III. Les petits corps
III. Les petits corps
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 1 / 53
III. Les petits corps Le calcul des congruences
I. Le calcul des congruences
Idée !
Se concentrer sur lesrestesdans la division euclidienne (par un nombre entier fixé), et en faire des objets d’opérations!
Définition. Sia etb sont des entiers et n est un nombre naturel 6=0, on dit que aetb sontcongrus modulo n, et on écrit a≡b (mod n) sin divise a−b.
De manière équivalente, si on considère les restes dans les divisions euclidiennes de aet b par n :
a=n·qa+ra b=n·qb+rb avec 06ra<n et 06rb<n, alors :
a≡b (mod n) ⇔ra =rb
III. Les petits corps Le calcul des congruences
1. Les opérations sur les « classes de restes »
Les opérations d’addition et de multiplication, définies sur l’ensemble Zdes entiers rationnels, induisent des opérations sur les ensembles de « classes de restes ».
Plus précisément : si a≡b (modn) etc ≡d (mod n), alors a+c ≡b+d (modn)
et
a×c ≡b×d (modn) ou a·c ≡b·d (modn). Etc.
N.B.On note
Z/n·Z:={[0],[1],[2], . . . ,[n−1]}
au sens de l’ensemble des « classes de restes ». Mais par abus d’écriture, on se permet de noter
Z/n·Z:={0,1,2, . . . ,n−1}
pour rester au plus près de l’idée de (nouveaux) nombres.
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III. Les petits corps Le calcul des congruences
Théorème
1˚ Si n∈Z>0, alors (Z/n·Z; +,×)est un anneau commutatif, noté aussi (Z/n·Z; +,·).
2˚ Un nombre apossède un inversedansZ/n·Zsi et seulement si le P.G.C.D.(a,n) =1.
En particulier, si p est un nombre premier, (Z/p·Z; +,×) est uncorps commutatif, noté aussi (Fp; +,×) ou(Fp; +,·).
Démonstration. L’existence de l’inverse provient de ce que la condition P.G.C.D.(a,n) =1 implique qu’il existeb et x ∈Ztels que
b·a+x·n=1 d’où
b·a≡1 (modn)
III. Les petits corps Le calcul des congruences
2. Des exemples
Les tables d’addition et de multiplication pour F7 :
+ 0 1 2 3 4 5 6
0 0 1 2 3 4 5 6
1 1 2 3 4 5 6 0
2 2 3 4 5 6 0 1
3 3 4 5 6 0 1 2
4 4 5 6 0 1 2 3
5 5 6 0 1 2 3 4
6 6 0 1 2 3 4 5
· 0 1 2 3 4 5 6
0 0 0 0 0 0 0 0
1 0 1 2 3 4 5 6
2 0 2 4 6 1 3 5
3 0 3 6 2 5 1 4
4 0 4 1 5 2 6 3
5 0 5 3 1 6 4 2
6 0 6 5 4 3 2 1
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III. Les petits corps Le calcul des congruences
La table de multiplication pourZ/18·Z:
· 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
2 2 4 6 8 10 12 14 16 0 2 4 6 8 10 12 14 16
3 3 6 9 12 15 0 3 6 9 12 15 0 3 6 9 12 15
4 4 8 12 16 2 6 10 14 0 4 8 12 16 2 6 10 14
5 5 10 15 2 7 12 17 4 9 14 1 6 11 16 3 8 13
6 6 12 0 6 12 0 6 12 0 6 12 0 6 12 0 6 12
7 7 14 3 10 17 6 13 2 9 16 5 12 1 8 15 4 11
8 8 16 6 14 4 12 2 10 0 8 16 6 14 4 12 2 10
9 9 0 9 0 9 0 9 0 9 0 9 0 9 0 9 0 9
10 10 2 12 4 14 6 16 8 0 10 2 12 4 14 6 16 8
11 11 4 15 8 1 12 5 16 9 2 13 6 17 10 3 14 7
12 12 6 0 12 6 0 12 6 0 12 6 0 12 6 0 12 6
13 13 8 3 16 11 6 1 14 9 4 17 12 7 2 15 10 5
14 14 10 6 2 16 12 8 4 0 14 10 6 2 16 12 8 4
15 15 12 9 6 3 0 15 12 9 6 3 0 15 12 9 6 3
16 16 14 12 10 8 6 4 2 0 16 14 12 10 8 6 4 2
17 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Seuls les nombres 1,5,7,11,13 et 17 sont inversibles dans Z/18·Z, et on peut se rappeler que φ(18) =6.
