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HAL Id: hal-01444313

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01444313

Submitted on 23 Jan 2017

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To cite this version:

Camille Lauer, Mareike Wolf-Fedida. La figure de Peter Pan ou le refus du corps vécu : de la clinique du vide dans la mélancolie. Champ Psy, L’Esprit du temps, 2014, Travail et psychanalyse, 2 (66), pp.103-120. �10.3917/cpsy.066.0103�. �hal-01444313�

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INTRODUCTION

L

’élaboration de la prise du temps sur la vie psychique est essentielle au cours d’une psychothérapie. Lors de son investigation de la sexualité infantile, notamment à partir de l’interprétation du rêve, S. Freud a mis en évidence le besoin de régression et il a définit le rêve comme le garant du sommeil. Le rêve acquerrait ainsi une dimension réparatrice pour la vie psychique. L’état de rêve éveillé a été remarqué au début des études sur l’hystérie aussi bien par P. Janet (1894) que par J. Breuer et S. Freud (1895) jusqu’à faire l’objet d’une technique chez R. Desoille, celle dite du « rêve éveillé » (2006). Dans les années 1960, les études sur les « borderline », états limites, se font de plus en plus nombreuses. Ces travaux vont éclairer les dépressions, les addictions et les conduites à risques. On désigne traditionnellement par cela les formes psychopathologiques qui se caractérisent par un déficit à combler le vide (Fédida P., 1977). L’envahissement par le thème de la mort organise la façon dont la personne se vit dans le temps et dans l’espace. Le personnage littéraire de Peter Pan (Barrie J.-M., 1911) nous fournit un exemple paradigmatique

La figure de Peter Pan

ou le refus du corps vécu :

de la clinique du vide

dans la mélancolie

Camille Lauer et Mareike Wolf-Fédida

Camille LAUER - Psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie et psychanalyse, Centre de Recherche en Psychanalyse, Médecine et Société, CRPMS, E.A. 3522, Université Paris Diderot, Paris 7.

Mareike WOLF-FÉDIDA - Professeure de psychologie clinique, Centre de Recherche en Psychanalyse, Médecine et Société, CRPMS, E.A. 3522, Université Paris Diderot, Paris 7.

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de la spécificité de ces souffrances psychiques. Notre recherche s’est vouée à élucider les circonstances de la création de cette œuvre d’un point de vue phénoménologique et psychanalytique. Elle se propose de fournir un nouvel éclai-rage à la clinique des troubles dit « aux limites ».

James Matthew Barrie a écrit les notes suivantes pour le programme de Peter Pan, lors de sa représentation théâtrale à Paris, en 1908.

« Peter Pan ou le garçon qui ne voulait pas grandir est une pièce pour enfants et pour ceux qui autrefois l’ont été, écrite par un auteur qui entend rester un enfant (...) De Peter vous pouvez penser ce que vous voulez. Peut-être était-il un petit garçon qui mourut jeune et c’est ainsi que l’auteur conçut ses aventures. Peut-être n’est-il jamais né, un garçon que certains ont espéré voir venir et qui n’est jamais arrivé. Il se peut que ceux-là l’entendent à la fenêtre plus clairement que n’importe quel enfant. Peter Pan est insaisissable. Comme il le dit de lui-même « Je suis la jeunesse, je suis la joie, je suis le petit oiseau sorti de la coquille ». Et ce qu’il entend rester pour toujours ; la seule chose qui l’effraie est de devoir grandir, apprendre des choses graves et être un homme ».

Atemporel, Peter Pan résiste à la gravité et échappe à la représentation de la naissance et de la mort. Il s’oppose au temps qui passe laissant des traces sur le corps. Bref, il refuse de se vivre en vieillissant. Ainsi Peter Pan incarnerait le fantasme infantile par excellence : le règne du plaisir, de la toute puissance et de l’immortalité, c’est-à-dire rester indemne de toutes les blessures narcissiques que la vie-même inflige. Plus l’histoire est lourde chez un individu à cause des traumas psychiques, plus il doit faire appel à sa création imaginaire pour se reconstruire et ne percevoir que ce qui lui est agréable. En ce sens, l’œuvre de Barrie serait le fruit d’un travail visant à sa propre réparation narcissique.

Nous connaissons tous le personnage de Peter Pan, crée par James Matthew Barrie au début du XXe siècle, petit garçon gracieux et fantasque à la mémoire hasardeuse qui, tombé du berceau, s’envola vers «Neverland », traduit par « le Pays du Jamais-Jamais », au nom déjà lourd de signification. Pourtant, peu d’entre nous ont pu lever le voile sur le lien étroit et douloureux qui lie ce personnage à son créateur, qui noue son auteur à cette œuvre qui semble en porter ses tourments. Car J.M. Barrie a une histoire très singulière. Une histoire sombre,

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tragique, hantée par la mort. Et qui offre un éclairage totale-ment nouveau sur son récit en révélant sous les traits de Peter Pan le visage d’un enfant emmuré dans une souffrance impos-sible à partager. Peter Pan « l’enfant triste » (Kelley-Lainé K., 1992) comme l’a nommé K. Kelley-Lainé, permet peut-être d’illustrer un fait clinique à travers la littérature : ce qui se joue lorsque le corps pulsionnel ne se place pas comme exigence de travail pour la pensée en ouvrant à l’expression psychopa-thologique de la mélancolie. Sans larmes, l’individu est rongé par le vide.

