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Datifs, restructurations, supports et matrices analytiques

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Amr Helmy Ibrahim

To cite this version:

Amr Helmy Ibrahim. Datifs, restructurations, supports et matrices analytiques. Cahiers du Cental, Presses universitaires de Louvain, 2010, pp.133-143. �hal-00486494�

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Amr Helmy Ibrahim

Linguiste - Professeur à l'Université de Franche-Comté

Directeur de Recherches Associé à l'Université de Paris-Sorbonne

amr.ibrahim@free.fr

http://crl.wik.is/User:Amr_Helmy_IBRAHIM

Datifs, restructurations, supports et matrices analytiques

Il n'est pas courant que, plongé dans la rédaction d'un livre où on a la prétention formidable d'apporter quelques réponses à de vieux problèmes, on soit, comme s'y voit contraint l'auteur de ces lignes, amené à relire des articles vieux de plus de trente ans et, divine surprise, à y remarquer des observations, des formulations, des exemples qui ont échappé à nos lectures successives et qui vont, une nouvelle fois, relancer notre recherche.

Probablement parce que ces articles sont porteurs d'une dynamique susceptible d'alimenter des approches éventuellement différentes voire contradictoires mais toujours cohérentes avec une méthode et une conception de l'objet de notre travail - le fonctionnement des langues - que l'on partage avec l'auteur et une partie de la communauté scientifique de la discipline.

L'article de Christian Leclère, "Datifs syntaxiques et datif éthique", publié dans un recueil au titre programmatique1, à côté d'une palette d'articles tout aussi novateurs et

stimulants, devait constituer, avec les deux articles qui le suivaient2, l'un des piliers de la

méthode qui a encadré notre dernière thèse de doctorat3 et nous guide toujours dans nos

recherches. Cet article n'aurait pas eu en nous la résonance qu'il a eue sans nos échanges avec l'auteur avant et après sa publication mais aussi sans le travail sur les restructurations de ceux que les familiers du LADL4 appelaient les garçons: Jean-Paul Boons, Alain Guillet et

Christian Leclère.

Pour qu'on voie le lien entre des aspects de la grammaire qui ne sont pas toujours présentés comme liés mais aussi pour qu'on comprenne mieux notre lecture du travail de Christian Leclère et ce que nous lui devons, nous nous permettons de rappeler rapidement ici différentes dimensions de cette notion de restructuration que tous les auteurs n'abordent pas toujours sous le même angle et sans laquelle l'explication de la différence entre les trois grands types de datifs amplement argumentée syntaxiquement par Leclère 1976, ne serait pas, à notre avis, possible.

1 Méthodes en grammaire française (1976).

2 "Sur quelques groupes nominaux complexes" où Maurice Gross expose sa "découverte" de la double analyse, première matrice des critères de reconnaissance des verbes supports - sans que les expressions double analyse ou verbe support ne soient mentionnées dans l'article - et l'un des piliers du cadre de référence méthodologique et théorique de ce qu'on appellera par la suite le lexique-grammaire. Et "Sur trois classes d'adjectifs: en marge de la transformation dite Tough Movement" où Lélia Picabia, en remettant en cause, à partir des données du français, une transformation fondée sur les données de l'anglais, ouvre la voie à une redéfinition radicale des relations entre transformations, restructurations et translations dans une perspective qui révèlera la profonde originalité du lexique-grammaire.

3 Étude comparée des systèmes verbaux de l'arabe égyptien, de l'arabe moderne et du français, 1979, Doctorat d'État de Linguistique, Université Paris 7.

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Travaillant, dans un premier temps, sur les locatifs dans la phrase simple, les garçons

– Alain Guillet, Christian Leclère et Jean-Paul Boons - estiment indispensable (1976 :

242-249) de relier une structure locative qu’ils baptiseront standard de type:

Ni V Loc Nj Les abeilles pullulent dans le jardin / L’eau dégouline du toit

à une structure qu’ils baptiseront croisée de type

Nj V de Ni Le jardin pullule d’abeilles / Le toit dégouline d’eau

tout en constatant que cette relation ne se vérifie qu’avec certains verbes et qu’un examen exhaustif du lexique verbal ne permet pas de faire coïncider le sous-ensemble pour lequel cette relation se vérifie avec un sous-ensemble sémantique clairement définissable. Ils ne parlent pas dans l’ouvrage de 1976 de restructuration mais c’est ainsi que la relation

standard / croisée sera qualifiée, en même temps que d’autres relations comparables, lorsque