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
II. La résolution des équations (simples)
1. Les équations du premier degré
On vérifie facilement les résultats suivants dans Z/18·Z.
L’équation 7x+5=0 équivaut à 7x =13, et possède donc une et une seule solution, à savoirx =7.
L’équation
8x +5=0
n’a pas de solutions dansZ/18·Z: en effet, elle équivaut à 8x =13 et 13 n’est pas divisible par 2=P.G.C.D.(8,18).
Par contre, l’équation
8x +2=0
possède deuxsolutions dans Z/18·Z, puisqu’elle équivaut à 8x =16 qui possède lesdeux solutions x =2 etx =11.
Et l’équation 12x +6=0 possèdesixsolutions dans Z/18·Z!
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Théorème L’équation
a·x +b=0
dansZ/n·Z, aveca6=0, possèdeune et une seule solutionsi et seulement si
P.G.C.D.(a,n) =1
En particulier, si p est un nombre premier, toute équation du premier degré a·x+b=0 (a6=0) dans un (petit) corpsFp y admet une et une seule solution.
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Théorème
On considère l’équation
a·x +b=0 dansZ/n·Z, aveca6=0.
Si P.G.C.D.(a,n)6=1, l’équation possède une solution si et seulement si n−b est un multiple de P.G.C.D.(a,n).
De plus, s’il y a des solutions, leur nombre égale le P.G.C.D.(a,n).
Démonstration. L’ensemble des valeurs dea·x est exactement l’ensemble des multiples de P.G.C.D.(a,n)dans Z/n·Z.
Et le P.G.C.D.(a,n) est donc aussi le nombre de blocs qui se répètent dans l’ensemble des valeurs dea·x (afixé).
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
2. Un système d’équations du premier degré
Théorème
Sin1,n2, . . . , nk sont des nombres entiers naturels premiers entre eux deux à deux, et sia1,a2, . . . , ak sont des nombres entiers rationnels, alors le système d’équations :
x ≡ a1 (mod n1) x ≡ a2 (mod n2)
... ... ... ... x ≡ ak (modnk) admet toujours une solution.
De plus, si α etβ sont deux telles solutions, on a α≡β (modn1·n2· · ·nk)
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Démonstration. Le résultat concernant ladifférence de deux solutionsest clair, puisqu’on a alors, quel que soit 16i 6k :
α−β≡0 (mod ni)
et que les nombres n1,n2, . . . , nk sont premiers entre eux deux à deux. . . Quant à laconstruction d’une solution, l’idée est de fabriquer, pour chaque valeur de 16i 6k, des nombres αi qui vérifient les deux propriétés suivantes :
αi ≡1 (modni) quel que soit 16j 6k avecj 6=i :
αi ≡0 (modnj) Il est immédiat que, si de tels nombresαi existent, alors
x :=
i=k
X
i=1
ai·αi
est une solution du système considéré.
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Ces nombresαi sont construits de la manière suivante. On considère N :=n1·n2· · ·nk
et, quel que soit 16i 6k : mi := N
ni =n1·n2· · ·nbi· · ·nk
Comme les nombres n1,n2, . . . , nk sont premiers entre eux deux à deux, on a, quel que soit 16i 6k : P.G.C.D.(ni,mi) =1. Il existe donc, pour chaque valeur de 16i 6k, deux nombres entiersui etvi tels que :
ui ·ni +vi·mi =1 On pose alors
αi :=vi ·mi
Cette construction rend immédiate les deux propriétés annoncées : quel que soit 16i 6k, on aαi ≡1 (mod ni), et quel que soit 16j 6k avec j 6=i, on a aussiαi ≡0 (mod nj).
