COLLECTION J. BRÉMOND
LES ÉCONOMISTES NEO-CLASSIQUES,
DE L. WALRAS À M. ALLAIS,
DE F. VON HAYEK À M. FRIEDMAN
J a n i n e j î R É M O N D Agrégée de l'Université
Professeur de Sciences économiques et sociales Maître de conférence
à l'Institut d'études politiques de Paris Chargée d'enseignement
à l'Ecole normale supérieure (Ulm)
HATIER
Symboles utilisés
Page de couverture : Léon Walras
@ HATIER PARIS SEPTEMBRE 1989
Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tous procédés, en tous pays, faite sans autorisation préalable, est illicite et exposerait le contrevenant à des pour- suites judiciaires. Réf. loi du 11 mars 1957. \
I S B N 2 - 2 1 8 - 0 2 4 6 1 - 6 i
Sommaire
PRÉSENTATION DE L'OUVRAGE
Quand les problèmes pédagogiques peuvent masquer
des problèmes de fond 12
La pensée néo-classique traditionnelle 13
Une boîte à outils 14
Les économistes néo-classiques actuels 15
PREMIÈRE PARTIE :
LA PENSÉE NÉO-CLASSIQUE TRADITIONNELLE
Trois pères fondateurs 18
... Trois courants néo-classiques traditionnels 18
Homogénéité et diversité 19
1. LA NAISSANCE
DE LA PENSÉE NÉO-CLASSIQUE 21
Du défi de la théorie de la valeur-travail 21
... à la valeur-utilité 21
De la valeur-utilité à l'analyse à la marge 24
... et au principe de substitution 27
Les rapports de prix reflètent les rapports d'utilité 28 Du problème de l'affectation des ressources rares
à l'approche en terme de marché 29
L'« homo economicus » 31
La modélisation mathématique, une caractéristique de la
pensée néo-classique ? 32
Pensée néo-classique, défense du libéralisme économique
ou de l'économie de marché ? 34
2. LES PRÉCURSEURS 35
Au début des années 1870 35
• Arsène Jules Dupuit 36
• Augustin Cournot 37
. Hermann Heinrich Gossen 37
• Heinrich von Thunen . . . 38
... Trois textes fondateurs 39
... Trois cohérences différentes 39
3. L'ÉCOLE DE LAUSANNE 43
Léon Walras 43
La logique de l'économie pure 43
La logique de l'équilibre général 44
Le modèle de l'équilibre général 45
De l'ajustement par la flexibilité des prix
... au tâtonnement vers l'équilibre 48
Les hypothèses du modèle 49
La défense de la modélisation mathématique 51 Economie de marché et défense de la propriété
ne sont pas toujours synonymes 51
Le point de départ d'une première série de travaux
en terme d'équilibre général 53
Principaux ouvrages de Léon Walras 54
Francis Edgeworth 54
Le principe des courbes d'indifférence 55
La ligne des contrats 56
Vilfredo Pareto 57
Un sociologue discuté 57
Crises économiques et anticipations des agents 57
L'optimum économique 57
L'intégration des courbes d'indifférence à la logique
walrasienne 58
Principaux ouvrages de Pareto 58
Oscar Lange 59
L'approque de l'équilibre appliquée aux économies
centralement planifiées 59
4. L'ÉCOLE ANGLAISE 61
Concilier l'approche nouvelle et la tradition classique
anglaise 61
L'école de Cambridge . . . 61
William Stanley J e v o n s 62
Une pensée multiforme 62
Principaux ouvrages de W.-S. Jevons 62
Alfred Marshall 63
Une volonté de synthèse et de réalisme 63
L'équilibre partiel 65
L'hypothèse « toutes choses égales par ailleurs » 65 Le rôle du temps, un problème majeur
pour l'économiste 66
De mauvaises réponses à de bonnes questions ? 69
L'intervention de l'État 73
Principaux ouvrages d'Alfred Marshall 76
Arthur Cecil Pigou 76
L'économie du bien-être 76
Le produit marginal social diffère du produit margi-
nal privé 77
... Ce qui conduit à admettre certaines interventions éco-
nomiques et sociales de l'Etat 79
La question des externalités, un problème théorique
majeur 81
La baisse des salaires comme moyen de réduire le
chômage 82
L'exploitation au sens de Pigou 82
L'effet Pigou 83
