Paul de Londres; il fut un ardent défenseur de l'absolutisme royal.

On possède cent soixante de ses sermons, rassemblés en dix volumes. Le regard des critiques sur Donne a évolué depuis T.S.

Eliot et William Empson: alors qu'il passait pour un théologien pessimiste, Dieu exigeant l'abaissement de l'homme, Ellrodt estime que dans son oeuvre, la miséricorde divine est mentionnée cinq fois plus souvent que la toute-puissance : l'enfer est rarement évoqué;

que Dieu soit souverain et l'homme sujet, c'est le langage de 1' époque. Comme beaucoup de ses contemporains, Donne ne s'apitoie guère sur la pauvreté et l'exclusion, car elles résultent le plus souvent de la paresse et du vice. Mais il dénonce l'avidité des propriétaires terriens, il condamne la torture et se méfie des macérations ascétiques. En matière politique et ecclésiastique, il partage les préjugés de sa caste. Mais il fait preuve de tolérance et, déjà, d'un esprit oecuménique: cette épithète n'apparaît qu'à la fin du 16e siècle.

Il rejette la double prédestination calviniste ; il veut une foi éclairée, raisonnée, équilibrée, qui accorde à la femme toute sa place, mais il lui refuse la prêtrise.

Pour lui, l'Église est universelle, ouverte à tous. Proche, par goût, du catholicisme, il prend parti contre Rome et les jésuites. Il critique sévèrement les attaques puritaines contre l'Église Établie et la monarchie anglaise. Il a longtemps vécu dans la hantise de son

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apostasie, tout en se demandant où trouver la vraie religion : ni à Rome, ni à Genève, pense-t-il, mais l'indifférentisme lui répugne :

"Sois sage et doute ... La vérité se dresse sur un mont escarpé." Il est attiré vers les doctrines fondamentales et universelles des siècles passés : Quod ubique, quod semper. Une Église articulière ne peut se dire catholique. L'Église doit être tolérante, admettre que l'on peut être chrétien de plusieurs façons : si la maison de Dieu est unique, elle a ses dépendances (outhouses). Dieu a des serviteurs parmi les Gentils ; le salut peut parvenir à des hommes qui vivent en dehors de l'Église.

Donne va jusqu'à penser que les diverses confessions chrétiennes, si elles ne diffèrent que sur des points secondaires, forment une seule Église. Il estime la liturgie anglicane supérieure à celle de Rome et au culte dépouillé des protestants. L'essentiel est de croire que le salut dépend de la seule foi en Jésus-Christ, ce qui marginalise les Églises qui ont "détruit par leurs additions le fondement et la possibilité du salut par la foi en Jésus-Christ". Il s'appuie sur saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, mais aussi sur Calvin, avec quelques nuances à propos du petit nombre des élus.

Dieu veut le salut de tous ; le Christ sauve les pécheurs qui se reconnaissent tels et qui veulent être sauvés. On ne peut séparer la foi de la charité. Il subodore un relent de manichéisme et de pélagianisme chez Augustin à propos du libre arbitre. Pour garder ouvert l'accès à la grâce des païens de bonne volonté et des enfants non baptisés, il s'appuie sur cette parole de Jésus : "Beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin" (Mt 8.11), et sur l'évangile du Bon Pasteur: "J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail" (Jn 10.16). Si la Bible anglaise de 1611 rend par "many" le po/loi de Mt 8.11, celle de Port-Royal dit "plusieurs".

Donne est un adepte du juste milieu, de la foi éclairée par la raison.

Il est tenté, selon les saisons de sa vie, de verser dans le rationalisme, le scepticisme ou le fidéisme. Il découvre une certaine joie dans la souffrance acceptée pour la rémission des péchés. Il ne veut pas d'une foi "enveloppée d'ignorance implicite" : on ne peut accepter, pense+

il, une croyance sans raisons ni motif "probable" : il ne veut pas être catégorique, car une révélation est toujours possible.

