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Accueillir l'étudiant-e étranger-ère

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Academic year: 2022

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(1)Accueillir l'étudiant-e étranger-ère Introduction. Depuis la création des «écoles» médiévales jusqu'aux universités modernes, les étudiants et les étudiantes sont mobiles pour différentes raisons: certains lieux d'apprentissage deviennent des pôles d'attraction sur un plan régional, national ou international, et rendent d'autant plus visible l'inégalité de la répartition spatiale des universités. A cela s'ajoute le fait que certaines institutions de formation interdisent l'accès à des groupes spécifiques qui doivent partir étudier à l'étranger. Parfois, le statut social de l'étudiant et le marché du travail exigent ou favorisent des expériences de mobilité académique. Enfin, certaines institutions élitistes ont leurs propres programmes d'échanges académiques et leurs réseaux internationaux: les concurrences entre régions, entre nations et entre centres de formation contribuent ainsi également au développement des migrations estudiantines.1 Les articles de ce numéro spécial sur la mobilité étudiante peuvent concerner, pour la période contemporaine du moins, aussi bien les étudiantes que les étudiants. Ils se situent non seulement au croisement de l'histoire des universités et des migrations, mais aussi de l'histoire urbaine, politique et économique. Les contributions questionnent les modes de recrutement des étudiants étrangers, leur accueil et leur hébergement ainsi que la communication et les contacts développés à leur endroit dans le pays hôte et au sein de l'institution d'accueil. Aussi pouvons-nous distinguer trois axes principaux. D'abord quels buts sont poursuivis à travers le recrutement et l'accueil des étudiants et des étudiantes étrangers? A côté des enjeux pour l'économie locale et nationale (par exemple le débat sur le brain drain), les pôles scientifiques et les institutions cherchent aussi à renforcer leur attractivité. A ce titre, les contributions montrent que la fuite des cerveaux n'est pas une constante historique et que les mesures pour le retour accompagnent souvent les politiques d'accueil. Sur le plan politique, tant les pays de provenance que d'accueil poursuivent des objectifs à court ou plus long terme. Ainsi, ces futures élites que constituent les étudiants étrangers doivent être formées afin que, de retour au pays, elles soient aussitôt actives sur les plans politique, culturel et social. A plus long terme, elles doivent égale-. 7.

(2) Accueillir l'étudiant. e. traverse 2018/1. étranger-ère. ment favoriser des relations privilégiées avec l'université et le pays d'accueil. Les présentes contributions montrent que les transferts de connaissance et les transferts culturels dans les deux sens constituent un objectif important du soutien à la mobilité étudiante, bien que les effets escomptés ne soient pas toujours atteints. La matérialité et les pratiques des mesures prises à l'égard des étudiants et des. -. -. étudiantes étrangers constituent un deuxième enjeu. Quelles institutions, en plus des universités et des services administratifs, quels groupes étudiants, communautés religieuses et nationales, associations et quels individus organisent. -. -. l'accueil, soutiennent et fournissent divers services d'aide aux étudiants?. Comment. sont pris en charge le logement et le soutien psychologique et médical des étudiants étrangers? Quelles facilités sont proposées sur le plan de l'apprentissage de la langue? Le développement d'une offre sportive et culturelle favorise-t-il l'intégration de ces nouveaux arrivants? Qui s'occupe des difficultés et des. plaintes, voire d'un retour anticipé de l'étudiant? Qui gère les contacts avec les institutions du pays de provenance? Enfin, ce numéro interroge les cadres politiques qui favorisent ou au contraire restreignent la mobilité étudiante. D'une part, cette question porte sur la place particulière occupée par la mobilité étudiante au sein des politiques d'immigration dans le contexte plus large de la migration. Dans cette perspective, l'octroi direct ou indirect de bourses et le soutien plus général des étudiants étrangers constituent à la fois une aide sur les plans financier, administratif et logistique et un contrôle à travers une sélection des étudiants selon des critères qui peuvent être politiques, idéologiques et économiques. Ce contrôle s'exerce aussi par la menace du renvoi ainsi que des limitations du droit de séjour et d'accès au marché du travail pendant ou après les études. D'autre part, les politiques étatiques de la formation supérieure à travers la création d'établissements et le soutien aux hautes écoles dans les domaines de la diplomatie et de l'économie jouent également un rôle important dans l'attraction et la prise en charge des étudiants étrangers. Aussi loin que les sources le permettent, les présentes contributions confrontent les cadres institutionnels et politiques (impérialisme, guerre froide, nationalisme, colonialisme) avec les attentes et les expériences individuelles des étudiants. Celles-ci peuvent se révéler très éloignées des buts officiels et de la propagande, mais elles apparaissent étonnamment similaires malgré des contextes temporels et géographiques éloignés. En balayant une large étendue spatio-temporelle, ces articles permettent en effet de saisir la dimension globale de cette mobilité étudiante, que ce soit dans son environnement institutionnel ou par le biais d'expériences individuelles. La combinaison de ces deux aspects n'avait pas encore été analysée en profondeur, malgré les nombreuses recherches sur la mobilité étudiante.. -. 8. -.