Principaux d'ouvrages d'A.-C. Pigou 83
5. L'ÉCOLE DE VIENNE 85
L'école de Vienne est-elle néo-classique ? 85
Carl Menger 86
Friedrich von Wieser 87
Eugène von Bôhm Bawerk 88
F. von Hayek ou l'esprit du courant autrichien 90 Le souci de justice sociale et d'égalité peut mettre
en cause la liberté 90
L'individualisme méthodologique 93
La supériorité du marché 93
L'explication des crises économiques . . . 94
Le retour actuel à l'analyse de Hayek 96
Principaux ouvrages de F. von Hayek 96
Critique de l'approche quantitative et f o r m a l i s é e . . . . 97
J o s e p h Schumpeter 99
Hommage à Walras 99
L'analyse du processus de croissance 101
L'innovation justifie le profit 102
Le retour actuel à l'analyse de Schumpeter 103 Déclin et renouveau de l'école autrichienne 103 Au-delà des différences, quels points c o m m u n s ? . . 104 Oppositions théoriques,
oppositions en terme de « politique économique » . . . . 104
Quatre convergences majeures 104
Un modèle de référence 105
DEUXIÈME PARTIE : LA BOITE À OUTILS DE
L'ÉCONOMISTE NÉO-CLASSIQUE
Les outils de l'économiste néo-classique 108 MINI-DICTIONNAIRE
DE L'ÉCONOMIE NÉO-CLASSIQUE 109
6. LES OUTILS MATHÉMATIQUES PRÉFÉRÉS
DES NÉO-CLASSIQUES 117
Qui a peur d e s mathématiques ? 117
Repérer les outils mathématiques les plus couramment
utilisés 117
Décrypter leur sens économique 117
La signification d e s fonctions continues 118
Les fonctions d'une variable 118
Les fonctions de plusieurs variables 118
La signification économique de la continuité 120
La signification d e s dérivées 122
Un exemple : l'utilité marginale 122
Un autre exemple : l'élasticité . . . 127
La signification des fonctions h o m o g è n e s 128
Les fonctions homogènes de degré un 128
Fonction homogène de degré zéro 129
Quelle fonction homogène choisir ? 130
La rémunération des facteurs à la productivité marginale 131
La signification de la convexité 132
La convexité des courbes d'indifférence 132
Convergence et divergence 135
Un exemple, le cobweb 135
La convergence ne va pas de soi 136
Les mathématiques, un outil qu'il faut savoir interpréter. 137
7. LE MODÈLE NÉO-CLASSIQUE DE RÉFÉRENCE . LES FONDEMENTS
DE L'ÉQUILIBRE MICRO-ÉCONOMIQUE 139
L'analyse du comportement du c o n s o m m a t e u r 139 La consommation est limitée par la contrainte budgétaire 140 Le consommateur tient compte de l'échelle de ses
préférences 141
L'équilibre du consommateur 142
La demande individuelle par rapport au prix 142 La demande sur le marché par rapport au prix 144 L'analyse du comportement de l'entreprise 144
L'analyse de courte période 145
L'analyse de longue période 150
Pour mieux comprendre la productivité marginale 154
LA MACRO-ÉCONOMIE TRADITIONNELLE 156
Les fonctions de production agrégées 156
La question de l'agrégation des fonctions de production . 157
La fonction de Cobb-Douglas 159
Les fonctions agrégées et la répartition des revenus 160 De la théorie de la répartition au chômage volontaire . . . 161 Logique néo-classique dominante en matière
de répartition des salaires 162
La pertinence des hypothèses . . . 163
TROISIÈME PARTIE :
LES ÉCONOMISTES NÉO-CLASSIQUES AUJOURD'HUI
8. APPROCHE NÉO-CLASSIQUE ET CRITIQUE DES
IDÉES KEYNÉSIENNES 167
Un exemple : Friedman et la politique monétaire 167 La résurgence des idées autrichiennes 168 Un second exemple : les contrats implicites 169 Les difficultés qui en résultent dans la classification
des économistes par grand courant de pensée 171 Points communs et diversité des économistes néo-
classiques actuels 171
Qui sont les néo-classiques actuels ? 173 9. CONNAITRE LES CRITIQUES DE LA PENSÉE
TRADITIONNELLE POUR COMPRENDRE
LES NÉO-CLASSIQUES ACTUELS 175
