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ESPRIT Comprendre le monde qui vient

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ESPRIT

212, rue Saint‑Martin, 75003 Paris www.esprit.presse.fr

Rédaction : 01 48 04 92 90 ‑ redaction@esprit.presse.fr Ventes et abonnements : 03 80 48 95 45 ‑ abonnement@esprit.presse.fr

Fondée en 1932 par Emmanuel Mounier

Directeurs de la rédaction Antoine Garapon, Jean‑Louis Schlegel Rédactrice en chef Anne‑Lorraine Bujon

Secrétaire de rédaction Jonathan Chalier

Conseil de rédaction Hamit Bozarslan , Carole Desbarats, Anne Dujin Michaël Fœssel, Emmanuel Laurentin, Camille Riquier, Lucile Schmid

Comité de rédaction

Olivier Abel, Vincent Amiel, Bruno Aubert, Alice Béja, Françoise Benhamou, Abdennour Bidar, Dominique Bourg, Fabienne Brugère, Ève Charrin,

Christian Chavagneux, Guy Coq, François Crémieux, Jacques Darras, Gil Delannoi, Jean‑Philippe Domecq, Élise Domenach, Jacques Donzelot,

Jean‑Pierre Dupuy, Alain Ehrenberg, Jean‑Claude Eslin, Thierry Fabre, Jean‑Marc Ferry, Jérôme Giudicelli, Nicole Gnesotto, Pierre Hassner, Dick Howard,

Anousheh Karvar, Hugues Lagrange, Guillaume le Blanc, Erwan Lecœur, Daniel Lindenberg, Joseph Maïla, Bernard Manin,

Michel Marian, Marie Mendras, Patrick Mignon, Jean‑Claude Monod, Véronique Nahoum‑Grappe, Thierry Paquot, Bernard Perret, Jean‑Pierre Peyroulou, Jean‑Luc Pouthier, Richard Robert, Joël Roman,

Olivier Roy, Jacques Sédat, Jean‑Loup Thébaud,

Irène Théry, Justin Vaïsse, Georges Vigarello, Catherine de Wenden, Frédéric Worms

Directeur de la publication Olivier Mongin

Comprendre le monde qui vient

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Paul

Ricœur, penseur

des institutions justes

Introduction Jean-Louis Schlegel p. 40

Les institutions, entre le juste et le bon Jean-Louis Schlegel p. 43

La décision juste Alain Cordier p. 52

Paul Ricœur, philosophe et protestant

Daniel Frey p. 62

À plusieurs voix

L’Allemagne après les élections Jean-Louis Schlegel p. 10

Les bonnes de Beyrouth Rémi Baille

et Jonathan Chalier p. 13

La bombe A en question Jacques-Yves Bellay p. 17

La littérature salafiste sur les femmes

Hasna Hussein p. 19

Macron et les banlieues Erwan Ruty

p. 22

Révolution, réforme et transformation Philippe Lemoine p. 25

Loger tous les sans-abri ? Florent Guéguen

p. 29

Contre la vie appauvrie Matthieu Angotti et Delphine Prady p. 32

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3/

Varia

Le passé d’un oxymore.

Le débat français de politique étrangère Justin Vaïsse

p. 76 La création en sciences sociales Ivan Jablonka p. 92

La bataille de l’Obamacare et ses leçons

pour la France François Meunier p. 106

Nouveaux fragments d’une mémoire infinie (II) Maël Renouard

p. 115

Un cinéma de personnages Entretien

avec Arnaud Desplechin p. 126

Cultures

Poésie / Gabrielle Althen.

La lente réconciliation du ciel et de la peau Jacques Darras p. 136

Cinéma / Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev Louis Andrieu

p. 140

Cinéma / 120 battements par minute

de Robin Campillo Carole Desbarats p. 141

Livres

p. 145

Brèves / En écho p. 177

Auteurs p. 188

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5/

UN MONDE INSTABLE

Alors que la tension ne cesse de monter entre le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy et la Généralité de Catalogne, et que l’issue de cette crise semble toujours plus incertaine, le XIX

e

congrès du Parti communiste chinois s’est ouvert le 18 octobre, dans l’ordre et le décorum attendus.

En Espagne, où l’unité du pays semble suspendue à

un fil, les deux camps

se renvoient la responsabilité de la rupture du dialogue : tribunal constitu‑

tionnel contre parlement régional, pouvoirs de l’État contre référendum d’autodétermination, simulacre de démocratie ou liberté d’expression, continuité de l’État de droit ou répression policière qui rappelle les heures

sombres du franquisme… le conflit des légitimités et des interprétations

marche à plein. La démocratie, a fortiori lorsqu’elle est mêlée de fédéra‑

lisme dans un « État des autonomies », lui‑même membre de l’Union européenne, est décidément une affaire confuse.

