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L avant/l arrière et le devant/le derrière

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Academic year: 2022

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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 1986 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online.

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L’avant/l’arrière et le devant/le derrière

Claude Vandeloise

Phonologie des langues sémitiques Volume 16, Number 1, 1986

URI: https://id.erudit.org/iderudit/602587ar DOI: https://doi.org/10.7202/602587ar See table of contents

Publisher(s)

Université du Québec à Montréal ISSN

0710-0167 (print) 1705-4591 (digital) Explore this journal

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Vandeloise, C. (1986). L’avant/l’arrière et le devant/le derrière. Revue québécoise de linguistique, 16(1), 281–307. https://doi.org/10.7202/602587ar

Article abstract

Complex as it may be, the distinction between the French nominalizations l’avant/l’arrière et le devant/le derrière is not arbitrary. It is motivated by the concepts governing the use of the corresponding prepositions: the potential meeting (avant/après); general orientation and access to perception

(devant/derrière). The potential meeting explains the salient role of movement in the distribution of l’avant/l’arrière. General orientation motivates a selection restriction of le devant/le derrière, nominalizations limited to intrinsically oriented objects. Whereas l’avant/l’arrière can designate three-dimensional parts of the object, le devant/le derrière are essentially surperficial. A proximity principle applying to the continuous concept of movement, but not to the yes-or-no concept of access to perception, explains that contrast.

(2)

Je comparerai dans cet article les usages contemporains des deux couples de nominalisations l'avantll'arrière et le devant/le derrière qui correspondent aux prépo- sitions avant/après et devantlderrière. Je rappellerai brièvement les caractéristiques de ces prépositions nécessaires à la compréhension des nominalisations correspon- dantes. Elles ont été étudiées avec plus de détails dans Vandeloise (1984, 1986).

Bien que leurs usages soient parfois difficiles à distinguer, on verra que leurs distri- butions sont gouvernées par des concepts différents:

-L'orientation générale et l'accès à la perception pour les prépositions devantl derrière]

- L'ordre dans une rencontre potentielle pour les prépositions avant/après.

Les usages des nominalisations le devant/le derrière et l'avant/l'arrière qui correspondent à ces prépositions sont également étroitement associés et les locu- teurs hésitent parfois quant à leur emploi. Dans de nombreux cas, cependant, leur choix est nettement tranché, si bien que démêler les distributions de ces nomina- lisations n'est pas une tâche désespérée. La deuxième partie de cet article est con- sacré à cette entreprise.

Je m'efforcerai ensuite de montrer que les concepts qui motivent le mieux la distribution de ces nominalisations sont précisément ceux qui justifiaient la distri- bution des prépositions correspondantes. Je vois dans cette coïncidence une confir- mation de l'analyse proposée précédemment pour les prépositions devant/derrière et avant/après.

(3)

1. Les prépositions AVANT/APRÈS.

J'ai établi (Vandeloise 1984, 1986) la connexion des relations a est avant/

après b avec la rencontre potentielle de a et de b et d'un élément non exprimé, défini par le contexte, appelé pôle. Cette connexion est suggérée par la scène ci- dessous et les phrases (1) et (2):

Figure 1 (1) Le curé est avant le ministre.

(2) Le chêne est avant le peuplier.

En ce qui concerne la phrase (1), le deuxième membre de la rencontre est clair.

I l s'agit du but des deux cyclistes et la situation peut être schématisée comme suit: (a, b) -> P. Le coureur le plus proche du pôle est dit avant l'autre coureur.

Dans la phrase (2), on ne peut parler de rencontre que si on imagine un mouve- ment potentiel du locuteur vers les arbres. Le premier arbre rencontré, le chêne, sera dit avant le peuplier. Ce mouvement potentiel du locuteur a été justifié dans Vandeloise (1984). Je me contenterai de présenter ici deux usages inappropriés des prépositions avant/après qui deviennent corrects si un élément statique du con- texte est remplacé par un élément potentiellement mobile. Pour un locuteur dans la position du lecteur, la phrase (3) est inappropriée pour décrire la scène 2 mais devient possible si l'arbre est remplacé par une voiture, comme dans la scène 3:

Figure 2 (3) Le lapin est

Figure 3 avant le chat.

(4)

Toujours pour un locuteur dans la position du lecteur, la phrase (4) est inap- propriée devant la scène 4 mais acceptable pour la scène 5, où les risques d'ava- lanches rendent un mouvement du rocher vraisemblable:

Figure 4 Figure 5 (4) Le chêne est avant le peuplier.

Puisqu'un mobile potentiel, et seul un mobile potentiel, peut jouer le rôle du pôle dans les phrases (3) et (4), c'est bien en cette qualité que le locuteur de la scène 1 doit être considéré. Une fois ce mouvement admis, la phrase (2) se sché- matise comme suit,

P -> (a, b)

où le pôle P de la rencontre est le locuteur. Les phrases (1) et (2) s'expriment toutes deux par la formule P < - > (a, b) qui montre la relation des prépositions avant/après avec le mouvement relatif des deux entités. Ou les termes a et b (phrase (1)), ou le pôle (phrase (2)) seront choisis comme éléments mobiles. La règle d'usage A gouverne les usages des prépositions avant/après:

A: a est avant/après b si le sujet a est plus proche/plus éloigné du deuxième élément d'une rencontre potentielle que l'objet b.