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Esprit ouvert aux sciences de la nature, Donne s'intéresse à l'héliocentrisme, au nombre infini des étoiles, mais il se garde de suivre Francis Bacon dans son optimisme scientiste. Il s'oppose aussi aux philosophes sceptiques qui ne savent choisir. Il a une vision équilibrée de la sexualité et réprouve les poèmes libertins de sa jeunesse. S'il condamne un ascétisme outrancier, il plaide pour l'indissolubilité du mariage, alors que protestants et humanistes étaient prêts à admettre le divorce pour adultère ou abandon du conjoint. Nous devons, disait-il, aimer nos femmes quia nostrae, mais aussi quia nos.

Très réservé sur lui-même, il n'exprime ses sentiments intimes qu'à l'occasion de citations bibliques émouvantes. La perte de sa fille Lucy et de son épouse, ou celle d'une amie, n'ont aucun écho dans sa prédication, mais il emploie instinctivement la première personne dans les moments d'émotion intense. Comme dans ses poèmes, dit M. Ellrodt, "il est pénétré d'un sentiment de l'identité personnelle que j'ose dire moderne."

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* *

Avec John Fisher, nous revenons au 16e siècle. Clare M.

Murphy a choisi deux sermons de l'évêque martyr. Le premier fait partie des dix sermons sur les psaumes de la pénitence que Fisher prononça dans les premières années de son épiscopat, et dont la reine mère, Lady Margaret Beaufort, décida l'impression dès 1508. Le second fut prêché à la Toussaint de 1520, peu de temps après le fameux Camp du Drap d'Or, où Henry VIII et François 1er se rencontrèrent en vue d'une alliance vouée d'avance à l'échec.

Clare esquisse en quelques lignes la carrière de Fisher, promu au siège de Rochester grâce au roi Henry VII et à sa mère. Margaret le prit comme confesseur alors qu'il était tout jeune Docteur en Théologie (150 1 ). Né à Beverley, il était prêtre depuis dix ans et professeur à l'Université de Cambridge, dont il allait devenir le Vice- Chancelier à la mi-juillet. En 1504 il fut consacré évêque et

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l'Université l'élut comme Chancelier, titre qu'il conserva jusqu'à sa mort (1535). Avec Lady Mar~aret, il fonda les Collèges du Christ et de Saint-John. Il fut ami d'Erasme, à qui il procura une chaire à l'Université. Il défendit la foi catholique contre les Réformateurs.

Ayant refusé de prêter le serment schismatique imposé par Henry VIII, il fut enfermé à la Tour de Londres en avril 1534, et exécuté le 22 juin 1535, quinze jours avant More. Ils furent béatifiés ensemble le 29 décembre 1886 et canonisés le 19 mai 1935.

Clare a choisi, pour le commenter, un passage du sermon de Fisher sur le psaume 129, le De profundis (197-210). Elle en cite 46 lignes, en modernisant l'orthographe, mais sans retoucher le texte : elle conserve la forme de Jhesu (sans -s final) qui "reflétait le vocatif latin" des litanies. Quelques détails intéressants: "Chaque sermon,"

dit-elle, "durait environ une heure et demie; il ne s'agissait pas d'homélie au cours d'une messe, mais c'était une leçon en elle-même, une façon pour l'évêque d'enseigner ses ouailles." Comme la plupart des anciens exégètes, Fisher attribue à St Paul l'Épître aux Hébreux;

More en faisait autant, contre le sentiment d'Érasme. Fisher traduit pontifex (He 9.11) par "bishop": l'Ancien Testament ignorait les évêques, mais il était "plein de prêtres", dit l'auteur. Saint Paul est appelé, par "intensification", "the holy doctour saynt Poule". More disait aussi : "Holy Saint Austyn" et multipliait les superlatifs comme

"most precious blood, most strong succour" ou renforçait le possessif:

"his own precious blood." Fisher aimait doubler les mots d'origine germanique par des synonymes latins. Il use volontiers de l'interrogation oratoire, et de la répétition si chère aux pédagogues : le mot "rédemption" revient trois fois en six lignes.

Que faut-il entendre par the inward part of the temple? "Toute la création est un temple de Dieu," dit Clare ... "Nous habitons une partie de ce temple .. .l'autre est dans l'au-delà, inconnu des mortels."