Quelques éléments biographiques sur le créateur de Peter Pan, James Matthew Barrie, permettent de mieux mettre en lumière cette douleur du vide si particulière. Né en 1860, en Écosse où son père, David Barrie, et sa mère, Margaret Ogilvy, vivaient modestement, il vécut une petite enfance heureuse, jusqu’à ce jour d’hiver où son frère ainé, David, meurt accidentellement en se fracturant le crâne après une chute sur la glace, probablement heurté par un de ses amis alors qu’il patinait... La famille Barrie restera à jamais marquée par ce terrible drame. Margaret Ogilvy, surtout, plonge dans le mutisme et le désespoir, restant enfermée jour et nuit dans sa chambre et refusant de voir qui que ce soit. James a alors six ans. Et peut-être pouvons-nous imaginer se dessiner la naissance de Peter Pan autour de ce drame. Celui-ci installe la fêlure avec laquelle son existence doit composer et créer. Car Barrie restera à jamais cruellement blessé par la rencontre avec cette mère endeuillée. Cette rencontre si douloureuse, il la racontera d’ailleurs dans une œuvre qui porte le nom de sa mère : « Ma mère est au lit, la robe de baptême à ses côtés ; maintes fois, je l’ai observée à la dérobée avant de me diriger vers l’escalier pour m’y asseoir et pleurer. Je ne sais pas si ce fut ce jour-là, le premier, ou plusieurs jours après, que vint me parler ma sœur, la fille préférée de ma mère. […] Elle vint à moi, le visage dévoré d’inquiétude et se tordant les mains ; elle m’incita à aller au chevet de ma mère, afin de lui dire qu’il lui restait un petit garçon. Je me rendis donc à son chevet, grisé par l’émotion, mais la chambre était noire et, quand j’entendis la porte se refermer sans qu’aucun son ne parvînt du lit, je fus effrayé et me tins coi. Peut-être respirai-je bruyamment ou peut-être me mis-je à pleurer car, au bout d’un moment, j’entendis une voix dolente que je ne reconnus pas me demander : « Est-ce toi ? » Je pense que le ton me blessa,

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puisque je ne répondis pas. La voix reprit avec plus d’inquié-tude : « Est-ce toi ? » Je pensais qu’elle s’adressait au petit garçon mort et je dis d’une voix faible d’enfant esseulé : « Non, ce n’est pas lui, ce n’est que moi ! » (Barrie J.-M., 1896, pp. 24-25).

Face à la douleur de sa mère et pour tenter d’adoucir sa peine, Barrie va alors se sacrifier pour lui offrir un « petit garçon merveilleux » (Kelley-Lainé K., 1992, p. 127), essayant par tous les moyens de ranimer une « mère morte » au sens de A. Green (1980, pp. 222-280), s’épuisant vainement à remplacer ce frère mort et tant aimé. Car le petit James comprit au fil du temps passé au chevet de sa mère qu’elle trouvait un peu de réconfort dans le fait que David, mort si jeune, resterait toujours un enfant… Barrie fit donc tout pour « jouer » à ce frère mort : les vêtements, les tics, la façon de parler, jusque dans les mimiques du visage, Barrie s’identifia si bien à David qu’il vécut dans la hantise de dépasser l’âge fatidique des treize ans, âge auquel son frère avait perdu la vie, et en fut marqué toute sa vie, jusque dans son corps : ainsi Barrie resta de petite taille et de petite stature, et certains changements physiques, tels que la mue de la voix ou le développement de la pilosité, n’eurent jamais lieu. En outre, incapable de maturité affective, il continua toute sa vie à préférer la compagnie des enfants à celle des adultes. Et demeura ainsi pour toujours le petit garçon que sa mère désirait tant… L’histoire de Peter Pan comme enfant qui ne voulait pas grandir (Mais le pouvait-il seulement ?) semble ainsi refléter de manière troublante la vie de son créateur, le petit James Matthew Barrie, lui aussi déchiré par l’interdiction de grandir qu’il s’imposa à lui-même afin de préserver l’amour de sa mère.