2. Les prépositions D E V A N T / D E R R I È R E .

La scène 6 présente deux types d'usages différents des prépositions

devant! derrière: ii

Figure 6

(5)

Selon la première version, le mur B /le rocher A se trouvent devantlderrière le ministre parce qu'ils sont respectivement situés positivement/négativement par rapport à son orientation générale. L'orientation générale est une ressemblance de famille qui contient parmi ses principaux traits, la ligne du regard, la direction du mouvement et la position de quelques traits anatomiques orientés positivement (le nez, la bouche, etc.). Une ressemblance de famille (Wittgenstein 1953) est caracté- risée par une ensemble de traits. Différentes combinaisons de ces traits peuvent la représenter. En corollaire, aucun de ces traits ne doit être nécessaire ou suffisant.

En fonction de ce concept, la première version des prépositions devantl derrière est définie par la règle d'usage Dj:

D j : a est devantji'derrière j b s'il est situé positivement/né ga- tivement par rapport à l'orientation générale de l'objet b de la préposition.

Lorsque l'orientation générale est canonique, tous ses traits coïncident. L'un d'entre eux, cependant, peut se détacher des autres traits. C'est le cas pour la ligne du regard du curé de la scène 7 ou pour la direction du mouvement du crabe de la

Si le contexte donne au trait dissident une importance suffisante, ces traits isolés peuvent déterminer, seuls, une orientation générale marginale qui justifie des emplois marginaux de devantj dans les phrases (5) et (6):

(5) Le couteau est devant le curé.

(6) Le filet est devant le crabe.

Tel qu'il est défini, le premier type d'usages de devantp'derrièrej n'est utili- sable que si l'objet de la préposition (son deuxième terme) a une orientation scène 8:

Figure 7 Figure 8

(6)

générale intrinsèque. Un objet qui ne présente pas une telle orientation peut cepen- dant la recevoir du contexte. Cette orientation contextuelle s'attribue comme si l'objet orienté était engagé dans une conversation canonique avec l'objet orienteur (H. Clark 1973), c'est-à-dire comme si les deux objets se trouvaient face à face.

Ainsi donc, selon le contexte déterminant, la phrase (7) peut désigner trois positions différentes, illustrées par la scène 9:

0=^7 X^J Qrri7 C = 7 Figure 9

(7) L'acteur est devant la table ronde.

Cette phrase est prononcée par un metteur en scène situé sur la scène d'un théâtre. Pour la position 1, c'est le metteur en scène qui oriente con textuellement la table ronde. Dans le cas de la position 2, c'est le théâtre et ses spectateurs po- tentiels. Pour la position 3, enfin, c'est l'acteur lui-même qui oriente contextuelle- ment la table.

Bien que le rocher C de la scène 6 soit devantj le locuteur, i l est généralement dit derrière le mur B. L'usage de derrière pour les rochers A et C peut difficile- ment être expliqué par une même règle d'usage (voir Clark (1973) pour une position unitaire et Vandeloise (1984, 1986) pour la discussion de cette position).

S'il existe deux types différents d'usages pour la préposition derrière, ce n'est pas dire qu'ils soient sans connexion. On remarquera en effet que les deux rochers sont, pour des raisons différentes, inaccessibles à la perception du locuteur. Cette similitude suggère pour devant!derrière la règle d'usage

D ^ a est devant!derrière b si alb est (potentiellement) le premier obstacle à la perception de 6/cache a.

(7)

Cette règle nécessite une justification détaillée qui est proposée dans Vande- loise (1986). En particulier, on notera que l'obstacle à la perception peut n'être que partiel et que, la vision n'étant pas seule impliquée dans la perception, une vitre transparente peut être devant un objet dans la mesure où elle constitue un obstacle au toucher.

L'imperceptibilité commune des objets situés derrière notre dos et des objets cachés par des objets opaques établit un lien entre les deux règles d'usage et D2 des prépositions devantl derrière. De surcroît, l'accès à la perception, le con- cept essentiel dans la formulation de la règle D2, implique la ligne du regard, un trait essentiel de la ressemblance de famille orientation générale, le concept essen- tiel dans l'énoncé de la règle D j . Pour ces raisons, j ' a i interprété la règle D2 comme un développement de la règle initiale X>\.

3. Distribution comparée des nominalisations L E D E V A N T / L E D E R R I È R E et L E V A N T / B A R R I È R E .

Les contrastes entre les distributions de ces nominalisations seront présentés en huit points. Un tableau mnémotechnique résume les conclusions à la fin de cette section. Auparavant, i l importe de noter que l'arrière est la nominalisation correspondant à l'adverbe arrière plutôt qu'à la préposition après. Dans la mesure où i l n'existe pas de nominalisation l'après liée à cette préposition et parce que l'opposition entre l'avant et l'arrière est parallèle à l'opposition entre avant et après, i l existe cependant un lien entre l'arrière et cette dernière préposition. Con- trairement à après qui s'applique dans les domaines spatial, temporel et abstraits, arrière, à de rares exceptions près comme l'arrière-saison, se limite au domaine spatial. I l en va de même pour les nominalisations l'avantll'arrière.

3.1 L'objet et son complément.

Par complément d'un objet, j'entends tout point qui ne l u i appartient pas.

Les exemples suivants montrent clairement que ni l'avantll'arrière, n i le devantlle derrière n'incluent des points de leur complément:

(8) *Le devant/l'avant de l'avion est nuageux.

(9) *Le devant/l'avant du bateau est gelé.