Rien de tel au pays de Xi Jinping, où le Parti communiste règne de façon ininterrompue depuis 1949. On n’entendra pas, à Pékin, de Ouïghours ni de Tibétains demander leur autonomie, et Hong Kong n’enverra pas de délégués négocier les modalités de sa rétrocession à la Chine… Les mani‑

festants ne troubleront certainement pas la bonne marche des séances, d’autant plus que le vide a été fait dans un rayon de vingt kilomètres autour de la place Tienanmen, les locations à court terme suspendues jusqu’à nouvel ordre, les restaurants interdits d’utiliser du gaz, les usines arrêtées pour que l’on puisse évoquer le rêve chinois dans un ciel pur, et toutes les allées et venues strictement contrôlées. Le Prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo, n’enverra pas non plus de message pour demander

Éditorial

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Esprit

que les trois cents avocats des droits civiques arrêtés ces derniers mois soient relâchés, puisqu’il est mort en détention l’été dernier, privé de contacts avec sa famille. Dans cette dictature désormais présentable à Davos, où fleurit le communisme de marché, aucun désordre ne doit troubler le pouvoir sans partage du P

cc

et de son empereur rouge, ni la bonne marche des affaires.

Cependant, si des tentations séparatistes s’expriment dans différentes parties du monde aujourd’hui, posant à nouveaux frais la question de la bonne échelle pour construire des communautés politiques, on aurait tort de leur attribuer la fragilisation si perceptible de l’ordre interna‑

tional. Le nationalisme agressif des grandes puissances ne contribue‑t‑il pas largement à la déstabilisation et au désordre ? Au Proche‑Orient, le Kurdistan aussi a organisé un référendum d’autodétermination, mais ce dernier a entraîné la formation d’une « Sainte Alliance » entre l’Irak, l’Iran et la Turquie et une offensive militaire de Bagdad contre le gou‑

vernement régional kurde… Outre‑Atlantique, l’escalade verbale du président Trump avec Pyongyang ou l’épée de Damoclès qu’il suspend sur l’accord nucléaire si chèrement négocié avec l’Iran concernant son programme nucléaire maintiennent le « système international » dans une incertitude permanente.

Des projets de puissance et d’hégémonie d’un rare cynisme voient le

jour dans des « anti‑démocraties » de par le monde. Comment nier que

la Corée du Nord poursuit une stratégie de terreur à l’encontre de son

voisin du Sud et du Japon, et menace gravement leur sécurité autant que

la sienne propre ? Peut‑on expliquer l’effondrement des sociétés syrienne

et irakienne par la seule intervention calamiteuse anglo‑américaine de

2003 ? Devrait‑on se focaliser exclusivement sur la question nucléaire et

s’aveugler sur la diplomatie milicienne que l’Iran mène dans le monde

arabe, qu’il fragmente et militarise au gré des projets de son clergé chiite

et de ses Pasdaran ? Devrait‑on fermer les yeux sur la responsabilité

du régime de Vladimir Poutine dans les crimes de Bachar al‑Assad ou

l’instrumentalisation d’un djihadisme armé par la Turquie et les pays du

Golfe, l’Arabie Saoudite notamment, durant de longues années ? Plus

près de nous, peut‑on s’aveugler éternellement sur le fait que nombre

de composantes de l’Union européenne ressemblent plus aux « pouvoirs

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Un monde instable

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gothiques1 » qu’au régime démocratique défini par les fameux critères de

Copenhague de 1993 ?

L’attachement aux valeurs démocratiques perd

de son évidence.

Alors que des régimes autoritaires s’affirment jusqu’en Europe, qui entendent contrôler les cours constitutionnelles, les médias et tous les corps intermédiaires qui viendraient freiner leurs ardeurs majoritaires, ne faudrait‑il pas s’inquiéter davantage de la force d’attraction qu’exercent les contre‑modèles issus des expériences communistes du

xxe

siècle, alors que démarrent les commémorations de la révolution de 1917 ? Vingt‑cinq ans après l’effondrement de l’Union soviétique, V. Poutine propose une étrange synthèse entre la Russie impériale et le stalinisme et Xi Jinping puise aux sources du confucianisme de la Chine impériale comme du maoïsme. L’attachement aux valeurs démocratiques perd de son évidence, et une étrange fascination pour les hommes forts et les régimes stables, adossés à des promesses de prospérité et de sécurité, progresse.

Le XIX

e

congrès du Parti communiste chinois est une formidable mise en scène d’un pouvoir incontesté, avec ses 2 300 délégués, tous alignés, y compris ceux qui sont autorisés à porter leur costume traditionnel pour le folklore. Mais ces dix dernières années, le « miracle chinois » qui a permis à la Chine de s’élever au rang de première puissance mondiale a également produit des désastres écologiques, des inégalités sociales criantes, et s’est accompagné d’une répression constante et d’un recul de toutes les libertés publiques. À un tel prix, faut‑il vraiment préférer l’ordre ?

Esprit

1 - Dina Khapaeva, Portrait critique de la Russie. Essai sur la société gothique, trad. du russe par Nina Kehayan, La Tour-d’Aigues, L’Aube, coll. « L’ère planétaire », 2012.