HYPOTHÈSE: DANS L’OMBRE D’UNE MÉLANCOLIE SANS LARME

1. Désespoir et solitude dans Peter Pan

Les signes cliniques de la dépression se caractérisent par un effondrement, une lassitude, sorte d’épuisement extrême qui se traduit notamment par un ralentissement psychomoteur, et, surtout, d’un affect douloureux. La tristesse est ainsi au cœur de la dépression : la douleur morale se perd dans un discours marqué par la plainte, auquel on ne peut apporter

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aucune réponse, aucun apaisement. Les intérêts se réduisent, les envies s’étiolent. Au final c’est tout le monde vécu qui s’assombrit, se ternit jusqu’à devenir totalement gris, et, dans les cas les plus sévères, jusqu’au noir le plus opaque du déses-poir de la mélancolie. Mais il faut souligner que la mélancolie se distingue par la possibilité d’une formation délirante et la haine de soi, centrale dans l’œuvre de Barrie, notamment à travers le personnage du Capitaine Crochet. La présence de la mort et du néant, vide fondamental, est également prégnante dans les récits mélancoliques. La dépression et la mélancolie semblent en effet se livrer à une lutte avec la mort, en implo-rant un objet secourable. Mais dans les deux cas, l’appel à l’objet ne fonctionne pas de la même manière dans la construc-tion subjective : dans la mélancolie l’absence et la perte sont si fortes que cet appel semble s’être éteint dans un total désin-vestissement objectal. La détresse dans ce cri étouffé adressé à l’autre ne pourra s’entendre qu’à travers la réappropriation narcissique de l’objet. Subissant alors une double perte, le mélancolique risque de perdre une partie de lui-même, du soi.

Ce manque s’inscrit sur le plan somatique, car dans la mélancolie, l’objet a été « incorporé », au sens de S. Ferenczi, avant que la perte ne se produise. En cas de perte, c’est le moi en entier qui est concerné, menacé de désintégration. La fonction du narcissisme se révèle alors particulièrement fragile. Autrement dit, dans la mélancolie le sujet ne peut se construire car il ne peut retirer sa libido de l’objet perdu. Son « moi » avale cet objet devenu fantasmatique pour ne pas s’en séparer, ce que Freud souligne en remarquant qu’alors « L’ombre de l’objet est ainsi tombée sur le moi » (Freud S., 1917, p.56). Cette incorporation de l’ombre de l’objet signant l’absence n’a pas lieu de manière aussi sévère dans les formes de dépression. Le moi, plus solide, peut vaciller dans la tourmente mais ne se trouve pas tant menacé de désintégration. La dépression reste plus proche de la structure névrotique de la plainte. Selon Freud les plaintes sont des accusations et pour cela on accuse bien quelqu’un de quelque chose. L’objet est donc présent. Nous verrons donc pourquoi nous pouvons faire l’hypothèse que Peter Pan dessine, et ce serait là une première proposition de discussion, les traits d’une forme de mélancolie particulière, tant les failles narcissiques se révèlent gigan-tesques.

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mythe littéraire de Peter Pan comme une « figure de la mélan-colie », car il se présente par son contraire: éternel maitre du jeu dans son royaume qu’est le « Neverland », Peter Pan parle d’emblée de lui-même comme « Je suis la jeunesse, je suis la joie, […]».(Barrie J.M., 1911, p. 120) Les aventures s’enchaî-nent à un rythme effréné mettant en scène un Peter Pan toujours joyeux, victorieux, sûr de lui et, en apparence, heureux… Pourtant l’inquiétude, puis le profond malaise, couvent, et l’angoisse se distille par petites touches. Au fil de l’œuvre se fissure donc le vernis de ce personnage qui « brille » d’une lumière qu’il nous donne à voir « en spectacle », pour dévoiler une face bien plus sombre, douloureusement gardée dans ses terreurs nocturnes. « Parfois, mais rarement, il rêvait, et ses rêves étaient plus douloureux que ceux des autres garçons. Pendant des heures il ne parvenait pas à s’extraire de ces cauchemars où il gémissait pitoyablement, et qui d’après moi, devait avoir trait au mystère de son existence ». (Barrie J.M., 1911, p. 101) Peter Pan est en effet un personnage bien mystérieux: c’est un enfant sans mère et sans mémoire. Après sa première chute vers le Pays Imaginaire, il a tenté de revenir quelques années plus tard dans le monde réel et a volé vers sa maison pour retrouver les siens. Mais il a trouvé fenêtre close. Seul devant les barreaux, il s’est confronté à l’impensable : sa mère l’avait remplacé par un autre enfant et l’avait oublié. Ce deuxième traumatisme fut insupportable et renvoya Peter Pan à « Neverland » sans possibilité de retour. Peter Pan se révèle ainsi au fil de l’œuvre incapable d’entrer en relation avec l’autre et se retrouve prisonnier de sa propre désertification psychique, jusque dans ses rêves : ainsi le sommeil n’offre à Peter Pan aucune « aire transitionnelle », (Winnicott D.W., 1971) espace transitionnel entre rêve et réalité ouvrant sur une autre temporalité permettant de se développer, de mûrir et de grandir. Le sommeil n’a pas de valeur réparatrice ou apaisante. Il est au contraire synonyme d’angoisse et de cauchemars dont il ne peut se dépêtrer, faute de pouvoir s’appuyer sur un autre qui permettrait d’ouvrir un possible accès au processus de perlaboration. Prisonnier de sa solitude, Peter Pan est incapable d’amour, de compassion ou de quelque sentiment profond et authentique que ce soit. Traumatisé par ce double abandon maternel qui signa son propre oubli, Peter Pan ne peut ni grandir, puisqu’il a été remplacé symboliquement par sa mère, ni même mourir, puisqu’il n’existe plus pour personne.