Les principaux pôles de la critique 175
La question des coûts 177
La critique de l'« homo economicus » 178 La critique du modèle de marché du travail 179 Le salaire, un prix de nature différente des autres prix .. 180 La question de la décision d'épargner 180 La question des fonctions de production agrégées 181 La non-prise en compte des délais d'ajustement 182 Quelques critiques marxistes de la pensée néo-classique .. 183
La monnaie n'est pas neutre 184
10. LE COURANT NORMATIF DE L'ÉQUILIBRE 185 Résoudre les problèmes de l'approche traditionnelle . . . 185
Le modèle Arrow-Debreu 185
La théorie de la valeur 186
La question de la stabilité de l'équilibre 190
Des limites de validité précises 190
L'œuvre de K.-J. Arrow 194
L'œuvre de G. Debreu 194
La théorie des jeux et les modèles edgeworthiens . . . 195 Des conclusions ambiguës . . . 195
M a u r i c e Allais 196
Une nouvelle perspective 196
La méthode scientifique en économie 197
De la critique des prémisses habituelles de la théorie de
l'équilibre général 201
... Au concept de « surplus distribuable » 201
L'individualisme relativisé 202
Le paradoxe d'Allais 202
Les leçons d'économie appliquée 203
Quelques ouvrages essentiels de Maurice Allais 205 Du c o u r a n t d e la s y n t h è s e
a u x m o d è l e s d ' é q u i l i b r e n o n w a l r a s i e n s 206
La logique du corridor 207
Le courant du déséquilibre est-il néo-classique ? 207 11. MONÉTARISME, ANTICIPATIONS RATIONNELLES
ET cc CHOIX PUBLICS » 209
Q u ' e s t - c e q u e le m o n é t a r i s m e ? 209
Le monétarisme de Milton Friedman 210
La relation inflation-chômage 211
Le contrôle de la masse monétaire 213
Défense des taux de change flexibles 214
Critiques internes, critiques externes 214
L ' œ u v r e de Milton Friedman 216
Le monétarisme mondial 217
Le monétarisme autrichien 217
L e s d i f f é r e n t e s a p p r o c h e s
d e s a n t i c i p a t i o n s r a t i o n n e l l e s 218
Le concept d'anticipation rationnelle 218
Le concept de marché efficient 218
Le modèle des anticipations rationnelles de Lucas et
Sargent : deux hypothèses 218
La critique de l'hypothèse d'anticipations rationnelles . . . 219 Distinguer hypothèse des anticipations rationnelles
et modèle des anticipations rationnelles 221 L ' é c o l e d e s c h o i x p u b l i c s 223
Buchanan et Tullock 223
La logique d'ensemble de l'école du « Public Choice » .. 224
12. LA NOUVELLE MICRO-ÉCONOMIE
NÉO-CLASSIQUE 227
Y a-t-il une crise de la micro-économie ? 227
Une approche multiforme 228
Laffer, symbole de la nouvelle économie de l'offre . 229
La courbe de Laffer 229
Réduire le pouvoir de syndicats et accroître la flexibilité
des salaires 230
L'extension du raisonnement économique
à d e s domaines nouveaux 231
La théorie du capital humain 231
Crime et châtiment, mariage et natalité 231 L'école ultra-libérale des droits de propriété 232
Hayek et l'ordre naturel du marché 232
Ronald Coase 232
La concurrence imparfaite 235
Stigler et le « Job search » 235
L'ef ficience-X 236
Fragilité de la nouvelle micro-économie 239 CONCLUSION . . . 241 INDEX . . . 245
Présentation de l'ouvrage
La connaissance de la pensée néo-classique s'impose à un double titre. Non seulement la pensée néo-classique est domi- nante en économie, mais son influence sur les politiques éco- nomiques des grandes puissances, au cours des dix dernières années, a été telle que l'on ne peut pas comprendre la vie éco- nomique actuelle sans référence à ses analyses. De Reagan à Thatcher, de Rocard à Gorbatchev, aucun des leaders poli- tiques ne peut éviter de prendre partie face aux analyses et aux « conseils » des économistes néo-classiques.