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PLUSIEURS À

VOIX

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PLUSIEURS À

VOIX

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À plusieurs voix

L’ALLEMAGNE APRÈS LES ÉLECTIONS

Jean-Louis Schlegel

L’entrée de députés d’extrême droite au Bundestag ne peut évidemment laisser personne indifférent. La surprise des élections allemandes, pourtant, ne vient pas d’abord du score du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), même s’il est plus important que prévu. Elle tient plus à la situation d’instabilité inédite créée par des élections à la proportionnelle intégrale.

On connaît en effet la sanction élec- torale des législatives outre-Rhin : la Cdu/Csu, parti de Mme Merkel, a recueilli seulement 33 % des voix (– 8,5 points par rapport à 2013). D’où la question : la chancelière parvien- dra-t-elle à former un gouvernement avec les libéraux du Fdp (10,7 %, + 5,9 points) et les Verts (die Grünen, 9,2 %, + 0,5 point), deux partis très opposés sur de nombreux aspects (en particulier l’Europe), après la défaite cuisante des sociaux-démocrates du Spd (20,5 %, – 5,2 points) ? La Gauche (Die Linke, 9,2 %, + 0,6 point) n’entre pas en ligne de compte pour une alliance. Les Verts et la Gauche stagnent, tandis que les libéraux ont le vent en poupe. Quant aux sociaux-

démocrates, ils sont probablement victimes des causes générales qui expliquent le recul de la social-démo- cratie européenne, mais aussi de raisons spécifiques : ils sont étouffés par des chrétiens-démocrates qui réa- lisent plus ou moins leur programme, et la récente « fatigue des syndicats » allemands1 les touche directement.

De son côté, l’AfD, avec 12,6 % (+ 7,9 points) des voix et 94 députés (sur 704), triomphe en devenant le troisième parti d’Allemagne.

Le chamboule-tout électoral

Le commentaire n’est peut-être pas aussi simple qu’on a pu le lire ou l’entendre dans les médias français avant les élections : tantôt admiratifs, quand ils expliquaient la longévité d’A. Merkel par la santé florissante de l’économie allemande et le chômage bas, les deux associés à la personnalité solide et rassurante de la chancelière ; tantôt dubitatifs, quand ils insistaient, sans doute à l’excès, sur les failles de cette même économie (le travail pré- caire, la pauvreté importante et les écarts de richesse2). Ce qu’il faudrait comprendre, c’est le basculement dans la dernière ligne droite. Après tout,

1 - Voir Cécile Boutelet, « La grande fatigue des syndicats », Le Monde, mardi 26 septembre 2017, supplément « Éco & entreprise », p. 4.

2 - C. Boutelet, « L’envers du miracle allemand », ibid., p. 4-5.

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À plusieurs voix

jusqu’à la fin août 2017, les sondages en faveur de la chancelière restaient à des taux élevés (de 37 à 39,5 %), malgré la conviction qu’elle paierait peu ou prou l’arrivée de plus d’un million de réfugiés syriens et autres – une politique courageuse dont elle était personnellement responsable.

Comment expliquer la mue décisive des électeurs en trois semaines ? Il est plus pertinent de penser que des électeurs allemands ont voulu jouer à leur manière, après les Français en mai et juin 2017 et les Améri- cains en novembre 2016, au cham- boule-tout électoral en signifiant à Mutti (« maman ») Merkel qu’elle avait peut-être fait le mandat de trop. Ils auraient ainsi sanctionné ce que préci- sément d’autres leur envient : la solidité apparente d’une démocratie qui n’a pas changé de loi constitutionnelle depuis 1949, personnifiée par une chancelière forte mais dissimulant l’inertie de la vie politique en Allemagne, une « reine fainéante » ou une « dame de plomb 3 » ne prenant jamais de risques et rassurant toujours son opinion publique la plus conservatrice. De là sans doute les réactions post-électorales assez nombreuses dans les médias alle-

3 - Expressions de Jean Quatremer, dans un article virulent de Libération du 24 septembre 2017.

Le jugement est sans doute excessif et peut-être injuste quand on pense à l’accueil des réfugiés, ou à la décision en faveur du mariage pour tous, mais il est significatif de ce que de bons observateurs pensent aussi de Merkel.

mands, qui ont salué les résultats de l’élection, y compris l’entrée de l’AfD au Bundestag, comme la chance d’un nouveau départ politique. Les jeunes électeurs notamment ont donné la préférence aux petits partis plutôt qu’à la Cdu/Csu et au Spd. Il n’est d’ail- leurs pas impossible que la jeunesse de M. Macron ait aussi donné des idées aux Allemands (de même que le Parti libéral Fdp a sans doute bénéficié de la jeunesse de son leader, Christian Lindner4, 38 ans). En tout cas, ni la décision in extremis d’A. Merkel donnant au Bundestag le feu vert pour voter (le 30 juin 2017) une loi auto- risant le « mariage pour tous » – une loi qu’elle-même n’a pas approuvée –, ni sa déclaration de juin que l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne n’était plus à l’ordre du jour – qui allait dans le sens de l’AfD – n’ont empêché des électeurs nombreux de se détourner d’elle à la toute fin de la campagne.