(3) Karine Crousaz, Matthieu Gillabert, Anja Rathmann-Lutz: Introduction. L'accueil des étudiants et des étudiantes étrangers est en effet au carrefour de plusieurs courants historiographiques, plus ou moins bien connectés les uns aux autres. Rappelons que la phase d'accueil ne constitue qu'une étape de la peregrinatio academica ou, en suivant Guy Métraux, des «voyages éducatifs».2 Cette dimension de l'accueil concerne moins les projets de mobilité des étudiants ou le voyage lui-même que les politiques et les pratiques développées pour organiser, gérer, voire contrôler la vie des étudiants sur leur lieu d'études. Or, cette étape précisément n'a que rarement fait l'objet de recherches croisées et comparatives entre périodes historiques et sur différentes aires culturelles.3 En ce sens, cette livraison de traverse est originale. L'accueil des étudiants et des étudiantes a toutefois déjà été analysé sous certains aspects. On peut identifier trois perspectives historiographiques sur cette problématique. La première s'intéresse principalement à la vie des étudiants dans leur ville d'accueil il faut souligner que cette histoire est bien une histoire urbaine -, au logement, aux organisations d'entraide liées aux universités, à des institutions privées ou religieuses, ou encore à des organisations gérées par les étudiants eux-mêmes. En se concentrant surtout sur les grandes capitales, certains historiens et historiennes choisissent de placer leur point de vue depuis le lieu d'accueil,4 d'autres à partir de groupes d'étudiants,5 d'autres encore se focalisent sur des institutions spécialement conçues pour le séjour des étudiants et des étudiantes étrangers.6 La deuxième approche est liée aux différentes manières de rendre le lieu d'accueil attractif, dans le cadre d'une concurrence entre centres académiques, que ce soit à l'intérieur des empires ou de l'Europe médiévale, entre les deux blocs de la guerre froide, entre pays industrialisés à l'égard des (ex-)colonies ou à l'échelle du monde. Ce jeu de la concurrence, parfois savamment orchestré par les diplomaties universitaires, conditionne de manière décisive les trajectoires des étudiants, que ce soit à l'échelle locale ou globale.7 Cependant, à côté de l'attraction des grands. -. centres scientifiques. - Paris, Moscou, la Californie -, des métropoles secondaires. ou intermédiaires ont toujours réussi à tirer leur épingle du jeu, profitant de circulations plus larges: à la fin du Moyen Age, Bâle profite d'une migration des. étudiants de l'Empire romain germanique vers l'Allemagne du Sud;8 dans le contexte de la guerre froide, des centres d'attraction, comme la Suisse, à l'Ouest,9 et Cuba, à l'Est,10 utilisent la concurrence entre blocs dans la formation des élites du «tiers-monde» pour attirer vers eux de nouveaux étudiants. Un troisième type d'approche s'intéresse aux sociabilités, aux réseaux et aux identités que génère cet accueil des étudiants. Pour les époques médiévale et moderne, d'imposantes bases de données la plateforme Heloise renvoie à ont été ces bases, notamment le Repertorium Academicum Germanicum11 développées, permettant de retracer les trajectoires individuelles avant et. -. -. 9.

