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L'Ars notoria au Moyen Âge et à l'époque moderne. Étude d'une tradition de magie théurgique (XIIe-XVIIe siècle)

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THÈSE NOUVEAU RÉGIME

pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université Parix X – Nanterre Discipline : Histoire

Présentée et soutenue publiquement par

Julien VÉRONÈSE

Le 9 octobre 2004

Titre :

L’Ars notoria au Moyen Âge et à l’époque moderne.

Étude d’une tradition de magie théurgique

(XIIe-XVIIe siècle)

I

Directeur de thèse

(2)

Madame Colette Beaune, professeur à l’Université Paris X,

directrice de thèse

Monsieur Henri Bresc, professeur à l’Université Paris X,

président

Monsieur Jean-Patrice Boudet, professeur à l’université

d’Orléans, rapporteur

Monsieur Charles Burnett, professeur à l’Institut Warburg à

Londres

Monsieur Jacques Verger, professeur à l’Université Paris IV

(Paris-Sorbonne)

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À la fin de l’année 1445, un jeune homme du nom de Fernand de Cordoue arrive à Paris, après un périple qui l’a fait s’arrêter un temps en Italie du Sud. Le moins que l’on puisse dire est que son bref séjour dans la capitale ne passe pas inaperçu, comme en témoignent les relations hautes en couleurs que font de l’épisode le Bourgeois de Paris (qui est en réalité un clerc de l’université appartenant au chapitre de Notre-Dame) et l’historiographe du règne de Charles VII, Matthieu d’Escouchy1

. Ce « natif des Espaingnes », « âgé de vingt ans ou environ », a de quoi marquer ses contemporains, et notamment les clercs de l’université, imbus de la réputation de leur institution. Aux dires de l’un comme de l’autre, le catalogue de ses qualités est en effet impressionnant. Non seulement il doit à des origines nobiliaires d’être un chevalier valeureux et un maître d’armes accompli, capable, grâce à des qualités physiques hors du commun, de faire des sauts de plusieurs mètres pour assaillir son ennemi et de brandir une épée à deux mains comme s’il s’agissait d’un fétu de paille ; mais il apparaît encore plus habile, par l’étendue de son savoir, à déjouer la malice empreinte de jalousie des clercs parisiens. La gamme de ses aptitudes intellectuelles est, pour son temps, la plus complète qui soit. Cela en fait, selon les propres mots de Matthieu d’Escouchy, « le plus excellent en touttes sciences qui se trouvast en tous les pays et où il repairoit, par especial en clergié ».

Voué dès son jeune âge à la cléricature, Fernand connaît en effet comme il se doit les sept arts libéraux, véritables piliers de la pédagogie médiévale, avec un don particulier pour la musique, nécessaire à la liturgie. En matière de grades universitaires, il ne s’est pas contenté de la maîtrise ès-arts, puisqu’il arbore par ailleurs les titres de « maître en médecine, docteur en lois, docteur en décret et docteur en théologie » ; le tout, selon les chroniqueurs, à vingt ans, en réalité à vingt-quatre2, ce qui ne change pas fondamentalement la donne, le cursus en théologie, le plus long, se terminant habituellement vers trente-cinq ans. Si l’on suit le Bourgeois de Paris, le jeune castillan

1

Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449, éd. C. Beaune, Paris, 1990, p. 429-432 ;

Chronique de Mathieu d’Escouchy, éd. G. Du Fresne de Beaucourt, Paris, 1863-1864, t. I, ch. VIII, p. 69-72.

Voir par ailleurs J. Havet, « Maître Fernand de Cordoue et l’Université de Paris au XVe siècle », Mémoires

de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. IX (1882), p. 193-222 ; T. et J. Carreras y Artau, Historia de la filosofia española. Filosofia cristiana de los siglos XIII al XV, Madrid, 1943, t. II, p. 283-284

et 642-649 ; O. Di Camillo, El humanismo castellano del siglo XV, Valence, 1976, p. 231-247 ; E. Wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge, Genève, 1979 (2e éd.), t. I, p. 148-149, et Supplément par D. Jacquart, Genève, 1979, p. 73.

2

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possède en prime le don des langues, puisqu’outre le latin, il est « très subtil en grec, hébreu, chaldéen, arabe et tous autres langues ». Enfin, en plus d’appréciables qualités de peintre et d’enlumineur qu’il a pu acquérir dans un studium monastique ou dans un atelier urbain, le surdoué est gratifié d’une mémoire et d’une faculté de mémorisation à faire pâlir le plus performant des clercs : il a de ce fait appris toutes les matières du cursus scolaire « par cœur » et connaît sur le bout des doigts « les quatre docteurs de la Sainte Église »3. Cette faculté à retenir sans trop de difficulté le contenu du moindre des livres qui lui tombe sous la main est corroborée par un bourgeois allemand de Neubourg-sur-le-Danube, dans une lettre adressée au chancelier de Brabant Goswin van der Ryt : Fernand aurait avoué avoir appris dans sa jeunesse en sept jours le Doctrinal d’Alexandre, une grammaire latine comptant pas moins de 2645 hexamètres, composée par le chanoine d’Avranches Alexandre de Villedieu (vers 1170-vers 1250). Assurément, la performance est belle !

Si le Bourgeois de Paris et Matthieu d’Escouchy font preuve d’une tendance à l’exagération, l’extraordinaire savoir de Fernand est bien réel. Une telle somme de talents à un âge si tendre4 nécessitait pour le moins un examen attentif et sans concessions de la part des membres de l’université, soucieux de préserver leurs prérogatives dans le monde des études. Ce fut chose faite en deux temps, et l’affaire ne fut pas loin de mal tourner pour le jeune érudit. Celui-ci passe tout d’abord devant une commission d’élite de cinquante clercs qui se tient au collège de Navarre. On lui pose alors, comme il convient à Paris, des questions de théologie auxquelles Fernand répond si bien qu’il est mis aux arrêts au terme de la dispute. Son savoir est en effet trop étendu et trop parfait pour pouvoir être naturel, et c’est probablement, pense-t-on, en raison de quelque commerce avec le diable que le jeune présomptueux parvient à mystifier les plus savants hommes de son temps. L’affaire ne pouvant en rester là, il comparaît alors devant une assemblée extraordinaire de « 3000 autres clercs » à Saint-Bernard et s’en sort une nouvelle fois avec brio. Certains théologiens parisiens s’empressent dans le même temps d’établir, à grand renfort d’auctoritates, le parallèle avec l’Antéchrist afin de lui ménager une fin des plus funestes. Mais fort de son succès, Fernand est relâché. Il fait une nouvelle démonstration de son savoir et de son talent devant le Parlement qui est un plein succès. Fernand a toutefois

3

Journal, op. cit., p. 430-431. L’identité de ses quatre docteurs reste incertaine. Il pourrait s’agir des quatre plus grands docteurs de l’Église, Augustin, Thomas d’Aquin, saint Bernard et Pierre Lombard.

4

La précocité intellectuelle n’est guère reconnue à une époque où les autorités en matière de savoir, de sciences, de lettres sont toujours représentées par des hommes ayant atteint l’âge mûr, voire l’état de vieillesse. Seul le Christ et certains saints incarnent la sagesse dès l’enfance. Cf. M. Pastoureau, « Enfants prodiges, enfants du diable », dans Le printemps des génies. Les enfants prodiges, éd. M. Sacquin, Paris, 1993, p. 27-33.

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senti passer le vent du boulet et, sagement, préfère quitter Paris pour joindre la Flandre et la cour du duc de Bourgogne. En 1446, il est de nouveau inquiété à Cologne, avant de rallier l’Italie, où il enseigne la médecine en 1447 à Bologne.

Au-delà de l’anecdote, l’aventure parisienne de Fernand de Cordoue illustre à merveille l’enjeu de pouvoir que représente l’accession au savoir pour l’élite cléricale de la société et montre à quel point trop sortir de la norme engendre chez ses tenants une envie qui se meut vite en suspicion et en rejet. Fernand était parvenu à maîtriser en quelques années ce que d’autres ne pouvaient apprendre en une vie (en cent ans disent les textes) et il avait court-circuité par la force des choses un cursus dont les règles et les programmes étaient pourtant fixés par les statuts universitaires. Il provoqua ainsi une très grande frayeur car il en savait « plus que ne peut savoir nature humaine ». L’étrangeté du personnage est d’autant plus grande que l’on ne sait pas exactement en quel lieu il a mené à bien ses brillantes études. Humiliés à domicile par un blanc-bec, les clercs parisiens, dont la fama ne saurait être mise à mal, penchent vite pour l’interprétation surnaturelle, en l’occurrence diabolique5. La haute idée qu’ils se font des écoles de la capitale du royaume

très chrétien, même à une époque où le rayonnement de celles-ci commence à s’amoindrir, et le puissant ressentiment qu’engendre la savante démonstration de Fernand les poussent sans difficulté dans cette voie6 ; leur formation de théologiens aussi, à une époque où les procès en sorcellerie commencent à battre leur plein aux marges du royaume et où les traités de démonologie, teintés d’inquiétudes eschatologiques, fleurissent. Le Bourgeois de Paris ne cautionne pas pleinement l’interprétation théologique et plus spécifiquement antéchristique qui est élaborée par certains des docteurs de l’université ; mais le cas de Fernand, aux limites du naturel et du surnaturel, lui pose un difficile problème d’analyse et laisse en définitive libre court à toutes les supputations.