L’extrême droite au Bundestag

Mme Merkel a pourtant sauvé l’essentiel. Elle reste chancelière en dépit de l’usure après douze ans au

4 - Lindner a fait une campagne anti-européenne incisive, en clamant son opposition aux proposi- tions de Macron, mais une fois l’élection passée, il a mis de l’eau dans son vin, sans doute en vue de la coalition avec la Cdu/Csu et les Verts. Dans la nouvelle configuration du Bundestag, il est en position de force…

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À plusieurs voix

pouvoir et malgré deux points de forte contestation de sa politique : l’arrivée des réfugiés, qui a créé et entretenu un climat de tension dans certaines régions, et le revers social d’une réussite économique qui laisse sur le carreau de nombreux pauvres et accroît les inégalités. Même le succès de l’AfD doit être relativisé : il est réel, mais contenu, et pour l’instant sans risque politique important. Avec son entrée au Bundestag et près de 8 % de voix de plus qu’en 2013, l’AfD a certes pavoisé, mais contrairement à ce qui se passe en France, où le scrutin majoritaire permet de dissimuler au Parlement la force réelle du Front national dans le pays, cette représen- tation a l’avantage d’étaler au grand jour la réalité de l’extrême droite, ses limites politiques, ses divisions et sa vulgarité, comme l’ont bien montré ses déchirements dans les assemblées des Länder où elle siège depuis 2013.

M

me

Merkel reste chancelière en dépit de l’usure après douze ans

au pouvoir.

De ce point de vue et d’autres, les parallèles avec le Front national sont réels, même si l’AfD n’est apparue qu’en 2013, lors des élections légis- la tives qui ne lui avaient pas permis d’entrer au Bundestag (son score

n’était que de 4,7 %, alors qu’il faut 5 % des voix pour être représenté dans cette assemblée). Cette année- là, ses thèmes de prédilection étaient l’opposition à l’Union européenne, davantage de démocratie (directe), la discipline budgétaire, la critique de la bureaucratie, plus accessoirement des positions conservatrices sur les questions dites sociétales. En 2016, l’accueil des réfugiés a joué un rôle essentiel. Les mots d’ordre gagnants ont été la préservation de la « nation » (« menacée » par l’accueil des migrants) et la société « homogène » (qui suppose l’assimilation, donc l’opposition au « multi culturalisme »), les valeurs conservatrices (soutien à la famille traditionnelle, avec plus d’enfants, et critique de la « théorie du genre »), le libéralisme économique (contre les règlements européens contraignants), les institutions euro- péennes trop puissantes et la sortie de l’euro, la souveraineté nationale, la défense des libertés individuelles et des usagers face à l’État, la dénon- ciation de la corruption, l’oligarchie occulte constituée par les dirigeants des grands partis. Comme au Front national, le combat politique de l’AfD s’est déplacé du côté de l’identité culturelle et l’adhésion a cessé d’être éphémère ou volatile : l’AfD a bel et bien rejoint la cohorte des partis populistes européens, qui prétendent donner la parole au peuple souffrant,

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le représenter à eux seuls et partager avec lui la détestation des hommes et des femmes politiques en place, traîtres au peuple qui les a élus.

En revanche, n’ayant pas besoin d’être dédiabolisée, l’AfD a mené une cam- pagne électorale dure et agressive, parfois nauséabonde, fortement nationaliste et très anti-immigrés, sous la direction d’un ancien démo- crate chrétien (Alexander Gauland) et d’une lesbienne en couple (Alice Weidel5), préférés à une dirigeante plus présentable, Frauke Petry, qui a démis- sionné au lendemain des élections6. Sans surprise, car le résultat était annoncé par les dernières élections régionales, la carte électorale marque une forte poussée de l’AfD dans les Länder de l’Est (Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie, Saxe et Saxe-Anhalt) : son score y avoisine les 20 %, atteignant même la première place en Saxe (la région de Dresde et de Leipzig) avec 27 % des suffrages (26,9 pour la Cdu/Csu)7. La crainte de

5 - Weidel se justifiait volontiers en accusant d’homo phobie… les immigrés.

6 - Même si les passerelles sont évidentes, il faut distinguer entre l’AfD, parti désormais installé au Bundestag, et le mouvement Pegida (« Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident »), né en 2014, en Saxe, organisateur de manifes- tations régulières, avec des slogans violents, à Dresde et dans d’autres villes de l’Est. Voir Carolin Emcke, Contre la haine. Plaidoyer pour l’impur, Paris, Seuil, 2017.

7 - Ailleurs le score tourne autour de 10 %, le plus bas étant celui de Hambourg (7,8 %), région pro- testante – ce qui montre que le protestantisme

l’afflux d’immigrés dans ces régions (où la population tend à diminuer et où les petits emplois restent tenus par des Allemands…) explique en grande partie ce succès – corrélé par le refus d’accueillir les réfugiés dans les démo- craties ex-communistes d’Europe de l’Est. La question est maintenant de savoir si, comme dans d’autres pays européens où elle avait une forte représentation au Parlement, l’extrême droite va confirmer sa poussée jusqu’à s’imposer un jour à l’exécutif – ou si c’est le début annoncé de son érosion sinon de sa dissolution.