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Il l’exprime dans ce cri véritablement déchirant « Mourir ! Ça c’est une aventure ! » (Barrie J.M., 1911, p.75). Sur le plan du corps vécu, on retrouverait donc chez Peter Pan la fuite des idées, une façon effrénée de se vivre dans le temps et dans l’espace, décrit par L. Binswanger (1962) C’est la phase maniaque qui peut aussi bien caractériser la mélancolie (Binswanger L., 1962; Tellenbach H., 1983) Freud (1917) propose de concevoir la manie comme une autre expression de la mélancolie, tous les deux seraient le vice versa du même mal.

2. La mémoire détruite de Peter Pan en miroir d’un travail psychique amputé

Plusieurs éléments viennent déconcerter le lecteur, en parti-culier l’impossibilité pour Peter Pan de s’inscrire dans une temporalité définie : en effet, s’il ne cesse de proclamer son refus de grandir et son statut d’enfant, il semble néanmoins pris dans une confusion entre l’enfance et l’âge adulte pour rester finalement coincé dans un âge non déterminé. Son vécu n’a jamais été conforme à celui des âges de la vie. La mort ayant fait partie très tôt de son quotidien : « Ainsi, on préten-dait que, lorsque les enfants meurent, il les accompagne un bout de chemin pour qu’ils n’aient pas peur. » (Barrie J.M., p.10). Ce rôle du passeur dans l’au-delà est prêté aux personnes âgées et non aux enfants. Pourtant toute l’œuvre de Barrie regorge d’expressions témoignant de cette relation désespérée au temps. Barrie, lui aussi, a vécu dans la terreur de grandir et de ne plus pouvoir incarner pour sa mère celui qui lui insuffle le désir de vivre malgré la perte d’un premier enfant. Son impuissance à réajuster le temps et, avec celui-ci la relation, coupe le lien entre le corps et la pensée.

Car la principale caractéristique du personnage Peter Pan, dont Barrie nous rappelle que sa vie « est une tragédie », est bien sa terrible solitude et son incapacité à entrer en relation, faute de pouvoir inscrire la trace de l’autre dans sa psyché détruite. Enfermé dans son monde imaginaire, Peter Pan vit dans une temporalité éclatée, marquée par son absence de mémoire. À « Neverland » pas d’âge défini, pas d’hier, pas de demain. Atemporel, chaque jour est à la fois nouveau et identique puisqu’oublié aussitôt terminé, chaque jour qui passe est en réalité un jour… sans fin. Or la mémoire et l’accès aux

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souvenirs infiltrent la construction de l’identité, et la problé-matique renvoyée par cette temporalité empêtrée dans un présent infini renvoie à la question de la solitude mais aussi à celle d’un retour vers une certaine barbarie, car sans mémoire tous les pires actes sont possibles. L’oubli est aussi la meilleure des protections contre la souffrance affective et le manque : il suffit d’oublier les gens qu’on aime pour ne plus souffrir de leur absence.

L’altération du temps vécu est telle chez Peter Pan qu’elle affecte toute possibilité de lien intersubjectif et l’emprisonne dans le vide de sa propre désertification psychique. Toute l’œuvre de Barrie tourne autour de cette relation désespérée au temps, qui prend un sens très particulier dans la vie de cet homme marquée par la terreur de grandir. Cette impossibilité de s’inscrire dans le temps s’articule dans une relation, ou plutôt une non-relation corps/pensée qui ne fait pas sens chez Peter Pan. L’impossible s’inscrit d’abord dans son propre corps, tellement léger et inconsistant, « non présent » au monde qu’il ne reconnait pas la gravité et qu’il se trouve même coupé… de sa propre ombre.

Un corps piégé dans une enfance flétrie, qui ne grandit pas, immuable, immortel, éternel. Un corps vécu absent, « non habité ». Ce corps non-vivant ne peut mettre au travail la pensée et, en effet, cette difficulté extrême à penser s’illustre chez Peter Pan par cette absence de mémoire, particulièrement angoissante, où rien ni personne ne peut venir s’imprimer. Comment ne pas être bouleversé alors, par la solitude terrible de Peter Pan. Cette solitude immense, insoutenable, insuppor-table, qui finit de rendre compte de la tragédie qu’est la vie de ce personnage et qui s’éclaire dès la première phrase de l’œuvre de Barrie. Celle-ci est certainement la clé de toute son histoire: « Tous les enfants, hormis un seul, grandissent ». (Barrie J.M., p.5).

Cette phrase montre qu’il faut pouvoir exister pleinement pour l’autre pour pouvoir grandir. Représenter le frère mort lui barre cette voie vers la subjectivation puisque qu’il ne peut pas exister pour lui-même. Incapable d’intégrer l’autre dans son espace psychique, impossible alors d’éprouver la moindre émotion, de ressentir quelconque sentiment authentique.

