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LE RENVERSEMENT PLANÉTAIRE : ÉVOLUTIONS
DÉMOGRAPHIQUES CONTEMPORAINES
Gérard-François Dumont
To cite this version:
Gérard-François Dumont. LE RENVERSEMENT PLANÉTAIRE : ÉVOLUTIONS DÉMO-GRAPHIQUES CONTEMPORAINES. Armées d’aujourd’hui, Sirpa, 1997, pp.28-31. �halshs-01162164�
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Afors qu'en 1900, la terre portait | 634 millions d'hommes, le
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I'Histoire de I'humanit6. Les progris 6conomiques et
m6di-caux modifient radicalement la vie des hommes, et multiplient
par trois son esp6rance de vie moyenne i la naissance.
Forum deten"l
"Les 6volutions d6mographiques contemporaines attestolt un renversement a u m o nd e .(...). L'Europe qui a d om i n6 le mo n de a u XI X'si bc le , peut devenir progressivement une r6gion de seconde importance, car son poids relatif ne cessed e d im in u er."
La long6vit6 de Jeanne Calment. d6c€d€e le 4 aoit1997 dI22 ans, slmrbolise cette r6volution d6mographique dont I'intensitd n'6tait pas pr6-visible : les mortalit6s infantiles, maternelles et infanto-juvdniles s'effondrent dans des propor-tions sup6rieures d 90 7o. Ainsi, les chances de survie des nouveau-n6s, des enfants, des femmes en couche s'accroissent prodigieuse-ment aprds les h6catombes provoqudes par la "faucheuse" depuis la nuit des temps. A cela s'ajoutent des progrbs m6dicaux qui permet-tent de prolonger l'existence des ain6s, notam-ment grdce aux thdrapies cardio-vasculaires. Ces changements
fonda-mentaux vont conduire la population mondiale au chiffre de 6 168 millions en I'an 2 000, selon les estimations moyennes. La croissance de la popu-lation mondiale se pro-longera au XXI" sibcle, h un rythme il est vrai consid6rablement ralenti.
En effet, le processus dit de "la transition d6mographique" d6crit deux dtapes diff6rentes pour les populations concern6es par la r6volu-tion ddmographique.
Dans une prerylibre phase, la mortalit6 baisse trbs rapidement sous I'effet de la g6n6ralisation des vaccinations, du meilleur suivi m6dical des femmes enceintes, du d6veloppement de I'hygiEne..., tandis que la natalitd reste approxi-mativement i son niveau ant6rieur. L'6cart entre une natalitd encore haute et une mortalit6 affaiblie se creuse et le taux de croissance est alors particuliErement 6lev6. Ce taux maxi-mum a €td constat6 d la fin des ann6es 1960
avec2l pour mille.
Depuis, la progression chiffrde de la popula-tion mondiale ralentit, car l'6cart entre natalit6 et mortalitd ne cesse de se r6duire. En effet, la premiEre diminue lorsque les populations
A rm6es d'aujour d'hu i n ' 225
b6n6ficient d'un meilleur taux de survie infan-tile. Et cette baisse de la natalitd d6passe celle de la mortalitd qui se poursuit grdce d un meilleur niveau de vie et les progrbs m6dicaux. Ainsi le taux de croissance de la population mondiale s'6tablit d L5 pour mille en 1997, en baisse de 28 % depuis une trentaine d'ann6es et la croissance de la popplation mondiale s'6lbve d377 7o pour I'ensemble du XX" sibcle. Compte tenu des 6volutions en cours, dont les effets continueront de s'exercer sur le long terme, les projections indiquent pour le XXI" sidcle une augmentation dont I'ordre de
gran-deur est quatre fois moins important, ph6-nombne de vitesse acquise, facilit6 par I'augmentation de I'esp6rance de vie des personnes dg6es. Cette 6valuation g6n6-rale connait d'impor-tantes diversitds selon les pays, voire les r6gions. Par exemple, le taux d'accroissement naturel en1997, nettement positif au Nig6ria (34 pour mille), au Bangladesh (20 pour mille) ou en Inde (1-9 pour mille), est plus faible en Chine (L0 pour mille) ou en Tharlande (9 pour mille). Modeste en Australie (7 pour mille), aux Etats-Unis (6 pour mille) et plus encore en France mdtropolitaine (4 pour mille) et au Royaume-Uni (2 pour mille) ; il devient mOme n6gatif dans une quinzaine de pays europ6ens qui enregistrent plus de d6cds que de nais-sances : la Russie, l'Ukraine, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, lt Roumanie, ...