LES

BONNES DE BEYROUTH

Rémi Baille et Jonathan Chalier Durant l’été 2015, à l’occasion de la

« crise des déchets » dans la capitale libanaise, le mouvement « Vous puez » (Tal’at Rihaktum) organise des mani- festations, qui deviennent massives après la diffusion de vidéos mon- trant la brutalité des forces de police, pour réclamer une amélioration des

n’est pas en cause dans le vote des régions de l’Est. Des analyses lors d’élections régionales ont néanmoins montré que la poussée de l’AfD était moindre dans les zones catholiques, et toujours forte dans les bassins de désindustrialisation.

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À plusieurs voix

services publics (notamment sur les questions de logement, de santé et de distribution d’électricité) et dénoncer la corruption des gouvernants et des partis politiques confessionnels1. Ce mouvement s’inscrit dans une histoire de mobilisations et un réseau d’asso- ciations de la société civile2, mais la jeunesse et l’inexpérience des manifes- tants autorisent leur récupération par les partis politiques et leur infiltration par les forces de police qui cherchent à les décrédibiliser, ce qui conduit à l’épuisement du mouvement.

Selon un universitaire qui nous accueille dans son bureau, les élections municipales de 2016 voient pourtant l’apparition d’une liste citoyenne issue de ce mouvement : Beyrouth, ma ville (Beirut Madinati), qui reçoit 30 % des voix, malgré une faible par- ticipation. Pour lui, il s’agit désormais de construire une alternative positive pour les législatives de 2018 : Amal et le Hezbollah, les deux partis chiites, vont sans doute rester alliés, mais il existe de fortes divisions chez les chrétiens et les sunnites ; il y a donc

1 - Au Liban, le choix – par défaut – d’un État minimal sur une base confessionnelle conduit les communautés à développer des milices armées, à pallier les carences de l’État en dispensant elles-mêmes les services sociaux de base (santé, éducation…) et en développant des pratiques clientélistes.

2 - Voir Karam Karam, le Mouvement civil au Liban. Revendications, protestations et mobi- lisations associatives dans l’après-guerre, Paris, Karthala, 2006.

une opportunité pour une liste de la société civile, d’autant qu’une dose de proportionnelle est introduite pour le prochain scrutin.

Pour une coordinatrice de la liste citoyenne présente lors de l’entretien, le programme insiste sur le caractère civil de l’État (ni religieux, ni mili- taire), le monopole de l’armée et les droits sociaux (retraite, assurance maladie…). Interrogée sur ce que le programme prévoit en faveur des tra- vailleuses domestiques étrangères et le système de « garant » (kafala) qui les régit3, elle est interrompue par l’uni- versitaire qui s’engage alors dans une longue digression sur sa propre expé- rience d’employeur avec une jeune Éthiopienne qu’il décrit comme une créature inférieure, voleuse, igno- rante et colérique. Dans son récit, émaillé de termes méprisants, nous mesurons combien les hiérarchies de genre, de statut social et de race vont de soi dans la société libanaise. Nous nous tournons vers la coordinatrice de la liste citoyenne, qui hoche la tête en approbation : il faut bien que les employeurs obtiennent un retour sur investissement !

Sur le marché des travailleuses domes- tiques, les prix varient selon l’origine de l’employée. Par un jeu de préjugés

3 - Les permis de séjour et de travail domestique, d’une durée de trois ans renouvelable, dépendent de la signature d’un contrat de travail avec une agence de recrutement ou un employeur.

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sur la force de travail et l’obéissance, les domestiques philippines sont les plus coûteuses, considérées comme plus éduquées. Viennent ensuite les Sri-Lankaises, puis les Éthiopiennes, meilleur marché selon la « représentation ethno-professionnelle 4 ».

Les bonnes du Liban sont psychologiquement,

physiquement et juridiquement

vulnérables.

Les bonnes à tout faire (maids) du Liban, employées sous la tutelle d’un garant, sont dans une situation proche de l’esclavage : « corvéables à merci pour un salaire de misère, parfois battues, voire violées et poussées au suicide5 ». Victimes de la traite des personnes, les Éthiopiennes envoyées au Liban rapportent quelque huit cents dollars aux trafiquants, qui les font passer par des pays voisins depuis que l’Éthiopie – un pays de 80 millions d’habitants, l’un des plus pauvres du monde – a interdit à ses ressortissants de travailler à l’étranger6. À leur arrivée à l’aéroport, elles sont

4 - Assaf Dahdah, l’Art du faible. Les migrantes non arabes dans le Grand Beyrouth, Paris, Presses de l’Ifpo, 2013.

5 - Benjamin Barthe, « Au Liban, les bonnes se rebellent », Le Monde, 17 février 2015. Voir aussi Laure Stephan, « Rêves et calvaire d’une bonne au Liban », Le Monde, 31 mars 2012.

