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Le Grand Tour Mémoire Julie Bouffard Maîtrise en arts visuels - avec mémoire

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Academic year: 2022

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Le Grand Tour

Mémoire

Julie Bouffard

Maîtrise en arts visuels - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Le Grand Tour

Mémoire

Julie Bouffard

Sous la direction de :

Richard Baillargeon, directeur de recherche

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Résumé

Autrefois, faire Le Grand Tour signifiait de s’embarquer dans un long pèlerinage culturel à travers le continent européen. Ce voyage constituait un rite de passage pour tout jeunes bourgeois voulant élever ses centres d’intérêt et s’imprégner des bases de la société occidentale. Ironiquement, c’est aussi le nom donné à ce texte et à l’exposition qu’il l’accompagne puisqu’il a — comme Le Grand Tour — l’ambition de faire du voyage un prétexte à l’éducation.

L’objectif n’est pas de faire du Grand Tour une thématique, mais d’y voir une amorce à la réflexion. Le voyage prend donc dans ce mémoire une vocation allégorique qui se décline à travers différents temps, différents lieux et différentes matérialités de l’image. Si l’exposition constitue la manifestation physique d’un parcours fictif, ce texte ci-présent cherche plutôt à en retracer l’itinéraire. Il s’attarde d’abord au caractère a- hiérarchique de la photographie, à la décomposition de l’image vidéographique et à l’appropriation des images que l’on retrouve sur le web. Il tisse ensuite des liens entre le regard, le récit, la narration et le déplacement. Finalement, il s’intéresse aux modes d’organisation par lesquels se regroupent les images dans ma pratique, c’est-à-dire, par la mise en espace et par le livre.

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Table des matières

Résumé ___________________________________________________ iii Table des matières ___________________________________________ iv Liste des figures _____________________________________________ v Remerciements ______________________________________________ vii Introduction : Vouloir commencer _______________________________ 1 Chapitre 1 : Faire …___________________________________________ 2 1.1 : … des photographies ___________________________________________ 2 1.2 : … des vidéos _________________________________________________ 5 1.3 : … et s’approprier les images du web. _______________________________ 9 Chapitre 2 : Réfléchir … _______________________________________ 17 2.1 : … le regard ___________________________________________________ 17 2.2 : … au récit et à la narration ______________________________________ 19 2.3 : … et qu’en est-il du déplacement et du paysage? _____________________ 21 Chapitre 3 : Mettre … _________________________________________ 26 3.1 : … en espace___________________________________________________ 26 3.2 : … en livre _____________________________________________________ 32 3.3 : … et faire Le Grand Tour. ________________________________________ 38 Conclusion : enfin terminer. ____________________________________ 50 Bibliographie _______________________________________________ 51

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Liste des figures

Figure 1 : KODAK. Bring Along a Brownie, 1923, publicité. Collection numérique, Duke University, Durham, Caroline du Nord.

https://idn.duke.edu/ark:/87924/r4g44kg13 ... 4

Figure 2 : BOUFFARD, Julie. Marché aux puces, 2013, collage panoramique de

photographies numériques, 11 x 60 pouces. ... 8

Figure 3 : BOUFFARD, Julie. 3490, 132 E, 2013, collage panoramique de photographies numériques, 14 x 80 pouces. ... 8

Figure 4 : RAFMAN, John. 9-Eyes, 2008 à aujourd’hui, captures d’écran diffusées sur Tumblr, http://9-eyes.com/ ... 11

Figure 5 : WOLF, Michael. A Series of Unfortunate Events (no.51), 2009-2010,

photographie d’un écran, http://photomichaelwolf.com/#asoue/51 ... 11

Figure 6 : BOUFFARD, Julie. Voyage à Banff, 2013, collages numériques à partir de captures d’écran tirées de Google Street View, dimension variables... 14

Figure 7 : BOUFFARD, Julie. Revisiter, 2014-15, Livre photographique, 10 x 10 pouces, 90 pages. ... 15

Figure 8 : BOUFFARD, Julie. Revisiter, 2014-15, Livre photographique (détails), 10 x 10 pouces, p.7-8, p.19-20, p.31-21. ... 16

Figure 9 : BANVARD, John. A moving panorama, 1848, illustration, Scientific American, Vol. 4, Issue 13, p. 100,

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58648745. ... 24

Figure 10 : BOUFFARD, Julie. Dalhousie, N-B., 2015, vidéo, boucle de 46 sec. ... 25

Figure 11 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2015, vidéo, boucle de 2 min 30 sec. ... 28

Figure 12 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2015, impression jet d’encre à partir de capture d’écran, 4 x 6 pouces. ... 29

Figure 13 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2016, magazine, 81/2 x 11

pouces, 16 pages. ... 30

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Figure 14 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2016, impression jet d’encre, 23 x 23 pouces. ... 31

Figure 15 : HENNER, Mishka. Astronomical (Twelve volume., Scale, Sun, Earth), 2011, livre d’artiste en douze volumes, couverture souple, 5,50 x 8,5 pouces, 6000 ... 36

Figure 16 : BOUFFARD, Julie. Ce film qui n’a pas vraiment fonctionné dans ce vieil appareil au viseur plutôt décalé, 2016, livre photographique imprimé sur papier vélin, 5 x 8 pouces , 12 pages. ... 37

Figure 17 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (vue d’ensemble), 2018, maquette

SketchUp. ... 39

Figure 18 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (vitrine gauche, vue de l'intérieur de jour), 2018, projection vidéo au sol, boucle approximation de 10 min. .... 41 Figure 19 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (vitrine gauche, vue de l'extérieur de

soir), 2018, projection vidéo au sol, boucle approximation de 10 min. .... 41 Figure 20 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (coin gauche, vue d'ensemble), 2018,

impressions jet d’encre sur adhésif muraux, dimensions variées. ... 42

Figure 21 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (coin gauche, détail), 2018, impressions jet d’encre sur adhésif muraux, dimensions variées. ... 42

Figure 22 : BOUFFARD, Julie. On a attendu que le train parte, 2016, captures d’écrans à partir d’une vidéo. ... 45

Figure 23 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (mur droit, vue d'ensemble), 2018, trois livres photographiques sur trois tables-tablettes. ... 46

Figure 24 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (mur droit, détail), 2018, trois livres photographiques sur trois tables-tablettes. ... 46

Figure 25 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (vitrine droite), 2018, un écran d’ordinateur, un écran de télévision et une console en bois, boucle

approximative de 30 min. ... 47

Figure 26 : BOUFFARD, Julie. Le Grand Tour (vue extérieure, de soir), 2018 ... 49

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Remerciements

À tous ceux et celles qui se sentent concernés, Merci d’avoir continué de croire que je

compléterais un jour cette maitrise.

Ce texte ci-présent est la preuve que vos encouragements et vos bons conseils n'ont pas été en vain.

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Introduction : Vouloir commencer

Faire le tour — Le Grand Tour — pour essayer de rien oublier : images, photographie, vidéo, internet, regard, narration, déplacement, livres et mises en espace. Boucler la boucle, car c’est à ce moment qu’on prend conscience que toute est dans toute ou presque.

Il faut admettre que ce texte et l’exposition qui l’accompagne ne constituent pas une finalité, mais une étape et que de cette étape s'en suivront plusieurs autres.

Heureusement, car la recherche en arts visuels ne procure aucune réponse. Elle nous amène plutôt à comprendre comment poser de meilleures questions. Elle nous apprend à être conscient que ces questions ont probablement déjà été posées et qu’elles se répondront par d’autres questions1.