(4) Accueillir l'étudiant e étranger-ère. traverse 2018/1. après la séquence de mobilité académique, de saisir quantitativement l'importance de certains centres universitaires et de comprendre les habitus en fonction de l'origine géographique, sociale et économique des étudiants et des étudiantes. Paradoxalement, pour la période contemporaine, les mêmes séries sont plus difficiles à établir et les recherches insistent notamment sur le. caractère formateur de cette mobilité. En Europe centrale, les élites dirigeantes sont largement issues d'une migration estudiantine vers l'Ouest européen tout autant qu'elles la perpétuent.12 Dans le contexte colonial et postcolonial, les études en métropole se combinent parfois avec le militantisme politique. Pour les étudiants et les étudiantes africains des colonies françaises, cette étape. comme décisive, même si les trajectoires peuvent connaître par la suite des fortunes diverses.13 Dans ces trois approches, les aspects organisationnel, logistique et social de l'accueil des étudiants étrangers restent relativement marginaux. De même, la recherche historienne s'aventure peu, malgré certaines tentatives,14 dans la longue durée pour transcender la frontière invisible entre Ancien Régime et époque contemporaine. La massification de la mobilité académique a parfois généré des mobilités plus imposées que désirées. Ces difficultés ont été abordées notamment en sciences de l'éducation, en travail social, en sociologie, en sciences de la communication, en géographie humaine ou encore en sciences politiques. Un travail reste à accomplir pour reformuler l'apport de ces disciplines centrées sur le monde contemporain à des politiques d'accueil plus anciennes. En outre, la question du genre est rarement prise en compte,15 de même que les expériences personnelles, les émotions et l'interculturalité qui se vivent dans cette situation liminaire de mobilité.16 Le présent volume est construit d'une manière à la fois chronologique et thématique. Il s'ouvre sur trois articles synthétiques qui traitent de périodes chronologiques longues (Schwinges; Moulinier; Flury, Rothen, Ruoss). Suivent trois articles en relation avec des contextes (post-)coloniaux (Fillon; Legrandjacques; Gueye), puis trois articles centrés sur la période de la guerre froide et sur les pays soviétiques (Katsakioris; Hilger; Andréys, Renaudot). Le dernier article de la partie thématique nous transporte de l'autre côté de l'hémisphère Nord durant la même période (Poitras). Les rubriques L'essai photographique (Latala) et Document (Bugnon) complètent ce volume thématique. Dans le premier article de ce volume, Rainer Christoph Schwinges expose les principaux aspects de la mobilité étudiante à la fin du Moyen Age et au début de la période moderne. L'article se concentre avant tout sur le territoire du Saint-Empire, qui bénéficie d'une exceptionnelle conservation de sources permettant de documenter la présence et la circulation des étudiants. Il est ainsi possible de savoir qu'entre 1400 et 1550, plus de 300'000 personnes ont. apparaît. 10.

(5) Karine Crousaz, Matthieu Gillabert, Anja Rathmann-Lutz: Introduction. voyagé dans ce territoire pour leurs études. L'article montre que l'attractivité d'une université tient à de nombreux facteurs: non seulement aux contextes politiques, économiques, culturels et sociaux, mais aussi aux relations personnelles des étudiants. Il expose également l'importance cruciale des grandes routes commerciales pour assurer le succès d'une université. Grâce au Repertorium Academicum Germanicum, il est possible de documenter le bassin versant d'une université et d'observer la régularité des pérégrinations étudiantes. La grande majorité des étudiants se contente de fréquenter une seule université pendant moins de deux ans et n'obtient aucun titre académique: le seul fait de passer plusieurs mois dans une université suffisait à augmenter les chances de succès d'une carrière. De plus, contrairement à ce qui est généralement avancé, rares sont les étudiants allemands de la fin du Moyen Age à effectuer le «Grand Tour» dans les universités françaises et italiennes: en majorité ils fréquentent soit l'université la plus proche de leur région d'origine soit l'université la plus attractive dont le bassin versant couvre cette même région. Pierre Moulinier étudie sur un siècle (1840-1940) la volonté et la capacité d'accueil des étudiants étrangers en France. Si la volonté d'accueillir de tels étudiants ne fait pas de doute dès le 19e siècle avec des arguments de rayonnement culturel et de développement économique, les capacités d'accueil ne sont pas à la hauteur de ces ambitions. Contrairement aux universités des pays anglo-saxons, il n'existe pas en France d'université installée