Le propos du présent ouvrage est de fournir au lecteur, quelles que soient ses connaissances préalables en économie et en mathématiques, les moyens de cerner ce qu'est la pen- sée néo-classique, y compris dans ses développements les plus récents, et de lui fournir les outils méthodologiques et théo- riques lui permettant d'accéder plus aisément et de façon plus efficace à la lecture des ouvrages néo-classiques.
Quand les problèmes pédagogiques peuvent masquer des problèmes de fond
En matière d'initiation à l'économie, la démarche tradition- nelle consiste à masquer les différences entre courants néo- classiques et à présenter, sans critique aucune, un modèle de référence qui date des années 30 et dont les faiblesses ont été reconnues par les plus grands économistes néo-classiques actuels. Une telle approche bloque la réflexion dans la mesure où elle ne laisse place ni au développement d'une pensée cri- tique ni à la compréhension de la pensée moderne.
L'approche adoptée dans cet ouvrage est radicalement dif- férente ; il s'agit, ici, de présenter la pensée néo-classique dans son ensemble et dans sa diversité en mettant en évidence à la fois les résultats et les problèmes qu'elle rencontre.
Si la connaissance des économistes néo-classiques s'impose, sa maîtrise se heurte à deux types de difficultés qu'il importe de préciser pour mieux les surmonter.
La difficulté la plus évidente est liée au fait que les écono- mistes néo-classiques utilisent très fréquemment l'outil mathé- matique. Ce recours aux mathématiques rebute fréquemment.
Heureusement, pour les non-mathématiciens, les économis- tes néo-classiques ont recours, pour l'essentiel, à un nombre restreint de concepts mathématiques, et il suffit de les clari- fier, comme nous le ferons dans cet ouvrage, pour que la pen- sée néo-classique devienne tout à fait accessible.
L'usage des mathématiques pose aussi deux catégories de problèmes méthodologiques. La première est relative à l'inté- rêt de l'usage des mathématiques en économie : dans quelle mesure la formalisation mathématique s'impose-t-elle ? La seconde est liée à l'impérieuse nécessité de cerner la signifi- cation économique précise de chacun des outils mathémati- ques utilisés par les néo-classiques.
La compréhension de la pensée néo-classique se heurte aussi au fait que si l'approche néo-classique peut paraître rela- tivement homogène quand on la confronte à la pensée marxiste ou keynésienne, dans la mesure où elle s'oppose à ces approches sur des points fondamentaux, dès que l'on pénètre au cœur de la pensée néo-classique, on s'aperçoit que les divergences entre économistes néo-classiques sont multi- ples et importantes. Comprendre la pensée néo-classique implique alors de percevoir ce qui unit l'ensemble des éco- nomistes néo-classiques, mais aussi de cerner l'importance des clivages qui les séparent. Cette double perception est d'autant plus importante que la pensée néo-classique actuelle est très largement organisée en courants différenciés (courant des anticipations rationnelles, courant monétariste...)... et que chacun de ces courants se veut à la fois le prolongement et le dépassement des approches néo-classiques traditionnel- les de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
La démarche adoptée dans cet ouvrage a pour objectif de prendre en compte ces difficultés et de conduire le lecteur à une compréhension claire de la pensée néo-classique actuelle dans sa diversité.
La pensée néo-classique traditionnelle
La première partie de l'ouvrage est consacrée à la pensée néo- classique traditionnelle, de la naissance de ce courant, il y a un peu plus d'un siècle, au choc des idées keynésiennes des années 1930-1960.
Quels sont les fondements et les traits dominants de la révo- lution néo-classique qui marquent les années 1870-1900 (cha- pitre 1) ?
Quels furent les précurseurs de ce courant (chapitre 2) ? Puisque la pensée néo-classique s'est d'emblée constituée en « écoles », qui sont les économistes de l'école de Lausanne (chapitre 3), de l'école de Cambridge (chapitre 4) et de l'école autrichienne (chapitre 5) ?
Menger, Walras, Jevons, Hayek, Marshall, von Mises, Pareto, Pigou... le lecteur aura, chemin faisant, fait connais- sance avec la pensée des pères fondateurs de la pensée néo-classique.