Ce mémoire se veut donc une réflexion honnête sur un projet en cours; sur un travail vivant qui cherche à cerner les bases d’une réflexion en constante évolution. Se déclinant en trois chapitres contenant chacun trois sous-chapitres, il fait premièrement état du FAIRE des images et de ses médiums — de la photographie, de la vidéo et d’internet —, il tente deuxièmement de RÉFLÉCHIR à des thématiques et à des concepts inhérents à la pratique — au regard, au récit et au déplacement — et s’interroge ensuite sur les dispositifs qui nous permettent de METTRE — en espace, en livre et en exposition — les images qui résultent des deux précédents chapitres.

1 MARTINEZ, Chus. «Time to Be Loose». Forms of Education: Couldn’t make sens of it. Zagreb : Institue for New Connotative Action Press, 2016, p.324.

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Chapitre 1 : Faire …

1.1 : … des photographies

Débuter ce mémoire en parlant de la photographie est pour moi une évidence, non pas parce que je privilégie ce médium aux autres, mais parce qu’elle a d’une certaine façon toujours été là. Parfois omniprésente, parfois sous-jacente, elle exerce sur ma pratique une influence centrale qui va bien au-delà du simple acte photographique. Elle s’immisce comme un prétexte à l’exploration, toujours en dualité ou en singularité avec une autre matérialité de l’image. Penser à la photographie — à ses formes, ses affects ou ses usages — est une source de réflexion inépuisable, hautement stimulante et constamment renouvelable. De toutes les choses qu’elles portent2, les images photographiques me rejoignent dans leur visée a-hiérarchique; dans leur volonté d’être là — tout simplement — à la portée de tous.

L’acte de faire des photographies séduit par son accessibilité; par son ambition d’offrir au plus grand nombre les moyens techniques pour enregistrer les moments signifiants et les instants les plus insipides de la vie. Dès la mise en marché du Brownie (figure 1) au début du XXe siècle, Kodak incarnait déjà cette idée. Son faible coût et sa facilité d’utilisation ont permis à la classe moyenne de s’emparer de l’activité photographique.

Des années plus tard, alors qu’Apple popularise l’intégration de l’appareil photo au téléphone cellulaire et réalise sa connexion web par le 3G, l’objectif est le même3. La photographie a toujours tendu vers une simplification progressive de ses dispositifs d’enregistrement pour permettre à l’ensemble des gens de s’y adonner. Il faut célébrer cette visée démocratique qui lui est inhérente. Grâce à ces avancées technologiques,

2 Il est ici évident que mon intérêt pour la photographie ne se limite pas qu’à sa visée démocratique.

Plusieurs aspects dont sa temporalité, son potentiel narratif ou encore son décalage par rapport au réel sont également bien présents dans ma pratique. Reste que son accessibilité, tant sur le plan de la prise de vue que de la réception, est définitivement l’aspect conceptuel de la photographie autour duquel mon projet de maitrise s’articule.

3 «Ce n’est pas un appareil photo, mais un téléphone portable, produit par une marque d’ordinateurs, l’iPhone d’Apple, conçu par Steve Jobs pour donner un large accès aux fonctionnalités du web (et plus particulièrement sa version 3G, disponible à partir de 2008), qui donne le signal d’une évolution

primordiale : celle de la photographie connectée[…]L’adaptation de la photo à la téléphonie mobile existait depuis les premiers camphones, disponibles au Japon dès l’année 2000. Mais la puissance conférée à cette conjonction par la norme 3G (UMTS), équivalente au passage du modem au haut débit, ouvre la voie à la pleine application des pratiques visuelles.» GUNTHERT, André. « L’image conversationelle : Les nouveaux usages de la photographie nu- mérique». Études Photographiques [en ligne]. Mars 2014 ; numéro 31[consulté le 9 décembre 2014]. Disponible : http://etudesphotographiques.revues.org/3387.

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produire des images est une tâche d’une simplicité alarmante. Si la volonté se présente, tout le monde peut faire des photographies et ce sans savoir-faire préalables, outre peut-être celui de savoir appuyer sur un bouton4. « After all, not only can everyone take photos; in the digital era, more or less everyone does »5, dira laconiquement Robert Shore dans l’introduction de son ouvrage consacré aux postures post-photographiques.

Ainsi, en évacuant ses prérequis et ses savoirs techniques, la photographie réussit à s’intégrer dans le quotidien avec une aisance qu’aucun autre médium puisse le faire.

Non seulement elle nous interpelle à travers divers médias, elle a développé en nous une nécessité, celle de prendre TOUT en photos : notre quotidien, nos proches, nos biens, nous. Les sujets inédits sont rares et parfois même inexistants. Tout ou presque a été photographié. Ce qui nous semble aujourd’hui original ne le sera plus demain.

Sans chercher à n’être qu'une pâle copie d’elles-mêmes, les images photographiques

— et plus spécifiquement les images numériques — ont la capacité de se reproduire, se recycler et se réinventer à l’infini. Les considérer comme précieuses ou uniques est contre leur nature. Il faut les prendre dans toute leur banalité et valoriser ce qui leur est semblable. Il faut chercher ce qui est irréductible, ce qui persiste et ce qui transcende ces dernières. Il faut jouer avec leur multiplicité, car les photographies viennent rarement seules; elles sont toujours accompagnées d’un contexte, d’une temporalité et surtout d’une intention.

Le fait que tous et toutes aient la possibilité de produire des photographies ne diminuent en rien l’importance de pratiques artistiques qui, comme la mienne, travaillent avec des images du quotidien. Au contraire, je pense que toutes entreprises photographiques — autant celle de l’artiste que de l’amateur — sont valables et méritent d’être prises en compte dans une analyse contemporaine du médium. Ces différentes approches qui oscillent entre fonction sociale et volonté artistique permettent à la photographie de revêtir plusieurs identités simultanément; d’agir comme forme d’expression, comme document, comme souvenir, comme preuve,

4 Et encore là, avec les fonctions de commande vocale, l’autonomisation ou la programmation des dispositifs d’enregistrement ceci n’est plus vraiment le cas.

5 SHORE, Robert. «Introduction : Post-photography is … ». Post-photography : The Artist with a Camera.

Londres : Laurence King Publishing, 2014, p.7

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comme trophée, comme fétiche… C’est cette pluralité de formes et d’usages qui selon moi rend la photographie si singulière.

Figure 1 : KODAK. Bring Along a Brownie, 1923, publicité. Collection numérique, Duke University, Durham, Caroline du Nord. https://idn.duke.edu/ark:/87924/r4g44kg13

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1.2 : … des vidéos

La vidéo est entrée dans ma pratique avec une certaine résistance. Ma première erreur fut de l’opposer à la photographie; de ne pas reconnaître la singularité des images qu’elle générait. Ce qui rendait son utilisation comme médium difficilement concevable.

Faire des vidéos me semblait un geste hautement prémédité. Pour des raisons qui m’apparaissent maintenant injustifiées, j’avais l’impression qu’il fallait que je parte de rien; que j’élabore un script ou que je sois certaine de mon concept avant de penser à faire une quelconque captation. Or, cette manière de travailler m’est difficilement concevable. Au contraire, les images arrivent trop souvent avant les idées. C’est à partir d’elles que prennent forme ces dernières. La création est pour moi une construction lente et contemplative dont la structure s’élabore dans le recul et ce longtemps après l’enregistrement.

En fait, ma résistance n’était peut-être pas contre la vidéo — puisqu’elle n’est qu’un outil —, mais plutôt contre le cinéma. J’associais les images en mouvement à un déroulement chronologique, à des histoires abracadabrantes ou à de grands moyens.

