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Passeur de mémoire

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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La revue pour l’histoire du CNRS 

24 | 2009

Soixante-dixième anniversaire du CNRS

Passeur de mémoire

Étienne François

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/histoire-cnrs/9078 DOI : 10.4000/histoire-cnrs.9078

ISSN : 1955-2408 Éditeur

CNRS Éditions Édition imprimée

Date de publication : 5 octobre 2009 ISSN : 1298-9800

Référence électronique

Étienne François, « Passeur de mémoire », La revue pour l’histoire du CNRS [En ligne], 24 | 2009, mis en ligne le 05 octobre 2009, consulté le 20 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/histoire-cnrs/

9078 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.9078 Ce document a été généré automatiquement le 20 mai 2021.

Comité pour l’histoire du CNRS

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Passeur de mémoire

Étienne François

1 Partout retentit l’injonction au devoir de mémoire, tandis qu’à l’inverse l’oubli, présenté comme l’envers de la mémoire (alors même qu’il en est constitutif) est voué aux gémonies. Pour la discipline historique, ce triomphe de la mémoire représente un défi de taille. Et c’est précisément pour relever ce défi que l’historien Pierre Nora a lancé au début des années 1980 l’entreprise des « lieux de mémoire » visant à inventorier et à analyser dans leur genèse et leur histoire, les « unités significatives, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes et le travail du temps ont fait des éléments symboliques du patrimoine mémoriel de la France ». Les sept volumes collectifs issus de cette enquête et parus entre 1984 et 1992 sous le titre Les lieux de mémoire, ont aussitôt rencontré un énorme succès et fait date. Expression emblématique du rapport obsessionnel que les Français entretiennent avec leur histoire, mais aussi de ses mutations, le modèle des lieux de mémoire était-il exportable ? Était-il en particulier transposable à un pays comme l’Allemagne, dont le rapport au passé diffère si fortement de ce qu’on observe en France ?

2 Familier de l’Allemagne et de son histoire et ayant la chance de résider à Berlin depuis 1991 – en tant que directeur du centre Marc-Bloch (centre franco-allemand de recherches en sciences sociales créé par la France en 1992 avec le soutien du CNRS) – j’ai eu très rapidement la conviction qu’un tel transfert était à la fois possible et souhaitable. Possible, dans la mesure où l’approche des lieux de mémoire, même si elle a d’abord été expérimentée en France, n’a rien de spécifiquement français. Souhaitable parce que l’Allemagne est par excellence, en raison du poids du passé (le passé nazi et la Shoah, mais aussi le passé communiste), un pays hanté par la mémoire.

3 En partenariat avec Hagen Schulze, un historien allemand professeur à l’université libre de Berlin, et avec le soutien de nos étudiants, de nombreux collègues allemands et étrangers ainsi que d’une grande maison d’édition (Beck à Munich), nous avons élaboré une liste d’environ cent vingt « lieux de mémoire allemands » allant de l’Antiquité à nos jours et combinant à des thématiques attendues (la porte de Brandebourg) d’autres moins classiquement historiennes (les championnats de football). Ces entrées ont été ordonnées autour de notions centrales le plus souvent intraduisibles (ainsi les notions

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de Bildung, Heimat, Reich ou Volk). Leur rédaction a été enfin confiée à des auteurs d’origine variée tant par leur spécialité (une moitié d’historiens seulement) que par leur nationalité (un auteur sur cinq n’est pas allemand). Les principaux acquis de ce projet sont au nombre de quatre. En premier lieu, la centralité de la mémoire du nazisme. Comparable – en négatif – à ce qu’a été longtemps la mémoire de la Révolution en France, la mémoire du nazisme et plus encore celle de la Shoah est la référence première par rapport à quoi tout le reste, explicitement ou implicitement, se trouve confronté. Le deuxième acquis a été la mise en valeur de la richesse et de la complexité des héritages mémoriels antérieurs au nazisme, ce qui confirme l’existence d’une réalité nationale allemande antérieure de plusieurs siècles à l’unification de 1871. Le troisième acquis a été de faire ressortir l’existence sous-jacente d’un style allemand de rapport au passé commun aux différentes mémoires allemandes, ce qui relativise la thèse fréquemment affirmée de la pluralité des mémoires allemandes. Le dernier acquis a été enfin la mise en évidence du fait qu’un nombre élevé de lieux de mémoire allemands sont des « lieux de mémoire partagés » appartenant autant à la culture mémorielle allemande qu’à celle de ses voisins.

4 Très bien reçus en Allemagne même, les trois volumes des deutsche Erinnerungsorte parus en 2001 ont été réimportés six ans plus tard en France (sous la forme d’un volume, Mémoires allemandes, publié chez Gallimard) et ont fait là aussi l’objet d’un accueil très favorable. N’est-ce pas là le signe d’une convergence avancée des cultures mémorielles de nos deux pays et, par-delà, celui de l’émergence d’une culture mémorielle européenne et transnationale ?

RÉSUMÉS

Depuis un bon quart de siècle, les sociétés occidentales connaissent une véritable explosion mémorielle. Nouvel impératif catégorique d’un monde sécularisé, la mémoire fait l’objet d’une valorisation sans équivalent, au point de supplanter l’histoire. Véritables émanations des lieux de mémoire français, les Erinnerungsorte allemands sont le symbole d’un transfert de concept réussi.

AUTEUR

ÉTIENNE FRANÇOIS

Étienne François, professeur émérite d’histoire à l’université Paris I, a dirigé le centre Marc- Bloch de 1992 à 1999. Il est actuellement professeur d’histoire à l’université libre de Berlin.

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