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
N.B.Le théorème précédent est parfois qualifié de « théorème des restes chinois ».
Exemple. Ce théorème fournit un algorithme pour résoudre un système tel que :
x ≡ 1 (mod 3) x ≡ 3 (mod 5) x ≡ 6 (mod 7)
En effet, on en tire :
m1=5·7=35, et commen1=3, la combinaison linéaire−1·35+12·3=1 donneα1=−1·35=−35 ;
m2=3·7=21, et commen2=5, la combinaison linéaire 1·21−4·5=1 donne α2=1·21=21 ;
m3=3·5=15, et commen3=7, la combinaison linéaire 1·15−2·7=1 donne α3=1·15=15.
Dès lors, le théorème fournit la solution :x=1·(−35) +3·21+6·15=118.
Ce n’est pas la plus petite solution, puisque siβest une autre solution de ce système, la congruenceβ−118≡0 (mod 105)montre queβ=13 convient.
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
3. Les équations d’un degré supérieur au premier
Théorème
Sip est un nombre premier, toute équation polynômiale de degrén>1 à cœfficients dans un (petit)corps Fp y possèdeau plus n racines.
Démonstration. On adapte la démonstration du cas usuel, où le corps des cœfficients est celui des nombres réels . . .
N.B.Le résultat précédent est faux dansZ/n·Zlorsquenn’est pas premier ; par exemplex2−1=0 possède 4 solutions dansZ/8·Z.
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
4. Résoudre des équations dans un (petit) corps Fp Question
Résoudre l’équation
2x2+4x+1=0
dansF7.
Solution.On calcule le discriminant
∆ =42−4·2·1=2−1=1 d’où les racines
x1,x2= −4±√ 1 2·2 =
(−4+1)·2 = −6 = 1 (−4+6)·2 = 2·2 = 4 De plus, onvérifie que
2x2+4x+1=2(x−1) (x −4) =2(x+6) (x +3)
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Question
Résoudre l’équation
2x2+4x+3=0
dansF7.
Solution.On calcule le discriminant
∆ =42−4·2·3=2−3=2+4=6 quin’estpas un carré dansF7.
On introduit uneracine carrée de 6, qu’on note ξ, et qui vérifie donc ξ2=6
On a−ξ=6·ξ, et on vérifie — si besoin ! — que c’est bien là l’autre racine carrée de 6 :
(6·ξ)2 =36·ξ2 =1·ξ2=6
III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
Les racines de 2x2+4x+3=0 dansF7 sont donc :
x1,x2=−4±√ 6 2·2 =
−4+ξ
4 = (−4+ξ)·2 = −8+2·ξ = 6+2·ξ
−4+6·ξ
4 = (−4+6·ξ)·2 = −8+12·ξ = 6−2·ξ
On peut vérifier que la somme et le produit de ces racines sont bien ce qu’ils doivent être. Etc.
N.B.On peut encore vérifier que, siξ2=6 et(6·ξ)2=6 dansF7, on a aussi (2·ξ)2 = 4·6 = 3 (4·ξ)2 = 16·6 = 5 (3·ξ)2 = 9·6 = 5 (5·ξ)2 = 25·6 = 3
Il n’y a donc qu’une seuleracine carrée à rajouter pour savoir extraire les racines carrées de tous les nombres deF7 qui ne sont pas des carrés parfaits. En d’autres termes, F7[√
6]ouF7[ξ]est laseuleextension quadratique deF7; ce nouveau corps commutatif comporte 72=49 éléments.
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III. Les petits corps La résolution des équations (simples)
5. Une question fondamentale
Les observations précédentes concernant les carrés parfaits dans F7, et les racines carrées à ajouter à F7, sont généralisables !
Toute la suite y est consacrée, et tourne autour d’une (seule) question.
Le nombre a étant donné, comment savoir si l’équa- tion
x2 =a
admet une solution dans Fp (p premier) a priori, c’est-à-dire sans faire trop de calculs, en particulier si p est grand ?
Si un nombre x ∈Fp existe tel quex2 =a, on dit que aest un résidu quadratique modulop; sinon, on dit quea est un non résidu quadratique modulo p.