(8)

Des usages acceptables de la phrase (9) seront envisagés plus loin. Mis à part ces cas particuliers, i l résulte clairement de l'inacceptabilité de ces phrases que l'avantlle devant d'un objet n'inclut aucun point de son complément (respective- ment le ciel et la mer)

Les phrases suivantes, néanmoins, pourraient faire croire le contraire en ce qui concerne le devant/l'avant d'une maison:

(10) Le devant/l'avant de la maison est bien entretenu.

(11) Le vieil homme est sur le devant de la maison.

Même si les phrases (10) et (11) ne sont pas toujours admises, le devant/

l'avant de la maison, dans la phrase (10), désigne souvent un jardin situé devant/à l'avant de la maison. Quant à la phrase (11), dans le dialecte de ma région tout au moins, elle évoque un vieil homme qui regarde les passants, assis au soleil devant sa porte.

Je ne conclurai cependant pas de ces exemples que le devant/l'avant d'une mai- son intègre des parties de son complément. En ce qui concerne la phrase (10), on notera, en effet, qu'elle s'applique mieux à un jardin entouré de murs qu'à une pe- louse au bord du trottoir. Quant à la phrase (11), si elle décrit correctement le vieil- lard appuyé sur le mur de sa maison, elle s'appliquerait moins bien à un passant arrêté là par hasard. De ces observations, je déduirai plutôt que le mot maison a deux usages possibles. L'un s'applique strictement au bâtiment en jeu dans les phrases (10) et (11). Le deuxième inclut, par extension, l'aire d'habitation. Les scènes 10 et 11 représentent les bâtiments et les aires d'habitation correspondant respectivement aux phrases (10) et (11):

Figure 10 Figure 11

(9)

S'il est vrai que ces phrases désignent un point du complément du bâtiment, on voit qu'il est, néanmoins, inclus dans une partie plus large de la maison, l'aire d'habitation.

3.2 L'objet, sa frontière et son intérieur.

Cependant que le devantl le derrière sont des surfaces et se limitent aux frontières de l'objet, l'avant! l'arrière sont des volumes et incluent l'intérieur de l'objet. Cette différence est illustrée par les phrases (12) à (15):

(12) L'avant de l'armoire est rempli de vaisselle.

(13) *Le devant de l'armoire est rempli de vaisselle.

(14) L'arrière de l'armoire est vide.

(15) *Le derrière de l'armoire est vide.

Si les phrases (13) et (15) sont inacceptables c'est que le devantl le derrière de l'armoire sont des surfaces et, par conséquent, ne peuvent contenir des volumes.

Seuls l'avant! l'arrière du meuble remplissent cette fonction. Ainsi donc, tout ce que la phrase (16) évoque pour moi,

(16) Le devant de l'armoire est trop chargé.

ce sont les feuilles entrelacées et les têtes de lion aux anneaux de cuivre qui ornaient le buffet de ma grand-mère.

Si un bateau est couvert d'une pellicule de glace, i l existe une interprétation possible de la phrase (9), que je rappelle ici:

(9) Le devant/ l'avant du bateau est gelé.

Dans ce cas, l'alternance surface/volume sera encore respectée pour l'interpré- tation de le devantl l'avant. En effet, la phrase (9) désigne la surface de la coque dans le premier cas; la première moitié du navire, incluant la proue et une partie du pont, dans le second cas.

(10)

Tous les objets considérés jusqu'ici étaient des objets contenants. La distinc- tion surface/ volume existant entre le devantl l'avant de ces objets se maintient pour les objets pleins. C'est ainsi que je préfère la phrase (18) à la phrase (17):

(17) *L'amiral enfonce le clou dans le devant du bloc (18) L'amiral enfonce le clou dans l'avant du bloc

Puisque la pointe du clou pénètre dans l'intérieur de l'objet, c'est, en effet, son avant qui est impliqué. Le devant sera, au contraire, préféré pour la phrase (19) qui concerne la surface du bloc:

(19) Le devant du bloc est rouge.

Notez enfin que, si les pattes avant d'un chien coïncident avec ses deux pattes de devant, i l n'en va pas de même pour un mille-pattes. Cet insecte a, en effet, deux pattes de devant et cinq cent pattes avant (2 pattes-frontières + 498 pattes intérieures).

3.3 Objets à plusieurs plans frontaux.

La scène 12 présente trois objets à plusieurs plans frontaux: une armoire, un billard électrique et une maison avec un balcon:

AI -. - —

U U

Figure 12

Les phrases (20)-(22) décrivent ces objets:

(20) a. Le devant de l'armoire est sculpté, b. L'avant de l'armoire est sculpté.

(11)

(21) a. Le devant du billard est griffé, b. L'avant du billard est griffé.

(22) a. Le devant de la maison est peint en vert, b. L'avant de la maison est peint en vert.

La phrase (20a) réfère, selon moi, au segment AC, cependant que la phrase (20b) désigne le segment CB. Pour les phrases (21), la première réfère à A D (et plus précisément à A B , pour des raisons qui seront exposées plus loin), tandis que la deuxième désigne CD. Pour les phrases (22) enfin, la première signifie que la façade de la maison est peinte en vert, mais la deuxième me semble désigner, plus spécifiquement, le balcon de la maison.

Que faut-il conclure de ce paradigme? On remarquera que dans chacune de ces phrases, l'avant de l'objet désigne la partie de son devant la plus proche d'un locu- teur, situé en face de l'objet. I l en sera de même pour l'objet indéterminé de la scène 13 dont le devant est A D et l'avant BC. I l est intéressant de noter que c'est pour cet objet imaginaire, dont la fonction est inconnue, que j ' a i obtenu la plus grande unanimité dans le choix de l'avant! le devant.