De manière générale, et preuve de l’importance qu’il accorde au sujet, le Bourgeois est très enclin à faire état de la science de ses contemporains, notamment de

5

Sur la vanité des universitaires et le sentiment qu’ils ont de leur prestige à une époque où l’horizon de l’université parisienne se rétrécit fortement, cf. M. Mollat, Genèse médiévale de la France

moderne, Paris, 1970, p. 92-93. Cette analyse doit toutefois être tempérée par le sentiment que les

universitaires ont alors de la crise de leur institution. Leur raidissement est sans doute lié au fait qu’ils sentent leur position sociale remise en cause : cf. J. Verger, « Les universités françaises au XVe siècle : crise et tentatives de réforme », dans Ead., Les universités françaises au Moyen Âge, Leyde-New York-Cologne (Brill), 1995, IX, p. 228-255, en part. p. 232-233.

6

S. Lusignan, « Verité garde le roy ». La construction d’une identité universitaire en France

(XIIIe-XVe siècle), Paris, 1999, p. 261-277, not. p. 262, où sont rapportés, entre autres, les propos du

chancelier Jean Gerson tirés de son célèbre sermon Vivat rex (1405) : « L’université de Paris premiere et principale des estudes inspiree au premier homme de l’encommencement du monde en paradiz terrestre, descendue par succession aux Hebreux par Abraham en Egipte, comme dit Josephus, puys de Egipte a Athenes, puis de Athenes a Romme, puis de Romme a Paris. »

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ceux qui ne sont que de passage dans la cité et qu’il ne côtoie donc pas directement. Ainsi, peu avant que n’apparaisse Fernand de Cordoue sur la scène parisienne, il relate la venue du prédicateur Jean Creté en des termes qui font écho au portrait qu’il brosse du Castillan ; mais, malgré son jeune âge, le talentueux Franciscain doit à son origine moins exotique et à sa qualité d’homme de foi reconnu de ne pas faire l’objet de suspicions et de critiques. À l’évidence, la possession d’un savoir encyclopédique est d’autant plus suspecte qu’elle est utilisée à mauvais escient, à des fins jugées futiles ― le savant n’est pas un homme de foire ― ou pleines d’orgueil, ce qui n’est pas le cas de ce prédicateur, docteur en théologie apprécié de ses pairs :

« Item, en celui temps [vers août-septembre 1445], vint un jeune cordelier à Paris de la nation de Troyes en Champagne, ou d’environ, petit homme, très doux regard, et était nommé Jean Creté, âge de 21 ans ou environ, lequel fut tenu à un des meilleurs prêcheurs qui oncques eut été à Paris depuis cent ans ; et vraiment on ne vit oncques homme lire plutôt qu’il disait son sermon, et semblait proprement qu’il sut tout le Vieil Testament et le Nouvel, et toute la Légende Dorée et tous les anciens livres de toutes nations du monde, et oncques on ne le vit faillir de revenir à son propos, et partout où il prêchait, le moutier était tout plein de monde. »7

Matthieu d’Escouchy, lui, n’est pas un clerc. Par conséquent, il n’est pas tenté de faire la comparaison, même de manière implicite, entre son parcours et celui du jeune ibère et il ne nourrit pas le ressentiment de celui qui, au fond, a vécu une injustice. Mais il rend compte, en des termes équivalents à ceux employés par le Bourgeois de Paris, des inquiétudes, voire de la colère des clercs parisiens, tout en ajoutant un détail qui n’est peut-être pas innocent : en plus d’établir la comparaison avec l’Antéchrist, les « plus saiges » des membres de l’université se seraient demandés si le Castillan n’avait pas acquis sa science « par art magicque »8. On ne sait à quel type de magie il est ici fait allusion, et peut-être n’est-ce qu’un simple jeu sur l’origine espagnole de Fernand, la péninsule ibérique (mais en réalité plus Tolède que Cordoue) étant perçue comme la patrie des arts magiques depuis les traductions arabo-latines amorcées au XIIe siècle. Par ailleurs, bien des arts magiques qui circulent en Occident au milieu du XVe siècle ont

7

Journal, op. cit., p. 427-428 ; H. Martin, Le métier de prédicateur en France septentrionale à la

fin du Moyen Âge (1350-1520), Paris, 1988, p. 63-64.

8

Chronique, op. cit. : « En oultre, apprez qu’il fut party de Paris, comme dit est dessus, aucuns des plus saiges et renommez clercs de l’université, en bon nombre, se assamblèrent ensamble pour parler et avoir advis l’un aveuc l’autre de sa science, et enfin la matiere bien debattue, ne leur sambloit point estre possible, que, en l’espace de cent ans, ung homme peult aprendre et retenir ce qu’il savoit. Et à ceste cause y avoit des plus saiges, qui faisoient grant doubte, qu’il n’eust acquis sa science par art magicque, et que ce ne fust Ante-Crist, ou de ses disciples […]. »

(7)

pour enjeu le savoir universitaire dans sa totalité ou dans certaines de ses parties. Mais dès lors qu’il est question de maîtriser un savoir à la perfection, l’ars notoria, dont nous nous proposons ici de faire l’étude, apparaît bien placée. De quoi s’agit-il ?

L’art notoire est une tradition de textes de magie rituelle qui fait l’objet d’un développement spectaculaire à partir des premières décennies du XIIIe siècle, au moment même où se structurent les premières universités médiévales, à Bologne, à Paris, à Oxford. Cette diffusion se pérennise aux XIVe et XVe siècles et se poursuit, dans une moindre mesure, à l’époque moderne. Elle participe d’un phénomène de plus grande envergure qui consiste en l’introduction et en la propagation au sein de l’élite lettrée occidentale d’un savoir magique d’une ampleur et d’une variété sans précédent, liées pour l’essentiel aux traductions arabo- et hébraïco-latines des XIIe et XIIIe siècles9. La « magie rituelle », basée sur des rites et des cérémonies qui permettent d’invoquer ou de conjurer des entités spirituelles bonnes ou mauvaises, présente certaines caractéristiques dont Claire Fanger a récemment rappelé la teneur10 et qui la différencie, si l’on reste à un niveau très schématique, de la magie des talismans où les influences astrologiques jouent un rôle prépondérant11 : elle propose de longues et complexes opérations (le terme souvent utilisé est experimenta) qui tranchent avec les courtes recettes de la magie du haut Moyen Âge et promettent à leur utilisateur une grande variété de bénéfices ; elle émane d’un environnement lettré ― on se situe donc, avec des nuances, à un niveau de culture élevé ― qui la distingue de la sorcellerie d’extraction plus populaire ; elle utilise, voire exploite à sa convenance et à des degrés divers en fonction de son origine tout un fonds culturel et religieux judéo-chrétien, parfois augmenté, selon la provenance des archétypes, d’éléments arabes. Elle se divise schématiquement en deux branches : d’un côté, la magie démoniaque, encore appelée « nigromancie » (les anglo-saxons continuent d’utiliser le terme plus réducteur de necromancy, tiré du latin necromantia, à savoir la divination par l’esprit des morts), basée sur la conjuration des esprits mauvais ; de l’autre, la magie angélique, qui, eu égard à la nature des entités invoquées, se situe à la lisière du licite et de

9

Voir en dernier lieu J.-P. Boudet, Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval. Essai

de synthèse, Mémoire d’habilitation, Paris I-Sorbonne, 2003, 3 vol., à paraître aux Publications de la

Sorbonne.

10

C. Fanger, « Medieval Ritual Magic : What it is and why we need to know more about it », dans C. Fanger (éd.), Conjuring Spirits. Texts and Traditions of Medieval Ritual Magic, Stroud : Sutton Publishing, 1998, p. vii-xviii.

11

Sur cette dernière, voire l’impressionnant travail de Nicolas Weill-Parot, Les « images

astrologiques » au Moyen Âge et à la Renaissance. Spéculations intellectuelles et pratiques magiques (XIIe-XVe siècle), Paris, 2002.