Voulant me dégager de ces restrictions, je me suis plutôt intéressée aux pistes alternatives qu’offrait le cinéma expérimental. J’ai trouvé dans le Nouveau Cinéma Allemand6et particulièrement dans les travaux de Wim Wenders — une vision des images cinématiques qui m’interpellait. Actif de la fin des années soixante jusqu’au début des années quatre-vingt, ce regroupement de jeunes cinéastes7 berlinois avait comme ambition de se distancier de l’exubérance hollywoodienne de l’époque en faisant du cinéma un lieu narratif complètement éclaté où la singularité du sens prévalait sur les moyens entrepris. Cet extrait du manifeste d'Oberhausen de 1962 exprime bien leur désir de produire un cinéma libre des conventions de l’époque.

En Allemagne, comme déjà dans d’autres pays, le court métrage est devenu l’école et le champ d’expérimentation du long métrage. Nous proclamons notre ambition de créer le nouveau cinéma allemand. Ce nouveau cinéma a besoin de nouvelles libertés. Il doit se libérer du

6 Neuer Deutscher Film de son nom d’origine.

7 Parmi ces derniers ont retrouve Volker Schlôndorff, Alexander Kluge, Rainer Werner Fassbinder, Wim Wenders, Margarethe Von Trotta et Werner Herzog.

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conformisme corporatiste, de l’influence des partenaires commerciaux, de la tutelle des groupes d’intérêt.8

Chez certains — et principalement chez Wenders — cette idée fut transposée par une volonté de tendre vers un régime antithéâtral de l’image. Les scènes de hautes intensités remplies d’artifices que l’on est habitué de voir au grand écran sont remplacées par des moments d’une banalité presque familière. La longueur des plans fixes, les pauses entre les dialogues et la fluidité des travellings contribuent malgré tout à une certaine tension, mais cette tension demeure ici sans grand dénouement, car le rythme des actions qu’il met en scène se rapproche davantage d’une temporalité à l’échelle du réel.

La première fois que j’ai eu en main une véritable caméra 16 mm, j’ai tourné un plan de trois minutes, parce que la bobine durait 3 minutes.

C’était un plan de paysage. J’ai installé la caméra, et rien ne s’est produit.

Le vent soufflait, les nuages passaient, mais il n’est rien arrivé.9

En lisant La logique des images de Wenders, il est devenu évident pour moi que la vidéo avait sa raison d’être dans ma pratique. Ce sentiment qu’il décrit s’apparente de près au désir initial que j’ai de vouloir capter les choses comme elles sont, tout simplement. Il fallait donc me laisser porter par ce que je voulais réellement filmer, c’est-à-dire, des moments si simples qu’ils en deviennent presque banals. Nul besoin d’être confronté à des évènements extraordinaires ou d’avoir un plan précis pour filmer. Il suffit de pointer la caméra sur quelque chose, de peser sur l’enregistreur et d’attendre.

Un autre facteur qui peut avoir contribué à l’intégration de la vidéo dans ma pratique est que — ironiquement — je commençais à me lasser de l’image photographique.

Celle-ci m’apparaissait de plus en plus contraignante. Son irréductible fixité allait contre mon désir de faire de l’image un lieu d’instants multiples. Par des collages panoramiques et des agglomérations de clichés, j’ai cherché en vain d’étirer sa temporalité (figure 2 et 3). Je voulais qu’une même image contiennent une succession

8 Extrait du Manifeste d'Oberhausen, 28 février 1962 tirée de ; Manifeste D'Oberhausen, critique et théories, Déries.tv, http://derives.tv/manifeste-d-oberhausen/ p. 1, consulté le 3 septembre 2018.

9 WENDERS, Wim. «Voleurs de cinéma». La logique des images. Paris : L’Arche, 1990, 180 p.

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d’instants qui se développeraient à travers sa structure interne. Sans m’en rendre compte, je cherchais à introduire dans l’image photographique cette même qualité séquentielle que l’on retrouve dans la vidéo et le cinéma.

Si j’en étais à utiliser et concevoir la photographie dans le même esprit qu’une suite d’images en mouvement, pourquoi ne pas aborder la vidéo comme j'aborde la photographie ? Pourquoi ne pas la ralentir, la saccader et la décomposer? La vidéo peut-elle tendre vers une telle fixité? Peut-elle se confondre à une image photographique? Peut-on la dégager de son temps? Parce qu’il y a quelque chose de définitivement puissant dans le fait de ralentir ou de fixer une image en mouvement.

On la sort de son temps et on lui en octroie un autre. On lui donne un temps qui n’est pas le sien, mais qui le devient par procuration. Carl Havelange explique que la narration au cinéma nous ramène toujours au présent qu’elle contient.

Pourquoi cette relation si singulière de la photographie à la temporalité, à la mémoire, à l’absence, à la mélancolie, à la perte ? Et pourquoi n’en va-t-il pas exactement de même du cinéma ? Pourquoi l’image photographique semble-t-elle être conjuguée au passé, et l’image cinématographique, au présent ? Effectivement, la narration cinématographique, quand elle est aboutie, nous ramène toujours à son présent — au présent qu’elle contient, qu’elle produit —, alors qu’une photographie donne toujours la mesure d’un éloignement […], Le cinéma fait apparaître ; la photo ouvre un abîme.10

De fil en aiguille, la co-présence de la photographie et de la vidéo est devenue dans ma pratique une source continuelle d’explorations et de réflexions. Même après avoir passé la fin de mon baccalauréat et une partie de ma maitrise à y penser, je cherche toujours — mais peut-être un peu moins activement —à donner forme à cet entre- deux que pourrait se partager l’image fixe et l’image en mouvement. Peut-être qu’il existe, peut-être qu’il n’existe pas. La quête de ce dénominateur commun étant plus importante que sa résolution, les possibles demeurent pour ma part hautement plus intéressants que l’aboutissement matériel pouvant résulter de ses explorations.

10 HAVELANGE, Carl. « L’image incertaine : Plaidoyer pour une histoire culturelle du cinéma et de la photographie. » Cinémas, volume 14, numéro 2-3, 2004, p. 179–189.

https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2004-v14-n2-3-cine863/026008ar/, consulté le 14 septembre 2018.

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Figure 2 : BOUFFARD, Julie. Marché aux puces, 2013, collage panoramique de photographies numériques, 11 x 60 pouces.

Figure 3 : BOUFFARD, Julie. 3490, 132 E, 2013, collage panoramique de photographies numériques, 14 x 80 pouces.

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1.3 : … et s’approprier les images du web.

La photographie et la vidéo sont tous deux issues d’un dispositif de mise en images plutôt similaire; c’est-à-dire qu’ils impliquent une boîte noire, un objectif, un support d’enregistrement ainsi qu’un sujet enregistré dans son contexte réel. Or, une partie de ma pratique consiste aussi à piger dans ce flux d’images préexistantes que l’on retrouve sur le web. Je suis portée vers les images pauvres, de basse résolution et de faible qualité, qui font partie de notre paysage numérique quotidien11. J’aime que ces dernières soient — un peu comme les images photographiques — facilement accessibles, clairement reconnaissables et rapidement consommables. Même si la technologie ne cesse de se raffiner et que les écrans offrent maintenant une résolution optimale, il y a quelque chose de profondément rassurant dans la trame digitale. La texture grossière des pixels nous ramène à la composition même des images numériques. Ces dernières demeurent des représentations tout de même honnêtes d’un monde virtuel que nous avons encore de la difficulté à rendre tangible. Telles que qualifiées par Hito Steyerl dans In the Defense of the Poor Image, ces images pauvres témoignent plus concrètement de la réalité dans laquelle nous évoluons que des compositions hyperréalistes au rendu ultra leché qui tente au contraire d’évacuer toute trace ou texture de ce qui les composent.