Si le Christ a souffert dans le temple terrestre, il est entré victorieux dans le Saint des Saints. Son sacrifice témoigne de la miséricorde divine et de la nécessité de la pénitence : le fruit en est distribué quotidiennement par la messe. L'évêque de Rochester tient à ce que tous ses auditeurs soient pris dans son filet, s'ils sont de bon vouloir,

"de bon coeur." Mais son zèle ne se limite pas à un petit diocèse : "Les

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deux parties du temple se rejoignent, et le filet s'agrandit pour embrasser toute l'humanité".

En février 1986, la revue Moreana a déjà publié un article de Clare Murphy sur "Saint John Fisher and the Field ofCloth ofGold", en s'appuyant sur un sermon de la Toussaint 1520, analysé dans mon John Fisher (1972), et sur le Saint John Fisher de Reynolds (1972).

Reprenant ce sujet brièvement (206-09) pour le colloque S.I.R.I.R, elle renvoie à un autre article qu'elle publia dans un ouvrage collectif, Le Paysage à la Renaissance (Fribourg, 1988). Elle ne mentionne pas la thèse de Marie Denise Sullivan, A critical edition of Two Fruytfull Sermons of St John Fisher (Ann Arbor, 1965). Elle s'est servie de l'exemplaire (William Rastell, 1532) de la Huntington (San Marino, Califomia) pour en faire un bref résumé. Le Camp du Drap d'Or n'est pas une scène où l'on imagine John Fisher à son aise, ni probablement Thomas More. "Mais ils y étaient l'un et l'autre."

Fisher oppose les festivités de cette rencontre aux joies souveraines du ciel, le vrai Camp du Drap d'Or, où sont réunis "les rois qui ne nous trompent pas". Le Camp de la terre fait penser au purgatoire. Le 2 novembre, jour des Trépassés, nous rappelle sévèrement qu'il faut vivre de telle sorte qu'on puisse aller directement au ciel. La fête de juin 1520 fut gâtée par le vent et la poussière aveuglante, alors qu'au paradis les élus auront la joie sans fin de contempler tous les saints, avec Marie, et la Trinité, un seul Dieu, "perfectly knit together".

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Dans l'exposé suivant, E. Paganelli, professeur de l'Université de Venise, présente Lancelot Andrewes sous le titre "Stella praedicantium and an ange li in the pulpit". Elle met en exergue les premiers vers d'un poème de T.S. Eliot, "Joumey of the Magi".

Andrewes, mort en 1626, à 1 'âge de 71 ans, fut successivement évêque de Chichester, Ely et Winchester. Orateur de vaste culture, familier de l'ère patristique, grand connaisseur des langues anciennes, il met

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dans ses sermons des reflets de son érudition. De plus, il use d'une logique rigoureuse qui ne facilite pas la compréhension de sari texte.

En compensation, il possède une clarté concise, chose rare dans la prose de son temps. La musicalité de son style, qui ne verse jamais dans la préciosité, ajoute à ses qualités théologiques et humaines.

Partant du sens obvie du texte biblique, il s'élève au mystère divin en épuisant le sens des mots, rapprochant le latin de la Vulgate de la Bible anglaise de 1611 et de celle de Genève pour éclairer le mystère du Christ et de l'homme.

Paganelli propose comme exemple un passage du douzième sermon sur la Nativité, prononcé à Whitehall devant le roi, comme beaucoup d'autres. L'ange s'adresse aux bergers: Hoc erit vobis signum. Le prédicateur s'attarde sur l'idée de signe : il voit le Christ signatus, dont l'humilité devient la signature et le signe de son amour insigne, d'où il passe à l'étendard dont parle la Cantique des Cantiques (2,4): "Ordinavit in me charitatem, His banner over me was love". L'étoile des mages suggère l'étoile qui se lève dans nos coeurs (2 P 1,19), puis le Christ "étoile du matin" (Ap 22,16), enfin la vision béatifique, notre espérance. Cet art rejoint la perspective double de la tradition baroque, comme dans les tableaux de Van Dyck, Philippe de Champaigne ou Velasquez, ou le jeu de miroirs de Webster.