La boîte à outils
La deuxième partie de l'ouvrage a pour objectif de permet- tre la maîtrise des outils conceptuels les plus couramment uti- lisés par les néo-classiques.
Tout d'abord, est présenté ce qui constitue de fait le modèle de référence néo-classique traditionnel. Synthèse des appro- ches néo-classiques traditionnelles, ce modèle est celui qui est le plus souvent présenté dans les ouvrages d'initiation à la pensée néo-classique. Sa connaissance, malgré son caractère hybride, est d'autant plus importante que, d'une part, les éco- nomistes néo-classiques actuels s'appuient fréquemment sur ce modèle, souvent d'ailleurs de façon implicite et que, d'autre part, ce modèle constitue le pôle nécessaire autour duquel vont se polariser les critiques de la pensée néo- classique (chapitre 6).
Les économistes néo-classiques, nous l'avons dit, utilisent largement les mathématiques. Le chapitre suivant (chapitre 7) a pour objet de clarifier la signification des outils mathéma- tiques préférés des économistes néo-classiques. Cette clarifi- cation est doublement nécessaire : elle permet aux non- mathématiciens d'appréhender plus facilement les textes d'auteurs néo-classiques, mais elle met aussi l'accent sur la signification économique qui se cache derrière les outils pri- vilégiés de la formalisation mathématique (dérivées, fonctions continues et homogènes..).
Reste un troisième outil, nécessaire à tous ceux qui veu- lent maîtriser la pensée néo-classique : le vocabulaire. Dans
l'ensemble de l'ouvrage, chaque terme est défini dès sa pre- mière utilisation, mais il est néanmoins commode de dispo- ser d'un lexique alphabétique, aussi la deuxième partie de l'ouvrage se termine par un mini-dictionnaire des termes néo- classiques les plus courants.
L'ensemble de cette « boîte à outils » que constitue la deuxième partie de l'ouvrage a été conçue de telle façon que le lecteur puisse s'y référer, à tout moment, en fonction de ses besoins.
Les économistes néo-classiques actuels
La troisième partie de l'ouvrage est consacrée aux différents courants néo-classiques contemporains. La pensée néo- classique actuelle est pour une large part une tentative de réponse (dans une approche qui retrouve les conclusions néo- classiques traditionnelles) aux multiples critiques, en parti- culier keynésiennes, de la pensée des pères fondateurs. Com- prendre la pensée néo-classique actuelle implique donc de con- naître la nature de ces critiques (chapitre 8).
Courant de l'équilibre général, courant monétariste et cou- rant des anticipations rationnelles, école du « public choice »... les différentes approches néo-classiques sont ensuite présentées en mettant à la fois en évidence leurs traits particuliers et les problèmes spécifiques auxquels ils se heur- tent (chapitres 9 à 12).
Des extraits des textes des grands auteurs (Walras, Mars- hall mais aussi Arrow, Debreu, Allais, Friedman...), choisis pour leur intérêt et leur facilité d'appréhension, ainsi que des analyses de la pensée néo-classique particulièrement signifi- catives ont été intégrés à l'ouvrage, de façon à permettre un contact plus direct avec les grands auteurs et les analyses de la pensée néo-classique.
Des fiches de synthèse sur les économistes les plus mar- quants, un index détaillé, une signalisation des définitions et des points clés, en marge du texte, permettent de retrou- ver facilement une information et font ainsi de cet ouvrage une base d'information de référence sur la pensée néo- classique pour le débutant en économie.
Première partie
La pensée
néo-classique traditionnelle
Trois pères fondateurs...
L'approche néo-classique constitue le pôle majeur de l'analyse économique actuelle, nombre de manuels d'écono- mie considèrent même que seules les théories néo-classiques méritent d'être présentées en détail, qu'elle sont les seules à être scientifiques, rigoureuses. Cette propension à l'hégémo- nie rend particulièrement nécessaire l'appréhension claire de ce qu'est la pensée néo-classique à laquelle se réfèrent si sou- vent, aujourd'hui, les défenseurs des politiques libérales.
Cerner la spécificité de ce courant de pensée pose pour- tant problème. Ceci tient tout d'abord à l'absence de père fondateur unique. La pensée keynésienne est au moins, en principe, celle qui s'inscrit dans le prolongement de la pen- sée de Keynes, la pensée marxiste prolonge celle de Marx...