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corps ne peut faire objet, comment l’Autre pourrait-il l’être pour lui ? Et s’il n’y a pas d’objet, y a-t-il une voie possible pour la subjectivation ? Sans mémoire, peut-on construire une histoire ? Ses sensations et ses perceptions ne lui appartiennent plus, car elles doivent être vécues par procuration pour la reconstitution d’une scène psychique au service du fantasme d’un aïeul. Et l’Autre ne pourra advenir dans sa construction psychique puisqu’il ne peut pas exister pour lui. Perdant la mémoire et ne pouvant ainsi construire son histoire, Peter Pan s’enferme dans une atmosphérisation désertique : un monde ressemblant à l’enfer – le moindre sentiment le brûlerait et le consumerait. Pour fuir ce néant, la tonalité affective du récit est marquée par la distance. Cette insensibilité peut le pousser à se révéler d’une incroyable cruauté, cruauté d’autant plus effrayante qu’elle s’impose avec une impression d’« innocence » propre au monde de l’enfance dans lequel il évolue, tout à fait dérangeante. Dès qu’il pense déceler un signe de trahison ou tout simplement lorsque les enfants perdus grandissent, Peter Pan les tue « Dès qu’ils semblent avoir grandi – ce qui est contraire au règlement, Peter Pan les supprime » (Barrie J.M., 1911, p. 41), laissant le lecteur sidéré lorsqu’il réalise que même ces enfants, dont on pourrait penser qu’ils se rapprochent le plus de ce que peut être un ami, ne s’impriment pas dans sa mémoire et sont tellement interchan-geables qu’il peut lui-même les massacrer. Pour pouvoir jouer, il faudrait pouvoir s’identifier. Peter Pan ne peut se risquer à ce processus au péril de se perdre complètement. La relation qu’il entretient avec les enfants perdus ressemble à celle dans la vraie vie où il cherche en vain à être en contact avec les « vrais » enfants qu’il observe, toujours exclu, à travers les fenêtres des maisons endormies. La position d’observateur par rapport à soi et aux autres signe une autre caractéristique de la mélancolie. Peter Pan lutte et n’arrive pas à se sortir de cette positiond’être à côté de lui-même : sa fragilité narcissique ne lui permet pas de se construire à travers l’identification. Bien qu’il ait besoin des autres enfants pour lui faire miroiter comment il pourrait être, ceux-ci lui renvoient du même coup ce qu’il ne sera jamais, à savoir justement... Un véritable enfant. Il cherche à contrôler les enfants perdus pour combler le vide intérieur, mais en même temps il les repousse. Leur image se défait sans cesse et ne tient pas solidement. Sans l’échange dans une identification réciproque, son image ne lui

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est pas renvoyée par l’Autre. Celle-ci ne peut donc servir d’étayage à la subjectivité. Ainsi Peter Pan est condamné à flotter sans corps et sans pensée comme une entité fantoma-tique. Le fantôme est un thème que Barrie abordera d’ailleurs fréquemment dans ses œuvres, dévoilant une relation aliénante jusqu’au sacrifice dans le lien au maternel.

Ainsi : « Ses visites à la fenêtre du n° 14 lui permettaient de voir comment font les vrais enfants quand ils ont une mère toute à eux, qui les regarde grandir. C’est difficile de grandir sans le regard d’une mère. » (Kelley-Lainé K., 1992, p. 92). C’est en ces termes que se formule le drame de la figure de Peter Pan, et la proximité avec l’histoire personnelle de son créateur laisse ici penser à un véritable double spéculaire. En choisissant la figure de Peter Pan comme le héros de son histoire, Barrie le gratifie d’une idéalisation narcissique. Cette création procède par la séduction de son lecteur pour le happer dans ce Pays Imaginaire qui n’est autre que le miroir des efforts de représentation psychique chez son auteur.

Comment arriver à vivre sans le regard d’une mère ? Tous deux, l’auteur et son héros, ont trouvé un moyen de survivre qu’ils paient extrêmement cher : faire semblant ! Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que la tristesse de Peter Pan se voile d’une joie perpétuelle et imperturbable. Un bonheur et une gaieté feintes qui tiennent tout véritable sentiment à distance. Briller, s’agiter pour ne pas penser. Ne pas se souvenir pour ne pas souffrir. Et rire pour ne pas pleurer, pour ne pas s’effondrer. Ainsi comme le souligne Kelley-Lainé, « C’est ainsi qu’on reconnait un enfant triste à sa grande légèreté -qu’elle soit dans son aspect physique ou dans sa tête. » (Kelley-Lainé K., 1992, p. 39) […]« Mourir sera une très grande aventure » : ces mots distinguent Peter des autres enfants et ils trahissent la profondeur de sa tristesse. Quand l’incapacité de ressentir est assez puissante pour éteindre chez un enfant jusqu’à la peur de la mort, c’est que celui-ci ne peut aller plus loin dans la désolation et le désespoir. Comme il est capable de jouer avec ce qu’il n’a pas, sa vie même devient l’enjeu d’une grande aventure » (Kelley-Lainé K., 1992, p. 103).