The poor image is no longer about the real thing _ the originary original.

Instead, it is about its own real conditions of existence; about swarm circulation, digital dispersion, fractured and flexible temporalities. It is about defiance and appropriation just as it is about conformism and exploitation. In short: it is about reality.12

Le web est un espace où les limites de la propriété et du droit d’auteur se brouillent.

L’appropriation y est pratique courante, voire même encouragée. Chacune des images que l’on rencontre à l’écran est une copie d’une copie en 72 ppp circulant dans un continuum visuel quasi infini. Il n’est pas surprenant de voir une multitude d’artistes

11 Par exemple, aux images publicitaires, aux gifs, aux vidéos sur Youtube et plus particulièrement images de Google Street View.

12 STEYERL, Hito. «In the Defense of the Poor Image». The Wretched of the Screen. Berlin : E-flux Journal, Sternberg Press, 2012, p. 44.

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s’en emparer et ce dès les débuts d’Internet. Dans son essai Post-Internet : Art After the Internet, Marisa Olsen, qualifie ce type d’artistes comme des Pro Surfers :

« […] these Pro Surfers are engaged in an enterprise distinct from the mere appropriation of found photography. They present us with constellations of uncannily decisive moments, images made perfect by their imperfections, images that add up to portraits of the web, diaristic photo essays on the part of the surfer, and images that certainly add up to something greater than the sum of their parts. Taken out of circulation and repurposed, they are ascribed with new value […] the work of pro-surfers transcends the art of found photography insofar as the act of finding is elevated to a performance in its own right, and the ways in which the images are appropriated distinguishes this practice from one of quotation by taking them out of circulation and reinscribing them with new meaning and authority » 13

Dans sa définition, Olsen ajoute à l’acte d’appropriation que font ces artistes une valeur performative qui me semble particulièrement juste. En effet, parcourir le web est une activité prenante, voir même hypnotisante, qui demande un investissement incroyable et une attention particulière, car il est facile de se laisser emporter dans les profondeurs du web. Il n’est pas question ici de seulement prendre les images d’Internet, mais de les utiliser pour en faire quelque chose d’autre. Nul besoin de se lancer dans de grandes modifications, ce quelque chose d’autre se manifeste souvent dans une simple recontextualisation. En les déplaçant dans un contexte autre que celui du web, les images acquièrent un sens nouveau, sans toutefois en évacuer l’essence.

De tout ce qui est disponible sur Internet, Google Street View est l’application que je privilégie. Y a-t-il à ce jour une représentation du monde plus complète, plus détaillée et surtout plus accessible que celle offerte par Google14 ? Elle rend possible le rêve de parcourir la terre entière sans même se déplacer. Rares sont les endroits qu’on ne peut pas explorer sur cette plate-forme virtuelle. Ces lieux — qu’ils se situent tout près de nous ou à l’autre bout du monde — s’offrent au regard curieux de l’internaute, disponibles aux multiples usages et emprunts. Internet est devenu l’aire de flânage par

13 OLSON, Marisa. «Post-Internet : Art After the Internet». Foam Magazine. no.29. 2011.

www.marisaolson.com/texts/POSTINTERNET_FOAM.pdf., p.60.

14 J’inclus ici Google Street View, Google Maps, Google Earth.

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excellence, au même titre que l’étaient autrefois les sinueuses ruelles de Paris15. Il n’est donc pas surprenant de voir vers la fin de la dernière décennie plusieurs artistes en tirer profit. Parmi ces derniers, je pense notamment à Jon Rafman et son projet 9- eyes (figure 4) qu’il réalise en 2009, mais aussi à Micheal Wolf qui, au même moment ou presque, compose A Serie of Unfortunate Events (figure 5). Les deux projets reprennent sensiblement la même méthodologie, c’est-à-dire parcourir Google Street View à la recherche de scènes inusitées. Des individus en train de commettre des actes illégaux, des voitures en feu, des aberrations formelles crées par le logiciel de raccord

d’images : rien n’est à l’abri de ces photographes du web.

Figure 4 : RAFMAN, John. 9-Eyes, 2008 à aujourd’hui, captures d’écran diffusées sur

Tumblr, http://9-eyes.com/

15 L’activité du flâneur, tel qu’articulé par Walter Benjamin, consisterait à déambuler dans les rues sans but précis, tout en analysant la modernité dans une perspective critique.

NUVOLATI, Giampaolo. «Le flâneur dans l’espace urbain», Géographie et Cultures. 2009.

http://journals.openedition.org/gc/2167, consulté le 9 février 2018.

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Figure 5 : WOLF, Michael. A Series of Unfortunate Events (no.51), 2009-2010, photographie d’un écran, http://photomichaelwolf.com/#asoue/51

Pour ma part, j’utilise Google Street View pour me déplacer à travers le monde — ou plutôt sa version virtuelle. Cette application me permet de visiter des endroits où je ne suis jamais allée, mais aussi de revoir des lieux que j’ai déjà parcourus. En fait, elle vient combler un désir constant de voyager. J’ai commencé à utiliser Google Street View en 2013, un peu avant mon entrée à la maitrise. Le projet s’appelait Voyage à Banff (figure 6). Je me rappelle avoir lu un article comme quoi Google avait commencé à compiler dans son système les images de grands parcs nationaux canadiens dont celui de Banff. Sans itinéraire, j’ai parcouru les rues, les sentiers pédestres et même les pistes de skis à la recherche de paysages qui — en quelques sortes — corroboraient cette vision idyllique que j’avais de cette ville et ses alentours. Frappée par la multitude des lieux ainsi mis en images, je me suis mise à fabuler, à élaborer un voyage fictif.

Les images tirées de Google Street View fascinent et induisent une sensation d’authenticité qui perturbe notre rapport à ces dernières. Pour reprendre les paroles de Steyerl : « […] many of the aerial views, 3-D nose-dives, Google Maps, and surveillance panoramas do not actually portray a stable ground. Instead, they create a supposition that it exists in the first place.»16 Ces images jouent donc sur cette présomption d’existence, elles affirment refléter avec exactitude des lieux réels qu’elles représentent. Elles nous implorent de leur faire confiance et, souvent, nous lui accordons aveuglement un sceau d’authenticité, sans trop de méfiance. Parfois, seul le logo de Google flottant dans le ciel est là pour nous rappeler sa provenance.

Ne m’ayant jamais vraiment quittée, cette fascination pour Google Street View s’est ensuite manifestée à la maitrise par le projet Revisiter. À ce point de ma pratique, une corrélation commençait vaguement à se dessiner entre mon utilisation de cette application web et la notion de voyage ou de déplacement. En effet, comme son titre le sous-entend, Revisiter consiste en un retour en images sur un précédent séjour — cette fois bien réel — en Californie du Nord, plus spécifiquement dans les régions de San Francisco, Silicon Valley et Napa. Il découle d’un questionnement sur la fonction

16 STEYERL, Hito. « In Free Fall : A Thought Experiment on Vertical Perspective». The Wretched of the Screen. Berlin : E-flux Journal, Sternberg Press, 2012, p. 24.

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que joue ces photographies que l’on rapporte de voyage. Détiennent-elles un potentiel quelconque ou sont-elles vouées à devenir de simples souvenirs; des témoins anecdotiques que l’on range systématiquement dans un regroupement de dossiers chronologiquement classés, voués à être oubliés ?