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l’illicite. On pourrait ajouter qu’elle a suscité, quelles que soient ses formes, malignes ou bénignes, la plus vive opposition des autorités ecclésiastiques. Il faut donc garder à l’esprit que c’est ce rejet qui fonde aujourd’hui l’emploi moderne du terme « magie » pour désigner la totalité de ses parties quand la réalité est, cela va sans dire, beaucoup plus problématique.

Comparée aux autres textes de nature approchante, l’ars notoria se distingue fondamentalement sur deux points : d’une part, sa finalité est vouée quasi exclusivement à l’acquisition du savoir sous sa forme scolaire, des arts libéraux à la théologie ; d’autre part, elle met en scène des modus operandi qui laissent une place privilégiée aux anges et qui, bien que ritualisés, ne se définissent pas comme contraignants pour les entités invoquées. Divers traits du savoir de Fernand de Cordoue peuvent se rapporter à elle : tout d’abord, la maîtrise absolue de l’ensemble du savoir théorique médiéval dont il fait preuve ; ensuite, la possibilité de mémoriser rapidement, sans effort, l’ensemble des connaissances connues, qui est l’un des chevaux de bataille de l’ars notoria (parfois nommée ars memorativa à partir du XIVe siècle) ; enfin, la connaissance des langues anciennes dont fait état le Bourgeois de Paris lorsqu’il dresse le catalogue des aptitudes de Fernand, sans doute en partie fondée par la provenance hispanique de ce dernier (notamment en ce qui concerne l’hébreu et l’arabe), rappelle les langues prétendument en usage dans cette technique d’invocation des anges messagers du savoir divin, à la fois pour constituer les noms angéliques, mais aussi les mots étranges (verba ignota ou

mystica) qui constituent une part essentielle de l’art notoire et expliquent, aux yeux de ses

défenseurs, son extraordinaire pouvoir.

Si l’on ne peut conclure que Fernand de Cordoue est dépeint en sous main par nos deux historiographes (et en particulier par un clerc comme l’auteur du Journal parisien) comme un adepte qui aurait bénéficié des vertus miraculeuses de l’ars notoria, l’épisode en question atteste que le désir d’un apprentissage rapide et efficace fait partie de l’horizon d’attente des clercs médiévaux, tout en suscitant la plus vive méfiance de ceux qui ont eu à subir de longues années d’étude pour atteindre un rang enviable dans la société et, parfois, pour aboutir à un résultat qui n’était pas toujours au niveau de leurs espérances de départ. Dans ces circonstances, au moment même où tout un savoir nouveau inonde l’Occident et où le nombre des étudiants augmente, il ne faut guère s’étonner que des stratégies allant dans cette voie se soient développées et que des textes de « magie », dont l’un des plus beaux fleurons est l’ars notoria, aient joui d’un succès dont l’importance nécessite d’être réévaluée.

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Or, il y avait en la matière, au moment où nous avons entrepris ce travail sous l’impulsion de Colette Beaune et de Jean-Patrice Boudet, une véritable urgence. Le bilan historiographique était alors des plus maigres sur cette tradition de textes et cette pratique, et, plus largement, sur l’ensemble la magie rituelle médiévale. Et pour cause, c’est essentiellement au cours de ces toutes dernières années, au moment même où cette thèse s’élaborait patiemment, que des jalons ont été posés et sont venus nourrir notre réflexion.

Le premier qui a porté une certaine attention à l’ars notoria est Lynn Thorndike, dont la monumentale History of Magic and Experimental Science, bien qu’ancienne, reste le point de départ inévitable de toute étude sur la magie médiévale, ne serait-ce que pour trouver un premier recensement des manuscrits conservés12. Dans un chapitre consacré à l’image de Salomon magicien à l’époque médiévale, il passe en revue tous les textes de magie rituelle qui lui sont attribués à partir du XIIIe siècle et insiste tout particulièrement sur l’ars notoria que le roi hébreu patronne en compagnie d’Apollonius. Thorndike, sans se livrer à une étude en règle de la tradition manuscrite, fait le lien entre l’art notoire et des prières composées entre 1304 et 1307 par un moine bénédictin dénommé Jean (à savoir, nous y reviendrons, Jean de Morigny), de même qu’il établit la relation génétique entre l’ars notoria et une autre tradition de textes, l’ars Paulina, attribuée comme son nom l’indique à saint Paul. L’idée d’une pluralité de versions est ainsi posée, sans que l’on puisse pour autant en mesurer la portée faute de recensement exhaustif des sources. L’historien américain insiste par ailleurs sur la similitude entre le type de magie incarnée par l’art notoire et la théurgie néoplatonicienne tardo-antique décriée par saint Augustin dans un passage célèbre de la Cité de Dieu, mais il n’entre pas, là encore, dans une analyse de détail. Aussi, par delà l’ouvrage d’Elisabeth Butler consacré à la magie rituelle publié en 1949 et fondé sur des sources de l’époque moderne13

, faut-il attendre 1987 et un article pionnier de Jean Dupèbe pour que ce terrain quasi vierge de la recherche historique commence à être défriché14. L’auteur, sans s’attacher à retracer avec précision l’histoire du texte et à en répertorier les manuscrits, développe un point de vue qui s’inscrit dans la lignée de Thorndike. Le lien entre théurgie néoplatonicienne et ars notoria est en particulier mis en exergue. Il est par ailleurs affirmé que l’art notoire appartient « au groupe des magies judéo-grecques liées à la Sapientia Salomonis » et qu’à ce titre il apparaît en Occident dès le XIIe siècle « avec la traduction des œuvres scientifiques et

12

L. Thorndike, History of Magic and Experimental Science, New York, 1928, t. II, p. 279-283.

13

E.M. Butler, Ritual Magic, Cambridge, 1949, rééd. Stroud, Sutton Publishing, 1998.

14

J. Dupèbe, « L’ars notoria et la polémique sur la divination et la magie », dans Divination et

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magiques juives et arabes ». Autrement dit, même si Jean Dupèbe ne l’écrit pas en toutes lettres, ce texte serait en toute hypothèse le fruit d’une traduction ― sans que l’on sache au juste de quelle langue ― au même titre que des opuscules comme l’ars Almandel, traduit de l’arabe, ou le Sepher Raziel, issu d’un original hébreu. La présence de mots sans signification pour les latins et aux assonances « orientales » est du reste susceptible d’accréditer cette thèse. Regardant de près les manuscrits répertoriés par son prédécesseur, Dupèbe précise la relation entre l’art notoire et l’ars Paulina (qui en est une version « christianisée » tardive), puis procède à une première analyse du contenu avec pour arrière-fond les pratiques ritualisées des théurges des premiers siècles de l’ère chrétienne. Se situant entre magie et mystique, l’ars notoria serait pour l’essentiel l’apanage de moines opposés à une science universitaire jugée trop rationnelle.

Par la suite, alors que les études scientifiques sur les textes de magie rituelle médiévale trouvent leur véritable point de départ avec la publication en 1997 par Richard Kieckhefer d’un manuel de magie démoniaque conservé dans un manuscrit du XVe siècle15, deux articles sont consacrés à l’ars notoria dans le volume Conjuring Spirits édité par Claire Fanger l’année suivante. Le premier est l’œuvre de l’historien de l’art Michael Camille, qui entreprend une étude des « figures » et des « notes » qui accompagnent les traités et que tout bon praticien doit observer pour obtenir la révélation qu’il espère16

. L’auteur, et c’est un point important au vu de l’état général des sources médiévales de magie rituelle, met en avant la grande qualité des manuscrits qu’il a examinés et détaille les rapports que ces signes figuratifs étranges que des catalogues qualifient à tort de cabalistques entretiennent avec les diagrammes didactiques et mnémotechniques utilisés depuis le haut Moyen Âge dans la pédagogie médiévale. Le second, que l’on doit à Claire Fanger, se propose de mettre à jour la dette contractée par le moine bénédictin Jean de Morigny ― le « moine Jean » évoqué par Thorndike ― vis-à-vis de l’art notoire pour composer au début du XIVe siècle son Livre des visions de la vierge Marie, condamné en 1323 par la Faculté de Théologie de l’université de Paris17

. Cette démarche comparative passe bien entendu par une mise au point préalable sur l’ars notoria elle-même. Ne connaissant pas le travail antérieur de Jean Dupèbe, Fanger décrit, en se fondant sur des manuscrits représentatifs, l’architecture-type d’un traité, tout en pointant du doigt l’épais

15

R. Kieckhefer, Forbidden Rites. A Necromancer’s Manual of the Fifteenth Century, Sutton Publishing : Stroud-Gloucestershire, 1997.