Un paramitre strat6gique
Ces ffi6rences dans f6volution d6mographique ne sont pas insignifiantes : elles modifient le
o ru m d 6iens e t
" l s r a 6l n 'a ce sse de tenter d'apporter des 16ponses d 6 m o gr a p h iq u e s e n o r g a ni sa n t I' im m i g r a ti o n iuive, c e l l e de s F al a ch a s (n o tr e ph o to ) , c e l l e d e s j u i fs d'Union sovi6tique. " -tTlrlorrrrpoids respectif des populations nationales et prennent une rdelle importance strat6gique. Si la capacitl, techno-scientifique (et notam-ment la puissance nucl6aire) 6tait un critdre suffisant dans l'analyse g6opolitique du monde, selon les th6ories de certains, il n'est plus le seul et doit Otre pond6r6 par I'analyse du potentiel 6conomique, par la g6ographie des territoires, et par la dimension d6mographique. Par exemple, est-il possible de comprendre le conflit du Proche-Orient sans tenir compte de la v6ritable "guerre d6mographique" quasi permanente qui se livre sur ces territoires con vo itds p ar le s Isradl i e n s e t p ar l ep Palestiniens ? Le poids ddmographique relatif de ces derniers 6volue enleur. faveur pour trois raisons. D'abord, le taux de leur croissance naturelle est nettement plus 6lev6 : ir Gaza (peup16e de 380 000 habitants), 46 pour mille en 1997 ; en Cisjordanie (1,7 million d'habi-tants), 34 pour mille, contre L5 pour mille en Israel (5,8 millions d'habitants).
En second lieu, la croissance naturelle des peuples arabes d'alentour (comprenant sur leurs territoires plusieurs millions de Palesti-niens) est dgalement 6lev6e :33 pour mille en Jordanie, 27 pour mille en Syrie, 22 pour mille au Liban.
Troisidmement, la persistance de la question Pr och e- Ori en tale a contra i nt nomb re de Palestiniens h 6migrer, parfois au bout du monde, ces diasporas constituant progressive-ment des groupes de pression de plus en plus influents.
De son c6t6, Israel n'a cess6 de tenter d'appor-ter des r6ponses d6mographiques h ces 6vblu-tions en organisant I'immigration juive, celle des Falachas, celle des juifs d'Union sovi6-tique (dont il est acquis que nombre d'entre eux ne sont pas d'origine juive). En outre, une "guerre migratoire " d6chire J6rusalem-Est, oit des populations isra6liennes sont
implantdes sur des terres revendiqudes par les Palestiniens.
Le potentiel du sud
L'exemple isradlo-palestinien est embl6ma-tique : l'6volution du monde ne peut se com-prendre sans I'analyse des 6volutions d6mogra-phiques.
Avec des ressources humaines de plus en plus nombreuses et surtout plus jeunes, les pays du Sud disposent d'un potentiel consid6rable, pour peu que leurs pouvoirs politiques sachent les diriger intelligemment.
II en va de mOme pour l'Afrique du Sud, deve-nu leader r6gional, non seulement en raison de sa capacit6 d ddpasser I'apartheid en maitrisant les tensions ethniques, mais aussi par son poids dconomique et ddmographique. Avec 42,5 rtil-lions d'habitants, I'Afrique du Sud est I'un des trois pays d'Afrique Noire les plus peupl6s, aprds le Nig6ria (107,1) et le Congo (ex-ZaTre, 47,4 mlllions d'habitants). Economiquement, avec un produit int6rieur brut par habitant de 5 020 $, elle est le leader 6conomique de l'$.frique entidre, si I'on excepte des pays peu peupl6s et disposant de ressources exception-nelles (Lybie, Gabon) ou ayant r6ussi un remarquable d6collage 6conomique (Tunisie, ile Maurice, Seychelles et Bostwana), ou... le d6partement frangais de la R6union.
Les dvolutions d6mographiques contempo-raines attestent donc un renversement du monde. M0me si certains pays riches en res-sources naturelles, mais mal gouvernds, ris-quent de rester pauvres (dans quelques r6gions d'Afrique) et certains autres h6n6ficient de v6ritables "rentes", il n'en reste pas moins que la puissance 6conomique, et donc la capacit6 de ddgager des moyens finaniiers pour les besoins militaires, est plus favorable ld of le nombre de consommateurs est le plus 6lev6 et croit le plus rapidement. Dans ce contexte, I'Europe, tout en restant un march6 important av ec 7 29 millions d'habitants (Russie comprise), est un marchd en d6clin (accroissement ndgatif de sa population) face h I'Am6rique (788 mil-lions d'habitants et un taux d'accroissement naturel de 1.4 pour mille) et plus encore I'Asie (3 552 millions d'habitants et un taux de L6 pour mille).
