L’INTERVENTION D’UNE HORMONE,
LA SURVIVONE, DANS LA MORTALITÉ DES ABEILLES
(APIS MELLIFICA L.) ISOLÉES (EFFET DE GROUPE)
Rémy
CHAUVIN Jean-Pierre LAFARGE Jean-Pierre SALIGOT** Laboratoire de
Sociologie animale,
Université René-Desartes, LeChâteau,
18380Ivoy-le-Pré
** Laboratoire
antidopage,
Ministère de la Jeunesse et desSports 106,
quai deClichy,
92110Clichy
RÉSUMÉ
L’acide
azélaïque
et l’acidepimélique présents
dans les extraits d’abeilles ouvrièresprolongent
,notablement la vie de l’abeille isolée. Ilsagissent
en réduisant leséchanges
gazeux de cesabeilles.
INTRODUCTION
L’effet de groupe consiste chez les abeilles
en unemortalité des abeilles isolées bien plus grande que celle des groupées (G RASS É
etCHAUVIN, 1944).
Ce phénomène dépend de la saison
etil disparaît pratiquement
enmai; il dépend
aussi du poids
caril existe de grandes différences de
cepoint de
vue entreles ouvrières, qui proviennent des conditions d’alimentation des larves qui leur
ontdonné naissance. L’effet de groupe apparaît dès que deux abeilles
sontréunies,
même si la seconde abeille
est morte : on verraplus loin l’importance de
cetteobservation (A RNOLD , 1976). Du point de
vuephysiologique l’isolement augmente fortement le métabolisme respiratoire (R OTH , 1965) ; il n’agit ni
surles glandes hypopharyngiennes ni
surles cirières, ni
surla
teneur en eau et en sucres(S ITBO rI, 1971 ; A RNOLD , 1976) ; mais les lipides
sontà
un tauxmoins élevé chez l’isolée ;
les ovaires des isolées
ne sedéveloppent pas
etla pars intercerebralis présente
moins de sécrétion que celle des groupées (S ITSO rI,1971 ; A RNOLD , 1976).
L’observation d’A RNOLD suivant laquelle la présence d’une abeille morte
auprès d’une abeille vivante induit
unesurvie analogue à celle d’une
autreabeille
vivante évoque très nettement
uneaction chimique
etla présence probable d’une phéromone ;
onpeut rappeler à
cetteoccasion les
travauxde PAIN (1961) qui
découvrit qu’un cadavre de reine inhibait aussi bien le développement de l’ovaire des ouvrières qu’une reine vivante,
cequi l’amena à isoler,
avecBARBIER (PAIN
etBARBIER, 1963), la première phérormone. Mais les premiers essais
d’extraction de la phérormone hypothétique de l’ouvrière montrèrent
surtoutla toxicité des extraits d’abeilles par l’alcool bouillant (CHAUVIN, 1979). La seule
méthode adéquate consiste dans
unemacération des cadavres frais dans l’éther
éthylique pendant trois heures, suivie d’une précipitation par l’alcool. Le précipité,
encore
très complexe,
estfort actif : je lui ai donné le
nomde
«survivone
»(CHAUVIN, 1981). Avec L AFARGE
etS ALI GO T ,
nous sommesparvenus à purifier
la survivone
età
enisoler les facteurs actifs.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Purification
On obtient une
purification
notable enpratiquant
un entraînement par la vapeur d’eau.Quelques
centaines demilligrammes
deprécipité
sontplacés
dans un ballon de 50 cm3 avec 250 cm3 d’eau bouillante : la vapeur laissedéposer
dans leréfrigérant
despaillettes
blanchâtres très actives sur la survie. Ce sont cespaillettes
que LAFARGE et SnctcoT ont examinées au moyen duchromatographe
enphase
gazeuse(système
G.C.-M.S. HewlettPackard ;
colonnecapillaire
de silice fondue de 25 mapolaire, injecteur
àaiguilles).
L’échantillon a étéanalysé
sous sa formeinitiale, après méthylation
etaprès silylation.