Ainsi, Revisiter impliquait de poser un second regard sur ces photographies de voyages; de tenter de retrouver les mêmes lieux que j’avais préalablement visités et photographiés. Site par site, j’ai arpenté Google Street View en me fiant essentiellement à mes souvenirs. J’essayais de me rappeler qu’est-ce que j’avais fait le jour où j’ai photographié ces lieux; quels chemins j’avais empruntés, à côté de quels bâtiments j’étais passé, vers quel endroit je me dirigeais. Certains lieux ont été faciles à retracer, d’autres m’ont longtemps fait tourner en rond.

Des quatre-vingt-dix images retenues de mon voyage réel, chacune a pu être re- photographiée et jumelée sous la forme première d'un livre (figure 7 et 8). Par souci formel, mais aussi pour tester les limites de Google, j’ai voulu retrouver un cadrage, ou du moins un angle de prise de vue vue semblable à celui perçu dans le cliché d’origine. Ce qui fait que, selon la disponibilité des lieux, certains diptyques avaient une composition presque identique, à un point tel qu’il était difficile de différencier parmi les deux images laquelle provenait vraiment de Google et laquelle était issue de ma propre saisie. Lorsqu’on se met à feuilleter les pages du livre, cette incertitude quant à la nature des photographies présentées enclenche donc une dynamique comparative des plus singulière. Qu’il soit minime ou majeur, le décalage entre les images nous pousse à être attentifs aux composantes qui, d’une part les unissent, d’autres part les distinguent.

Dans son livre Désir d’ailleurs, Franck Michel affirme que « la photo nous autorise en quelque sorte deux voyages en un : le premier est au présent, le second au passé ; l’un se vit rapidement, l’autre se raconte tranquillement et peut se répéter à loisir »17. Google Street View nous offre bien plus qu'une expérience différée, il nous permet deux voyages bien distincts. L’un se déroule sur place dans l’immédiateté des lieux

17 MICHEL, Franck. Désirs d’Ailleurs : Essai d’anthropologie des voyages. 3e édition. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2004, p.140.

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visités et l’autre se vit aussi au présent, à travers ce monde en continuelle mutation qu’est le web. Évidemment, ce dernier nous procure un plus grand recul. Face à l'écran de notre ordinateur, il nous est possible de voir et revoir les mêmes lieux. Nous ne sommes plus happés par l'attrait de la nouveauté, nous entrons plutôt dans un rapport de familiarité.

Figure 6 : BOUFFARD, Julie. Voyage à Banff, 2013, collages numériques à partir de captures d’écran tirées de Google Street View, dimension variables.

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Figure 7 : BOUFFARD, Julie. Revisiter, 2014-15, Livre photographique, 10 x 10 pouces, 90 pages.

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Figure 8 : BOUFFARD, Julie. Revisiter, 2014-15, Livre photographique (détails), 10 x 10 pouces, p.7-8, p.19-20, p.31-21.

Chapitre 2 : Réfléchir …

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2.1 : … le regard

Faire des photographies, des vidéos et emprunter des images sur le web impliquent l’action première de regarder. Évidemment, il faut savoir observer sensiblement afin de déceler le potentiel des choses qui s’offrent à nous. Le regard n’est pas à sous-estimer lorsqu’on base notre pratique sur l’observation. Le temps passé à l’atelier devient minime par rapport à celui passé en retrait, à contempler ce qui se passe autour de soi. D’un point de vue extérieur, ceci peut donner l’impression qu’on ne produit rien de façon concrète ou tangible, qu’on demeure dans un constant état de latence à attendre passivement que prennent forme nos pensées.

Cependant, porter un regard sur quelque chose — peu importe la chose — est une activité qui n’implique en rien la passivité. Regarder n’implique pas seulement les yeux sous leur rôle premier en tant que de capteurs optiques, il engendre un complexe processus réflexif et créatif. Par le regard, on peut atteindre un niveau de conscience qui va au-delà de la simple rétention d’information. La contemplation nous amène à créer des liens formels ou affectifs avec ce qu’on a déjà vu : avec toutes ces choses qui forment notre bagage visuel. Le regard est une instance hautement instinctive.

L’accumulation de ces expériences lui donne une portée essentiellement subjective qui influence par la suite la perception que nous avons des éléments rencontrés au quotidien ou dans tout autre contexte.

Sans réellement savoir pourquoi, il y a des choses qui captent notre attention et qui nous poussent à observer plus attentivement. Pour ma part, ces choses sont des mouvements lents, souvent à peine perceptibles, au rythme régulier ou intermittent.

Ce sont des passants qui apparaissent et disparaissent dans le cadre de ma fenêtre. Ce sont des rafales de vent qui font coller et décoller les bâches de plastique d’un immeuble en construction. Ce sont des gouttes d’eau qui tombent du toit et qui viennent heurter la surface métallique d’une pelle abandonnée. Ce sont les ombres portées sur le mur, les oscillations des branches d’un arbre et les reflets des vitrines du centre-ville. Bref, ce sont des situations qui n’ont à première vue rien d’exceptionnel.

Ce qui ressort du commun saisi notre regard de façon presque instantanée. Nous sommes happés par l’extraordinaire, car il nous extrait momentanément de la monotonie du quotidien. Pourtant, ce sont souvent les évènements les plus banals qui

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continuent jour après jour de nous fasciner. Dans son essai Merely Interesting, la professeure-chercheure Sianne Ngai explique ce phénomène en avançant que ;

In contrast to the once-and-for-allness of our experience of, say, the sublime, the object we find interesting is one we tend to come back to, as if to verify that it is still interesting. To judge something interesting is thus always, potentially to find it interesting again. »18

La persistance de notre regard sur les moments ordinaires, comme ceux décrits précédemment, serait en fait une façon d’en re-valider l’intérêt. En s’arrêtant sur ces derniers, on leur accorde déjà un certain potentiel, mais c'est la décision de les filmer ou les photographier qui réaffirme que ces instants sans artifices peuvent devenir tout aussi intéressants — sinon plus — que ceux qui sont d’emblée spectaculaires. Dans ce sens, on peut dire que le regard impose une réelle prise de position.

Serge Bouchard a dit que « La poésie de la vie quotidienne est la plus forte, elle demande une prouesse peu commune: animer l’ordinaire et le répétitif, donner une âme au désamour du monde, faire honneur aux décors de sa propre vie »19. Il faut donc prendre ces choses qui constituent notre quotidien et les transformer. Pour être en mesure de capter avec justesse ces micro-évènements qui ponctuent le quotidien, notre regard se doit non seulement de demeurer actif, il doit aussi se rendre disponible. Par cela, je ne veux pas dire qu’il faut être aux aguets en tout temps, appareil à la main, prêts à capter les moindres détails de la vie qui passe. Être disponible implique pour moi la volonté de se plonger dans un état d’esprit particulier.

En se promenant dans la rue ou en surfant sur le web, nous devons être à l’affut. Les coïncidences formelles et symboliques présentes dans l’espace réel et dans les lieux virtuels ne se révéleront pas à nous si nous ne sommes pas disposés à les recevoir.

Ainsi, la disponibilité du regard serait cette capacité de faire le vide pour donner place à l’imprévu. Il faut donc faire confiance à son instinct et se laisser porter par ses impressions, sans se faire submerger. Il faut être concentré, mais pas trop, juste

18 NGAI, Sianne. «Merely Interesting». Critical Inquiry. The University of Chicago Press. Vol 34. no 4. 2008.

p.786.

19 BOUCHARD, Serge. « Compter les lucioles : questions à Serge Bouchard, anthropologue, écrivain, animateur» entrevue tirée de CÔTÉ, Véronique. La vie habitable. Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires. Atelier 10, Documents 06, 2014, p.37-38

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assez. Assez pour prendre connaissance des choses telles qu’elles sont en surface, mais pas trop pour qu’elles continuent d’exercer sur nous une certaine fascination.