Comparées aux résultats du paragraphe précédent où le devant! le derrière étaient les parties frontières de l'avant! l'arrière d'un objet, les conclusions tirées des objets à plusieurs plans frontaux peuvent sembler paradoxales. C'est, en effet, le devant! le derrière qui contient ici l'avant! l'arrière et non l'inverse. Tout se passe donc comme s'il existait deux types d'usages de l'avant! l'arrière tels que:

avant/ arrière^ c devant/ derrière c avant/ a i r i è r ^ * v

Faut-il en conclure que les nominalisations l'avant! l'arrière sont bisémiques et désignent:

1- La partie de l'objet (normalement) la plus proche/ la plus éloignée du locuteur.

2- La moitié de l'objet (normalement) la plus proche/ la plus éloignée du locuteur.

Cette duplicité, qui irait à rencontre de l'intuition du locuteur, sera expliquée au paragraphe 4, grâce à l'usage du principe de voisinage.

Figure 13

(12)

3.4 Objets assimilés à des surfaces.

Ce type d'objets, lorsqu'il est normalement horizontal, n'a pas de devant, comme en témoigne la phrase (23):

(23) *Le devant du tapis est mouillé.

La phrase (24) est moins improbable dans la bouche d'un visiteur qui a peur de se mouiller les pieds:

(24) ?L'avant du tapis de la salle de bain est mouillé.

A une surface normalement verticale, on attribuera un devant! derrière plutôt qu'un avant! arrière:

(25) a. Protège le devant du tableau, b. *Protège l'avant du tableau.

(26) a. Quelques mots sont griffonés sur le derrière du cadre, b. *Quelques mots sont griffonés sur l'arrière du cadre.

I l est certes possible de parler de l'avant d'un tableau mais ce n'est qu'en pen- sant à la scène qu'il représente:

(27) L'avant du tableau est plus lumineux que l'arrière

Pour des surfaces dont l'orientation est variable, comme par exemple une po- chette de disque, on utilise également plus volontiers le devant! le derrière que l'avant! l'arrière.

3.5 Les objets orientés.

L'usage des nominalisations le devant! le derrière et l'avant! l'arrière diffère pour ce type d'objets.

Tout d'abord, les objets non-orientés peuvent avoir, bien qu'avec difficulté, un avant! un arrière, mais en aucun cas un devant! un derrière. C'est ainsi que la

(13)

phrase (28a), mais non la phrase (28b), dénonce de manière appropriée les ruses des légumiers:

(28) a. Dans les vitrines des magasins, l'avant des citrouilles est tou - jours plus mûr que l'arrière,

b. *Dans les vitrines des magasins, le devant des citrouilles est tou- jours plus mûr que le derrière.

Les nominalisation le devantl le derrière ne s'appliquent donc qu'aux objets intrinsèquement orientés.

Même quand ils s'appliquent simultanément, le devantl le derrière et l'avantl l'arrière ne coïncident pas nécessairement. Alors que les premiers dépendent essen- tiellement de l'orientation intrinsèque de l'objet, les seconds dépendent plutôt de la position du locuteur. Un verre à bière, par exemple, est intrinsèquement orienté par la marque d'une brasserie. Son devant est la partie qui porte la marque.

L'avant du verre, par contre, est plutôt sa partie la plus proche du buveur. C'est ainsi que la phrase (29a), mais non la phrase (29b), est possible:

(29) a. Le garçon a mis le devant du verre en arrière, b. *Le garçon a mis l'avant du verre en arrière.

Notez, cependant, que les êtres humains, entités orientées par excellence, n'ont ni avant, ni devant.

(30) *Le devant de la reine est sale.

(31) *L'avant du roi est couvert de boutons.

1 j

Comme le commun des mortels, tous deux ont cependant un derrière, qui pourrait encore être appelé leur arrière-train.

3.6 Les objets abstraits.

De même que les objets non-orientés, les objets abstraits ont un avant mais pas de devant:

(14)

(32) a. *Le devant du triangle est pointu, b. L'avant du triangle est pointu.

Les entités géographiques partagent cette propriété: on dira l'avant-pays ou l'arrière-pays mais non *le devant-pays ou *le derrière-pays.

Les objets abstraits sont, généralement, des surfaces, au sens géométrique du mot. On notera que leur comportement diffère de celui des objets réels assimilés à des surfaces verticales (paragraphe 3.4) qui ont un devant/ derrière mais non un avant/ arrière.

3.7 Les objets mobiles.

On parle plus généralement du devant/ du derrière des objets immobiles et de l'avant/ l'arrière des objets mobiles. La convention a fixé cette tendance dans la qualification des portes. En effet, on parlera de la porte de devant pour une mai- son mais de la porte avant pour une voiture. Notez, de plus, que la phrase (33) est correcte cependant que la phrase (34) est bizarre:

(33) La fenêtre avant de la voiture est sur le côté.

(34) *La fenêtre de devant de la maison est sur le côté.

Ces exemples montrent clairement que la fenêtre de la voiture est dite avant en relation avec le mouvement cependant que la fenêtre de la maison est appelée fenêtre de devant par rapport à l'orientation de l'habitation.

3.8 Les objets projecteurs.

Les objets fonctionnels sont généralement tournés vers le locuteur. C'est le cas pour les armoires, les machines à coudre, les pianos, etc. Quelques uns d'entre eux, cependant, se comportent différemment. I l s'agit des fusils, des arro- soirs, des tuyaux d'arrosage, etc. I l se fait que ces objets ont un avant mais non un devant:

(15)

(35) a. Un chasseur ne tourne pas l'avant de son fusil vers lui.

b. *Un chasseur ne tourne pas le devant de son fusil vers lui.