à la campagne, où il serait possible de pratiquer facilement du sport et de se loger avantageusement. A partir des années 1920, sous l'impulsion des associations d'étudiants, les pouvoirs publics soutiennent la création de cités universitaires pour améliorer l'accueil (logement et nourriture à prix abordables, offre sociale et culturelle) et pour favoriser les échanges entre étudiants français et étrangers. Pierre Moulinier montre la réalisation d'une partie de ces cités et celle de maisons d'étudiants étrangers développées par des associations diverses. Il étudie également ce que les Ministères français de l'Education nationale et des Affaires étrangères ainsi que les universités françaises ont accompli pour favoriser l'accueil et la réussite des étudiants étrangers, notamment les bourses d'études, la reconnaissance des. diplômes étrangers ou l'organisation de cours de français spécifiques. Se fondant sur des données rassemblées dans le cadre du projet Bildung in Zahlen (L'éducation en chiffres), l'article de Carmen Flury, Christina Rothen et Thomas Ruoss offre une reconstruction chiffrée de longue durée pour retracer la mobilité étudiante en provenance de l'étranger dans les universités suisses du 20e siècle. De nombreux enseignements peuvent en être tirés concernant l'attractivité des universités. Ainsi, si la proximité géographique est un critère d'attractivité, comme le montre dans la longue durée le nombre d'étudiants allemands et français en Suisse, le fait que la langue soit la même ne joue pas un rôle aussi important. 11.

(6) Accueillir l'étudiant e étranger-ère. 12. traverse 2018/1. (la motivation d'apprendre une nouvelle langue contre-balançant probablement la facilité attendue d'une langue commune). Des facteurs d'attractivité décisifs résident en revanche dans les critères d'admission des étudiants étrangers, critères qui peuvent changer dans le temps comme ce fut le cas pour les étudiants en médecine, et dans la reconnaissance des titres par les pays d'origine. Les trois articles suivants montrent que le contexte colonial a influencé la mobilité et l'accueil des étudiants étrangers. Catherine Fillon présente dans sa contribution une œuvre originale et exemplaire d'accueil et de formation d'étudiants étrangers en France. Elle est le fruit de la volonté et de l'énergie déployée par le professeur Edouard Lambert, qui a été directeur de l'Ecole khédiviale de droit du Caire entre 1906 et 1907. Démissionnaire dans un contexte de tensions entre la France et la Grande-Bretagne, Lambert cherche à soutenir les efforts des Egyptiens qui aspirent à un avenir indépendant pour leur pays. Avec l'appui de la Faculté de droit de Lyon, mais sans celui de l'Etat français, Lambert crée un institut capable de former les juristes égyptiens à la fois au droit français, au droit égyptien et au droit musulman. Lambert met tout en œuvre pour encourager la réussite des études juridiques de ses étudiants égyptiens et pour favoriser leur sensibilité citoyenne (cours de français intensif donnés par des enseignants bénévoles, hébergement chez l'habitant, cours d'approfondissement du droit, conférences du soir, etc.). Le succès est au rendez-vous: plusieurs dizaines d'étudiants égyptiens viennent à Lyon se former en droit chaque année entre 1908 et les années 1930. Parmi eux se trouve même le plus célèbre juriste égyptien du 20e siècle: Al-Sanhouri, qui codifiera le droit civil égyptien dans les années 1940, a en effet étudié plusieurs années à Lyon auprès d'Edouard Lambert. Sara Legrandjacques examine la création et la première période d'activité (jusqu'en 1939) de la Maison des étudiants indochinois, intégrée à la Cité universitaire de Paris. Alors qu'à la fin des années 1920 plus de 1500 étudiants indochinois étudient en France, plusieurs types d'acteurs s'allient pour donner naissance à une maison devant héberger une centaine de jeunes gens originaires d'Indochine ou de Français ayant grandi en Indochine. Cette collaboration franco-indochinoise, qui avait pour but d'offrir des conditions d'accueil et de travail propices à ces étudiants, devait également, aux yeux des entrepreneurs coloniaux qui avaient fortement contribué à son financement, servir à former des employés compétents et loyaux. La réalité fut plus complexe et moins paisible que ne l'avaient espéré les fondateurs: les difficultés financières perdurèrent durant toute la première période d'activité de la maison, tout comme les tensions politiques, liées à l'anticolonialisme et au communisme, qui divisaient les étudiants et les administrateurs, et les étudiants entre eux. L'Université de Dakar occupe une place à part dans l'histoire universitaire africaine. Elle fut fondée en 1957 comme université française, avec une exi-.