6 - Voir Matthieu Millecamps, « L’Éthiopie inter- dit à ses travailleurs de s’expatrier », 27 octobre 2013 (www.rfi.fr).

interpellées par la Sûreté générale qui prend leur passeport pour le remettre directement aux mains de l’em- ployeur. Il y a près de 800 000 travail- leurs migrants au Liban, soit les deux tiers de la main-d’œuvre totale, dont 250 000 travailleuses domestiques, selon les chiffres de la Banque mon- diale. Le Liban n’ayant pas ratifié les conventions de l’Organisation inter- nationale du travail (Oit) de 1949 et 1955, les conventions de Genève de 1951 et la convention de 1990 sur la protection des droits des travailleurs migrants, la réglementation en vigueur expose les travailleuses domestiques à toute forme d’exploitation : confis- cation du passeport et des docu- ments officiels, interdiction de sortir, salaire en dessous du minimum légal, retenues arbitraires de gages, travail de 16 à 17 heures en moyenne par jour, parfois forcé, violences verbales (hmara, « ânesse », étant l’insulte la plus fréquente proférée par « Madame »), physiques et sexuelles, avortements forcés, absence de sécurité sociale et d’assurance maladie, interdiction de se syndiquer… Les bonnes du Liban sont psychologiquement, physiquement et juridiquement vulnérables, à la fois comme immigrées, comme travail- leuses et comme femmes. L’absence de protection juridique pour les tra- vailleurs étrangers ne les exclut pas pour autant du marché du travail : elle les précarise et les appauvrit, et

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À plusieurs voix

favorise la formation d’un marché segmenté au bénéfice des employeurs qui recherchent le coût du travail le plus bas7.

Traditionnellement organisées sur une base communautaire (le pays d’origine), les travailleuses domestiques ont créé leur syndicat en janvier 2015, à l’ini- tiative d’un certain nombre d’Ong (notamment les associations Caritas Lebanon et Kafa), de la Fédération nationale des syndicats des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol) et de l’Oit. La Fenasol, syndicat proche du Parti communiste libanais, s’est séparée en 2012 de la Confédération générale des travailleurs libanais (Cgtl), décriée pour ses pratiques clientélistes et ses positions conserva- trices : la scission a eu lieu après que la Cgtl s’est alliée aux représentants du patronat pour s’opposer au projet du ministre du Travail, Charbel Nahas, une réforme du travail qui garantissait un ajustement périodique des salaires, promouvait les industries produc- tives contre l’économie de rente, ren- forçait le rôle des syndicats et créait les fondements d’une couverture maladie universelle. La réforme pré- voyait notamment d’étendre le Smic aux travailleurs étrangers. Contre la

7 - Voir Elizabeth Picard, “No Spring for Migrant Workers: Split Labor Market Under- mines Lebanon’s Fragile Identity”, dans Nele Lenze et Charlotte Schriwer (sous la dir. de), Converging Regions: Global Perspectives on Asia and the Middle East, New York, Routledge, 2013.

fronde interne, la centrale a tenté de maintenir sa position monopolistique, dénonçant toute création de nouveau syndicat comme une tentative de diviser le mouvement syndical au profit du projet « sioniste » de désor- ganisation de la société libanaise.

La Fenasol n’est pas non plus exempte de toute critique, puisqu’elle cède au discours xénophobe qui dépeint les travailleurs étrangers comme faisant concurrence aux travailleurs libanais et comme abaissant leur niveau de vie, alors même que les Libanais consi- dèrent que les travaux effectués par les étrangers, domestiques par exemple, sont indignes. Pour tenter d’obtenir une reconnaissance officielle, le syn- dicat des travailleuses domestiques a dû intégrer trois Libanaises dans son conseil exécutif, dont l’une est élue présidente par l’assemblée générale.

Elle-même employeuse d’une travail- leuse domestique, elle tient un dis- cours paternaliste fondé sur la pitié :

« Nous nous tenons à vos côtés, mais vous devez être bonnes pour nous aussi 8. » Souvent privées du droit de sortir d’un appartement où elles n’ont pas tou- jours leur propre chambre, les domes- tiques éthiopiennes de Beyrouth sont rendues largement invisibles dans le paysage urbain, cantonnées à une

8 - Citée dans Farah Kobaissy, “Navigating the Minefield of Power: Domestic Workers Labour Union Organising in Lebanon”, Civil Society Review, no 2, décembre 2016.

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sociabilité de voisinage lorsqu’elles sortent faire des courses ou promener le chien. Celles qui bénéficient du repos dominical et qui sont autorisées à sortir peuvent retrouver leurs amies dans un salon de coiffure, envoyer un peu d’argent au pays, s’acheter un pain endjara et assister à la messe de l’Église orthodoxe tawahedo.

LA BOMBE A EN QUESTION

Jacques-Yves Bellay

En 2013, l’ancien ministre socialiste de la Défense, Paul Quilès, publiait Arrêtez la bombe 1 ! Ce dernier, qui est tout sauf un pacifiste, remettait en cause le concept même de dissuasion nucléaire, rompant ainsi le silence assourdissant sur le sujet. À la suite du discours d’Emmanuel Macron à l’Onu vantant les mérites du multi- latéralisme, il s’interroge à présent sur l’attitude de la France, qui s’apprête à doubler les crédits consacrés à sa capacité nucléaire2. On ne peut pas fustiger les armes chimiques et se

1 - Paul Quilès, Bernard Norlain et Jean-Marie Collin, Arrêtez la bombe !, Paris, Le Cherche Midi, 2013.