(36) a. Le jardinier tourne l'avant du tuyau vers les fleurs.

b. *Le jardinier tourne le devant du tuyau vers les fleurs.

Les objets projecteurs ne sont, en fait, qu'une classe particulière d'objets en mouvement. Même s'ils restent eux-mêmes immobiles, ils déclenchent le mouve- ment d'un projectile (d'où leur nom), que ce soit une balle pour le fusil ou de l'eau pour le tuyau d'arrosage.

Remarquez qu'un crayon ou une longue-vue se comportent comme ce type d'objets:

(37) a. I l y a une gomme à l'arrière du crayon, b. *I1 y a une gomme au derrière du crayon.

(38) a. L'avant de la longue-vue est pointé vers l'ennemi.

b. *Le devant de la longue-vue est pointé vers l'ennemi.

Ceci amène à considérer le trait que le crayon laisse derrière lui ou le regard de l'observateur comme un projectile. Cette métaphore ne me paraît pas invraisem- blable. Elle est confirmée, en ce qui concerne le regard, par des expressions telles que lancer un regard farouche, jeter un coup d'oeil, etc. .

I l a été noté, à propos des objets mobiles, que leur devant ne coïncidait pas toujours avec leur avant. Cette remarque reste vraie pour les objets projecteurs, comme en témoignent la scène 14 et la phrase (39):

Figure 14

(16)

(39) L'avant de la boîte de lait est à gauche de son devant.

L'avant de la boîte est, ici, la partie qui verse le lait, cependant que son devant est la partie qui porte la marque.

L'arbre ci-dessous récapitule les informations rassemblées ci-dessus sur l'usage des nominalisations le devant! le derrière et l'avant/ l'arrière. Son but est essentiellement mnémotechnique.

Entité

animée

*l'avant

*le devant abstraite

l'avant

*le devant inanimée

non-abstraite

non-onentee l'avant

*le devant

onentee

mobile immobile l'avant

le devant

projecteur non-projecteur l'avant

*le devant volume

l'avant le devant

surface

vertical horizontal

*l'avant l'avant le devant *le devant

(17)

4. Relations entre les nominalisations et les prépositions correspondantes.

Les principaux aspects des distributions des nominalisations le devantl le derrière et l'avant! l'arrière ont été, je l'espère, passés en revue dans la section qui précède. J'entreprendrai maintenant de motiver leur complexité et leurs apparents caprices. Ce serait une précieuse confirmation pour mon analyse des prépositions devant! derrière et avant! après (Vandeloise 1984, 1986) si les concepts impliqués par ces prépositions motivaient également les distributions des nominalisations correspondantes. Ces concepts sont, je le rappelle:

-pour les prépositions devantl derrière: l'orientation générale et l'accès à la perception;

-pour les prépositions avant! après: l'ordre dans une rencontre potentielle.

Je commencerai par évaluer l'importance relative de l'orientation générale et de l'accès à la perception pour la motivation de la distribution des nominalisations le devantl le derrière. Je montrerai ensuite que les deux types d'usages de l'avant!

l'arrière peuvent s'expliquer par l'ordre dans une rencontre potentielle et par l'appli- cation d'un principe de voisinage (Vandeloise 1984). Je relèverai, pour finir, les détails des distributions des nominalisations le devantl le derrière et l'avant!

l'arrière qui sont justifiés par l'orientation générale ou la rencontre potentielle. Ils confirment indirectement le rapport de ces concepts avec les prépositions corres- pondantes.

4.1 Relations entre les nominalisations le devant/le derrière et les prépositions correspondantes.

Ces nominalisations pourraient être définies en fonction de l'orientation générale par la règle d'usage:

l D j : Le devant/le derrière d'un objet est sa partie positivement/négativement orientée.

(18)

En fonction de l'accès à la perception, cette règle s'écrirait:

ID2: Le devant/le derrière d'un objet est sa partie normalement perceptible/sa partie potentiellement perceptible qui n'est pas normalement perçue.

Ainsi rédigées, les règles 1D^ et ID2 font les mêmes prédictions empiriques.

La première règle a non seulement le mérite de la concision mais encore celui d'ex- pliquer directement pourquoi les nominalisations le devantlle derrière ne s'ap- pliquent qu'aux objets frontalement intrinsèquement orientés. La deuxième règle n'explique cette restriction de sélection qu'avec l'aide du terme normalement. Un objet non-intrinsèquement orienté serait en effet rejeté puisqu'aucune de ses parties n'est plus souvent perceptible que les autres. I l a été nécessaire, d'autre part, de préciser dans cette règle d'usage que le derrière est potentiellement percep- tible, de manière à le distinguer de l'intérieur de l'objet. Si aucune de ces deux par- ties ne sont normalement perçues, un simple déplacement suffit, en effet, à accé- der au derrière de l'objet alors que son intérieur reste inaccessible sans violation de l'intégrité de l'objet. Le devantlle derrière d'un objet, on le voit, ne s'expriment pas sans difficulté en fonction de l'accès à la perception. Mieux que la première règle, la règle ID2 explique cependant pourquoi le devantlle derrière, contrairement au deuxième type d'usages de l'avantll'arrière, se restreint aux surfaces apparentes/

non-apparentes de l'objet.