(7) Karine Crousaz, Matthieu Gillabert, Anja Rathmann-Lutz: Introduction. gence de conformité avec la France des enseignements et des titres décernés. D'abord seule université de l'Afrique francophone, elle a formé des cadres pour. tout le continent jusqu'à la fin des années 1960, au point que les Sénégalais ne composaient qu'un tiers de ses étudiants. Omar Gueye présente cette université particulière et «l'esprit de Dakar» auquel elle a donné naissance, ainsi que son rôle dans la formation des étudiants africains. Cette éducation est non seulement culturelle et intellectuelle, mais aussi militante, avec des idéaux d'indépendance, de panafricanisme et de luttes pour le développement économique et social du continent africain qui prennent corps dans différentes associations estudiantines mal vues, voire combattues, par les dirigeants africains. Dans le contexte de la guerre froide, trois contributions s'intéressent aux politiques d'accueil développées dans le bloc communiste. Constantin Katsakioris expose qu'à partir du milieu des années 1950, l'Union soviétique, qui voulait promouvoir son système d'enseignement et de recherche à l'étranger tout en offrant une aide technique et culturelle aux pays du tiers-monde, a financé plusieurs dizaines de milliers de bourses d'études à des jeunes gens provenant d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie. Il analyse ce phénomène sur la base de sources russes et ukrainiennes, en mettant en lumière autant les buts soviétiques que ceux des pays (particulièrement ceux qui sortaient de la période coloniale) soutenant l'envoi de jeunes ressortissants pour qu'ils étudient en URSS. Contrairement aux idées reçues, Katsakioris montre également que, durant la guerre froide, malgré un appui particulier offert à des boursiers étrangers sélectionnés par le biais d'associations politiques et malgré une volonté d'établir des liens durables avec les élites du tiers-monde, pour l'Union soviétique, «la formation académique et l'apprentissage de la spécialisation étaient de loin plus importants que la formation idéologique». Dans un contexte de relations renforcées entre l'Inde et l'URSS à partir de 1955, des bourses d'études furent accordées à des Indiens pour qu'ils étudient en URSS et inversement. Andreas Hilger examine les visées politiques des deux pays lorsqu'ils développent ces échanges, ainsi que les attentes et les expériences des étudiants en mobilité. Les étudiants indiens en URSS considéraient leur séjour comme un moyen d'ascension individuelle; cependant, ils furent souvent confrontés à des difficultés non reconnues par les autorités soviétiques, comme des attaques racistes. De l'autre côté, les étudiants soviétiques en Inde étaient surveillés par leurs autorités et devaient rédiger des rapports détaillés à leur intention, ils étaient considérés comme des ambassadeurs de l'URSS et des promoteurs du socialisme. C'est une des raisons pour lesquelles ils étaient perçus avec méfiance dans leur pays d'accueil. En somme, au fil des années, les échanges se sont déroulés de manière assez difficile de part et d'autre.. 13.