Rendre son regard disponible serait donc cette habileté à se situer dans un état d’entre-deux afin de s’engager dans une expérience qui unit le sensible et l’intellect.

2.2 : … au récit et à la narration

Une fois sous l’emprise du regard, ces choses, ces lieux et ces micro-évènements qui ponctuent mon quotidien s’interpellent; un semblant de récit commence alors à prendre forme. Ce dernier est dépourvu de mots, il n'est qu’une succession d’images disparates. Il se construit progressivement par la pensée et l’imaginaire. Ce qui fait que — dans la plupart des cas — il n'est pas linéaire. Il fait plutôt agir une multitude de temporalités simultanées et ouvre alors une brèche vers un univers narratif fragmenté.

Comme le mentionne Royoux :

Par-delà la déconstruction des formes établies de narration, la caractéristique majeure des nouvelles modalités du récit serait ainsi de créer des enveloppes, des espaces inclusifs, des espaces monde, dont la question sans cesse relancée est celle des cohabitations. Leur enjeu commun tel que l’on peut maintenant tenter de le formuler, serait donc la constitution d’enveloppes intelligentes, réactives, interactives, en tant que forme nouvelle d’intersubjectivité.20

La narration que Paul Chevrier définit comme «la mise en place de l’espace, du temps et du point de vue21, s’articule dans ma recherche par une volonté de mettre ensemble ou plutôt de faire cohabiter les images selon la formule de Jean-Christophe Royoux dans son essai «Le récit après sa fin : allégories, constellations, dispositifs». Que se soient des photographies, des séquences vidéo ou des images empruntées du web, ces images ne peuvent pleinement s’activer que si on les laisse seules, vouées à eux- mêmes. C’est en les mettant ensemble et en tissant des liens entre elles que peuvent alors apparaitre de potentiels récits. Comme le mentionne avec justesse Chevrier :

20 ROYOUX, Jean-Christophe. «Le récit après sa fin: allégories, constellations, dispositifs» tirée de FRASER, Marie (dir.), Explorations Narratives/Replaying Narratives. Mois de la Photo à Montréal, 2007, p.234, http://www.theanalogueislandbureau.net/pdf/jean_christophe_royoux_le_recit_apres_sa_fin_cat_mdm_200 7.pdf, consulté le 18 septembre 2018.

21 CHEVRIER, H.-Paul. Le langage du cinéma narratif. Collection Cinéma. Montréal : Les 400 coups, 2001, p.160.

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Raconter, c'est choisir et utiliser certains faits, c’est simplifier certains aspects et structurer les évènements de façon à faire apparaitre des liens, c’est surtout resserrer l’intrigue pour supprimer les temps morts, condenser pour mieux dramatiser. Construire selon un point de vue, l’histoire propose donc une interprétation. Et nous racontons des histoires pour donner une logique à la réalité, pour prêter un sens aux choses et leur faire dire ce qui nous arrange.22

Je trie, j’assemble et je dispose mes images sans toutefois chercher à contrôler leur finalité. Les récits que je mets en place sont ouverts et libres d’interprétation. Mon but n’est jamais de dicter, mais plutôt de suggérer des pistes narratives. Ceci peut paraître subtile comme différence, mais dans cette nuance je perçois un contraste indéniable non seulement dans la réception, mais également dans à la création des œuvres. Dans l’intention de proposer un schéma narratif, nous pouvons y voir bien plus qu’une seule avenue possible puisque le récit n’est jamais rendu explicite, il est toujours sujet à être interprété par celui ou celle qui regarde les images.

Pour que les images interagissent plus aisément ensemble, je tente de leur donner la même importance au sein de l’ensemble. Je veux qu’on sente que ces divers instants n’obéissent pas à un quelconque ordre hiérarchique, mais bien qu’ils partagent un temps à la fois commun et indistinct qui se dégage d’une rigidité linéaire. Le début et la fin de l’ensemble se confondent et, entre les deux, on est sûr de rien. Peu importe, cela n’a pas vraiment d’importance puisque ces parcelles de réalités aux allures hétéroclites ont la même portée au sein de la totalité. Malgré leur diverse nature ou provenance, les images ne semblent pas étrangères les unes par rapport aux autres.

Elles s’interpellent et se répondent avec répartie, entrant ainsi dans une grande conversation qui, une fois mis dans l’espace, appartient autant au regardeur qu’à moi- même.

Laisser le récit se consolider par le regard de l’autre ne signifie pas un désintérêt de ma part à imaginer ces hypothétiques récits. Au contraire, l’ouverture de sens que procure cette façon d’aborder les images me permet de manipuler le temps; d’en décortiquer les subtilités et d’en accentuer les aberrations pour rendre leur réception

22 Ibid., p.60.

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encore plus subjective. En raison de cette part de vrai que contiennent les images photographiques et vidéographiques, celles-ci ont à tendance à plus facilement induire en erreur que d’autres types d’image. La fiction découle toujours un peu du réel. On aimerait croire que la ligne qui sépare ces deux pôles est nette, mais elle demeure floue, incertaine et surtout très malléable.

Lorsque vient le temps d’associer des images, j’essaie de mettre de l’avant une ambiguïté de sens. L’union de fragments qui n’ont à première vue rien en commun est l’occasion pour moi de fabuler; « d’imaginer comme réels des évènements purement fictifs »23. Je me permets de créer divers scénarios, certains plus plausibles, d’autres plus improbables. Que ce soit par l’ajout d’images, de mots ou par des traductions douteuses, je superpose des couches d’informations pour complexifier constamment la lecture. Dans cet entre-deux constitué d’une part de vrai et d’une part de faux, l’ouverture autorisée permet de laisser planer l’incertitude. Je veux que cette incertitude soit un sentiment qui s’installe avec le temps; qu’elles apparaissent peu à peu, plus on s’attarde aux œuvres qui se présentent à nous.

Sans cette impression de doute, il y a quoi ? Des vidéos et des photographies placées dans l’espace, des images qui sont juste là comme ça, en attente d’être vues et interprétées. Des images qui essaient de dire, mais qui n’affirment rien. Vouloir tout donner d’un seul coup serait trop facile. Il faut travailler un peu. Lorsqu’il y a place pour l’interprétation, les bonnes réponses n’existent pas et les mauvaises réponses encore moins. Il n’y a qu’une multitude de possibles qui continue de s’accumuler.

2.3 : … et qu’en est-il du déplacement et du paysage ?

My feeling for landscape was born in the backseat of the family car, in the frustration of a young boy who wanted to stop and explore what he saw out the window far more often than his family was willing to do. Holding those images long enough to put myself into them, distilling the residue of emotion left behind by stories I didn’t have time to invent, must have soldered some unusual connections in my nascent imagination.24

23 Selon la définition du Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fabulation/32554, consulté le 6 novembre 2017.

24 GOHLKE, Frank. « Stories in the Dirt, Stories in the Air». Thoughts on Landscape : Collected Writings and Interviews. Tucson, Arizona : Hol Art Books, 2009, p. 271.

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Voir une succession de lieux défiler à ma fenêtre de la voiture, ne pas pouvoir arrêter pour en explorer l’étendue. Être contrainte à l’habitacle de l’automobile, mais laisser son esprit vagabonder bien au-delà de l’horizon. Cette citation de Frank Gohlke relate avec justesse comment est apparu mon intérêt pour le paysage. Enfant, j’avais hâte aux longs trajets en voiture. Ils me permettaient de rêvasser en plein jour. J’aimais me projeter dans ces lieux fréquemment traversés mais jamais visités. Avec le temps, ces voyages se sont tout simplement transformés en prétexte pour sortir mon appareil photo et capter sans réelle intention ce qui se trouvait sur mon chemin. Ainsi, l'idée que je me suis construite du paysage s’est fait en parallèle avec cet état de mobilité.