16

M. Camille, « Visual Art in Two Manuscripts of the Ars Notoria », dans C. Fanger (éd.),

(11)

mystère qui entoure son origine. Elle répertorie par ailleurs quelques manuscrits supplémentaires qui enrichissent le premier inventaire de Thorndike, ce qui encourage à mener plus loin les investigations.

Enfin, à ce mince chapitre bibliographique, on peut ajouter l’article de Jean-Patrice Boudet paru en 2000, qui fait la synthèse des pistes explorées jusque-là tout en répertoriant un nombre de manuscrits plus importants et en posant de manière plus aiguë le délicat problème de l’origine18

. Faut-il voir en l’art notoire une résurgence de la théurgie antique, exogène et/ou endogène, via Byzance, comme on le laisse entendre depuis Thorndike ? Ou peut-on identifier une influence de la kabbale juive, voire de la magie arabe, et inscrire l’apparition du texte en Occident dans le mouvement des traductions espagnoles ? Les différentes pistes restent, de l’aveu même de l’auteur, bien difficiles à suivre ― ce que nous avons eu nous-mêmes, de manière conjointe, tout le loisir de vérifier ― mais en évoquant la première mention du texte par Gervais de Tilbury vers 1210, son attribution problématique à Virgile et le lien établi par Charles Burnett avec l’ars notaria sténographique, l’hypothèse d’un ancrage occidental apparaît désormais possible, même si elle reste très largement à étayer.

L’ars notoria pose ainsi au médiéviste qui ambitionne d’y voir plus clair toute une série de problèmes qui valent la peine d’être résolus ou pour le moins éclaircis, non seulement pour connaître son histoire spécifique, mais aussi pour mieux apprécier dans son ensemble ce pan de l’histoire culturelle médiévale qu’est la magie savante, en particulier son versant spirituel incarné par la magie rituelle ; un champ de l’historiographie qui, après avoir été laissé pour compte en ce qui concerne l’histoire des textes, connaît des développements spectaculaires depuis la fin des années 1980, notamment parce qu’il se situe à la croisée de domaines d’études souvent cloisonnés, religieux, culturel et scientifique19. Et il n’est pas jusqu’à l’histoire politique qui ne prenne désormais en compte les avancées en la matière20. Par ailleurs, cette monographie sur l’une des pratiques de magie rituelle les mieux documentées pour la période médiévale n’arrive pas seule, mais en conjonction avec les travaux de Nicolas Weill-Parot, de Claire

17

C. Fanger, « Plundering the Egyptian Treasure : John the Monk’s Book of Visions and Its Relation to the Ars Notoria of Solomon », dans Ead., Conjuring Spirits, op. cit., p. 216-249.

18

J.-P. Boudet, « L’ars notoria au Moyen Âge : une résurgence de la théurgie antique ? », dans La

magie. Actes du colloque international de Montpellier (25-27 mars 1999), t. III : Du monde latin au monde contemporain, Montpellier, 2000, p. 173-191.

19

(12)

Fanger, de Frank Klaassen, de Gösta Hedegård21 et surtout, pour le domaine qui nous occupe, de Jean-Patrice Boudet, dont les éditions de textes, les multiples découvertes dans les fonds manuscrits et le récent mémoire d’habilitation ont sans cesse apporté des contrepoints utiles pour mieux cerner les spécificités de l’art notoire.

Pour rendre compte des interrogations que pose un texte aussi étrange aux médiévistes, nous avons choisi, une fois n’est pas coutume, de procéder en deux temps. Une première partie est consacrée à tout ce qui touche de près ou de loin la tradition manuscrite et vise à clarifier un certain nombre de points jusque-là demeurés opaques. En premier lieu, l’importance à accorder à l’ars notoria au sein de la littérature latine et plus particulièrement parmi les diverses traditions de textes de magie qui se multiplient en Occident à partir du XIIe siècle. Pour mieux apprécier l’intérêt que ce type de production « littéraire » et de pratique a suscité au sein de l’élite culturelle de la société médiévale, un minutieux travail d’inventaire des sources a été en premier lieu nécessaire, dont les résultats, sur le plan quantitatif, ne peuvent s’apprécier que si l’on établit des comparaisons avec des textes de nature comparable (ou perçue comme telle par les censeurs) (ch. 1). Même si l’exercice est aride et ne se prête guère à des envolées lyriques, c’est alors seulement que l’on peut entreprendre un autre exercice minutieux, l’analyse des manuscrits et l’identification des leçons et des variantes, dans le but d’écrire, malgré la permanence d’inévitables zones d’ombre, l’histoire de l’ensemble de la tradition manuscrite (celle-ci reste-t-elle monolithique ou s’est-elle diversifiée au fil du temps ?) et apprécier quelles sont les modalités de l’écriture magique pour un texte attribué, comme beaucoup d’autres à l’époque, à une haute figure de l’Ancien Testament (ch. 2 à 7). L’examen des manuscrits les plus anciens et de sources externes contemporaines des premiers développements permet aussi, au fil de l’exposé, d’émettre un certain nombre d’hypothèses sur cette énigme qu’est l’origine de l’ars notoria (ch. 2.2. et 2.4.). La question n’est sans importance, puisqu’elle pose celle des contacts qui ont pu avoir lieu entre cultures latine, grecque, hébraïque et arabe aux XIIe et XIIIe siècles ainsi que sur la plus longue durée. Enfin, tout ce dépouillement codicologique et textuel a servi de base aux éditions de textes qui font office de troisième acte, dont l’importance est essentielle aux historiens pour œuvrer à des comparaisons fiables entre textes de magie, quand

20

Voir par exemple dernièrement C. Beaune, Jeanne d’Arc, Paris, 2004, ou encore B. Guenée, La

folie de Charles VI, roi bien-aimé, Paris, 2004.

21

En attendant, pour le domaine byzantin, l’étude d’Aurélie Gribomont en cours d’élaboration à Louvain.

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jusque-là on se basait bien souvent, non parfois sans quelques désagréments, sur des éditions tardives du XVIIe siècle ou sur des manuscrits médiévaux qui n’étaient pas toujours représentatifs22.

La seconde partie est pour l’essentiel un commentaire des textes édités avec pour toile de fond la question suivante : de quel type de magie s’agit-il vraiment, et peut-on du reste, si l’on fait un temps abstraction des conventions de langage entre historiens (que nous ne pourrons toutefois manquer d’utiliser), parler de magie pour la qualifier ? Pour y répondre, il faut s’attacher prioritairement à l’analyse des rituels qui sont prescrits pour jouir de la science infuse dispensée par Dieu et les anges. Mais cette entreprise ne va pas de soi : l’ars notoria n’est pas un manuel qui décrit de manière limpide les modalités de sa mise en pratique. Celle-ci est au contraire une épreuve que seuls les plus zélés, les plus animés par la foi vont pouvoir surmonter, notamment par le biais d’un obscur travail d’exégèse susceptible de reconstituer un rituel cohérent. Nous nous sommes livrés, pour chacune des branches de la tradition manuscrite que l’on a pu identifier, à ce jeu descriptif, sans pour autant prétendre avoir réussi de manière définitive au vu des ellipses, voire des incohérences textuelles. En tous les cas, les historiens à venir disposerons d’une base de travail plus sûre quand elle était jusque-là inexistante (ch. 1). Par ailleurs nous avons essayé de comprendre dans le même temps en quoi cet hermétisme volontaire a influé sur la destinée et la dynamique manuscrite de l’art notoire, retracées texte après texte dans la première partie.

Après cet indispensable travail de reconstitution et de description des rituels, il fallait encore en analyser les principaux constituants pour mieux saisir dans sa complexité et son ambiguïté la nature de l’ars notoria et établir des comparaisons avec d’autres textes de magie rituelle contemporains. Nous avons fait tout d’abord la part du mythe dans l’origine que s’attribue le texte (ch. 2), non seulement parce qu’elle met en avant le personnage de Salomon, à l’image si ambivalente à la fin du Moyen Âge, mais parce qu’elle détermine l’efficacité et la nature d’un modus operandi qui, fait sans équivalent à notre connaissance, veut trouver sa place parmi les sacrements pour preuve de son orthodoxie. Puis nous avons passé au crible de l’analyse les éléments qui font la vertu de l’art notoire (primat de l’intériorité, impératifs d’ordre temporel, langage et signes utilisés), avant d’en détailler, dans une optique comparative, les objectifs liés à la maîtrise du savoir (ch. 3 et 4). L’avant-dernier chapitre (5) pose la question de la mise en pratique

22

Le travail de Hedegård sur le Liber juratus d’Honorius de Thèbes se heurte par exemple à ce problème.