(8) Accueillir l'étudiant-e étranger-ère. traverse 2018/1. L'article de Clémence Andréys et Myriam Renaudot permet de confronter le vécu des étudiants chinois d'une haute école est-allemande à la pointe en la Technische Hochschule Ilmenau, avec les discours des dirigeants politiques de la République démocratique allemande (RDA) et de la République populaire de Chine. L'accueil des étudiants chinois et leur surveillance par les autorités est-allemandes varient notablement durant la période de guerre froide, en fonction des relations politiques entre les pays du bloc soviétique. Ce qui demeure en revanche, sur l'entier de la période, c'est, du côté allemand, la volonté. électro-technique,. politique d'investir dans la formation des cadres chinois qui auront des liens privilégiés avec l'Allemagne et son économie et, du côté chinois, la détermination de mettre à profit le système de formation allemand pour le perfectionnement de ses meilleurs éléments. Sur le terrain cependant, la réalité est plus complexe: le niveau des étudiants envoyés en Allemagne n'étant pas toujours à la hauteur du zèle qui leur était reconnu, les professeurs de la Technische Hochschule Ilmenau refusent que les titres délivrés par leur institution, notamment celui de docteur,. 14. soient bradés. Certains étudiants déjà diplômés en Chine sont ainsi rappelés par leur pays, qui exigeait qu'ils obtiennent un doctorat en Allemagne plutôt qu'un titre d'ingénieur. Daniel Poitras compare l'accueil des étudiants étrangers aux universités de Toronto et de Montréal entre 1950 et 1968. Même si une structure nationale est créée dès 1949 pour favoriser cet accueil, la Friendly Relations with Overseas Students (FROS), les situations locales ne pourraient pas être plus contrastées. Alors qu'à Toronto, une employée particulièrement impliquée, Kay Ridell, incarne pendant des décennies l'association au niveau local et réussit à tisser un vaste réseau d'étudiants étrangers et canadiens, de familles d'accueil, de logeurs et d'employeurs, ainsi qu'à créer une ambiance chaleureuse où le débat est encouragé, à Montréal, le système d'accueil mis en place, plus bureaucratique, est considéré comme froid et inefficace par les étudiants étrangers qui s'engagent alors dans d'autres lieux. Cet article met en relation différents espaces investis par les étudiants étrangers et par les personnes qui les accueillent: espace social, espace physique et espace symbolique. Il montre également le rôle crucial des relations personnelles pour le succès de l'accueil des étudiants étrangers et l'agentivité (en anglais agency) de ces étudiants qui parviennent à s'adapter aux contextes. Au vu des très nombreuses propositions de contributions de haute qualité que nous avons reçues pour le thème de ce numéro de traverse, les rubriques habituelles de la revue ont elles aussi fait de la place pour l'accueil des étudiants étrangers. Pour la rubrique Document, Eisa Bugnon part d'un article paru le 24 mars 1962 dans la Feuille d'avis de Neuchâtel pour retracer le mode d'organisation et les buts d'un voyage d'études en Suisse destiné à une dizaine d'étudiants issus de pays émergents. On y voit comment la Dotation Carnegie, fondation philanthropique.

(9) Karine Crousaz, Matthieu Gillabert, Anja Rathmann-Lutz: Introduction. basée à New York, a financé des programmes pour former à l'Institut universitaire de hautes études internationales à Genève (IUHEI) des jeunes diplomates de pays venant d'obtenir leur indépendance. Le Département politique fédéral. de la Confédération suisse et la fondation Pro Helvetia ont, pour leur part, collaboré avec l'IUHEI pour offrir à ces étudiants une partie de cursus censément. moins théorique, sous la forme d'un voyage de plusieurs mois en Suisse. Par ce biais, le pays s'érige en modèle auprès des futurs cadres diplomatiques des pays émergents et espère nouer des relations Nord-Sud durables. Enfin, l'essai photographique, par Renata Latala, suit le parcours d'une brillante étudiante polonaise qui a séjourné à l'Institut Jean-Jacques Rousseau de Genève, Alina Szeminska. Le Livre d'or de cet institut ainsi que les albums de photographies collectées par son directeur et la correspondance permettent d'observer combien le travail scientifique novateur réalisé par les membres de l'institut, dont faisait partie Jean Piaget, était soutenu par une atmosphère chaleureuse et familiale. Alina Szeminska a été une figure