La difficult6 d se rendre compte de ce renver-sement plandtaire tient au fait qu'il s'inscrit dans la longue dur6e : I'Europe, qui a domind le monde au XIX'sidcle, peut devenir progres-sivement une rdgion de seconde importance, car son poids relatif ne cesse de diminuer. Certains pourraient penser que cette 6volu-tion quantitative des popula6volu-tions est contra-ri6e par les phdnombnes migratoires. Il est certes exact que la dimension internationale 30
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des mouvements de population n'u ,"rrd i" croitre, cons6quence des "nouvelles logiques migratoires".
L'universalit6 dei migrations
On pense d'abord aux migrations de pauvret6 de populations qui quittent leur pays sans espoir. Nul doute qu'elles soient encourag6es par un triple ph6nomdne. D'abord, la r6volu-tion des transports dans le domaine maritime et plus encore dans l'espace a6rien, grdc-e ir un abaissement consid6rable des co0ts, rend accessibles des destinations autrefois inesp6-r6es. Par exemple, des milliers de Sri Lankais atterrissent en Suisse. Deuxidmement, des informations facilement disponibles sur les m6dias dirigent les mrgrants vers ile pseudo-eldorados. Or, ces informations sont de plus en plus accessibles. Ainsi, lors de la r6gularisation des immigr6s clandestins ddcid6e par le gou-vernement franEais en 198l", la presse turque diffus6e en Europe a jou6 son rdle d'informa-tion et un certain nombre de ressortissants, vivant notamment en Allemagne, a pass6 la frontidre pour entrer dans ce champ de r6gula-risation nouvellement connu.
En outre, I'internationalisation des migrations est un ph6nomdne qui se renforce de lui-mOme. Le pauvre dmigrant va oir se trouvent d6jd des compatriotes susceptibles de I'aider dans ses d6marches ir son arriv6e.
Mais ces migrations de pauvret6 ne sont qu'un aspect de I'universalit6 des migrations. Celle-ci esl 6galement le fait de la globalisation de 1'6conomi e. La mobilit6 des entreprises entratne une mobilit6 des hommes h presque tous les niveaux de la hidrarchie dans les entreprises. Les strat6gies commerciales appellent la mobi-lit6 de cadres commerciaux pour ddmarcher les diffuseurs locaux et cr6er des filiales de distri-bution. La crlation d'unit6s de production dans divers pays impose 6galement l'6migra-tion de personnels comp6tents, m6me lorsque la main-d'Guvre, agents de maitrise compris, est recrut6e sur place. Une r6alisation indus-trielle faisant appel d des technologies 6volu6es n6cessite immanquablement I'immigration de
Forum
. personnels qualifies.
Ces quelques exemples ont modifi6 la diversitd des migrations 6conomiques dont l'effet gdn6-ral est de tendre h rapprocher partout les stan-dards de vie. N6anmoins, les flux migratoires les plus massifs ne sont pas dOs aux mauvaises conditions 6conomiques, mais d des situations politiques allant jusqu'h l'extr6me ins6curit6 ; tout pays oi les civils subissent conflits et per-sdcutions devient un pays d'6migration : le Cambodge, le Lib6ria, I'Afghanistan I'Algdrie sont h6las suffisamment pr6sents ir l'esprit. La mesu re de 1 'e nsemble des migrations qu'elles soient politiques, 6conomiques, ou ddmographiques ne contredit pas le processus de renversement d6crit ci-dessus. En effet, m€me si les migrations vers les pays du Nord, et notamment I'Europe, restent d un niveau 6lev6, elles'sont largement minoritaires. En effet, les migrations entre pays du Sud repr6-sentent un flux nettement plus important que les d6placements Sud-Nord. C'est que le Sud est multiforme et d'importants mdcanismes migratoires, tels l'dmigration subsaharienne vers I'Afrique du Sud, ou l'6migration indon6-sienne vers le Sud-Est asiatique le traversent. La baisse relative de la puissance d6mogra-phique de I'Europe dans le monde semble donc certaine du fait des 6volutions naturelles et des ph6nomdnes migrhtoires.
Celte rlalit€ appelle une interrogation. La diminution quantitative de la population euro-p6enne ne risque-t-elle pas de s'amplifier en un affaissement qualitatif, si les effets de son vieillissement d6mographique portent trop atteinte d sa capacit6 d'adaptation et h son esprit d'innovation ? O
G6rard-Frangois Dumont, Recteur de I'Acad6mie de Nice, Chancelier des Universit6s NDLR: les propos contenus dans cet afticle n'engagent que la responsabilit6 de leur auteur.
Llj A 'l:1,t r-r' "L'Asie : 35 5 2 m il l io ns d'habitants et un taux d'accroissement naturel de l6 po u r mi l le ."