C'est peut-être une raison suffisante pour maintenir la règle d'usage ID2 et donner une double interprétation de la distribution des nominalisations le devantlle derrière. Une motivation multiple de la distribution d'un mot (Langacker 1982) n'est pas exclue dans ce contexte théorique. Si un choix entre les règles l D j et

ID2 était néanmoins nécessaire, c'est sûrement la règle l D j qui serait jugée fonda- mentale. Elle seule, en effet, motive la restriction de sélection, très stricte, qui pèse sur l'usage de le devantlle derrière', ces nominalisations ne peuvent s'appliquer qu'aux objets intrinsèquement orientés. Cette préférence serait en accord avec le rôle primordial joué par l'orientation générale dans le développement des prépo- sitions devantlderrière (Vandeloise 1984).

(19)

42 Les deux types d'usages de l'avant/l'arrière.

La règle d'usage 1A caractérise l'avant!l'arrière d'un objet en fonction de l'ordre dans une rencontre potentielle:

1 A: L'avant/l'arrière d'un objet est la partie de cet objet qui est première/dernière dans une rencontre potentielle (avec le pôle).

La référence au pôle, le deuxième élément de la rencontre potentielle, explique directement pourquoi l'avant de la citrouille dans un étalage est la partie la plus proche des passants cependant que l'avant d'une voiture peut être, pour certains mouvements, la partie la plus éloignée du locuteur. C'est que, dans le premier cas, le pôle est le locuteur (pôle mobile) cependant que, dans le deuxième cas, i l s'agit du but de la voiture (pôle immobile). Ce dernier ne se confond pas néces- sairement avec le locuteur.

Telle qu'elle est formulée, la définition 1A ne désigne directement que les surfaces les plus proches/les plus éloignées du pôle. Or, i l a été vu qu'un deuxième type d'usages de l'avant/l'arrière couvre la totalité de l'objet. Les deux usages de ces nominalisations contrastent clairement dans la scène 15 où AB est l'avantj de l'objet, CD son devant, et le volume CDEF son avant2- Ces parties satisfont la relation suivante:

Comment la règle d'usages 1A peut-elle gouverner le second type d'usages de l'avantll'arrière ? On notera que, comme pour le hautlle bas d'un objet, la fron- tière entre les deux nominalisations est floue: i l existe au centre de l'objet une zone grise où l'appartenance d'un point à l'avantll'arrière de l'objet n'est pas nette- ment tranchée. Ceci suggère que le deuxième type d'usages de l'avantll'arrière

l'avant j c le devant c l'avant2

figure 15

(20)

pourrait être une extension du premier par un principe de voisinage (Vandeloise 1984), que je rappelle ici:

Principe de voisinage:

Si une qualité est continue et bipolaire, un point reçoit, par extension, l'appellation du point voisin aussi longtemps qu'il est plus proche du pôle portant cette appellation que du pôle opposé.

Il est entendu que la représentativité d'un usage décroît avec le nombre d'exten- sions nécessaires pour le justifier. Dans la mesure où elles sont liées à un ordre dans une rencontre potentielle, les nominalisations l'avantll'arrière dépendent bien d'une qualité continue. Leurs premiers usages admettent donc une extension par le principe de voisinage, contrastant avec le devantlle derrière qui refusent l'applica- tion de ce principe. N i l'orientation générale, ni l'accès à la perception qui gouvernent ces nominalisations ne peuvent, en effet, être considérés comme des qualités continues. C'est ainsi que l'avantll'arrière peuvent désigner des volumes cependant que le devantlle derrière s'appliquent uniquement à des surfaces.

4.3 Confirmation de l'interprétation des prépositions devant/derrière et avant/

après.

Une telle confirmation est possible si les concepts impliqués par ces prépo- sitions permettent de justifier, indépendamment, des accidents autrement inexpli- cables, de la distribution des nominalisations correspondantes. L'orientation géné- rale, fondamentale pour le premier type d'usages des prépositions devant/derrière, s'est déjà avérée une condition nécessaire pour l'application des nominalisations le devantlle derrière: seuls les objets frontalement intrinsèquement orientés admettent ces appellations. D'autres particularités de la distribution des nominalisations le devantlle derrière et l'avantll'arrière s'expliquent encore par l'orientation générale ou la rencontre potentielle et le mouvement qu'elle implique:

1- L'avant des objets mobiles diffère parfois de leur devant. Comparez, par exemple, le devant d'une voiture avec sa portière avant. L'avant de ces objets ne peut être justifié par l'orientation générale puisqu'on peut dire: «La portière avant

(21)

de la voiture est sur le côté». En termes d'orientation, ce ne serait pas situer la porte sur le devant de la voiture (orientation générale), mais sur sa gauche ou sa droite (orientation latérale). Seul le mouvement explique donc la différence entre porte avant et porte arrière. C'est la porte la plus proche du pôle du mouvement qui est dite avant, la porte la plus éloignée qui est dite arrière. Le devant de la voiture, par contre, ne peut être sur le côté du véhicule. Pour le devant, ce n'est pas le mouvement mais l'orientation générale de la voiture qui est en jeu.

2- Les objets projecteurs sont les seuls objets intrinsèquement orientés qui n'ont pas de devant. C'est que leur partie positivement orientée est, en même temps, le point de départ du projectile qu'ils projettent. A cause de cette relation directe avec le mouvement, l'avant est préféré au devant pour décrire cette partie de l'objet.

3- Les surfaces verticales, portraits, peintures, etc., ont un devant mais non un avant. L'orientation d'un portrait, anthropomorphiquement fondée, est évi- dente. C'est peut-être pour les mêmes raisons que le devant du billard électrique de la scène 12 évoque, dans la phrase (21), la vitre verticale A B , plutôt que l'en- semble du devant A D . En effet, cette vitre, abondamment décorée, évoque méta- phoriquement, par la richesse de ses détails, la face du billard.