Sans doute relie-t-on traditionnellement la naissance du cou- rant néo-classique à la publication, presque simultanée, au début des années 1870, de travaux de Stanley Jevons, Léon Walras et Carl Menger. Mais, au-delà des convergences qui marquent l'approche de ces auteurs, les différences de pers- pectives sont suffisamment fortes pour que, dès sa naissance, la pensée néo-classique porte en germe le développement d'analyses extrêmement différentes.
...Trois courants néo-classiques traditionnels
Cette diversité s'est concrétisée dès la fin du XIXe siècle par l'émergence de trois approches néo-classiques spécifiques.
La première est celle de l'école de Lausanne, également qualifiée d'école de « l'équilibre général » ; la seconde est celle de l'école anglaise qui prolonge les travaux de S. Jevons, mais sans renier totalement la tradition classique anglaise ; la troisième, l'école autrichienne est la plus subjective, c'est aussi en son sein que l'on trouve les économistes les plus favo- rables au libéralisme économique.
L'importance relative de ces différentes écoles est évidem-
ment contestée. Certains économistes réservent même le qua-
lificatif de néo-classique au courant de « l'équilibre général »
de l'école de Lausanne, le seul qui atteigne une formalisa-
tion élevée. Une approche plus large du courant néo-
classique, englobant non seulement l'école de Lausanne mais aussi les autres courants ci-dessus, présente l'intérêt de mieux faire comprendre la nature des clivages qui marquent la pen- sée économique actuelle et la diversité des traditions auxquel- les celle-ci se rattache.
Homogénéité et diversité
S'il faut rendre compte de la diversité de la pensée néo-
classique, il importe d'abord d'en montrer la spécificité par
rapport aux approches économiques antérieures. Celle-ci
apparaît aisément quand on examine la naissance du courant
néo-classique au XIXe siècle (chapitres 1 et 2). Il restera
ensuite à examiner la diversité des approches néo-classiques
traditionnelles (chapitres 3 à 5).
1. La naissance
de la pensée néo-classique
L'émergence du courant de pensée néo-classique au XIXe siè- cle est à la fois une réponse à un défi théorique posé aux éco- nomistes libéraux, par l'approche de la valeur des économistes classiques, et une stratégie nouvelle dans la façon d'aborder les problèmes économiques.
Du défi de la théorie de la valeur-travail...
Les économistes classiques libéraux du XIXe siècle, (A. Smith, Ricardo...) à quelques exceptions près (J.-B. Say...), considèrent que la valeur des marchandises trouve son origine dans les quantités de travail utilisées pour les produire. Les implications de cette approche apparaîtront plus nettement quand K. Marx s'appuiera sur cette analyse pour élaborer sa théorie de l'exploitation. Si seul le travail est créateur de valeur, alors (comme l'estime K. Marx) le capi- taliste, qui prélève un profit, exploite le salarié puisqu'il ne reverse au travailleur qu'une partie de la valeur que celui-ci a créée et s'attribue indûment une part de la valeur produite par le salarié. La théorie de la « valeur-travail » rend ainsi extrêmement difficile la justification du « profit », or cette justification est au cœur de la défense de l'économie de mar- ché et du « laisser-faire » en matière économique.
...à la valeur-utilité
Au défi que constitue la théorie de la valeur-travail pour la pensée libérale, les économistes néo-classiques vont opposer
une autre explication de la valeur, souvent qualifiée de théo- rie de la « valeur-utilité » ou théorie de la « valeur-rareté- utilité » : la valeur d'un bien se fonde sur le jugement sub- jectif de chaque individu quant à l'utilité de la détention de ce bien, et sur la rareté de ce même bien.
Cette approche en terme de valeur-utilité-rareté est carac- téristique de l'ensemble des premiers économistes néo- classiques, même si des nuances significatives séparent sur ce point les différents pères fondateurs. Le texte suivant de Léon Walras reflète cette nouvelle problématique. Celle-ci prend comme point de départ une définition de la richesse qui se veut « neutre », sans jugement de valeur sur le bien- fondé moral des besoins satisfaits par les biens, et conduit à une conception de la valeur qui ne fait plus directement référence au travail nécessaire à la production de richesse.