2 - P. Quilès, « Après les beaux discours à l’Onu, nous attendons des actes d’Emmanuel Macron au sujet de l’arme nucléaire », 22 juillet 2017 (www.

huffingtonpost.fr/paul-quiles).

taire sur la bombe, appeler le monde à la paix et parader sur la base de l’île Longue.

Aujourd’hui, les vociférations de Donald Trump et de Kim Jong-un rendent le débat d’une actualité brûlante. Si l’on commente abon- damment les attitudes et les propos des deux dirigeants, nul ne se hasarde à remettre en question l’utilité, pour la France, de la possession de la bombe et, plus encore, la nécessité de signer le traité d’interdiction des armes nucléaires, adopté en juillet 2017 par l’Onu et qu’aucun membre du Conseil de sécurité n’est prêt à parapher.

La dissuasion nucléaire fait l’objet d’un consensus mou : aucun parti politique ne se risque sur ce terrain et les Français, tenus à l’écart du débat, vivent la doctrine stratégique sur ce sujet comme une fatalité. Seuls les Verts, dont une partie est issue des mouvements non violents des années 1970-1980, ont pris position clairement contre l’arme atomique, mais ils se sont dissous. La France insoumise se noie dans des propos d’un flou confondant et les autres campent sur la posture gaullienne.

Pourtant, la dissuasion nucléaire a changé de dimension. Elle est née de la guerre froide : quand les deux blocs menaçaient d’en découdre, les diri- geants de l’époque ont trouvé cette solution : se doter d’une capacité de riposte en brandissant des représailles

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apocalyptiques. Les cinq pays détenteurs de la bombe – Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, urss, autrement dit les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale –, ont signé en 1968 le traité de non- prolifération, alors que parallèlement Israël, le Pakistan et l’Inde se nucléari- saient sans jamais s’engager au niveau international.

La chute du Mur a redistribué les cartes : désormais, la menace s’est mondialisée à travers quantité de conflits régionaux. Dès lors, la doctrine des frappes « de riposte » a lentement glissé vers celle de frappes « préven- tives », chirurgicales, visant, en cas de conflit, les centres de commandement militaires et politiques. Nous ne sommes plus dans la logique du « faire peur », mais dans celle de frapper les pouvoirs ennemis au cœur de leur dispositif en passant sous silence les dégâts collatéraux, comme si l’atome choisissait ses rayons d’action.

En maintenant la composante aérienne des forces nucléaires fran- çaises, nos dirigeants corroborent la doctrine de l’emploi à titre pré- ventif et non plus défensif. Face à des dangers venant de petits pays, l’action aérienne permettrait de s’engager pru- demment sans déclencher « l’hiver nucléaire ». Comme l’écrivait Pierre Hassner dès 1995 : « Dans le nouvel univers géostratégique, l’arme nucléaire n’est plus dans le champ stratégique […]

de la dissuasion du faible au fort. Cette arme n’est plus celle du non-emploi, mais celle de l’emploi 3. » La France continue d’entretenir deux escadrons de l’armée de l’air et une flottille de l’aéronavale, alors que le Royaume-Uni y a renoncé – ce qui montre bien que notre pays est entré dans l’idéologie de l’aver- tissement nucléaire avant le grand bombardement.

Dans ce contexte, l’attitude de Donald Trump laisse craindre le pire, d’autant que Kim Jong-un sait très bien qu’il joue avec le feu – sauf que dans un régime paranoïaque, sacrifier des millions de concitoyens, en temps de paix comme en temps de guerre, ne tire pas à conséquence. On frémit à l’idée que le président américain, tout à sa mégalomanie, ne se saisisse de la possibilité de prétendues « frappes ciblées » pour rester en phase avec son électorat et assurer sa réélection, tout comme il y a peu George W. Bush avec l’invasion de l’Irak.

La France se ferait honneur si elle s’engageait dans l’abandon de l’arme atomique. Outre son coût – on avoisine les cinq milliards d’euros, une somme qui ne comprend jamais les dépenses cachées de rempla- cement des matériels, de traitement des déchets, de la dépollution des sites d’expérimentation –, elle s’épargnerait

3 - Pierre Hassner, la Violence et la Paix. De la bombe atomique au nettoyage ethnique [1995], Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2000.

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la contradiction, politique et militaire, entre une composante navale faite pour frapper en masse et une force aérienne pour toucher des buts précis.

La France se ferait honneur si elle s’engageait

dans l’abandon de l’arme atomique.

Nulle chance, hélas, que cela se pro- duise : le complexe militaro-industriel et les arguments fallacieux – comme notre place au Conseil de sécurité de l’Onu, l’emploi ou la dépendance du bouclier américain, etc. – convergent pour que, devant le glacis nucléaire, nous préférions garder la tête dans le sable. De surcroît, la population confrontée aux attentats, à des conflits locaux tournant en boucle sur les réseaux sociaux, privée de débat de fond sur le sujet, n’est pas prête à accepter que la France se prive de la bombe.