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SOUFFRIR DU VIDE

1. Vide et première relation objectale : l’impossibilité du lien

Peter Pan s’épuise à faire « comme si », faisant écho au concept de H. Deutsch (2007) qui, face à ces personnalités particulières au trouble émotionnel difficilement saisissable, n’écarte pas le diagnostic de psychose. Une construction en « faux self » selon l’expression de D.W. Winnicott (1960, p.113) qui explique la capacité étonnante à maintenir les apparences, permettant de tenir à distance « une crainte de l’effondrement », menace de la psyché, de celui ayant dû faire face à une « agonie primitive ». Il s’agit d’une angoisse extrême et dévastatrice pour la psyché. Celle-ci déstructure la construction du moi du jeune enfant et l’empêche de vivre son existence dans la continuité. Ces ruptures dans l’existence et les angoisses primitives associées aboutissent à l’expérience du morcellement du moi comme du corps puisque ce dernier sert comme support de la pensée. Le résultat est une difficulté voire une incapacité à s’installer dans son corps, à l’investir et à profiter de ce qu’il pourrait permettre de vivre en terme de plaisir et de joie. Au lieu de cela, il s’installe dans une perte du sens de la réalité. L’accès au corps ressenti est barré et sert comme défense contre l’engagement affectif, devenu trop dangereux pour la vie subjective. Ce clivage moi/corps poussé à l’extrême chez ce personnage nous permet d’appréhender le vide comme l’incarnation du non-sens et du non-vivant en désertifiant et deshumanisant le monde vécu du sujet.

Derrière la souffrance insondable de Peter Pan se profile le spectre d’une relation maternelle particulièrement compliquée et dont la perte touche à quelque chose d’absolument « innom-mable ». La problématique maternelle est au cœur de l’œuvre de Barrie. À la fois explicitement méprisée et haïe par Peter Pan, et pourtant toujours omniprésente, la relation à la mère dessine des liens extrêmement complexes, entre amour et haine, à la fois entre le personnage de Peter Pan et sa mère reflétant, bien sûr, la nature de la relation entre l’auteur et sa propre mère. Quand D. W. Winnicott parle d’un « bébé tout seul » (1960, p. 20) ou S. Ferenczi du « nourrisson savant » (1919-1926, pp 56-59), ils décrivent des situations psychiques chez le tout petit essayant de s’en sortir et de se construire malgré l’incapacité de ses parents. Peter Pan pousse cette diffi-culté dans la relation à son paroxysme puisqu’il ne peut

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s’étayer sur la présence de l’autre. Il dit s’être enfui au Pays Imaginaire et affirme ne plus vouloir entendre parler de sa mère. Pourtant, que cherche-t-il en s’introduisant dans le monde « réel », cherchant à convaincre des enfants de s’envoler avec lui dans le Pays Imaginaire, pour tout faire ensuite pour les empêcher d’en sortir ? Tout d’abord une figure maternelle, en la personne de Wendy. Ensuite, dans un mouve-ment haineux non élaboré, de faire subir aux autres enfants son propre traumatisme, en les empêchant par tous les moyens de rejoindre les leurs, et éviter ainsi d’être confronté à des retrou-vailles qui ravivent sans cesse le traumatisme de l’objet perdu. La problématique haineuse, qui touche de très près la douleur de Peter Pan et son créateur, est marquée par une impossibilité d’élaboration. Car comment haïr une mère triste qui pleure ? Et comment haïr David, un frère mort ?

2. Vers une clinique de l’extrême : le vide comme défense d’une souffrance impensable

L’hypothèse d’un trauma psychique extrêmement précoce chez Peter Pan s’impose, qui serait plus du côté de « ce qui ne s’est pas passé », « ce qui a manqué », d’une carence dans la première relation objectale avec l’Autre fondamental et qui a entravé les processus de liaison pulsionnelle. S. Ferenczi (1931-1932) nous permet de penser des expériences trauma-tiques précoces, aussi bien du côté de l’agression véritable que du côté de ce qui n’a pas pu advenir. Ainsi, pour Ferenczi la confrontation avec un objet « trop présent » ou, comme nous pouvons faire l’hypothèse que ce fut le cas pour Peter Pan, « trop absent », entraîne une commotion psychique que Ferenczi décrit dans la lignée freudienne de l’effroi, comme « l’anéantissement du soi » et de la capacité à résister. Cette effraction a pour conséquence la sidération du Moi, ainsi que l’asphyxie, voire l’agonie de la vie psychique, due pour l’essentiel au désespoir : en effet, pour Ferenczi, le trauma doit être considéré comme résultant d’une absence de réponse de l’objet face à une situation de détresse. L’individu est submergé par l’angoisse, et sa personnalité va se cliver. Débordé par ses défenses, attaqué narcissiquement, l’agressé est projeté hors de l’événement traumatique, dans une disso-ciation de son moi, en partie endolori, en partie confusément identifié à l’autre.