III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
III. Les racines primitives dans un petit corps
1. Rappels
Définition.On appelle ordre deapour le nombre premierp, et on noteordp(a)leplus petitexposant (non nul !) deatel quepdiviseaordp(a)−1.
On a démontré un corollaire de « petit Fermat » : sipest un nombre premier,aun nombre entier naturel premier avecp etnun nombre entier naturel quelconque, alors
pdivisean−1=⇒nest un multiple deordp(a)
En particulier, comme « petit Fermat » signifie que, sous les hypothèses ci-dessus : p diviseap−1−1
on en déduit quep−1 est toujours un multiple deordp(a), ou si on préfère : ordp(a)est toujours un diviseur dep−1
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III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
2. Un exemple
On calcule facilement les ordres des éléments de F19. Comme p =19, on ap−1=18=2·32.
a 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
ord19(a) 18 18 9 9 9 3 6 9 18 3 6 18 18 18 9 9 2
N.B.Autrement dit, tous les nombres deF19sont des solutions de l’équation binôme (de Fermat ?) :
X18−1=0
Mais certains de ces nombres sont déjà des solutions d’équations binômes de degré strictement plus petitque 18, telles queX9−1=0,X6−1=0,X3−1=0, et même X2−1=0, alors que d’autres ne sont solutions d’aucune équation binôme autre que X18−1=0.
De tels nombres s’appellent desracines primitives(de l’équationX18−1=0).
Une terminologie analogue existe pour les racines complexes de l’unité, mais dans un contexte un peu différent.
III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
3. Un résultat de Legendre . . . et Euler
Définition. Un nombreg ∈Fp tel que ordp(g) =p−1 s’appelle une racine primitivede (ou dans) Fp.
Exemple. Les racines primitives dansF19 sont donc 2,3,10,13,14,15 ; ce sont les nombres d’ordre 18 dans F19.
Théorème d’existence d’une racine primitive
Quel que soit le nombre premierp, il existeg ∈Fp tel que ordp(g) =p−1
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III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
Démonstration. L’idée est de raisonner sur une décomposition en facteurs premiers de p−1 :
p−1=qa11·q2a2· · ·qnan et d’utiliser les trois résultats suivants.
Sia etb sont deux nombres entiers naturels tels que ordp(a) =k et ordp(b) =`, alors
ordp(a·b) =k`
Sid divisep−1, alors l’équationxd−1 possèdeexactement d solutions dans Fp.
Pour le montrer, on utilise le fait que l’équationxp−1−1 possède exactement p−1 solutions dans Fp. De plus, si p−1=d ·m, on a :
xp−1−1=
xd−1 x(m−1)d+x(m−2)d+· · ·+xd +1 Le théorème de Lagrange (sur le nombre maximal de solutions d’une équation de degré donné) achève l’affaire !
III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
Quel que soit 16i 6n, il existe un élément d’ordre d’ordreqaii dans Fp.
C’est clair, puisqu’il existeqaii −qaii−16=0 solutions à
xqaii = 1 xqaii −1 6= 1 dansFp.
N.B.On peut même déduire de ce raisonnement lenombrede racines primitives dans Fp. On en trouveφ(p−1).
Pour mémoire : il y aφ(19−1) =φ(18) =6 racines primitives dansF19, à savoir 2,3,10,13,14,15.
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 23 / 53
III. Les petits corps Les racines primitives dans un petit corps
4. Encore des exemples
Une table des plus petites racines primitives modulo p, pour tous les nombres pre- mierspinférieurs à 1000.
(Extrait de : P. Ribenboim —The Lit- tle Book of Bigger Primes.Springer- Verlag, New York, 2004.)
III. Les petits corps L’indice d’un nombre
IV. L’indice d’un nombre
Idée !
L’existence de racines primitives dans n’importe quel petit corpsFp permet d’y introduire une espèce delogarithme.