Alain et Christian reviendront sur cette question à de nombreux endroits de leur livre sur les constructions transitives (1992) soulignant dès l’introduction son caractère central pour analyser la relation de la position des actants par rapport aux noms de lieux dans la phrase (pp. 27 à 31). Les phrases types sont :

Max charge le camion de caisses → Max charge des caisses dans le camion

Le doigt de Max parcourt la page → Max parcourt la page du doigt

De fait, parmi les garçons eux-mêmes, on pouvait toujours distinguer deux points de vue complémentaires, tous deux liés au mode de traitement de la sémantique dans le formalisme syntaxique du lexique-grammaire.

Le premier a été magistralement exposé dans l’un des plus courts et des meilleurs articles de linguistique que nous connaissions : « Métaphore et baisse de la redondance » de Jean-Paul Boons (1971). Il lie le caractère facultatif ou obligatoire de l’objet interne d’une classe de verbes au fait que l’énoncé soit pris au sens propre (objet interne facultatif) ou figuré (objet interne obligatoire) et le montre par le biais d’un type particulier de paraphrases aux équivalences imparfaites où les possibilités d’effacement -ou, selon la terminologie de Harris, de réduction - jouent un rôle central et qui sont toutes des restructurations 5:

Pierre a truffé le terrain ↔ Pierre a mis des truffes dans le terrain

5 Même si, là encore, le terme n'apparaît pas dans l'article. En fait, les restructurations sont mentionnées en tant

que telles pour la première fois par Maurice Gross (1975 : 142-143) parmi les transformations nouvelles qu’il propose pour «condenser en une seule entrée de nombreuses paires de constructions qui autrement devraient être considérées comme non apparentées». Il signale qu’elles ont leur origine conceptuelle dans la transformation de montée du sujet [raising] Il semble que Marie travaille Marie semble travailler mais aussi Paul voit que Marie travaille Paul voit Marie travailler ou Paul empêche que la table tombe Paul

empêche la table de tomber et propose de les généraliser à des paires du type Paul admire les qualités de

Marie Paul admire Marie pour ses qualités ou Paul réfrène les élans de Marie Paul réfrène Marie dans

ses élans ou encore Paul récompense le geste de Marie Paul récompense Marie de son geste. Il ajoute que

cette relation pourrait être étendue à des phrases « sémantiquement voisines » comme Paul châtie Marie

d’avoir fauté et Paul châtie la faute de Marie et qu’« une partie de la diversité que l’on observe dans les

contraintes sémantiques entre les N et les V pourrait donc être décrite au moyen de telles transformations et non pas au moyen de règles de sélection ». Et il poursuit « Nous aurions pour nos exemples :

NoV (Napp de Nhum) No V Nhum Prép Napp et Prep Napp serait éventuellement effaçable, y compris

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Pierre a truffé le terrain d’explosifs ← *Pierre a mis des truffes dans le terrain d’explosifs ← Pierre a mis des explosifs dans le terrain comme on y mettrait des truffes.

Pierre a farci la dinde.

Pierre a farci la dinde de riz ↔ Pierre a mis une farce de riz dans la dinde. * ?Pierre a farci son texte.

Pierre a farci son texte de citations ← * ?Pierre a mis une farce de citations dans son texte Pierre a mis des citations dans son texte comme s’il le farcissait d’une farce.

On notera, d'une part la fonction "explicative" de cet usage des restructurations, d'autre part le fait qu'elles sont toujours "réductibles" et participent donc de la propriété plus générale et à notre avis définitoire de la spécificité des langues naturelles, de produire des redondances génératrices de classes d'équivalence entre énoncés. Classes d'équivalence qui sont falsifiables dans la mesure où les redondances sur lesquelles elles se fondent sont contrôlables et mesurables par un jeu réglé de réductions / reconstructions. En effet les contraintes qui font qu'une restructuration, dans ce contexte, est ou n'est pas possible se confondent, d'une part avec les interprétations que l'on peut associer aux énoncés, d'autre part avec l'ensemble raisonné de leurs propriétés syntaxiques. Nous retiendrons systématiquement cette dimension dans l'élaboration de nos matrices analytiques définitoires (Cf bibliographie).