Ce thème de la « valeur-utilité-rareté » émerge avant les années 1870 : Walras insiste lui-même sur ce point, se refé- rant à la pensée de son père et à celle de Burlamaqui :
« Il y a, dans la science, trois solutions principales du pro- blème de l'origine de la valeur. La première est celle d'A. Smith, de Ricardo, de Mac-Culloch ; c'est la solution anglaise : elle met l'origine de la valeur dans le travail. Cette solution est trop étroite et elle refuse de la valeur à des cho- ses qui en ont réellement. La seconde est celle de Condillac et de J.-B. Say ; c'est plutôt la solution française : elle met l'origine de la valeur dans l' utilité. Celle-ci est trop large et elle attribue de la valeur à des choses qui, en réalité, n'en ont pas. Enfin, la troisième, qui est la bonne, est celle de Bur- lamaqui et de mon père, A.-A. Walras : elle met l'origine de la valeur dans la rareté. »1
A l'analyse d'Adam Smith, en faveur de la théorie de la valeur-travail, Walras oppose l'argument suivant :
« (...) Pourquoi le travail vaut-il et s'échange-t-il ? Voilà la question qui nous occupe et qu'A. Smith n'a ni posée ni résolue. Or, si le travail vaut et s'échange, c'est parce qu'il est à la fois utile et limité en quantité, parce qu'il est rare.
La valeur vient donc de la rareté, et toutes les choses qui seront rares, qu'il y en ait ou non d'autres que le travail, vau- dront et s'échangeront comme le travail. »!
Quelle est alors la conception alternative de la valeur qui doit être retenue ? Walras examine d'abord l'analyse de J.-B. Say qui met l'accent sur l'utilité. Le critère de J.-B. Say, l'utilité, n'est pas rejeté par Walras, mais intégré dans une conception plus complexe qui prend en compte l'utilité et la rareté.
Cette conception nouvelle, il l'estime : « (...) excellemment énoncée par Burlamaqui de la manière suivante, au chapitre XI de la 3e partie de ses Eléments du droit naturel :
"Les fondements du prix propre et intrinsèque sont pre- mièrement l'aptitude qu'ont les choses à servir aux besoins, aux commodités ou aux plaisirs de la vie, en un mot, leur utilité et leur rareté.
Je dis premièrement leur utilité, par où j'entends, non seu- lement une utilité réelle, mais encore celle qui n'est qu'arbi- traire ou de fantaisie, comme celle des pierres précieuses ; et de là vient qu'on dit communément qu'une chose qui n'est d'aucun usage est dite de nul prix.
Mais l'utilité seule, quelque réelle qu'elle soit, ne suffit pas pour mettre un prix aux choses, il faut encore considérer leur rareté, c'est-à-dire la difficulté que l'on a de se procurer ces choses, et qui fait que chacun ne peut pas s'en procurer aisé- ment autant qu'il en veut.
Car bien loin que le besoin que I on a d une chose décide de son prix, l'on voit ordinairement que les choses les plus nécessaires à la vie humaine sont celles qui sont à meilleur marché, comme l'eau commune. (...)
Si la mode d'une chose passe, ou que peu de gens en fas- sent cas, dès lors elle devient à bon marché, quelque chère qu'elle ait été auparavant. Qu'une chose commune, au con- traire, et qui ne coûte que peu ou rien, devienne un peu rare, aussitôt elle commence à avoir un prix et quelquefois même fort cher, comme cela paraît, par exemple, de l'eau dans les lieux arides, ou, en certains temps, pendant un siège ou une navigation, etc." »1
Si certaines nuances séparent l'approche de la valeur déve- loppée par Walras de celle de Stanley Jevons ou de Carl Men- 1. L. Walras, Eléments d'économie politique pure (lre édition 1874).
ger, la référence à la valeur-utilité est bien un point commun à l'ensemble des premiers économistes néo-classiques.
La question de la pertinence de la théorie de la « valeur- utilité-rareté » et celle de la valeur-travail a eu une place extrê- mement importante dans les débats entre économistes marxis- tes et néo-classiques. Pourtant, si dans la première phase du développement de la pensée néo-classique la théorie de la valeur-utilité a joué un rôle important, certains économistes plus tardifs ont cherché à se libérer de cette référence néo- classique qui présente l'inconvénient de relier l'économie à une conçeption philosophique précise, « l'utilitarisme. » De la valeur-utilité à l'analyse à la marge...