Au contraire, i l n'existe pas de rencontre vraisemblable entre le locuteur et un tableau ou un portrait. Une telle rencontre devrait-elle survenir que, selon son che- min le plus vraisemblable de réalisation, tous les points de la surface verticale se- raient à égale distance du locuteur. Impossible dans ces conditions de distinguer un avant et un arrière.

La phrase (24) montre qu'un objet assimilé à une surface horizontale peut avoir un avant/un arrière. Ici, en effet, certaines parties de l'objet sont plus proches du chemin normal du locuteur que d'autres parties.

4- Les objets abstraits ont un avant mais non un devant. L'orientation anthro- pomorphique de ces objets, probablement le mode prédominant d'orientation dans notre organisation du monde (Vandeloise 1984) est, en effet, malaisée pour ce type d'objets. Certaines parties d'un losange ou d'un triangle dessinés sur une feuille de papier horizontale peuvent, par contre, être plus proches du locuteur et, par conséquent, constituer l'avant de ces figures. Conformément à ce qui a été dit

(22)

plus haut pour les surfaces verticales, ce ne serait pas vrai pour une figure géomé- trique tracée sur un mur.

Cependant que l'orientation générale fournit une explication à toutes les restrictions de sélection des nominalisations le devantlle derrière, c'est donc du côté du mouvement que doit être cherchée la motivation des restrictions de sélection portant sur l'avantll'arrière. Une restriction de sélection, qui concerne aussi bien l'avant que le devant, n'a pas trouvé d'explication jusqu'ici. Pourquoi ne peut-on parler ni du devant, ni de l'avant d'un être humain? C'est peut-être parce que des noms plus spécifiques tels que la face, la poitrine, le dos leur sont préférés en français.

5. Les nominalisations L E D E V A N T / L E D E R R I È R E , L ' A V A N T / L1 A R R I È R E et le principe de fixation.

Pour parler de l'armoire de la scène 16, le locuteur utilisera la phrase (40), même si au moment de renonciation, l'arrière de l'armoire est plus proche de lui que son avant'.

(40) L'arrière de l'armoire est devant le curé.

Cet usage ne contredit pas la règle IA à condition, toutefois, d'y reconnaître une application du principe de fixation (Vandeloise 1984):

Principe de fixation

Un objet peut être qualifié par rapport à sa position normale, même si ce n'est pas le cas au moment de renonciation.

7

Lr

Figure 16

J'aurais pu me passer du principe de fixation pour expliquer la phrase (40) en reformulant la règle IA de la manière suivante:

(23)

1A': L'avant/l'arrière d'un objet est la parue de cet objet normalement première/

dernière dans une rencontre potentielle avec le pôle.

Cette règle serait néanmoins trop restrictive dans la mesure où elle rejetterait, à tort, la phrase (41), qui décrit correctement la scène 17:

Figure 17 (41) L'avant de l'arbre porte tous les fruits.

C'est, en effet, par accident que la partie hachurée de l'arbre est plus proche du locuteur. Selon la règle 1A', elle ne peut donc être appelée son avant. On pour- rait éviter cet écueil en plaçant normalement entre parenthèses, de manière à rendre sa lecture facultative. Mais la règle 1A' deviendrait alors trop extensive et admet- trait, pour décrire la scène 16, la phrase inacceptable (42):

(42) *L'avant de l'armoire est devant le curé.

Pour être appropriée, la règle 1A' devrait donc spécifier les cas où normale- ment doit s'appliquer et ceux où son usage n'est pas permis. Le principe de fixa- tion permet précisément d'effectuer ce choix. I l s'applique, en effet, à un objet moyennant les conditions suivantes:

a- L'objet qualifié se présente presque toujours dans la même position pour presque tous les locuteurs,

b- Les parties de l'objet concernées par la fixation sont facilement reconnaissables.

L'armoire de la scène 16, mais non l'arbre de la scène 17, répond à ces conditions. La règle 1A associée au principe de fixation pourra donc, à la fois, accepter l'usage de lavant dans la phrase (41) et le rejeter dans la phrase (42).

Cette solution est préférable à la règle d'usage 1A', d'autant plus que le principe

(24)

de fixation, loin d'être une propriété particulière des nominalisations lavant/

l'arrière est une loi générale du langage qui décrit un de ses mécanismes fondamen- taux. I l montre comment une partie d'un objet (par exemple, une armoire) reçoit une dénomination (par exemple, l'avant) en relation avec une de ses qualités essen- tielles (en ce cas, le mode d'accès); comment cette dénomination s'associe, peu à peu, avec des qualités accidentelles ou anecdotiques de l'objet (les portes situées à l'avant de l'armoire, les tiroirs, etc.); comment, enfin, ces qualités anecdotiques restent associées à leur dénominations habituelle quand bien même un compor- tement inhabituel de l'objet (par exemple, une armoire tournée vers le mur) contredit, exceptionnellement, la règle d'usage qui gouverne l'emploi de cette dénomination.

Contrairement aux nominalisations l'avantll'arrière, les nominalisations le devant/le derrière ne s'appliquent qu'à la position habituelle du locuteur par rapport à l'objet. En face de la scène 18, le locuteur pourra donc utiliser la phrase (43):

Figure 18

(43) Le derrière de la maison est devant le curé.