Le second point de vue doit énormément au premier, aux travaux des garçons jusqu’en 1976 (Rapport de recherche n°6 du LADL La structure des phrases simples en français :

classes de constructions transitives) et à Guillet & Leclère 1981 où est justifiée la dérivation

de J'apprécie Marie pour ma promotion à partir de J'apprécie Marie pour son action en

faveur de ma promotion - p. 108). On voit que la redondance y prend une extension qui lui

fait quitter le terrain aussi bien des mécanismes strictement syntaxiques que des mécanismes rhétoriques - notamment la métaphore et la métonymie-. Ce second point de vue est détaillé dans la discussion que nous avons développée (1979 : 485-550) dans le chapitre La relation

standard / inverse de notre thèse où standard recouvre à la fois les standard locatives classiques du type charger les caisses dans le camion et les standard datives du type amputer une jambe à Marie ou affecter un exposant à ce chiffre et où inverse remplace croisée et ne

concerne naturellement pas les mêmes sous-ensembles de verbes. Elle inclut par exemple les deux constructions d’assurer (assurer quelque chose à quelqu'un et assurer quelqu'un de

quelque chose). Il est également développé dans Ibrahim 1984.

Les restructurations ont, sous ce deuxième angle, dans ce qui sera le noyau de l'analyse matricielle définitoire, la fonction d’expliquer la nature du continuum syntaxique et sémantique qui relie des classes différentes de verbes de communication (notamment ceux des tables 9 Quelqu'un dit à quelqu'un Que P, 13 Quelqu'un informe quelqu'un de P et 15

Quelqu'un parle avec quelqu'un de P de Méthodes en syntaxe) voire de relier certains verbes

de mouvement (Tables 2 Quelqu'un court faire quelque chose & 3 Quelqu'un accompagne

quelqu'un faire quelque chose) aux verbes de communication (Quelqu'un envoie à quelqu'un un message où il dit que P conçu comme une réduction de Quelqu'un fait aller de l'endroit où il se trouve à l'endroit où se trouve quelqu'un des signes sous la forme d'un message dans lequel il lui dit que P) en partant de l’observation que les verbes sous-jacents aux structures

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paraphrastiques explicatives des structures comparées ne diffèrent et ne sont effaçables ou pas qu’en fonction de contraintes lexico-sémantiques très locales donc très peu régulières à l’échelle même des grands sous-ensembles du lexique et des mécanismes transformationnels courants.

Le datif et les notions de bénéficiaire et destinataire, jouent comme on l'a remarqué un rôle central dans l'analyse de ces constructions et la catégorisation de Leclère 1976 est cruciale pour explorer l'éventail - très large - des constructions en à N en français. Mais elle est, cette catégorisation, tout aussi cruciale pour comprendre comment les langues

grammaticalisent les rôles sémantiques. Nous disons bien sûr "les langues" non pas par un

réflexe hâtif de généralisation mais parce que dès le départ notre perspective avait pour objectif de tester le fonctionnement des analyses de l'ensemble des travaux du

lexique-grammaire sur toutes les langues qui étaient à notre portée et tout d'abord sur les différentes

variétés de l'arabe qui partage en nous avec le français le statut - malheureusement indispensable dans ce genre d'études eu égard à l'enchevêtrement et à la finesse des intuitions nécessaires pour valider les classes d'équivalence - de langue maternelle.

Méthodologiquement, la transposition de la démonstration de Leclère 1976 a commencé par la construction d'un paradigme de "communication" parallèle aux exemples de l'auteur:

(a) Paul donne un livre à Marie Paul dit un secret à Ola

(b) Paul vole un livre à MariePaul arrache un aveu à Ola

(c) Paul a fabriqué une table à MariePaul a fait une déclaration aux impôts Paul a truqué une déclaration aux impôts

(d) Paul a recousu ce bouton à MarieAli a réécrit cette déclaration à Ola

(e) Paul a ouvert cette porte à Marie Ali a corrigé ce discours à Ola

(f) Paul a donné un livre pour Marie * Ali a dit un secret pour Ola (g) Paul a donné un livre à quelqu'un pour Marie