(figure 10).

La transposition de cette expérience de la route s’est d’abord manifestée dans mon travail sous la forme d’images panoramiques comme je l’ai précédemment mentionné (figure 2 et 3). C’était pour moi une façon de saisir dans leur entièreté les paysages que je parcourais; d’en étirer la forme, mais aussi la temporalité. L’espace étant trop vaste pour le saisir en un seul instant, j’avais l’ambition de réunir sous un même plan plusieurs clichés consécutifs qui reconstitueraient le paysage fuyant au loin. Même si elles étaient fixes, ces images faisaient appel à quelque chose de plus grand que la simple photographie. Outre le flou de la prise de vue qui rappelait le mouvement, le processus de prise de vue sous-entendait déjà une volonté cinématique. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’il y avait peut-être entre le cinéma et le déplacement une parenté sous-jacente.

La lecture de L’Oeil interminable de Jacques Aumont25 est venue cimenter cette connexion entre l’état de mobilité, le panorama et le cinéma. C’est à ce moment que j’ai réalisé que leurs histoires se chevauchaient et s’entremêlaient. Qu’autrefois, un peu avant les débuts du grand écran, il y avait des moving panoramas (figure 9);

d’immenses dispositifs qui déroulaient en continu une longue bande de canevas sur laquelle était peinte un paysage. On les utilisait au théâtre ou dans des reconstitutions historiques pour donner au spectateur l’impression qu’il était devant une scène en mouvement. Des années plus tard, le cinéma a repris ce même genre de dispositifs

25 AUMONT, Jacques. «L’œil variable, ou la mobilité du regard». L’Œil interminable. Collection Les essais.

Paris : Les Éditions de la Différence, 2007, 345 p.

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pour donner créer en arrière-plan une illusion de déplacement. On n’a qu’à penser aux films d’une certaine époque et plus particulièrement à ces scènes qui prennent place dans un véhicule en mouvement. À travers les fenêtres de ce dernier, le même paysage semble défiler à répétition, comme s’il était pris dans une boucle perpétuelle.

Pour se dégager de cet effet maladroit, on a voulu saisir plus exactement cette idée du déplacement en s’inspirant directement du point de vue que passagers de train ont. La caméra se substituant au regard du spectateur, elle fut placée sur un système de rails ou tout simplement sur une voiture afin qu’elle puisse glisser doucement à travers l’environnement à capter. Sans coïncidence, on nommera cette façon d’enregistrer l’espace un travelling.

Il est intéressant de voir que l’expérience qu’on a au cinéma et celle qu’on a en tant que passager d’un véhicule en mouvement sont plus que similaires. Dans les deux cas, notre corps n’est pas appelé à bouger. C’est plutôt notre œil qui devient mobile et c’est justement cette mobilité qui lui permet de parcourir librement l’écran ou le paysage dans lequel il se projette.26 Il nous est tous déjà arrivé d’être absorbé par un film au point de ne plus être conscient de ce qui se passe autour, comme si nous n’étions plus un corps mais un regard. La route procure ce même effet. Elle nous plonge dans un état de perception intense difficilement descriptible. Dans l’introduction de son livre The Open Road, David Campany apparente cette condition à une sorte de transe. Il explique que cette expérience du paysage défilant en continu permet d’évacuer les pensées qui occupent notre esprit. Vidés de ces dernières, nous sommes plus alertes.

De sorte que, lorsqu’on quitte l’habitacle du véhicule, on devient hypersensible à ce nouvel environnement.27 En sortant de notre « transe », chaque chose et chaque lieu que l’on rencontre semblent soudainement intéressants et sont sujets à la contemplation.

Ce phénomène s’amplifie lorsque nous sommes confrontés à un environnement qui nous est étranger. L’attrait de la nouveauté peut nous faire prendre conscience de

26 L’utilisation de la réalité virtuelle pourra éventuellement changer ce rapport et faire en sorte que le corps devient tout aussi mobile que l’œil.

27 «There are times when it becomes trancelike. There are also times when the experience of the landscape rolling by can empty the mind and make the photographer intensely alert, so that when they step from the car they are hypersensitive to the world around them». CAMPANY, David. The Open Road: Photography &

the American Road Trip. New York : Aperture, 2014, p. 27.

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détails qui autrement, dans un contexte plus routinier, nous échapperaient. Il faut toutefois demeurer vigilant. Cette perception intense a comme défaut de rapidement devenir déstabilisante. En effet, il est facile de tomber sous le charme de la nouveauté, le spectaculaire et le pittoresque. À voir que du beau et du nouveau, notre regard peut devenir saturé au point de ne plus être attentif à ce qui l’entoure. Est-ce que cette impression de surcharge visuelle peut être évitée ou est-ce passage obligé lorsqu’on se déplace?

Figure 9 : BANVARD, John. A moving panorama, 1848, illustration, Scientific American, Vol. 4, Issue 13, p. 100,

https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58648745.

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Figure 10 : BOUFFARD, Julie. Dalhousie, N-B., 2015, vidéo, boucle de 46 sec.

Chapitre 3 : Mettre …

3.1 : … en espace

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Le processus de mise en espace28 constitue un moment déterminent de mon travail de création. C’est à cette étape que toutes les choses décrites plus haut — le regard, le récit et le déplacement — se rassemblent, où tout commence à prendre sens. C’est pour moi l’occasion d’instaurer un rythme et de d’établir une organisation spatiale qui est davantage de l’ordre de l’expérience et du sensible que de la simple monstration.

L’espace de présentation n’est pas le théâtre d’images isolées et déconnectées, il est un lieu de rencontre servant à générer des échanges entre ces dernières. Ce sont ces connexions qu’il faut faciliter et mettre en valeur.

Lorsqu’on commence à investir un espace, il est exaltant de penser aux nouvelles formes que l’on peut générer avec les images; par quelles stratégies visuelles ces dernières pourront-elles entrer en contact et par quels moyens interpelleront-elles le regard du spectateur? Les possibilités sont multiples et les choix que nous faisons vont affecter nécessairement la lecture du dispositif. Il faut essayer de faire un survol des possibles et tenter de choisir ceux qui nous semblent adéquats, ceux qui permettent aux spécificités du lieu, aux images et à nos intentions de s’aligner. La mise en espace est une exploration fertile et instinctive qui peut toujours être remise en question. Si les conditions nous le permettent, il faut prendre le temps de disposer les choses dans l’espace, de s’arrêter, d'analyser et de voir comment le tout se côtoie et s’entrechoque.

Autrement, des logiciels de modélisation tel que Sketch up nous permettent d’évaluer ou de valider des idées. Dans tous les cas, il est dans notre intérêt de faire confiance à cette voix qui nous dit que l’image devrait être un peu plus haute, un peu plus à droite, un peu plus grande.

Tant qu’elles demeurent dans mon ordinateur, les photographies, les séquences vidéos et les captures d’écrans que j’accumule, sont dans un état de latence. Maintes fois survolées et regardées, elles constituent pour moi une matière première qui gagne à être mise de côté — et parfois même oubliée — avant d’être employée. Ce recul permet de m’en distancier et de les percevoir autrement. Avec le temps, elles ne sont plus mes images, elles sont des images. Elles perdent leur unicité et s’extraient en partie de leur contexte initial de prise de vue. Elles me paraissent alors plus

28 J’ai décidé ici d’utiliser le terme mise en espace plutôt que dispositif installatif ou installation, car je vise ici plus directement le processus (la mise en espace) que le résultat (l’installation).