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du texte et essaie de faire le point, malgré le défaut des sources, sur ce que l’on sait des praticiens, quand le dernier (6) expose les griefs qu’ont nourri les autorités ecclésiastiques à leur égard à partir du XIIIe siècle jusqu’à l’époque moderne. Cette brève plongée finale dans le monde « renaissant » est aussi l’occasion d’apprécier l’attitude des mages du temps vis-à-vis de cette pratique magique représentative de l’âge scolastique, de même, à grands traits, que celle des humanistes, dont l’ironie mordante et le « désenchantement » font un beau point d’orgue.

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Première partie :

Transmission manuscrite et tradition(s) textuelle(s) de

l’ars notoria au Moyen Âge et à l’époque moderne

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1.1. Essai de dénombrement : manuscrits conservés, références d’inventaires médiévaux et conditions de circulation des traités d’ars notoria

1.1.1. Les manuscrits retrouvés

Dans un chapitre du second tome de son Histoire de la magie et de la science

expérimentale consacré aux ouvrages magiques attribués à Salomon1, l’historien

américain Lynn Thorndike procédait à un premier inventaire des manuscrits d’ars notoria conservés dans les bibliothèques d’Europe occidentale. Ajoutant aux cotes de manuscrits dûment conservés quelques références d’inventaires médiévaux, il dénombrait ainsi, en émettant il est vrai quelques réserves pour certains d’entre eux, pas moins de dix-huit manuscrits contenant ou ayant contenu un traité d’ars notoria2. Ce résultat avait de quoi impressionner et susciter l’intérêt, dans la mesure où il rendait compte de la diffusion manuscrite d’un art magique condamné à des multiples reprises au Moyen Âge, le plus souvent par des théologiens. En fait, après un examen attentif des références répertoriées par Thorndike, cette liste liminaire devait se réduire à quinze unités3 ; mais l’impression première demeurait : nous avions là l’indice d’une propagation non négligeable de l’ars

notoria dans l’Occident chrétien médiéval. Ce dénombrement précurseur était d’autant

plus digne d’intérêt qu’il concernait un art traditionnellement rattaché par les historiens à une catégorie de traités de magie — les ouvrages pseudo-salomoniens d’appartenance judéo-grecque, entrés dans l’Occident latin par le biais de la traduction aux XIIe et XIIIe

1 Thorndike, 1923, vol. II, p. 279-283.

2 Ibid., p. 281-283 : Cambridge, Trinity Coll. 1419 (1600) ; Erfurt, Stadt-und-Regionalbibl.,

Amplon. 4° 380 (XIIIe), Amplon. 8° 84 (XIVe), Amplon. 8° 79 (XIVe), Amplon. 4° 28 (1415), Math. 50 (Catalogue d’Amplonius de 1412) ; Londres, British Lib., Sloane 1712 (XIIIe), Sloane 3008 (XVe), Harley 181 (XVIe) ; Munich, Clm 19413 (Xe-XIe), Clm 268 (XIVe), Clm 276 (XIVe) ; Paris, BNF., lat. 9336 (XIVe), lat. 7152 (XIVe, en fait XIIIe), lat. 7153 (XVe), lat. 7170 A (XVIe) ; Oxford, Bodl. Lib., Ashmole 1416 (XVe), Ashmole 1515 (XVIe).

3 Il a en effet fallu retrancher : le ms Clm 19413 qui ne contient aucun traité d’art notoire (du reste

L. Thorndike émettait des doutes à son propos) ; le ms Ashmole 1416, XVe s. dont le fragment intitulé Ars

artium (fol. 123-124, cf. W.H. Black, Descriptive, Analytical, and Critical Catalogue of the Manuscripts Bequeathed unto the University of Oxford by Elias Ashmole, Oxford, 1855, p. 1128-1135) ne correspond pas

à l’ars notoria, mais renvoie à un manuel de nigromancie dont on trouve une copie dans le ms Oxford, Ashmole 1790 (Hic incipit ars artium, que primum scripta fuit per regem Salomon), et dans le ms Londres, British Lib., Sloane 3885 (fol. 2r : De modo administrandi liber sacrum : Hec ars artium et diuina ab

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siècles des œuvres scientifiques et magiques arabes et juives4 — dont beaucoup ont été

mal conservés (lorsqu’ils l’ont été) dans leur état médiéval ou dans leur forme la plus ancienne5. Il y avait donc là une différence de fortune des plus mystérieuses entre, d’un côté, l’ars notoria, qui jouissait d’une situation privilégiée, et, de l’autre, les autres textes de magie rattachés à la tradition pseudo-salomonienne. Cette distorsion jusqu’alors inexpliquée appelait quelques éléments de réponse. L’inventaire de Thorndike avait donc, par son caractère singulier, de quoi intriguer, et il était à lui seul un véritable appel à l’étude de la transmission manuscrite de cette tradition textuelle qui était visiblement bien implantée parmi les lettrés médiévaux.

Bien entendu, nous ne pouvions nous arrêter, avant d’entreprendre une étude plus complète, au seul inventaire établi par cet historien, bien qu’il ait été quelque peu étoffé par des études ultérieures6. Il nous fallait en premier lieu pousser plus avant le recensement afin de parvenir à un résultat susceptible de nous permettre de saisir au mieux les avatars de la transmission manuscrite des traités d’ars notoria. Un dénombrement aussi exhaustif que possible devait nous permettre de limiter au maximum les déformations de perspective (qui restent au demeurant inévitables) que pouvait induire un nombre trop important de lacunes au sein de la chaîne manuscrite. Ce travail de collecte, en grande partie collectif7, s’est avéré au bout du compte fructueux, plus même que nous ne pouvions l’imaginer au départ. La liste initiale établie par Thorndike s’est de fait considérablement allongée, puisque nous dénombrons à ce jour quelque 53 manuscrits qui nous transmettent une version complète, partielle, ou bien très fragmentaire de l’art

catalogue d’Amplonius qui ne correspond à aucun manuscrit conservé actuellement à Erfurt, comme nous le verrons plus loin.

4 C’est l’hypothèse défendue par Dupèbe (1987), p. 125. En fait, l’ars notoria n’est à ranger dans

cette catégorie que du fait de son attribution à Salomon ; car pour le reste, elle se différencie à bien des égards (par ses finalités, son modus operandi et son origine) des autres ouvrages connus de magie pseudo-salomonienne, comme le note Boudet (2000), p. 189. Cf. aussi infra, Ière et IIe partie.

5 Pour des exemples précis, cf. infra, Ière partie, ch. 1.2.

6 L. Thorndike et P. Kibre, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in Latin,

Londres, 1963. Apparaissent trois nouvelles références : p. 485 : Bernkastel-Kues, Hospitalsbibl. 216 (XIVe) ; p. 1369 : Graz, Universitätsbibl. 1016 (XIVe) ; p. 1550 et 1704 : Rome, Bibl. Pal., lat. 957 (XIVe).

7 Nous pouvons y associer Jean-Patrice Boudet, qui a activement participé à cette entreprise au gré

de ses recherches plus générales sur la magie rituelle dans l’Occident médiéval, et Frank Klaassen qui entreprenait, au moment où nous commencions notre enquête, de réaliser un catalogue descriptif des manuscrits de magie (rituelle, astrale, etc.) conservés en Europe. Cf. Boudet (2000), p. 182-183, pour un point récent sur les manuscrits conservés, auquel doivent être désormais ajoutées quelques références supplémentaires ; F. Klaassen, Religion, Science, and the Transformations of Magic : Manuscripts of Magic

1300-1600, (Ph.D), University of Toronto, 1999 ; voir aussi la liste publiée par ses soins sur le site internet

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notoire, en latin ou, dans de rares cas, en langue vulgaire8. Il faut ajouter à cela cinq manuscrits qui contiennent une extension tardive de l’art notoire, l’Ars Paulina.