* Ali a dit un secret à quelqu'un pour Ola

(h) Paul a cassé ces trois verres à Marie ? Ali a saboté ce discours à Ola

Ali a saboté son discours à Ola

Ali a concocté (un + ce + le + son) discours à Ola

(i) Paul a sali cette nappe à Marie ? Ali a transformé ce discours à Ola

Ali a transformé son discours à Ola

(j) Paul a fait une bronchite à sa mère # Ali a fait une épigramme à sa mère

La configuration de la forme transposée de (c) n'aura pas échappé à un oeil exercé. Il aura suffi de passer du N-concret table au N-parole déclaration pour que le verbe, résolument

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distributionnel, devienne, avec le N-parole un verbe support. Si l'on substitue faire au fabriquer

de l'exemple de Leclère aucun des constituants de l'énoncé (c) ne change de sens ou de fonction. Par contre, le passage de faire à truquer devant déclaration, modifie radicalement l'énoncé transposé. D'une prédication qui a pour noyau déclaration et qui autorise par conséquent la réduction du support faire – La déclaration de Paul aux impôts - on passe à une prédication centrée sur un truquer impossible à réduire. Avec pour conséquence naturelle que la double analyse de l'énoncé (c) dans sa version transposée avec faire : Une déclaration aux

impôts a été faite par Paul & Une déclaration a été faite aux impôts par Paul est impossible

avec fabriquer et truquer.

La construction avec un complément datif (à N-hum ) est caractéristique des verbes de

parole ou de communication. Pourraient-ils de ce fait nous éclairer sur le fonctionnement et la catégorisation des datifs ? Les datifs se comportent-ils différemment selon qu'ils sont régis par un prédicat verbal ou un prédicat nominal ?

Les prédicats de parole / communication qu'il s'agisse de verbes ou de noms sont, si l'on peut dire, constitutivement construits avec des datifs syntaxiques. Qu'il s'agisse de datifs spécifiants ou génériques. Cela apparaît clairement avec les énoncés transposés de (f) et (g) mais aussi, quoique indirectement, avec les contraintes de détermination qui apparaissent en (h) et (i). Enfin il semble que dans des constructions du type

Il te raconte l'histoire de France et de l'Antiquité en trois quarts d'heure

Il soit impossible de savoir si le pronom te est un destinataire générique – à quelqu'un, par

exemple toi – ou un témoin construit par l'énonciateur – je te le dis en te prenant à témoin de ce que je dis - . Alors qu'avec un verbe qui n'est pas de parole / communication comme:

Il t'expédie l'histoire de France et de l'Antiquité en trois quarts d'heure

le te est le plus naturellement interprété comme un datif éthique.

Nous avons fait l'hyptohèse que ces différences qui sont bien entendu liées à d'autres phénomènes trop longs à argumenter pour être exposés ici, comme la réflexivité (les réfléchis

datifs) – à partir de laquelle Leclère fournit également des pistes (1976: 79-81) ont leur source

dans la matrice des verbes de parole / communication.

Ces dernières prennent globalement les trois formes suivantes:

(1) Ali a écrit à Ola que les secours arrivaient Ali a produit des signes qu'il a envoyés à

Ola sous forme de texte écrit pour lui dire que les secours arrivaient

(2) Ali a informé Ola que les secours arrivaient Ali a fait parvenir aux oreilles d'Ola

l'information que les secours arrivaient.

(3) Ali a conversé avec Ola au sujet de l'arrivée des secours ↔ Ali a produit des paroles

dans le cadre d'une conversation avec Ola au sujet de l'arrivée des secours.

Les contraintes, qu'elles soient syntaxiques ou sémantiques, qui pèsent sur les verbes qui entrent dans le paradigme (1) de dire / écrire sont celles qui pèsent sur produire des signes /

envoyer / sous forme de texte écrit / que P alors que celles qui pèsent sur (2) dépendent de

structures sous-jacentes du type faire parvenir à N-pc le N-op que P tandis que celles qui pèsent sur (3) dépendent de produire des paroles / dans un cadre donné / au sujet de. Les

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éléments en italiques correspondent grosso modo à un développement - à première vue très libre - de ce que Leclère appelait des corrélats (1976: 74) c'est-à-dire des constituants explicitement ou implicitement liés à l'occurrence du prédicat, voire impliqués par cette occurrence. Nos matrices analytiques limitent elles la notion de corrélat à des constituants comme signes, paroles, forme, texte, cadre.