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Le « holding » (1971, p.204) concept de Winnicott, est défaillant chez Peter Pan, qui a littéralement perdu le conte-nant (berceau) dans les premiers moments de sa vie. D’abord abandonné, puis remplacé par un autre, il élabore le doute quant au contenu de ce contenant, c’est-à-dire lui comme personne. Son créateur, Barrie, subit lui aussi un désinvestis-sement massif de la part de sa mère, victime de sa propre dépression. Une « mère morte » selon l’expression de Green, n’est pas morte au sens littéral mais véritablement « morte psychiquement aux yeux du jeune enfant dont elle prend soin » (Green A., 1980, p.222). Présente physiquement mais non-présente à son bébé, vivante mais absente dans les interactions, vivante mais « morte ». Green ajoute d’ailleurs que le cas le plus grave est celui de la perte d’un enfant, « les transforma-tions de la vie psychique, au moment du deuil soudain de la mère qui désinvestit brutalement son enfant, est vécu par lui comme une catastrophe » (Green A., p 230). L’enfant peut alors tenter, comme Barrie, de tout faire, jusqu’à se sacrifier, pour « ranimer la mère morte, l’intéresser, la distraire, lui rendre goût à la vie, la faire rire et sourire » (Green A., 1980, p.235) mais la blessure narcissique va alors devenir de plus en plus grande face à son impuissance de « réparation ». « L’objet est mort (au sens de non-vivant, même si aucune mort n’est survenue), il entraine de ce fait le Moi vers un univers déserté, mortifère, enterre une partie de son moi dans la nécropole maternelle. Nourrir la mère morte revient alors à maintenir sous le sceau du secret l’amour le plus ancien pour l’objet primordial » (Green A., 1980, p.248).

Ainsi se construit le mandat inconscient de devoir faire vivre sa mère mort-vivant pour pouvoir vivre soi-même. Cette relation aliénante pour l’enfant empêchera la séparation d’avec sa mère et son individuation. Ainsi peut-on dire que, chacun à leur manière, Peter Pan et l’auteur, Barrie, furent un « enfant remplacé » et « un enfant de remplacement »: l’un s’est enfui car il s’est senti abandonné et remplacé par un autre enfant dans le cœur de sa mère et l’autre ayant tout fait pour tenter de combler l’absence de son frère mort. Contraints de vivre tous deux, finalement, au lendemain de leur propre mort psychique.

Le cas de « Géraldine » présenté par J. André (2008, pp 75-76), illustre de manière dramatique toute la violence subie par celui qu’on nomme « l’enfant de remplacement » (Bayle B.,

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2005). Être enfant de remplacement, c’est succéder à un enfant mort dans le fantasme de l’autre et ne pas avoir d’existence propre à soi. Enfant de remplacement qui ne remplace évidem-ment jamais, et qui signe au contraire l’absence. Comme l’explique J. André, le propre de l’enfant mort, c’est que juste-ment « mort » est un mot inexact, car le travail de deuil n’a jamais été accompli pour le parent. Mort, l’enfant échappe au temps et peut être maintenu intact dans le fantasme, ce que vient rappeler la mère de Barrie en lui répétant sans cesse qu’elle trouve un peu de réconfort dans le fait que David restera à jamais un enfant.

Tous deux sont des « enfants donnés pour morts » (Brun D., 2001) prêts à tout pour conserver l’amour maternel, quitte à sacrifier leur propre identité et régler leur « dette de vie » (Bydlowski M., 2008). L’ombre de la psychose se fait de plus en plus oppressante. Celle de la mélancolie, dévoilant un « moi » dévoré par l’ombre de l’objet perdu, évidente. C’est donc toute une problématique de l’absence, d’un traumatisme extrême et impensable qui serait plus du côté de ce qui a manqué, de ce qui n’est jamais advenu, qui se profile ici. L’œuvre de P. Fédida, en particulier son ouvrage éponyme, nous rappelle que le psychisme est toujours tissé par l’absence. Chez Peter Pan cette absence prend la forme, ou plutôt « l’informe » d’un impensable puits sans fond, un fond sans bord, engloutissant, anéantissant tout sur son passage et qui signe une perte impossible à élaborer. Une mélancolie par le vide, vide de toute vie subjective, vide de toute possibilité de rencontre, vide de lien, vide de sens.

CONCLUSION

Peter Pan possède une dimension explicitement

autobio-graphique placé sous le signe du deuil, de la mélancolie, et de l’effort désespéré de l’auteur Barrie pour dépasser le conflit psychique à travers l’écriture. Si son œuvre nous touche telle-ment c’est bien car elle nous renvoie à l’enfance tant par ses bonheurs tant par ses douleurs. La noirceur qui s’en dégage concerne l’irreprésentable de la vie psychique luttant contre sa disparition. Rendre figurable, c’est aussi dévoiler une part de ce qui reste innommable : l’insupportable douleur du vide d’un univers délabré et mortifère, où personne, aucun autre