Si p est un nombre premier etg désigne une racine primitive dans le petit corps Fp, alors on a
gi 1
6i6p−1 ={1,2,3, . . . ,p−2,p−1}
Définition. Sip est un nombre premier etg désigne une racine primitive dans le petit corpsFp, on appelle indicede l’élémenta∈Fp (relativement àg), et on note ig(a), l’exposant de g tel que
gig(a)=a
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III. Les petits corps L’indice d’un nombre
Exemple
Dans F19, avec comme racine primitiveg =2, on calcule
g g2 g3 g4 g5 g6 g7 g8 g9
2 4 8 16 13 7 14 9 18
g10 g11 g12 g13 g14 g15 g16 g17 g18
17 15 11 3 6 12 5 10 1
et donc les indices des nombres dans F19, relativement à g =2, sont donnés par :
a 1 2 3 4 5 6 7 8 9
i2(a) 18 1 13 2 16 14 6 3 8
a 10 11 12 13 14 15 16 17 18
i2(a) 17 12 15 5 7 11 4 10 9
III. Les petits corps L’indice d’un nombre
Le « Canon Arithmeticus » de C. G. J. Jacobi (1804 - 1851) contient entre autres des tables d’indices pour les différents petits corpsFp (p un nombre premier).
Voici un extrait de ces tables, concernant p =19.
Question
Quelle est la racine primitive utilisée par Jacobi dans ce cas particulier ?
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 27 / 53
III. Les petits corps L’indice d’un nombre
Comme dans le calcul des logarithmes, on peut s’intéresser aux
« changements de bases ».
Question
Si a∈F19, comment déterminer i10(a), connaissant i2(a)et sachant que i2(10) =17?
Solution.On a, par définition : 2i2(a)=a. Or, grâce à « petit Fermat » : 218=1, d’où quel que soit l’entier naturelk :
2i2(a)+k·18=a
On sait aussi que 217=10. Il s’agit donc de déterminer le plus petit entier naturel mtel que
i2(a) +k·18=17·m puisqu’on aura alors
a=2i2(a)+k·18=217·m=10m et m:=i10(a). Etc.
III. Les petits corps L’indice d’un nombre
La relation entre les exposants obtenue plus haut, s’écrit aussi : i2(a) +k·(p−1) =i2(10)·m
De manière générale, la formule de « changement de bases » se présente sous la forme suivante :
ig1(a)≡ig1(g2)·ig2(a) (modp−1)
où g1 etg2 sont les deux racines primitives deFp à prendre en compte, et la valeur de l’entier naturel ig2(a) vérifiant cette congruence doit être la plus petite possible.
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III. Les petits corps Le symbole de Legendre
V. Le symbole de Legendre
1. La détection des résidus
Théorème
Sip >2 est un nombre premier etg une racine primitive dans Fp, alors le nombrea est un résidu quadratique modulo p si et seulement si l’indice ig(a)est pair.
Démonstration. On considère l’équation x2 =a dansFp.
III. Les petits corps Le symbole de Legendre
Or, on a
x =gig(x) et
a=gig(a)
de telle sorte que l’équation x2=as’écrit maintenant g2·ig(x)=gig(a)
On en déduit :
2·ig(x) =ig(a) (mod p−1) c’est-à-dire
ig(a) =2·ig(x) +M·(p−1) Or, p−1 est pair . . .
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 31 / 53
III. Les petits corps Le symbole de Legendre
N.B.
Le résultat précédent n’a de sens que si laparitéde l’indice d’un nombre est indépendante de la racine primitive choisie. C’est ce que permet de vérifier la formule de « changement de bases ». Plus précisément, on vérifie à partir des formules
ig1(a)−ig1(g2)·ig2(a) =M·(p−1) ou
ig2(a)−ig2(g1)·ig1(a) =M·(p−1)
queig1(a)etig2(a)ne peuvent pas être de parités différentes (p premier>2).
Le théorème de détection de résidus équivaut aussi au fait que le nombreaest un non résidu quadratique modulop si et seulement si l’indiceig(a)estimpair.
De manière équivalente, une table d’indices (comme le « Canon Arithmeticus » de Jacobi) est donc aussi une table de résidus quadratiques !