Voici donc un premier tableau récapitulatif qui répertorie les manuscrits retrouvés et expose leurs principales caractéristiques (lieu de conservation, cote, tradition manuscrite à laquelle ils appartiennent et datation). Dans certains cas, la datation que nous proposons

8 On peut désormais ajouter les mss suivants : Cambridge, Trinity Coll. R.16.26 (1623) ; Cracovie,

B.J. 2076 (XIVe) ; B.J. 551 (XVe) ; Edimbourg, Royal Observatory Lib. Cr.3.14 (XVe) ; Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. 89 Sup. 35 (XVe) ; Glasgow Univ. Lib., Ferguson 50 (XIXe) ; Halle, Universitäts- und Landesbibliothek Sachsen-Anhalt, 14.B.36 (XVIe) ; Jérusalem, National Library, Var. 34 (1600) ; Klosterneuburg, CCl 221 (XIIIe) ; CCl 759 (XIIIe) ; Kremsmünster Stiftsbibliothek, CC 322 (XIVe) ; Leipzig, Stadtsbibliothek 829 (XVIIIe) ; Leyde, Univ. Lib., Vulcanius 45 (XIVe) ; Londres, British Lib., Sloane 513 (XVe), Sloane 3846 (XVIe), Sloane 3853 (XVIe), Harley 6483 (XVIIe) ; Munich, Clm 17711 (XVIIe) ; Paris, BNF, lat. 7373 (XIIIe) ; lat. 7154 (XVIe), Arsenal 824 (XVIIIe) ; Oxford, Bodl. Lib., Digby 218 (XIIIe et XIVe), Bodl. 951 (= 2871) (XVe), Bodl. 8908 = Jones 1 (1601) ; Prague, Bibl. Nat., ms. 267 (1431) ; ms. 1866 (XVIe) ; Raleigh 39 (XVIe) ; Rome, Bibl. Vat., lat. 3185 (XIVe-XVe), lat. 6842 ; Trapani, Biblioteca Fardelliana 175 (XVIIIe) ; Turin, Biblioteca Nazionale, E.V.13 (XIIIe) ; Vienne, Schottenkloster Scottensis-Vindobonensis 140 (61) (1377) ; Vienne, Österreichische Nationalbibliothek ms. 15482 (XIIIe) ; ms. 11340 (XVIIIe) ; Vorau, Chorherrenstiftsbibliothek, Codex Voraviensis 186 (CCCXIX) (XIIIe-XVe) ; Weimar, Herzogin Anna Amalia Bibliothek, Fol. 374/2 (XIVe-XVe) ; Wolfenbüttel, Guelf. 47.15 Aug. 4° (XVe) ; Yale Univ. Lib. 1 (1225, Mellon Collection).

D’autres références de catalogue étaient prometteuses, mais se sont avérées à l’examen être décevantes : Florence, Biblioteca Laurenziana, Plut. XXX cod. 29 (XIIIe), compilation qui comprend au fol. 84 : Aristotelis ars notaria. Inc. : Anima philosophorum inuestigans tandem uestigia salutatione premissa, etc. (Expl. au fol. 86v). Il s’agit d’un traité sur les notes sténographiques. Cf. Catalogus codicum latinorum

bibliothecæ mediceæ Laurentianæ sub auspicis Petri Leopoldi, Florence, 1778, p. 84-86 : Definit in notis

quibusdam scripture arcane, cum ipsarum interpretatione ; Rose, p. 303-324 ; E. Rostagno, « De cautelis brevationibus et punctis circa scripturam observandis. Trattato medievale di anonimo », Rivista delle

biblioteche e degli archivi, 11 (1900), p. 155-170, not. p. 156-157 ; Pseudo-Aristotle Latinus. A Guide to Latin Works Falsely Attributed to Aristotle before 1500, éd. C.B. Schmitt et D. Knox, Londres (Warburg

Institute), 1985, p. 18, n° 12. Nous remercions en outre le directeur de la Bibliothèque Laurentienne, F. Arduini, de nous en avoir apporté confirmation, car l’ouvrage est cité comme étant un ms d’ars notoria dans Alberto Magno, Speculum astronomiæ (éd. S. Caroti, M. Pereira, S. Zamponi, ss. dir. P. Zambelli), Pise, 1977, Appendice I : « I manoscritti dello Speculum astronomiæ », p. 130-132, et par Weill-Parot, p. 101.

Londres, Wellcome 110, (fin XVIe, 111 fol. in 4°), décrit par S.A.J. Moorat, Catalogue of Western

Manuscripts on Medicine and Science in the Wellcome Historical Medical Library, t. I, Mss written before

1650 A.D., Londres, 1962, p. 74, comme contenant un traité incomplet d’ars notoria (fol. 1-35) ; F. Klaassen nous a confirmé qu’il s’agissait d’un ouvrage de nature « nigromantique » attribué à Salomon.

Oxford, Bodl. Lib., ms Digby 29, (XVe, 305 folios), fol. 275-278 : « Ars notoria siue ars scribendi per characteres breuius ac facilius quam per literas », qui traite en fait de sténographie (= ars notaria).

Oxford, Bodl. Lib., ms Lyell 51, XIIIe-XVe s., fol. 122-127v. Ars memoratiua. Inc. : Inuoco auxilium altissimi Creatoris, ut ab illo summantur exordium, medium et finis. Quantum ad principium huius artis est notandum quod ars ista consistit in duobus punctis, scilicet in locis et in imaginibus, etc. ; Expl. : et ita approprianda huic ymagine signa adequate representatiua clausularum istius hystorie, etc. Deo gracias. L’incipit est proche du § Prol. - /glose/ de notre édition B de l’ars notoria, mais le contenu s’en éloigne fortement : cela confirme l’intuition de F.A. Yates, L’art de la mémoire, Paris (1975, trad. fr.), p. 128, selon laquelle l’ars notoria a pu avoir une certaine influence sur les traités de mnémotechnique (artes memorative) qui se répandent en Occident à partir du XIVe siècle et surtout au XVe siècle.

Oxford, Corpus Christi College, ms 233 : 7. Liber de arte notaria ; fol. 67. Inc. : Preciosa anima philosophorum inuestigans. Incipit similaire au ms de la Bibl. Laurenz : cf. H.O. Coxe, Catalogus codicum

mss. qui in Collegiis Aulisque Oxoniensibus hodie adservantur, pars II, Oxford, 1852, p. 95-96 ; ms possédé

par John Dee en 1583 : cf. E.R. James, Lists of Manuscripts formely owned by Dr. John Dee with Preface

and Identifications, Oxford University Press, 1921, n° 153. Tract. astrolobii. De significatione rei occultae.

De aëris dispositione. Tabula pro almanack. Ars notariatus. Aristotelis espistola de conservatione sanitatis. Rogeri Herefordensis computus. Compositio astrolabii. Planisphaerium. Alfraganus. Geber in Ptolomaei almagestum una cum aliis.

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contredit les estimations avancées par Thorndike ou par les différents catalogues que nous avons consultés. Nous ferons valoir nos arguments ultérieurement, dans les chapitres consacrés à la description et à l’analyse de chacun des manuscrits et des traités retrouvés :

- Tableau 1 : Inventaire des manuscrits par tradition textuelle et ordre chronologique supposé

Manuscrits Version Datation réelle ou supposée

Yale 1 = Y1 A Vers 1225

Erfurt, Amplon. 4° 380 = E1 A (sans figures) / Compil. Vers 1225

Londres BL, Sloane 1712 = L1 A / Opus operum Avant 1250

Turin E.V.13 = T1 A 3e quart du XIIIe

BNF, lat. 7152 = P1 A 2e ou 3e quart du XIIIe

BNF, lat. 7373 = P2 A / Fragmentaire 1ère moitié XIIIe

Klosterneuburg CCl 221 = Kn1 A / Fragmentaire XIIIe

Klosterneuburg CCl 759 = Kn2 A / Fragmentaire XIIIe

Oxford Bodl., Digby 218 = O1 A /Fragmentaire XIIIe et XIVe

Leyde Vulcanius 45 = Le1 A / Opus operum XIVe

Munich, Clm. 268 = M1 A XIVe

Vat. lat. 3185 = R1 A Vers 1340-1350

Munich, Clm. 276 = M2 A / Opus operum XVe

Vienne, ONB Cod. 15482 = V1 A2 /Opus operum/ Fragmentaire Fin XIIIe-début XIVe

Vat. lat. 6842 = R2 Opus operum/A-A2 XIVe

Graz 1016 = G1 A2 XIVe

Erfurt, Amplon. 8° 84 = E3 A2 / Fragmentaire XIVe

Guelf. 47.15 Aug. 4° = W1 A2 XVe

Edimbourg, Roy. Obs. Lib. Cr.3.14 = Ed1 A2 et Version abrégée / Très fragmentaire Milieu XVe Florence Laurenz., Plut. 89 Sup 35 = F1 A2 / Fragmentaire XVe