La règle d'usage IDj ne nécessite aucun recours au principe de fixation pour s'appliquer à la phrase (43). Puisque c'est la face négative de la maison qui est devant le curé, cette règle lui attribue directement l'appellation le derrière. La règle d'usage 7£>2, par contre, pour être empiriquement correcte, exige l'utilisation du principe de fixation pour tous les objets qui répondent aux conditions d'application de ce principe. L'usage des nominalisations le devant/le derrière est impossible pour les objets non-orientés qui n'obéissent pas au principe de fixation.

(25)

Notez que le principe de fixation peut, dans certains cas, attribuer deux devants à un seul objet. Tel serait le cas pour une maison dont un mur donne sur le boulevard cependant que sa porte d'entrée est sur le côté. Dans ce cas, je parie- rai cependant que les passants choisiront plus volontiers le devant correspondant au boulevard; les habitants, le devant correspondant à la porte d'entrée. Chacun qualifie dont le bâtiment selon les rapports qu'il entretient le plus fréquemment avec lui.

Dans les exemples ci-dessus, on a vu le principe de fixation s'appliquer à l'intérieur d'un même couple de nominalisations. Peut-il jouer un rôle entre diffé- rents couples de nominalisations? C'est bien ce qui semble résulter des exemples ci-dessous.

Les objets assimilés à des surfaces ont un devant/un derrière lorsqu'ils sont verticaux, un dessus/un dessous lorsqu'ils sont horizontaux. Que se passe-t-il quand un objet, normalement vertical/horizontal devient occasionnellement horizontal/vertical? L'intuition, sur ce point, n'est pas tout à fait claire mais les exemples qui suivent semblent indiquer que le principe de fixation s'applique à ces situations. Dans les phrases (a) ci-dessous, un portrait et un tapis occupent leur position normale, respectivement verticale et horizontale; dans les phrases (b), leur position est exceptionnelle, respectivement horizontale et verticale:

(37) a. Le devant du portrait est sale, b. ?Le dessus du portrait est sale.

(38) a. Le dessus du tapis est plus doux que le dessous, b. ?Le devant du tapis est plus doux que le derrière.

Les nominalisations le dessus/le devant respectent donc le principe de fixation et s'appliquent difficilement à un portrait/un tapis momentanément horizontal/

vertical.

Dans l'exemple qui suit, je pousserai jusqu'à l'extrême les effets du principe de fixation. Les pochettes des disques sont généralement rangées verticalement, leur face est colorée pour attirer les acheteurs cependant que leur dos est couvert d'indications techniques, inscrites en noir et blanc. À cause de tous ces détails, on parlera plutôt du devant ou du derrière de la pochette. Les disques, au contraire,

(26)

tournent horizontalement sur le tourne-disque si bien qu'on préfère parler de leur dessus/leur dessous. Imaginez, maintenant, qu'un mélomane désire se souvenir, au vu de la pochette, de la face du disque qu'il a entendue en dernier lieu. Je lui con- seillerai, en pareil cas, de respecter la règle suivante:

«Rangez systématiquement le dessus du disque contre le devant de la pochette.»

6. Conclusions.

Dans cet article, j ' a i essayé d'établir une relation directe entre les usages des nominalisations l'avant/l'arrière et le devantlle derrière et des concepts liés à la perception et à la connaissance que nous avons du monde, tels que:

-L'ordre dans la rencontre potentielle et le mouvement relatif entre deux entités;

-L'orientation générale;

-L'accès à la perception et, en particulier, la ligne du regard.

Ces concepts gouvernent également la distribution des prépositions correspondantes, avant/après et devant!derrière, Les règles d'usage proposées pour ces mots ne fixent directement qu'une partie de leur distribution. Elle doit être étendue à la totalité de leurs usages par deux principes généraux du lexique, le principe de voisinage et le principe de fixation.

Les concepts utilisés dans cet article ne se prêtent pas facilement à une formalisation logique. En particulier, l'orientation générale est une ressemblance de famille, représentée par un ensemble de traits dont aucun n'est nécessaire ou suffisant. Des concepts logiques ou géométriques, indépendants du contexte, ont longtemps été préférés dans la description des termes spatiaux. Je me suis efforcé (Vandeloise 1986) de montrer leurs limites. Ces métalangages ne peuvent décrire qu'une petite partie de la distribution des mots qu'ils étudient. Les usages rebelles

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doivent être exclus par des restrictions de sélection dont le caractère arbitraire étonne. Les concepts cognitifs utilisés ici, au contraire, bien qu'ils aient, ou peut- être parce qu'ils ont, un caractère extrêmement général et s'entremêlent à chaque instant de notre existence, permettent une description exhaustive de l'avantll'arrière et le devantlle derrière. De surcroît, malgré leur caractère omniprésent, ils sont capables de montrer quand, et pourquoi, un couple des nominalisations étudiées dans cet article est préféré à l'autre.

Claude Vandeloise E.H.E.S.S.

(28)

Références

C L A R K , H.H. (1973) «Space, Time, Semantics and the Child» dans Cognitive Development and the Acquisition of Language, T . E . Moore (éd.), New York, Academic Press.

L A N G A C K E R , R.W. (1982) Foundations of Cognitive Grammar (Chapters I and II of draft), Linguistics department, University of California, San Diego.

V A N D E L O I S E , C. (1984) Description of Space in French, Thèse de doctorat, University of California, San Diego.

V A N D E L O I S E , C . (1986) L'espace en français: sémantique des prépositions spatiales, Éditions du Seuil, Paris.

W I T T G E N S T E I N , L . (1953) Philosophical Investigations, New York, MacMillan.

Références

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