Tous ceux qui travaillent sur la question ont toujours eu la crainte qu’un fou n’appuie sur le bouton. Il pourrait sembler que nous y sommes.

Mais nous avançons toujours en som- nambules, priant le ciel qu’il ne nous tombe pas sur la tête. Alors que nous sommes plus préoccupés que jamais par la survie de la planète, il est terri- fiant de constater que le feu nucléaire est considéré comme un moindre mal.

Dans les dix années qui viennent, le monde dépensera mille milliards de dollars pour maintenir un équilibre de la terreur que la Corée du Nord peut rompre à tout moment4.

4- Le prix Nobel de la Paix vient d’être attribué à la Coalition internationale pour l’abolition des armes nucléaires, à l’origine du traité d’interdic- tion des armes nucléaires adopté par 122 pays à l’Onu en juillet 2017.

LA LITTÉRA- TURE

SALAFISTE SUR

LES FEMMES

Hasna Hussein 1

L’idéologie djihadiste radicale attire de plus en plus de jeunes, notamment parmi les femmes. Le pourcentage de celles-ci est estimé à environ 27 %, selon les dernières statistiques de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UClat)2. Si l’on en croit cette même source, 17 % des femmes signalées comme radicalisées sont des mineures et 35 % sont des converties.

Comment des fillettes peuvent-elles

1 - Sociologue des médias et du genre (voir son blog : cdradical.hypotheses.org).

2 - Soren Seelow, « La carte de France de la radi- calisation », Le Monde, 3 mars 2017.

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être séduites par une idéologie, non seulement meurtrière et sangui- naire, mais aussi sexiste, machiste et misogyne ? Pourquoi des femmes, souvent nées et élevées en France, rejettent-elles un système « égali- taire » où elles disposent de droits et de protections ? Une plongée dans la littérature féminine salafiste en langue française dévoile des catégories de pensée et des rôles de genre très simi- laires à ceux que véhiculent Daech.

Une courte escapade rue Jean- Pierre-Timbaud, en plein cœur du 11e arrondissement de Paris, permet de s’en rendre compte. La rue est célèbre pour ses librairies islamiques de tendances salafistes où se mêlent commerce de mode, de parfumerie et d’alimentation, arborant le label « isla- mique » pour tout argument de vente.

On y trouve des rayons consacrés à la littérature féminine islamique chargés d’ouvrages respectant les codes de couleurs assignés à la gent féminine : rose, rouge, fuchsia et pastel. Sur les couvertures de ces ouvrages figurent invariablement des fleurs, souvent des roses, ou des dessins de silhouettes féminines voilées. Les titres annoncent la nature des contenus : les Secrets du hidjab. Voile et tenue vestimentaire de la Femme en Islam, Main dans la main pour ta réussite mon cher Mari ou encore Femme au foyer. Redécouvre ton chez-toi.

Ces ouvrages destinés aux femmes, souvent traduits de l’arabe, véhiculent

une image unique de « la femme » musulmane, nécessairement « voilée »,

« pieuse », bonne épouse et mère exemplaire. On lit dans l’un de ces ouvrages : « Certaines femmes négligent le fait de servir l’époux. L’une d’elles ne se charge pas de satisfaire ses besoins comme préparer à manger, lui laver ses vêtements, etc.

Elle ne se soucie guère du rangement de son foyer, ni même de sa propreté […]. Tout ceci pour une seule raison : sa négligence et sa paresse […]. C’est un devoir qui est obligatoire selon l’avis le plus juste 3. » En plus d’inonder les chaînes satellitaires arabes et Internet de leurs avis juri- diques (fatwas) sexistes, machistes et misogynes, des auteurs à succès comme les Saoudiens Muhammad Ibn Ibrahîm al-Hamad ou encore Ibn Bâz diffusent dans leurs ouvrages des avis comme celui-ci : l’urine d’un bébé fille annule les ablutions car il est impur, alors que celui d’un bébé garçon ne l’est pas4 !

3 - Muhammad Ibn Ibrahîm al-Hamad, Nouveau départ avec mon mari, Bruxelles, Al-Hadîth, 2009, p. 47.

4 - Ibn Bâz, al-Albânî, Ibn ‘Uthaymîn, Cheikh Muqbil, et de nombreux autres savants, Recueil de Fatwas concernant les femmes, compilé et annoté par Amr ‘Abd al-Min’im Salîm, Bruxelles, al-Hadîth, 2009, p. 32. Ce livre contient plus de 535 fatwas, qui prennent madame par la main pour lui dire que faire dans les moindres détails de sa vie au foyer et figure parmi les best-sellers des librairies de la rue Jean-Pierre Timbaud. La plupart de ces ouvrages sont édités en France par les éditions al-Madina ou Dar al-Muslim, en Belgique par al-Hadîth à Bruxelles, et distribués par les librairies isla miques telles que Sana Paris qui se trouve rue Jean-Pierre Timbaud.

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ISSN 0014 0759 – ISBN 978-2-37234-027-4 no 439, novembre 2017

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