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malléables, plus facilement transformables; comme si ces mêmes images pouvaient être réutilisées et réactivées à perpétuité. Ces images pourraient continuellement changer de taille, de cadrage, de support ou encore de temporalité en fonction du contexte dans lequel elles sont présentées. Chacune des altérations ne transforme pas uniquement la forme des images, mais leur octroient un sens nouveau qui vient complexifier et densifier leur lecture. Les images ne sont plus seules, elles entrent et circulent dans un système en pleine mouvance. Elles ne sont pas seulement qu’une version modifiée d’elles-même ou de l’originale, elles deviennent quelque chose d’autre.

Il y a trois ans, j’ai capté une vidéo sur un vaporetto à Venise. Je me rappelle que le trajet du bateau-bus avait été long, tellement long qu’on a préféré marcher le reste du séjour. Pour passer le temps, j’ai sorti mon appareil photo et je l’ai dirigé vers la surface de l’eau dont le calme était perturbé par les turbines de l’embarcation. Il y avait dans la houle quelque chose d’envoûtant, de presque hypnotique. Malgré sa banalité, je percevais dans cet enregistrement de multiples possibles. J’ai modifié sa temporalité pour en faire une boucle (figure 11), j’ai rompu l’intégralité en plusieurs captures d’écrans, j’ai recopié et ré-imprimé une image parmi ces dernières au point d’en dérégler l’encre de mon imprimante (figure 12), j’ai aligné les copies à l’horizontale ainsi qu'à la verticale, j’ai réuni ensuite l’ensemble de ces captures d’écrans sous la forme première d’un magazine (figure 13) et sous la forme suivante d’une grille (figure 14).

Le temps passe et je reviens encore à cette même séquence d’images. J’ai encore envie de la réactiver, de la déconstruire et de la reconstruire. Bien qu’ils découlent d’une même source, j’ose croire que ces projets sont pleinement autonomes et qu’ils ne dépendent pas uniquement des précédents. À chaque fois, ils activent quelque chose d’autre. Les qualifier de simples versions consisterait à donner trop de valeur à l’image de départ et aurait comme conséquence de diminuer l’importance de chacun.

Ces moments de mise en espace sont pour moi l’occasion de porter un regard concret sur les images et leurs possibles; car à chaque fois il y a quelque chose de singulier qui peut émerger.

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Figure 11 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2015, vidéo, boucle de 2 min 30 sec.

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Figure 12 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2015, impression jet d’encre à partir de capture d’écran, 4 x 6 pouces.

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Figure 13 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2016, livre photographique, 81/2 x 11 pouces, 16 pages.

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Figure 14 : BOUFFARD, Julie. Sur un boat à Venise, 2016, impression jet d’encre, 23 x 23 pouces.

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Il faut travailler avec les contraintes spatiales et techniques des lieux à investir.Il faut ajuster l’accrochage, adapter les dispositifs de projections et penser le mobilier de présentation en fonction d’un tout. J’aime que les spécificités d’un lieu nous amènent à diversifier notre approche et à penser les images autrement. Une fenêtre peut devenir un écran, un mur de béton nous force à occuper l’espace au sol au lieu des murs, une rangée de colonnes peut devenir un point d’ancrage pour un dispositif. Tout est une question d’adaptation. Il faut savoir faire avec l’espace sans toutefois s’y fondre. Le but est de donner à voir des organisations visuelles qui questionnent à la fois le regard et l’espace.

Ultimement, une mise en espace réussie devrait solliciter autant le regard des autres que celui de l’artiste. La lecture qu’ils en feront sera toujours hors de notre contrôle. Il ne sert en rien d’essayer de diriger cette lecture. À travers l’ensemble, il faut créer un impact visuel et mettre en place une disposition qui semble complète et cohérente, mais qui — plus on s’y attarde — nous apparaît fragmentée et incomplète.

I want to reveal the quality of a moment passing. Where something is recognized and acknowledged but remains mysterious and undefined. You continue on your way, but have been subtly changed from that point on. I try to set up a network of ideas and emotions with only the tip showing..29

3.2 : … en livre

Il est intéressant de faire le parallèle entre la mise en espace et la mise en page d’un livre30 ; entre une proposition narrative qui se déploie dans un lieu et une autre que l’on tente de contenir dans quelques pages. Ces deux modes de présentation se côtoient depuis peu dans ma pratique, mais je me plais à les confronter. Leur usages proviennent d’intentions similaires; d’un désir d’offrir au regard une structure narrative plus ouverte tout en sachant que leur mode de réception respectif est très différent

29 RUPPERSBERG, Allen. «Fifty Helpful Hints on the Art of the Everyday», 1985 tirée de JOHNSTONE, Stephen (ed.). The Everyday. Documents of Contemporary Art. Cambridge, Massachusetts et Londres : The MIT Press et Whitechapel Gallery, 2008, p. 56.

30 Je précise ici que cette mise en livre concerne les livres d’images et plus spécifiquement de livres photographiques ou photobooks de son appellation anglaise.

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l’un de l’autre. La mise en espace nécessite un investissement physique, une immobilisation ou un déplacement à travers l’espace pour voir et expérimenter l’entièreté de l’œuvre, tandis que la mise en page fait appel à une dynamique interne qui a rarement besoin d’un contexte extérieur pour exister. Tourner les pages d’un livre est une expérience hautement intime. De la couverture, au grain du papier et en passant par l’odeur de la colle utilisée, tout est conçu pour interpeller les sens. Il faut dire aussi que, par sa forme plus restreinte, le livre photographique nous offre une proximité avec son contenu qu’aucune mise en espace pourrait espérer instaurer. De page en pages, notre regard se projette dans les images. On se retrouve seul à seul avec celles-ci et l’environnement extérieur se dérobe.

À la question que pensez-vous du livre comme mode de diffusion de la photographie [en comparaison avec la galerie ou le musée] l’artiste Duane Michals répond:

J'ai un faible pour les livres. Lorsque mes photographies sont au mur d'une galerie, elles sont distantes comme des objets sous verre. Lorsqu'elles sont dans des livres, elles offrent une possibilité d'intimité. Au musée, il y a trente personnes debout qui regardent tous la même chose. Un livre se rapporte chez soi, c'est un objet avec lequel on peut établir un dialogue.

Une exposition se décroche toujours, un livre n'a pas de fin.31

En effet, celui ou celle qui feuillette un livre d’images a le pouvoir de décider la durée de ce dernier; de décider à quel rythme et dans quel ordre défileront les images qui se présentent à lui. Chose qu’on peut difficilement contrôler lorsqu’on entre dans une salle d’exposition. Dans la plupart des cas, la mise en espace se perçoit premièrement et instantanément dans son ensemble. Ce n’est qu’après, lorsqu’on s’approche des oeuvres, qu’on peut entrevoir les détails qui composent l’organisation spatiale. Avec un livre, on a le choix d’arrêter la lecture à tout moment, de la reprendre le jour suivant ou simplement de la laisser en suspens pour peut-être ne jamais la finir. On peut consulter le livre rapidement en effleurant à peine les pages, comme on peut s’attarder avec grande attention à chacun d’entre elles.

31 COUËLLE, Jennifer. «Duane Michals». CV Photo, automne 1998, numéro. 44, p.30.

https://www.erudit.org/fr/revues/cvphoto/1998-n44-cvphoto1069452/21187ac.pdf, consulté le 14 septembre, 2018.

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