Habituellement, Christian Leclère, suivant en cela les pratiques des autres membres de la mouvance du lexique-grammaire n'intègre pas les "explications" qu'il donne à la structure des énoncés qu'il compare. Il est toutefois amené à le faire pour rendre compte de la spécificité du datif éthique par rapport au datif syntaxique étendu et au datif avec interlocuteur générique:

"Considérons maintenant la phrase:

Paul te fabriquera une table en vingt minutes

Selon que te représente un datif syntaxique étendu ou un datif avec interlocuteur générique, la phrase aura l'une ou l'autre des interprétations suivantes: soit Paul te fabriquera, pour toi

personnellement, une table en vingt minutes, soit Paul peut fabriquer une table pour quelqu'un, pour toi par exemple, en vingt minutes" (1976: 84 - nous soulignons en caractères gras la métalangue intégrée

à la langue selon la définition qu'en donne Zellig S. Harris6.)

Abordant ensuite le datif éthique Leclère écrit: "Il est cependant une troisième

interprétation, difficilement perceptible dans ce cas car elle est très proche de la seconde: te désignerait l'interlocuteur, ,non pas en tant que représentant générique (exemplaire) de toute personne pour qui Paul peut fabriquer une table en vingt minutes, mais en tant que témoin du fait (c'est nous qui soulignons) que Paul est capable de fabriquer une table en vingt minutes (éventuellement destinée à un tiers, ou même à personne" (1975: 84-85) mais il ne produit pas

tout de suite d'énoncé analytique décrivant le te datif éthique de l'énoncé étudié. Vers la fin de l'article il propose pour le datif éthique de la 2ème personne de "prendre comme phrase de base

une construction avec performatif du type Je te dis que P. Le te "descend" ensuite dans la phrase enchâssée et le performatif est effacé Je te dis que Paul loge une balle dans un croûton

de pain à trente pas → Paul te loge une balle dans un croûton de pain à trente pas". Pour la 1ère

personne il propose d'insérer un substantif opérateur – coup - : "Paul m'a attrapé une grippe

Paul m'  a fait le coup de  attraper une grippe" tout en incitant à être prudent et à

attendre "une étude plus générale sur les substantifs opérateurs se combinant avec faire" (1976: 94).

D'aucuns s'étonneront de voir surgir le concept de performatif à l'intérieur du noyau dur du lexique-grammaire ! D'autres regretteront que Christian n'ait pas repris pour dire l'étiquette harrissienne d'opérateur métaphrastique7. Mais il ne faut pas oublier que nous

sommes en 1976 et que la cartographie des notions clés du lexique-grammaire (les différents types d'opérateurs, les différents types de supports, leur opposition aux verbes distributionnels ainsi que les différentes formes de prédication) est, à l'époque, loin d'être établie. La situation est certes bien plus claire aujourd'hui même si les solutions proposées ne recueillent pas 6 Cf Harris 1968 & 2007.

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toujours le consensus qu'une application systématique des acquis de la méthode permettrait d'espérer.

Ainsi il serait plausible, dans le sillage des propositions et des mises en garde de Leclère 1976, de décrire et d'étiqueter ainsi les autres datifs éthiques qui illustrent l'article.

(4) Paul te fabriquera une table en vingt minutes

(4') Paul, je te le dis en te prenant à témoin de ce que je dis, fabriquera une table en

vingt minutes

Mais pas, bien qu'elle soit tout à fait acceptable:

(4") Paul te fait le coup de fabriquer une table en vingt minutes Par contre pour :

(5) Au Mont Saint-Michel la mer te monte à une vitesse !

Il peut y avoir hésitation entre:

(5') Au Mont Saint-Michel la mer, tu la vois8 qui monte à une vitesse ! elle t'apparaît qui monte à une vitesse !

et:

(5") Au Mont Saint-Michel la mer, je te le dis en te prenant à témoin de ce que je dis,

monte à une vitesse !