III. Les petits corps Le symbole de Legendre
2. Le symbole de Legendre
Définition. Sip >2 est un nombre premier eta∈Fp, lesymbole de Legendre dea(modulo p) est le nombre, noté
a p
, défini par a
p
:= (−1)ig(a)
où g est une racine primitive de Fp.
De manière équivalente, grâce au théorème de détection des résidus : a
p
= +1 sia est un résidu quadratique modulop; a
p
=−1 sia est un non résidu quadratique modulo p.
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III. Les petits corps Le symbole de Legendre
Puisque
ig(a·b) =ig(a) +ig(b) le symbole de Legendre est multiplicatif:
a·b p
= a
p
· b
p
Il s’ensuit que, sia etb sont tous deuxnon résidus quadratiques, leur produit est néanmoins un résidu quadratique !
C’est cette propriété qui explique — comme on l’a vérifié dans une question précédente pour F7 — qu’il existeune seule extension quadratique d’un petit corps Fp.
Une propriété analogue est loin d’être vérifiée dans le corps des nombres rationnels.
III. Les petits corps Le critère d’Euler
VI. Le critère d’Euler
Théorème (Le critère d’Euler)
Sip >2 est un nombre premier eta∈Fp, alors a
p
≡a12(p−1) (modp)
Démonstration. Quel que soita∈Fp, le « petit » théorème de Fermat implique que
ap−1−1≡0 (mod p) d’où, puisque p−1 est pair :
ap−12 −1
·
ap−12 +1
≡0 (modp) et donc
ap−12 ≡ ±1 (modp)
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III. Les petits corps Le critère d’Euler
Soit g une racine primitive dans Fp, on a donc aussi
ap−12 =
gig(a)p−12
=gig
(a)·(p−1) 2
Dès lors — et grâce à la détection des résidus — de deux choses l’une : siig(a) est pair, alors l’exposant ig(a)·(p−1)2 = ig(a)2 ·(p−1)est un multiple de p−1, et donc
ap−12 = gp−1ig
(a)
2 = +1
siig(a) est impair, alors l’exposant ig(a)·(p−1)2 = ig(a)2 ·(p−1) n’estpas un multiple de p−1, et donc par définition de racine primitive :
ap−12 =gig
(a)·(p−1) 2 6= +1 d’où ap−12 =−1.
III. Les petits corps Le critère d’Euler
Le critère d’Euler permet déjà de résoudre a priori l’équation x2 =a
dansFp dans le cas particulier oùa=−1, puisque : −1
p
= (−1)p−12 =
(−1)4k2 = +1 si p=4k+1 (−1)4k+22 = −1 si p=4k+3 De manière équivalente : dans Fp, l’équationx2+1=0
est toujours résoluble, avec deux solutions distinctes, si le nombre premier p est de la forme 4k+1,
et elle ne l’est jamais si le nombre premierp est de la forme 4k+3 (k ∈N).
Ou encore : il n’y a pas besoin de « nombres complexes » dans F5,F13, F17,F29, etc.
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 37 / 53
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
VII. Le lemme de Gauss
1. Une construction
On suppose que p est un nombre premier (strictement plus grand que 2), et p−12 est donc un nombre entier naturel.
Définitions. On considère un nombre entier naturel a, et on appelleRp(a) l’ensemble des représentants de
a,2·a,3·a, . . . ,p−1 2 ·a
amenés, par réduction modulop, dans l’intervalle ]−p2;p2[∩Z; on note νp(a) la quantité de nombres négatifs présents dans cet ensemble Rp(a).
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
2. Un exemple
Dans F19, on considère a=7.
On a donc p−12 ·a= 19−12 ·7=9·7=63.
Il s’agit donc de représenter l’ensemble
{7,14,21,28,35,42,49,56,63}
dans l’intervalle ]−192;192 [∩Z= [−9; +9]∩Zpar réduction modulo 19.
On trouve
R19(7) ={7,−5,2,9,−3,4,−8,−1,6} ⊂[−9; +9]
Dès lors
ν19(7) =4
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 39 / 53
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
3. Le lemme de Gauss
Théorème (Le lemme de Gauss)
Sip >2 est un nombre premier eta∈Fp, et avec les définitions et notations précédentes :
a p
= (−1)νp(a)
Démonstration. Elle fait un peu penser à la deuxième démonstration du
« petit » théorème de Fermat.