0 La décroissance de l'utilité marginale
L'attention des premiers économistes néo-classiques se porte sur le fait que l'utilité attachée à un bien est non seulement variable d'un individu à l'autre, mais diffère aussi pour un même individu selon la quantité de ce bien dont il dispose au moment où il apprécie cette utilité.
Les premiers économistes néo-classiques vont alors cons- truire une analyse qui donne une place particulière à l'utilité de la dernière unité de bien détenu, l'utilité marginale. P o u r comprendre cette approche, il faut d ' a b o r d percevoir que l'utilité de la dernière unité disponible d'un bien ne se con- fond généralement pas avec l'utilité moyenne de ce même bien. Les premiers néo-classiques citent de nombreux exem- ples montrant que l'utilité de la dernière unité de bien déte- nue tend à décroître au fur et à mesure que les quantités déte- nues du bien considéré augmentent. L'utilité subjective atta- chée à la détention d'une voiture supplémentaire par un indi- vidu donné n'est pas la même selon qu'il n'en possède aucune, en détient une, deux ou plus. Les premiers néo-classiques con- sidéraient que l'utilité marginale décroissait généralement quand le nombre de biens détenus augmentait.
Ce sera le point de départ d'un ensemble « d'analyses à la marge », qui se révéleront à l'origine d'une approche si nouvelle qu'on la qualifiera de « révolution marginaliste ».
Cette approche à la marge peut concerner l'utilité mais aussi les prix des marchandises, le profit ou les salaires... ou toute autre variable.
• La logique de maximisation
L'intérêt de cette approche est de se prêter à des analyses en termes de recherche de la maximisation d'un objectif. Sui- vons Alfred Marshall à travers un exemple qui fait apparaî- tre cette liaison entre approche à la marge et maximisation de l'utilité.
« Le cas le plus simple de balance ou équilibre entre le désir et l'effort, c'est celui qui se produit lorsqu'une personne se procure la satisfaction d'un de ses besoins au moyen de son travail direct et personnel. Lorsque, par exemple, une per- sonne cueille des mûres pour les manger, l'action de cueillir lui procure probablement un certain plaisir pendant un moment ; et pendant quelque temps encore, le plaisir de man- ger est plus que suffisant pour compenser la peine qu'elle prend à cueillir ces mûres. Mais, après qu'elle en a mangé une certaine quantité, le désir d'en cueillir davantage dimi- nue, tandis que le travail de la cueillette commence à occa- sionner une fatigue qui, à proprement parler, est plutôt un sentiment de monotonie qu'une véritable fatigue. Lorsque, enfin, le désir de se récréer et son éloignement pour le travail de cueillir des mûres contre-balancent le désir de manger, l'équilibre est atteint. La satisfaction que cette personne peut retirer de la cueillette de ce fruit est arrivée à son maximum : jusqu'à ce moment, en effet, chaque nouveau fruit cueilli a plus ajouté à son plaisir qu'il ne lui a ôté ; mais, à partir de ce moment, tout nouveau fruit cueilli a, au contraire, plus diminué son plaisir qu'il ne l'a augmenté. »1
• Une approche qui se prête à la formalisation
Cette démarche se prête aisément à la formalisation, sous certaines conditions qu'il faudra préciser (voir deuxième par-
1. A. Marshall, Principes d'économie politique, (lre édition, 1890).
Une s y n t h è s e
s u r l ' e n s e m b l e d e la p e n s é e n é o - c l a s s i q u e Les courants néo-classiques
• Ecole de Lausanne, école anglaise, école autrichienne...
• Courants de l'équilibre général, des anticipations rationnelles, des choix publics...
Les grands économistes néo-classiques d'hier et d'aujourd'hui
• L. Walras, C. Menger, S. Jevons, V. Pareto, J. Schumpeter...
• F. von Hayek, G. Debreu, M. Allais, M. Friedman, K. Arrow, J. Buchanan...
Des outils
pour comprendre la pensée néo-classique
• Un mini-dictionnaire du vocabulaire néo-classique
• Le modèle de référence
• La signification économique des outils mathématiques
• Clivages et débats.
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