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La mémoire des lieux : un devoir d’histoire géographique

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Géographie et cultures 

109 | 2019

L’urbanisme, l’architecture et le jeu vidéo

La mémoire des lieux : un devoir d’histoire géographique

Martine Tabeaud

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/11361 DOI : 10.4000/gc.11361

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 mars 2019 Pagination : 175-178

ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Martine Tabeaud, « La mémoire des lieux : un devoir d’histoire géographique », Géographie et cultures [En ligne], 109 | 2019, mis en ligne le 02 avril 2020, consulté le 27 novembre 2020. URL : http://

journals.openedition.org/gc/11361 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.11361 Ce document a été généré automatiquement le 27 novembre 2020.

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La mémoire des lieux : un devoir d’histoire géographique

Martine Tabeaud

RÉFÉRENCE

Chevalier Dominique, Géographie du souvenir : ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah, L’harmattan, coll. « Géographie et cultures », 2017, 244 p.

1 L’auteure présente un ouvrage issu de son Habilitation à Diriger des Recherches intitulé : Géographie du souvenir : ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah. Elle tente de géographiser les mémoires individuelles et collectives de la Shoah. C’est un sujet neuf chez les spécialistes de l’organisation de l’espace, au contraire des historiens.

L’entreprise ne peut qu’être saluée.

2 Depuis Pierre Nora, chacun sait que la mémoire est un ensemble de vécus différents et en perpétuelle reconstruction, donc toujours au présent, alors que l’histoire est une mise en perspective scientifique des temporalités des événements passés. Mais, la mémoire est aussi un objet spatial. La question posée par la géographe est clairement définie page 24 : « Comment et par quels biais les mémoires s’ancrent-elles, ici et maintenant, pour évoquer à la fois les mondes perdus d’avant la Shoah et les lieux d’exclusion, de concentration et d’annihilation des Juifs pendant la Shoah ? » En effet, même si l’expression

« lieux de mémoires » est couramment utilisée pour qualifier les monuments et sites commémoratifs, le terme de lieux y est grandement usurpé. Il n’y a guère de prise en compte, à diverses échelles, des territoires où s’inscrivent, entre autres, les camps et les musées.

3 Le premier chapitre précise ce qu’on entend par mémoriaux et musées mémoriaux et effectue un inventaire par pays en reprenant, en noir et blanc, les cartes du site Internet www.memorial-museums.net. Peut-être aurait-il été plus fécond de se pencher attentivement sur les blancs de la carte et donc de répertorier les pays qui n’en ont pas, en distinguant ceux qui, comme la Suisse, pays « neutre » pendant le Troisième Reich,

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ont des musées des cultures juives, mais pas spécifiquement de mémorial dédié à la Shoah. Et aucune installation mémorielle dans les pays nés des anciens empires européens sur les continents asiatiques et africains, où les communautés juives étaient très présentes.

4 Les chapitres 2, 3, 4 et 5 présentent la chronologie de la création de ces lieux de mémoire. La multiplication des musées consacrés aux Juifs s’est principalement effectuée durant le Troisième Reich donc avant la Shoah. Après la Seconde Guerre mondiale, un long silence précède diverses formes de manipulation de l’histoire.

5 L’objectif des musées et mémoriaux ne doit pas répondre au souhait de faire revivre des mondes disparus sur le théâtre des événements. La géopolitique de l’État d’Israël impose des manières de voir politiquement correctes : le Juif n’est pas un perdant, un persécuté, l’hébreu est la langue d’avenir au contraire du yiddish, à connotation trop négative. Le procès Eichmann en 1961, filmé et donc vu dans le monde entier, tente de valider l’idée que l’État d’Israël est seul habilité à juger les coupables d’extermination et à parler au nom des victimes. La guerre des Six Jours de 1967, puis la guerre du Kippour en 1973 vont participer à inscrire encore plus la question de la Shoah dans celle de l’existence d’un état juif en Palestine. Aux États-Unis l’élan issu de la projection du téléfilm Holocauste va permettre à Ronald Reagan de poser la première pierre du mémorial de Washington. Mais dans le bloc communiste, le Juif reste assimilé à l’impérialisme. Les a priori idéologiques sont tels que le géographe Pierre George, alors communiste, n’aborde même pas dans un article intitulé « Varsovie 1949 : reconstruction ou naissance d’une nouvelle ville ? »1 le devenir de l’emplacement du ghetto ! À l’est, il faut patienter jusqu’au début 1990, juste avant sa disparition, pour que la République démocratique Allemande reconnaisse sa responsabilité dans le génocide, 2004 pour qu’un musée s’ouvre à Budapest et même 2012 pour que ce soit le cas à Varsovie.