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
Les nombres dans l’ensemble Rp(a) sont tous différents en valeur absolue.
En effet, deux nombres dans cet ensemble s’écriventi·a−kp et j·a−`p, avec 16i,j 6 p−12 , et on a
(i·a−kp)±(j ·a−`p) = (i±j)·a−(k±`)p Or, 16i,j 6 p−12 implique|i−j|< p−12 et 26i+j 6p−1.
Dès lors(i±j)·a−(k±`)p6=0.
En d’autres termes : Rp(a) =
±1,±2,±3, . . . ,±p−1 2
avec, à chaque fois, un seul (bon) choix du signe+ou −pour chaque élément de l’ensembleRp(a).
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 41 / 53
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
Comme on a obtenu les éléments de l’ensemble Rp(a) en réduisant modulo p, on a :
a·2a·3a· · ·p−1
2 a≡(±1)·(±2)·(±3)· · ·
±p−1 2
(modp)
qui devient, par définition deνp(a) : ap−12 ·
p−1 2
!≡(−1)νp(a)·
p−1 2
! (modp)
Comme P.G.C.D.
p,p−1
2
!
=1, on peut simplifier pour obtenir ap−12 ≡(−1)νp(a) (mod p)
On achève grâce au critère d’Euler.
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
4. La racine carrée de 2 On va résoudre l’équation
x2 =2 dansFp, à l’aide du lemme de Gauss.
Comme a=2, les éléments de l’ensemble Rp(2) =
2,4,6, . . . ,2·p−1
2 =p−1
={2x}16x6p−1
2
se partagent en deux sous-ensembles :
celui formé des éléments tels que 262x < p2 : ils n’ont pas à être réduits modulop pour entrer dans l’intervalle]− p2;p2[∩Z;
celui formé des éléments tels que p2 <2x 6p−1 : ils doivent être réduits modulop pour entrer dans l’intervalle]− p2;p2[∩Z, et ils deviennent alors négatifs.
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III. Les petits corps Le lemme de Gauss
On en déduit :
νp(2) = p−1 2 −hp
4 i
où [·] désigne la partie entière d’un nombre.
Il reste à distinguer les différents cas possibles : sip =8`+1, alors νp(2) =4`−2`=2`; sip =8`+3, alors νp(2) =4`+1−
2`+34
=2`+1 ; sip =8`+5, alors νp(2) =4`+2−
2`+54
=2`+1 ; sip =8`+7, alors νp(2) =4`+3−
2`+74
=2`+2.
En conclusion, l’équation x2 =2 est résoluble dans Fp si et seulement si p =8`±1, et elle n’est pas résoluble dans Fp — c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’ajouter une racine carrée de 2 à Fp — si et seulement si p =8`±3.
Dit encore autrement, la racine carrée de 2 est « rationnelle » dans F7, F17,F23,F31, . . .
III. Les petits corps Le lemme de Gauss
Le lemme de Gauss et l’analyse de l’ensemble Rp(a) permettent de pousser plus loin ce genre de résultat.
Question
Résoudre l’équation
x2=3
dansFp.
Solution.L’équation x2=3 est résoluble dansFp si et seulement si p =12`±1, et elle n’est pas résoluble dans Fp si et seulement si p =12`±5.
En fait, le lemme de Gauss et l’analyse de l’ensemble Rp(a)permettent de pousserbeaucoup plus loin ce genre de résultat . . .
Philippe TILLEUIL Le Monde Perdu S.B.P.M. — 27 août 2014 45 / 53
III. Les petits corps La loi de réciprocité quadratique
VIII. La loi de réciprocité quadratique
On peut reformulerles résultats obtenus poura=2 ou 3 quant à la résolution de l’équation
x2 =a dansFp de la manière suivante.
Si on écrit le nombre premier p sous la forme p = 4a`+r avec0<r <4a, alors :
le symbole de Legendre a
p
ne dépend que de r ; et si q =4am+4a−r est un autrenombre premier, alors
a p
= a
q
N.B.La deuxième partie de cette reformulation correspond à l’apparition des signes
«±» dans les différentes solutions.