Dans le deuxième sermon sur la Passion, c'est le mot sicut qui attire l'attention. Parmi les souffrances du Christ, qui n'en font qu'une, la plus grande est le manque d'égards. Andrews a recours à l'original hébreu, aux Septante et à la Vulgate pour expliquer comment il passe de la souffrance du Christ au péché de l'homme, qui en est la cause mais aussi le bénéficiaire.

Un trait constant de la prose d' Andrewes est sa musicalité, sons et rythme, aidée par des phrases courtes, l'abondance des monosyl- labes, les allitérations et les assonances ; il pratique tout naturellement l'inversion, l'ellipse, l'antithèse, les refrains, les finales abruptes : il passe du trot à l'amble et inversement. Cet évêque a le goût des couleurs, il aime les fleurs, le printemps. Les qualités de son style lui

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LES SERMONS .... RENAISSANCE Moreana Vol. 39, 149 (mars 2002), 185

valurent de présider la commission nommée par le roi pour réaliser la Version Autorisée de la Bible (1611).

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Le dernier exposé du recueil est consacré à Jean de Montluc, évêque de Valence et frère du maréchal de Montluc. Jean Dubu, ancien professeur de Première Supérieure, a été fasciné par un sermon qu'il prononça pour son clergé en 1557. L'orateur, ancien dominicain, fut chargé d'ambassades par François 1er et Henri II. Marie de Medicis lui fit négocier un rapprochement entre les catholiques et les protestants. Partisan de la tolérance, il rêvait d'une réforme mitigée de type anglican, ce qui jeta un doute sur son orthodoxie. À défaut du concile national qu'il préconisait, il organisa un synode diocésain.

Dénoncé par le doyen de son chapitre, il fut condamné comme hérétique par le pape Pie IV, mais innocenté par le Parlement de Paris. Il avait eu un enfant, d'une liaison secrète avec une certaine Anne Martin. Il mourut à Toulouse dans la communion romaine, assisté par un Jésuite.

Son sermon commence par une rétrospective sur les synodes antérieurs où il constate un relâchement: l'évêque s'y faisait représenter par un vicaire ; les curés y envoyaient un procureur, avec la complicité de ce vicaire. La responsabilité de tels abus retombe sur les évêques : que Dieu leur inspire les réformes nécessaires. Il leur applique (comme l'avait fait Thomas More) la consigne d'être "la lumière du monde, le sel de la terre". Comment les évêques pourraient-ils répondre à ces rappels s'ils ne visitent leur diocèse qu'un fois par an? Certains n'ont, d'ailleurs, jamais apporté une seule pierre vivante pour bâtir la maison de Dieu, dont ils sont pourtant les architectes ; ils ignorent même ce qu'est un édifice spirituel. Ils ont scandalisé et perdu des âmes ; vignerons, ils ont délaissé la vigne de Dieu. Ils sont indignes du titre de pasteurs et de docteurs. Ils ne sont même pas dignes de rôder autour de la bergerie dont Jésus-Christ est la porte. Alors qu'ils perçoivent les revenus de plusieurs bénéfices, ils

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n'assurent le service d'aucun sous prétexte de ne pas faire de jaloux.

Le népotisme sévit dans les nominations. L'évêque ne peut confier de charge pastorale ni à un homme qui ignore l'Écriture et les vérités de la foi, ni à des enfants, ni à des viveurs, ni aux prodigues ni aux querelleurs, ni aux séditieux, ni aux détracteurs, ni aux adversaires de l'ordre public, ni aux usuriers, ni aux voleurs des pauvres, ni aux concubins, ni aux coureurs de jupons. Tous ces vices conduisent au désespoir ou à l'oubli de Dieu et risquent de mener à la damnation.

Rappelons qu'en 1557 Calvin déploie beaucoup d'activité alors que le Concile de Trente piétine. S'appuyant sur le ch.5 de la Première Épître de S. Pierre, Montluc s'efforce de reprendre son clergé avec "l'accent d'une ironie sans morsure, d'une connivence sans compromission, d'un retour aux sources débordant d'avenir."

"En manière de conclusion", Jean Dubu cède la parole à T.S. Eliot: il cite douze vers de "Little Gidding," dont voici les derniers :

Every phrase and every sentence is an end and a beginning, Every poem an epitaph.

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