6 La mémoire de la Shoah comme mal absolu ne sera « mondialisée » qu’avec la génération de ceux qui ne l’ont pas vécue personnellement et donc le XXIe siècle...

7 Le chapitre 6 aborde, entre autres, le cas parisien d’un mémorial près du « Pletzl ».

Juste après la guerre, en 1951, la mairie vote une motion pour accorder un terrain dans le Marais afin d’édifier le CDJC2 inauguré deux ans plus tard. In situ et non hors sol. C’est ce mémorial qui va inciter Israël à créer Yad Vashem à Jérusalem.

8 Les chapitres 7, 8, et 9, les plus riches d’images, se consacrent à la conception de ces sites des mémoires blessées. Des « starchitectes », comme Daniel Libeskind, conçoivent des bâtiments aux formes géométriques épurées, mais anguleusement complexes, symbolisant « la difficulté à penser et panser la Shoah, de l’intérieur comme de l’extérieur [...] » et à l’envisager « de manière intime, personnelle et/ou de façon publique » (p. 109). Les multiples oppositions à l’initiative du groupe Perspektive Berlin décidé à doter Berlin d’un mémorial de l’Holocauste, soulignent ces impossibles conciliations de mémoires.

Sans parler des scandales et des polémiques sur les entreprises en charge de la réalisation. Il faudra quinze années pour que la capitale allemande se dote finalement, en 2004, d’un incontournable édifice près de la porte de Brandebourg.

9 Avec les chapitres 10 et 11, il est question des mémoriaux sur les lieux des rafles et des crimes. Comment construire des projets sur des lieux, mais des décennies après, et en fonction des nouvelles pratiques ? Comment rendre accessibles les monuments malgré la crainte d’actes antisémites ?

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10 Comment transmettre sans trahir ? Les chapitres 12 et 13 analysent les sens sollicités lors des visites de ces micro-agencements propres à chaque site. À Washington, par exemple, James Freed a délibérément tenté de perdre le spectateur, de l’écraser et de le terroriser dès le seuil du musée « comme sur la rampe d’Auschwitz » où les escalators font office de wagons. Faire appel à l’émotion plus qu’à la raison. Mais alors, comment faire en sorte que le visiteur revienne à la vie d’aujourd’hui à l’extérieur ? Comment rendre le lieu attractif ?

11 Les chapitres 14 et 15 posent la question du public visé par et dans une mise en tourisme. En comparant les données de Washington, Jérusalem et Paris, il apparaît qu’en 2014, ce sont surtout des non-juifs (sauf à Yad Vashem) et des scolaires qui ont fréquenté ces musées nationaux. Le tourisme de la Shoah est le miroir de l’époque, les musées se dotent désormais d’une librairie, d’une cafétéria... et sont classés par Trip.advisor.com.

12 La photo qui clôture le livre et prône la fin de l’extension du musée de la tolérance à Los Angeles en dit long sur les conséquences des mises en concurrence mémorielle et sur les effets de saturation de l’accumulation des commémorations.

13 Concluons avec Primo Levi à propos du livre et du film Holocauste : « C’est la faute aux événements, qui les a parés d’une incrédibilité dont les individus naïfs ou cyniques tentent aujourd’hui encore de profiter [...] Ce livre se propose d’accomplir ce devoir : [...] contribuer à réveiller les consciences de ceux qui ne savent pas et qui ont l’âme en paix et peut-être aussi (mais c’est moins probable) à persuader ceux qui n’ont pas l’âme en paix. Bref, c’est un allié. »3

NOTES

1. Population, 1949, n° 4, p. 713-726.

2. Le CDJC, Centre de documentation juive contemporaine, qui archive les documents issus du Commissariat général aux Questions juives, comprend aussi un tombeau-Mémorial pour honorer les victimes de la Shoah.

3. Un holocauste qui pèse encore sur la conscience du monde, Tuttolibri, V, n° 16, 28 avril 1979.

AUTEUR

MARTINE TABEAUD Université Paris 1

Laboratoire ENeC (FRE 2026) martine.tabeaud@gmail.com

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