Kremsmünster CC 322 = Kr1 B XIVe

Cues 216 = C1 B XIVe

BNF, lat. 9336 = P3 B XIVe

Oxford, Bodl. 951 = O2 B XVe

Weimar, Fol. 374/2 = Wa1 B XVe

Cracovie, B.J. 2076 = K1 B / Fragmentaire XIVe

BNF, lat. 7153 = P4 B 1554

BNF, lat. 7154 = P5 B XVIe

Halle 14.B.36 = H1 B XVIe

Londre BL, Harley 181 = L4 Composite (B) XVIe

Raleigh 39 = A1 Composite (B) XVIe ou XVIIe

Ashmole 1515 = O3 B Fin XVIe

Jérusalem, Yahuda Var. 34 = J1 B 1600

Cambridge, Trinity Coll. 1419 = Ca1 B 1600

Oxford Bodl., Jones 1 = O4 B / Opus operum 1601

Erfurt, Amplon. 8° 79 = E2 Version abrégée Mi-XIVe

Vienne, Scot.-Vind. 140 (61) = V2 Version abrégée 1377

Cracovie, B.J. 551 = K2 Version abrégée Fin XIVe-début XVe

Erfurt, Amplon. 4° 28a = E4 Version abrégée Début XVe

Londres BL, Sloane 513 = L2 Version abrégée XVe

Londres BL, Sloane 3008 = L3 Version abrégée / Fragmentaire XVe

Palat. Lat. 957 = R3 Version de Thomas de Tolède Fin du XIVe

Prague 267 = Pg1 Fragmentaire 1431

Vorau, Codex Voraviensis 186 (CCCXIX) = Vo1

Fragmentaire XIIIe-XVe

Prague 1866 = Pg2 Fragmentaire XVIe

Londres BL, Sloane 3846 = L6 Fragmentaire XVIe

Londres BL, Sloane 3853 = L7 ? XVIe

Munich, Clm 17711 = M3 Non consulté XVIIe

Cambridge, Trinity Coll. R. 16.26. = Ca2 Fragmentaire (en anglais) 1623

Londres BL, Harley 6483 = L5 En anglais XVIIe

Vienne, ONB Cod. 11340 = V3 Non consulté XVIIIe

Paris, Arsenal 824 = P7 Composite XVIIIe

Glasgow, Ferguson 50 = Gg1 En français 1826

Mss. d’Ars Paulina

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Halle 14.B.36 = H1 Ars notoria = Ars Paulina XVIe

BNF, lat. 7170A = P6 Liber visionum et Ars Paulina XVIe

Leipzig, Stadtsbibliothek 829 = Lp1 Ars Paulina XVIIIe

Trapani, Fardelliana 175 = F2 Ars notoria et Paulina XVIIIe

La liste n’est sans doute pas close. La découverte de manuscrits supplémentaires peut, à tout moment, venir l’étoffer et, il convient de le remarquer, remettre en cause, dans le détail, un certain nombre de nos hypothèses (notamment sur ce qui a trait aux filiations que nous avons essayé de mettre en évidence), même si nous avons essayé de rester prudent et d’avancer à pas feutrés.

À ces manuscrits retrouvés, il faut également ajouter trois éditions imprimées qui datent du XVIIe siècle et sur lesquelles nous nous pencherons plus en détails au terme de notre étude de la transmission manuscrite de nos traités9.

1.1.2. Les manuscrits et leurs possesseurs dans les inventaires médiévaux Pour bien mesurer l’intérêt que les lettrés médiévaux ont porté à une pratique de magie rituelle telle que l’ars notoria, il faut aussi s’attacher à repérer les références présentes dans les inventaires de bibliothèques monastiques, universitaires ou princières, réalisés durant les derniers siècles du Moyen Âge. L’existence passée de plusieurs manuscrits nous est ainsi révélée, sans qu’il soit la plupart du temps possible, en raison de leur description laconique, de faire des rapprochements avec les manuscrits conservés. Malgré cet inconvénient de taille, il semble toutefois, dans la majorité des cas, ne pas y avoir de correspondance entre ces références anciennes et les manuscrits qui ont été sauvegardés, ce qui renforce l’impression de diffusion massive.

Une autre limite à notre travail de collecte est la confusion, toujours possible de la part des bibliothécaires médiévaux, entre ars notoria et ars notaria, cette dernière appellation renvoyant soit à l’art sténographique, soit à l’art de produire des documents notariés et juridiques10. Durant la phase de dépouillement des catalogues, nous avons

9 L’une est insérée dans une édition des œuvres de Cornelius Agrippa éditée à Lyon aux alentours

de 1600 : Henrici Cornelii Agrippæ ab Nettesheym […] Opera in duos tomos […] quibus post omnium

editiones de novo accessit Ars notoria, Lugduni, per Beringos Fratres, 1600 (?), p. 603-660, reproduite par la

maison Zetzner à Strasbourg peu de temps après ; l’autre est une édition anglaise établie à partir de l’édition Beringi : Ars Notoria : the Notory Art of Solomon, Shewing the Cabalistical Key of Magical Operations, the

Liberal Sciences, Divine Revelation, and the Art of Memory, With Commentaries by Apollonius of Tyanaeus,

éd. Robert Turner, 1657 (réimpr. en 1987). Cf. infra, Ière partie, ch. 6.3.

10 Par exemple, dans un inventaire de la fin du XVe siècle de la bibliothèque du cloître bénédictin

saint Ägidien de Nüremberg. Cf. Mittelalterliche Bibliothekskatalogue Deutschlands und der Schweiz, P. Ruf (éd.), Munich, 1934, p. 442 : B10 : Tractatus de arte notarie « Tractaturi de arte notarie » ; B11 :

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ainsi, à de multiples reprises, croisé la route de traités d’ars notaria, sans que l’on puisse rien savoir de leur contenu ; dans quelques cas, il n’est pas impossible que sous la rubrique

ars notaria se soient glissés de véritables traités d’art notoire. Notre inventaire de

références médiévales ne propose donc qu’une estimation a minima, dans la mesure où seules les mentions sûres ont été prises en compte.

Ces mentions sont importantes à plusieurs titres : d’une part, elles montrent que l’art notoire a eu un impact important sur les élites lettrées et qu’il a bénéficié, dans ces milieux, d’une audience dont nous pouvions à peine soupçonner l’importance avant que nous n’entreprenions notre enquête. En effet, de manière approximative, si l’on fait abstraction des recoupements toujours possibles entre références d’inventaires et manuscrits conservés, il s’avère que les références de catalogues médiévaux doublent approximativement le poids quantitatif des seuls manuscrits retrouvés ; d’autre part, quelques-unes de ces notices d’inventaires nous indiquent le nom de certains possesseurs de manuscrits d’ars notoria, ce que les exemplaires retrouvés ne font que très rarement, en particulier pour la période médiévale. Voici donc, dans le détail, toutes les mentions que nous avons pu extraire des inventaires médiévaux que nous avons dépouillés. Là encore, nous ne pouvons prétendre à l’exhaustivité, bien que nous ayons eu pour objectif de consulter le plus de catalogues possible.

1. En Italie, un traité d’art notoire se trouvait en 1311 parmi les quelque 612 volumes qui constituaient la partie de la bibliothèque de Boniface VIII conservée à Pérouse (cité fidèle au parti guelfe), dont Clément V a ordonné le déménagement pour Avignon en 1312, mais qui n’est jamais, semble-t-il, parvenue à destination11.

La bibliothèque de la famille ducale milanaise des Visconti était pourvue de deux exemplaires de l’art notoire en 1426, qui se retrouvent en 1459 dans la bibliothèque des

Apparatus notularum artis notarie domini Petri de Unzola. Instrumenta confecta pro contione reipublice « In nomine sancte » etc. Sur la distinction ars notoria/ars notaria, cf. infra, Ière partie, ch. 2.4.

11 F. Ehrle, Historia Bibliothecæ Romanorum Pontificum tum Bonifatianæ tum Avenionensis,

Rome, 1890, t. I, p. 92, n° 569 : « Item quosdam quaternos, in quibus est in principio quedam tabula ad inveniendum pascha, et postmodum sequitur calendarium, et postea sequitur Ars nova Salomonis, subsequenter sequitur Ars notaria, qui incipiunt post calendarium in secundo folio : omiseris, et finiunt in penultimo : terminus, et est cum eis unus alius quaternus de alia materia, et habent coperturam de carta grossa pecudina » ; A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris (Payot), 2003, p. 354. Pour l’histoire mouvementée de la bibliothèque pontificale durant la période de l’installation avignonnaise, cf. F. Ehrle, op. cit., p. 7 et suiv. ; M.-H. Jullien de Pommerol, « La bibliothèque de Boniface VIII », dans

Livres, lecteurs et bibliothèques de l’Italie médiévale (IXe-XVe siècles). Sources, textes et usages, éd. G.

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Sforza12, tandis que la bibliothèque apostolique du Vatican était dotée d’un exemplaire en 147513. Enfin, les mises à l’index inquisitoriales de Venise et Milan au XVIe siècle révèlent la présence d’autres manuscrits dans ces villes du nord de l’Italie, sans que l’on puisse en tirer la moindre donnée chiffrée14.

2. En France, si la nature des manuscrits de magie qui ont appartenu à l’Amiennois Richard de Fournival (1201-vers 1260) demeure à jamais inaccessible en raison du silence dont celui-ci a fait preuve à leur égard dans sa célèbre Biblionomia (vers 1250)15, on sait

en revanche que la bibliothèque du collège de Sorbonne contenait un traité d’ars notoria en 133816.