emblématique de l'institut; tout au long de sa carrière, malgré les circonstances politiques difficiles, elle a réussi à maintenir des liens entre la Pologne et Genève. Outre les voyages qu'il offre aux lecteurs, le choix de se focaliser sur l'accueil des étudiants étrangers permet donc de s'intéresser à un groupe social souvent présenté comme privilégié, mais qui se trouve également en situation d'entredeux: sortis du noyau familial, ces étudiants ne sont pas encore dans la vie professionnelle; partis loin de chez eux, ils n'ont pas encore investi un lieu de travail. Ainsi, derrière la mobilité aujourd'hui érigée en valeur cardinale de la vie académique, ces contributions pointent également les difficultés et les obstacles rencontrés par ces générations estudiantines.. Karine Crousaz, Matthieu Gillabert, Anja Rathmann-Lutz Notes. Voir pour Bâle p. ex.: «Wege nach Basel», in Universität Basel 1460-2010, https://unigeschichte.unibas.ch/lokal-global/der-nationale-und-internationale-kontext/ wege-nach-basel/index.html (22. 11.2017); «Aufschwung und Internationalisierung im 16. Jh.», in Universität Basel 1460-2010, https://unigeschichte.unibas.ch/aufbruecheund-krisen/aufschwung-und-internationalisierung-im-16.-jh/index.html (22. 11. 2017). 2 Guy Métraux, «Aspects historiques du voyage éducatif», Bulletin international des sciences sociales 8/4 (1956), 589-598. 3 Hartmut Rüdiger Peter, Natalia Tikhonov (éd.), Universitäten als Brücken in Europa / Les universités: des ponts à travers l'Europe, Francfort-sur-le-Main 2003. 4 Pierre Moulinier, Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècle. Migrations et formation 1. 5. des élites. Rennes 2012. Pour le Moyen Age, voir p. ex.: Astrik L. Gabriel, The University of Paris and its Hungarian Students and Masters During the Reign of Louis XII and François Ier, Notre-Dame (IND). 15.

(10) Accueillir l'étudiant. e. étranger-ère. traverse 2018/1. 1986; pour la période contemporaine: Fabienne Guimont, Les étudiants africains en France (1950-1965), Paris 1997; Eliane Kurmann, «Affaires angolaises». Die angolanischen Studenten in der Schweiz während dem Unabhängigkeitskampf1961-1975, mémoire de licence non publié, Fribourg 2008. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12 13. 14. 16. Dzovinar Kévonian, Guillaume Tronchet (éd.), La Babel étudiante. La Cité internationale universitaire de Paris (1920-1950), Rennes 2013. Guillaume Tronchet, «The Defeat of University Autonomy: French Academic Diplomacy, Mobility Scholarships and Exchange Programs (1880s—1930s)», Giles Scott-Smith, Ludovic Tournés (éd.), Global Exchanges. Scholarship and Transnational Circulations in the Modern World, New York 2017, 50-64. Martin Walraff (éd.), Gelehrte zwischen Humanismus und Reformation. Kontexte der Universitätsgründung in Basel 1460, Berlin 2011. Luc van Dongen, «Former des élites non communistes pour le tiers-monde: l'Institut universitaire de hautes études internationales (IUHEI), les Etats-Unis et la Guerre froide», Relations internationales 163 (2015), 15-28. Carmen Gémez Martin, «La génération sahraouie de la guerre: des études à Cuba à la migration économique en Espagne», Revue européenne des migrations internationales 32/2 (2016), 77-94. Heloise. European Network on Digital Academic History, https://heloise.hypotheses.org/ (17. 11. 2017); Repertorium Academicum Germanicum, http://www.rag-online.org/ (8. 12.2017). Victor Karady, «La migration internationale d'étudiants en Europe, 1890-1940», Actes de la recherche en sciences sociales 145/5 (2002), 47-60. Pascal Bianchini, «Une autre aventure ambiguë: les étudiants sénégalais de l'autre côté du <rideau de fer>. Un aperçu de la variabilité de l'expérience du <socialisme réel> à travers quelques trajectoires biographiques», Afrique Monde, 26. 10. 2013, http://riae.hypotheses. org/321 (17. 11. 2017); Françoise Blum, «Trajectoires militantes et reconversions», Genèses 107 (2017), 106-130. Patrick Ferté, Caroline Barrera (éd.), Etudiants de l'exil. Migrations internationales. 15. et universités refuges (XVI'-XX' s.), Toulouse 2009. Natalia Tikhonov, «Enseignement supérieur et mixité: la Suisse, une avant-garde ambiguë», in Rebecca Rogers (éd.), La mixité dans l'éducation. Enjeux passés et présents, Lyon 2014,. 16. 35-52. Elizabeth Murphy-Lejeune, Student Mobility and Narrative in Europe. The New Strangers, Londres 2002..

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