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secou-rable, ni « Nebenmensch » (l’homme-d’à-côté, prochain) ni « Mitmensch » (l’homme-avec, proche), ne peut vous venir en aide. Seul, emmuré pour toujours dans le « Jamais-Jamais ». Cette douleur révèle ainsi une réalité qui échappe à la raison, elle nous « parle » dans une langue indéchiffrable mais dont notre inconscient capte toute la clarté. Peter Pan nous permet ainsi de penser avec beaucoup de subtilité certains mouve-ments phénoménologiques de la subjectivité et de l’empêche-ment du processus intersubjectif. Ainsi, contraints de vivre au lendemain de leur propre mort, le héros de l’histoire, Peter Pan, et l’auteur, Barrie, nous renvoient des questions élaborant la douleur psychique : comment vivre si l’on n’existe pas dans le regard de l’autre ? Et comment mourir si l’on n’a jamais existé ? La solitude de Peter Pan nous rappelle que le travail psychique qui permet au sujet de s’inscrire dans le monde et lui offre la possibilité de grandir, de vivre et de mourir, doit s’appuyer sur l’autre pour pouvoir faire sens. Lorsque ce lien à l’autre est marqué par l’absence à l’extrême, plus rien ne fait sens, et même la mort n’est pas une issue. Pour mourir, encore faut-il être né et avoir vécu pour quelqu’un... Peter Pan « l’enfant triste », aussi triste que son créateur, nous offre ainsi une réflexion particulièrement riche sur le vide comme forme de mélancolie et l’incarnation du non-vivant. Dans ce cas, le corps est désinvesti et non vécu. Celui-ci ne peut faire sens et ne pourra mettre au travail la vie psychique. Cette dernière restera engluée dans un état de non-représentation de l’objet perdu. Peter Pan permet ainsi de penser la mélancolie comme modèle d’une clinique du vide et de donner à penser certains troubles difficilement classables. Le paradoxe entre l’attirance et la séduction suscitées et la noirceur des propos éclaire la sollicitation du contre-transfert à l’œuvre qu’on a du mal à nommer dans la clinique (Fédida P., 1978). Permettant d’écouter l’enfant pleurer dans l’adulte lorsque celui-ci nous parle de sa difficulté à se lier, Peter Pan offre une ouverture de compréhension face à ces patients aux frontières des « limites ». Nous comprenons ainsi que ces frontières délimi-tent le lien à l’autre et l’incapacité douloureuse à les dépasser. Et si Shaw eut ce mot ultime pour définir l’écrivain : «Barrie abrite l’enfer dans son âme », on peut penser que l’enfer pour Barrie et son personnage s’incarne dans ce lien à la mère, cet Autre fondamental dont on attend amour inconditionnel et protection absolue, dont l’impossible rencontre provoque le

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plus grand des désespoirs. Un désespoir certainement vécu par Barrie confronté au désinvestissement brutal de sa mère. Un désespoir que nous renvoie violemment Peter Pan lorsqu’il se retrouve confronté à la cruauté de ce manque abyssal, ce vide, cette absence fondamentale, lui, le petit garçon qui ne pourra jamais grandir, ni même mourir, puisque tout se passe comme s’il n’avait jamais existé.

« Et M. Darling s’éveilla pour partager son bonheur, [Le bonheur de Mme Darling qui a retrouvé ses enfants, Wendy, John et Michael] et Nana entra en trombe. On n’aurait pu rêver plus charmant tableau, mais il n’y avait personne pour le voir, si ce n’est un étrange garçon qui regardait derrière la fenêtre. Il lui arrivait de connaitre des félicités inouïes, interdites aux autres enfants, mais, en ce moment, il regardait à travers la vitre la seule joie qui lui était à jamais refusée. » (Barrie J.M., 1911, p. 130)

Cette impression que la vie est davantage rêvée que réelle et de ne pas pouvoir l’intégrer est une remarque fréquente chez les patients « borderline ». Ils se placent comme observateurs par rapport à eux-mêmes. En phénoménologie, V. Uslar parle du monde dans le rêve dont l’expérience se transpose sur la vie diurne comme monde rêvé (Von Uslar D., 1990) dont certains deviennent observateur. La crainte de perdre la prise sur sa vie et l’angoisse de la mort peut provoquer chez les patients un mimétisme avec l’inanimé (Fédida P., 1977) trompant ainsi la mort puisqu’il l’est déjà (ou comme dans la nature quand l’animal fait le mort quand il aperçoit son prédateur). Quand les patients parlent de leur impossibilité de se raccorder au temps, « Tout va trop vite et en dépit de moi » disent-ils, ils se sentent de plus en plus épuisés et vides. Se livrant à une course effrénée contre le temps, ils finissent par « baisser les bras » ou tombent gravement malades. A ce stade, ils croient assister au spectacle de la vie tel un revenant ou alors, ce sont eux qui se sentent regardés, poursuivis par l’idée que les « morts nous regardentvivre ». Voici des témoignages qui reprennent des particularités de l’auto-observation qu’on retrouve dans Peter

Pan.

Le « Syndrome de Peter Pan » (Kiley D., 1996) a décrit jusqu’alors une immaturité affective de l’éternel adolescent des années 1990. Nous lisons l’œuvre bien autrement. Selon nous,

Peter Pan nous permet d’approcher les états limites non plus

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vide en soi, expérience périlleuse de la dérobade du corps affectif par rapport au soi jusqu’à la menace de l’anéantisse-ment.

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