La bibliothèque de la chambre pontificale en Avignon — dans laquelle se trouvait des ouvrages en transit prêtés au souverain pontife par des collaborateurs — en comptait un à son tour en 1353 (sous le pontificat d’Innocent VI), mais le volume n’est pas ensuite

12 Indagini storiche, artistiche e bibliografiche sulla Libreria Visconteo-Sforzesca del Castello di

Pavia compilate ed illustrate con documenti inediti per curia di un bibliofilo, Milan, 1875, t. I, p. 27, n°

282 : « Ars notoria, coperta corio albo hirsuto. Incipit in rubrica : In nomine sancte et individue Trinitatis ; et finitur : Et impetrabis omnia supradicta sicut dictum est. ; p. 28, n° 286 : « Salamonis ars notoria, voluminis satis magni. Incipit : Alpha et O, et finitur : In omnibus erunt tibi obedientes, et est coperta corio rubeo » ; E. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au XVe siècle, Paris (CNRS), 1955, p. 135-136 (A.282 et A.286), p. 322 (B.696 et B.697). A.282 = B.696 : « Ars notoria coperta corio albo hirsuto. Incipit in rubrica : In nomine sancte et individue Trinitatis ; et finitur : Et impetrabis omnia supradicta sicut dictum est » ; A.286 = B.697 : « Salomonis […] Ars notoria uoluminis satis magni incipit : Alpha et O ; et finitur : In omnibus erunt tibi obedientes et est coperta corio rubeo ».

13 La bibliothèque du Vatican au XVe siècle d’après des documents inédits. Contributions pour

servir à l’histoire de l’humanisme, par E. Müntz et P. Fabre, Paris, 1887, p. 213. Il s’agit d’un inventaire

réalisé par le bibliothécaire Platina, le 18 juin 1475, sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484). Le traité d’art notoire est répertorié dans la catégorie Opera varia, parmi vingt-deux autres livres : n° 4 : Tractatus Artis notorie. Ex membr. In serico coloris varii. Il est possible qu’il s’agisse du ms Vat. lat. 3185 (XIVe s.) qui est toutefois, nous le verrons, d’origine anglaise.

14 J.M. De Bujand, Index de Venise 1549, Venise et Milan 1554, Index des Livres Interdits, vol. III,

Sherbrooke : Centre d’Études de la Renaissance, 1987, p. 412 et 434.

15 Richard de Fournival, Biblionomia, éd. L. Delisle, dans Le cabinet des manuscrits de la

Bibliothèque Naitonale, Paris, 1874, t. II, p. 520-535, not. p. 521 [prologue] : « Ceterum, preter illa quorum

fecimus mentionem, est et aliud genus tractatum secretorum, quorum profunditas publicis occulis dedignatur exponi. Ac proinde non est intentionis nostre ut inter prehabitos ordinentur ; sed eis deputandus est certus locus, neminem preter dominum proprium admissurus. Quare nec eorum descriptio pertinet ad hunc librum. » ; Richard dénombre 28 livres secrets en sa possession. Cf. aussi P. Glorieux, « Études sur la

Biblionomia de Richard de Fournival », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 30 (1963), p.

205-231 ; A. Berkenmayer, « La Bibliothèque de Richard de Fournival », dans Ead., Études d’histoire des

sciences et de la philosophie du Moyen Âge, Varsovie-Cracovie, 1970, p. 117-210 ; R.H. Rouse,

« Manuscripts Belonging to Richard of Fournival », Revue d’histoire des textes, 3 (1973), p. 253-269. Sur Richard, voir Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, p. 1266-1268.

16 L. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, t. III, p. 69, n° 76 : « Item

Ars notoria cum figuris ». Les mss de Richard ayant été cédés en 1272 au collège de Sorbonne par Gérard

d’Abbeville, il n’est pas impossible, bien que l’on ne puisse en avoir la confirmation, que ce traité d’art notoire soit une de ses anciennes possessions. Cf. R.H. et M.A. Rouse, « La bibliothèque du collège de Sorbonne », dans Histoire des Bibliothèques françaises, ss. dir. A. Vernet, t. I : Les bibliothèques

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entré dans la grande bibliothèque du palais, car nous n’en retrouvons pas trace dans le grand inventaire de 1369, réalisé durant le pontificat d’Urbain V17.

La librairie du Louvre, à l’époque des rois Charles V et Charles VI, n’a pas non plus été en reste, puisque les inventaires successifs réalisés entre 1364 et 1422 ne dénombrent pas moins de quatre manuscrits (dont un de nature incertaine), acquis à des dates différentes18. Nous émettrons plus loin quelques hypothèses quant à la façon dont ces exemplaires (ou au moins certains d’entre eux) ont pu parvenir jusque dans la bibliothèque de la famille royale française.

3.a. En Angleterre, trois traités d’ars notoria ont été recensés dans la bibliothèque de l’abbaye des Augustins de Cantorbéry lors d’un inventaire réalisé à la fin du XVe siècle (1497)19. Deux d’entre eux, les exemplaires numérotés 1538 et 160320, ont appartenu à un dénommé Jean de Londres. Ce frère augustin a cédé, à une date indéterminée dans le courant du XIVe siècle, quelque 83 volumes à la bibliothèque abbatiale21. Maintes conjectures se sont répandues sur son identité : plutôt que de voir en lui le « jeune Jean »

17 Historia Bibliothecæ Romanorum, op. cit., t. I, p. 227, XXII, 58 : « Liber de arte notoria in

quaternis cum quibusdam figuris ». L’ouvrage n’apparaît plus dans les inventaires avignonais de 1369 (sous Urbain V) et 1375 (sous Grégoire XI). Cf. aussi M. Faucon, La Librairie des papes d’Avignon, sa formation,

sa composition, ses catalogues (1316-1420) d’après les registres des comptes et d’inventaires des archives vaticanes, Paris, 1886 ; M.-H. Jullien de Pommerol et J. Monfrin, « La Bibliothèque pontificale à Avignon

au XIVe siècle », dans Histoire des bibliothèques françaises, op. cit., I, Paris, 1989, p. 147-169 ; Id., La

bibliothèque pontificale à Avignon et à Peñiscola pendant le Grand Schisme d’Occident et sa dispersion,

EFR, 141 (1991), 2 vol.

18 L. Delisle, Recherches sur la librairie de Charles V, vol. II, Paris, 1907. Il s’agit de

« l’inventaire général des livres ayant appartenu aux rois Charles V et Charles VI, 1364-1422 » : n° 710, 711, 712 et 713.

19 M.R. James, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover, Cambridge, 1903, n° 767, 1538 et

1603 ; S.H. Cavanaugh, A Study of Books privatedly owned in England 1300-1500, University of Pennsylvanie, 1980, p. 525-540 ; S. Page, Magic at St. Augustine’s, Canterbury, in the Late Middle Ages, Diss. : The Warburg Institute, 2000, non publié ; Id., « Magic in the Cloister », Societas Magica Newsletter, 7, printemps 2001, p. 1-4. Cette puissante abbaye a été un véritable centre d’études magiques au bas Moyen Âge. En dehors des collections magiques présentes dans la bibliothèque, on sait par exemple, grâce à la chronique de l’abbaye écrite par William Thorne, que les « arts noirs » ont été pratiqués durant l’année 1373 à plusieurs reprises et par plusieurs moines pour aider la communauté à retrouver de l’argent volé. Toutefois, aucun moine n’a été poursuivi pour avoir fait montre d’un intérêt en cette matière, en raison notamment de l’immunité dont bénéficiait cette abbaye vis-à-vis de la justice épiscopale.

20 Ibid. Le n° 1603 est probablement une copie du n° 1538, comme en témoigne le sommaire de

chacune de ces compilations : n° 1538 : « Miracula beate virginis et in eodem libro quedam extravagantia de papis. Quedam de sermonibus compilata. Ars notoria cum figuris. De anulis Salomonis. Tractatus de lepra et cura eius. Ciromancia in gallico secundum tres auctores cum omnibus varietatibus et signis pictis cum aliis J. de London cum S. », et n° 1603 : « Collectiones Joh. de London cum S. in quibus continentur primo tractatus de miraculis beate Marie virginis. Item quedam extravagancia de papis. Item de sermonibus quedam. Item Ars notaria Salomonis. Item liber De anulo Salomonis. Item tractatus de lepra et cura eius. Item ciromancia in gallico secundum .iii. translationes cum omnibus caracteribus et varietatibus figurarum pictis ».

Figure

Fig. géom. : fol. 16v    Nota  artis  eiusdem  facultatis : fol. 17r  1 ère   fig.  réthorique  :  fol
fig.  générales  +  fig.
Fig. incomplète : fol.
Fig. de mirab. + fig.
+4

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