De même que pour:

(6) Paul te loge une balle dans un croûton de pain à trente pas

(7)

la proposition de Leclère

(6') Je te dis que Paul te loge une balle dans un croûton de pain à trente pas trouve un bon concurrent dans:

(6") Paul, tu le vois qui loge une balle dans un croûton de pain à trente pas

La décision ne relèvera plus ici d'une différence d'intuition mais d'un choix méthodologique et théorique lié au pouvoir de généralisation de la forme choisie et du type de restructurations qu'elle implique. Il est important notamment d'être au clair sur ce que sont dans ces différents énoncés faire, dire ou voir, étant entendu qu'ils n'ont pas dans les différents énoncés la même nature. Ainsi il est aujourd'hui pour nous tout à fait clair que la décision à prendre dépend de la conception que l'on a des verbes supports. Si effectivement

coup dans faire le coup de est un nom opérateur comme le soutient Leclère, il faut considérer

que le faire qui le précède est un verbe support mais que le faire qui apparaît dans

Il m'a fait une bronchite

ne l'est pas mais est un verbe générique (Ibrahim 2000b) qui se substitue à attraper, choper ou même ramener.

En 1976 l’orientation vers l’étude des grammaires locales au sein desquelles les restructurations s’avèreront centrales pour ne pas dire définitoires, n’en est qu’à ses débuts. La question de savoir si les paires liées par une restructuration, avec ou sans production de 8 Voir est ici un support de point de vue au sens où nous l'avons discuté dans Ibrahim 2005.

(9)

supports, d'opérateurs métaphrastiques ou autres catégories descriptives de la grammaire, ont ou non exactement le même sens n'est certes pas indifférent mais peut dans certains contextes s'avérer secondaire. Il est parfois beaucoup plus productif d’identifier des constantes dans la variation du sens qui affecte des paires différentes. La priorité est donc de comprendre et d’expliquer les causes des déplacements de sens entre des structures qu’il serait absurde de considérer comme non apparentées sous le prétexte qu’elles ne sont pas absolument synonymiques. Ainsi, l'attention portée sur les différents types de datifs en liaison avec des restructurations du type de celle que révèle la relation standard / croisée nous a-t-elle amené à étudier les paires :

Ali a (lancé + jeté) des cailloux (à + sur) Léa ↔ Ali a( *abreuvé + bombardé) Léa de

cailloux

Ali a (lancé + *jeté) des injures (à + *sur) Ola ↔ Ali a (abreuvé + bombardé) Ola d’injures

Mais aussi

Ali a chargé le camion de caisses ↔ Ali a mis dans le camion tout ce qu'il pouvait prendre

comme charge de caisses → Ali a chargé des caisses dans le camion.

vs

Ali a chargé Ola d'une mission ↔ *Ali a mis dans Ola tout ce qu'elle pouvait prendre comme

charge de mission ↔ Ali a fait porter à Ola la charge d'une mission → *Ali a chargé une

mission dans Ola.

où l'on voit clairement l'interdépendance entre les traits de sous-catégorisation lexicale (hum / non-hum, abstrait / concret), le type de restructuration et le choix des opérateurs paraphrastiques.

Le travail dans cette perspective a été un outil incontournable pour décrire mais aussi pour expliquer et justifier dans les années qui ont suivi différents types de réductions ou d’effacements. C’est le cas notamment lorsque, discutant des supports, Maurice Gross (1981: 17-41) écrit "La seule fonction des verbes supports est de porter le temps et la

personne-nombre. le véritable élément prédicatif est alors le nom (Vn) accompagnant Vsup la

nominalisation l'incorpore au Vsup (ou fusionne Vsup et Vn ce qui semble équivalent)" et qu'il renvoie au paragraphe 6 où il reprend [6.1], pratiquement sans changement, le travail de Ibrahim (1979) sur les verbes de communication. De même lorsqu'il formule la règle de

réduction associée aux constructions à support [p. 40].

Bref, et ce sera notre conclusion, les travaux de Christian Leclère, par leurs résultats et par les pistes qu'ils ont explorées et les perspectives qu'ils ont ouvertes ont été décisifs dans la sélection de bon nombre de propriétés syntaxiques que nous avons mobilisées et qui se sont avérées avoir une pertinence maximale dans le développement de notre modèle d'Analyse

matricielle définitoire (AMD). Ils nous ont permis de justifier la construction de tel ou tel type

de matrice analytique (Ibrahim 97) et d'argumenter la reconstruction la plus appropriée d'un support en fonction de sa trace morphosyntaxique (Ibrahim 1996, 1998, 1999 & 2000a).

Références

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(10)

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