III. Les petits corps La loi de réciprocité quadratique
A force d’observations, L. Euler a conjecturé qu’il y avait là une loi générale !
Théorème (La loi de réciprocité quadratique « ancienne »)
On considère un nombre premierp >2 et un nombre naturela; on écrit le nombre premierp sous la forme
p=4a`+r avec 0<r <4a. Alors :
1˚ la valeur du symbole de Legendre a
p
est entièrement dé- terminée par la valeur du nombre r;
2˚ de plus, si q = 4am+4a−r est un autre nombre premier, alors :
a p
= a
q
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III. Les petits corps La loi de réciprocité quadratique
Démonstration. On décalque celles déjà faites poura=2 eta=3, mais avec précautions : cfr. l’exemple de R19(7) poura=7 dans F19 . . . Mais il y a une formulation bien plus simple de cette loi.
Théorème (La loi de réciprocité quadratique « nouvelle ») On considère deux nombres premiers p>2 etq >2, alors :
p q
· q
p
= (−1)p−12 ·q−12
De manière équivalente : p
q
· q
p
= +1
sauf si p−12 et q−12 sont tous deux impairs, c’est-à-dire si p =4k+3 et q =4`+3.
III. Les petits corps La loi de réciprocité quadratique
Démonstration.
Premier cas : p6≡q (mod 4), ou : il existea∈N tel quep+q =4a.
On calcule :
p q
=
4a−q q
= 4a
q
= a
q
q p
=
4a−p p
= 4a
p
= a
p
Or, suivant la version « ancienne » de la loi de réciprocité quadratique : a
q
est entièrement déterminé par le nombrerq défini par q =4a`+rq avec 0<rq <4a,
a p
est entièrement déterminé par le nombrerp défini par p=4a`+rp avec 0<rp<4a,
Mais on a p+q=4a, donc on doit avoirrp+rq=4a. Dès lors la deuxième partie de la version « ancienne » règle l’affaire !
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III. Les petits corps La loi de réciprocité quadratique
Second cas : p ≡q (mod 4), ou : il existea∈N tel quep−q =4a.
On calcule :
p q
=
q+4a q
= 4a
q
= a
q
q p
=
p−4a p
= −4a
p
= −a
p
= −1
p
· a
p
Presque comme dans le cas précédent, l’hypothèsep−q =4a implique cette fois-ci rp=rq, d’où par la version « ancienne » de la loi de réciprocité quadratique :
a p
= a
q
On a donc : p
q
· q
p
= −1
p
=
+1 si p=4k+1
−1 si p=4k+3
III. Les petits corps Le calcul des résidus quadratiques
IX. Le calcul des résidus quadratiques
En résumé, si p,q>2 sont des nombres premiers, etaet b des nombres entiers naturels :
a p
=
+1 si x2=a possède une solution dansFp,
−1 si x2=a n’a pas de solution dansFp. a·b
p
= a
p
· b
p
−1 p
= (−1)p−12 et 2
p
=
+1 si p=8k±1
−1 si p=8k±3
= (−1)p
2−1 8
p q
· q
p
= (−1)p−12 ·q−12
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III. Les petits corps Le calcul des résidus quadratiques
Question L’équation
x2=203
est-elle résoluble dansF401?
Solution.Il s’agit de calculer 203
401
=
7·29 401
= 7
401
· 29
401
Or, essentiellement par réciprocité quadratique : 7
401
= (−1)7−12 ·401−12 401
7
= 401
7
= 2
7
= +1, 29
401
= (−1)29−12 ·401−12 401
29
= 24
29
=
23·3 29
= 2
29
· 3
29
= (−1)·(−1) = +1
III. Les petits corps Le calcul des résidus quadratiques
Le « Canon Arithmeti- cus » permet de trouver aussi les racinesde
x2=203 dans le petit corpsF401.
On trouveg=211.
Ensuite, on lit I401(203) =206 On en déduit
I401(x) =103 et doncx=95.
On vérifie que 952 =9025≡ 203 (mod 401).
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