Technique
des tests_L’échantillon sur
lequel
portent lesexpériences
estcomposé
de 40 abeilles isolées traitées et 40 témoins(mais
évidemment on peut faireplusieurs expériences
à la fois cequi
porte souvent le nombre des abeilles enexpérience
à 400. L’isolement estpratiqué
dans des manchons deplastique
sans fond de 3 X 4 cm(dimensions intérieures).
Lesproduits
à tester sontdéposés
à raison de 1 pg par abeille sur un support dont la nature estimportante :
il fautqu’il
soit rugueux et non pas lisse. Je me sers de tampons de coton àdémaquiller
de 5 cm de diamètrecoupés
en 16portions après qu’on
les aséparés
en trois dans le sens del’épaisseur.
Les abeilles sont introduites sous anesthésie à l’éther dans les manchons et l’ensembleporté
à 30° dans unepièce
de quatre mètres cubes où l’on a pu réaliserl’homogénéisation parfaite
de latempérature
pour tous les échantillons : c’est une
précaution
absolument essentielle.Les abeilles ne
reçoivent qu’une pastille
de sucre candi. On compte la mortalité des abeilles et on s’arrête dès que 50 % des témoins sont morts. Cela seproduit
au bout d’environ 70 heures.Le
problème
consistait à mesurer en même temps le métabolisme d’une série d’abeilles témoins et d’abeilles soumises à l’action des substances énuméréesplus
haut. Il est difficiled’employer
un
appareil
deWarburg
car il nécessitel’agitation qui perturberait
lessujets.
J’ai trouvé avantage à me servir d’un« respiromètre » :
cesappareils
ont étébeaucoup employés
dans l’étude des insectes depetite
dimension parcequ’on
peut leur donner la sensibilitéqu’on
veut en réduisant le calibre du tube mesureur. Le modèle utilisé est un manomètre à alcool dont le tube mano-métrique
est de 2 mm de diamètre. Lessujets
sont enfermés dans unpetit
tube de verre dontles deux extrémités sont fermées par une toile
métallique.
Ondispose
àcôté,
dans la chambremanométrique,
une boulette de cotontrempée
dans une solution normale de soudepuis
sommai-rement
essorée ;
la soude se trouve engrand
excès par rapport à laquantité
de gaz à absorber.Après
un repos d’unedemi-heure,
on ferme le robinet dumanomètre ;
onopère
unepremière
lecture
après
20minutes ;
on ouvre le robinet pour remettre la colonne à zéro et on refait deux autres lectures.L’appareil
ne fonctionne correctement que dans unepièce
depetites dimensions,
sans courants d’air : sinon il fonctionne très évidemment comme un thermomètre à gaz. La
température
àlaquelle
cettepièce
doit êtreportée
est de22° ;
elle est suffisamment basse pour que les abeilles ne soient pas trop actives et suffisamment élevée pourqu’elles
ne tombent pasen état de torpeur due au froid. Il va de soi que pour
chaque sujet
traité on réserve un témoin.On sait par ailleurs
quelle
est la difficulté d’établir un métabolisme de base chez unpoïkilotherme.
Toujours
est-ilqu’à
condition de ne pas demander àl’appareil
uneprécision qu’il
ne peut apporter et à condition de réserver des témoins les résultats m’ont paru fort utilisables. Une des difficultésprincipales
est toutefois la différence formidable de l’émission de gazcarbonique
entreindividus,
et chez le même individu. Différents auteurs(P UNT , 1950)
ont d’ailleurs établi le caractèreirrégulier
de l’émission de gazcarbonique
chez certains insectes où elle survient enquelque
sorte par bouffées. Celacomplique beaucoup
les mesures etoblige
à augmenter leur nombre. Une autre difficulté est la différence depoids
entre abeilles :j’ai essayé
de merapprocher
leplus possible
dupoids
de 100 mgrs.RÉSULTATS
On
trouvedans la survivone :
a)
unesérie de diacides de C 6 à C 10 ; b)
unesérie de monoacides de C 12 à C 22 ; c) des alcools supérieurs
enC 16, C 18, C 20 ; d) la série des alcanes de C 21 à C 29.
Seuls deux diacides, le pimélique (heptane dioïque)
etl’azélaïque (nonane dioïque)
sontactifs ; l’acide nonanoïque
estinactif. L’acide azélaïque
adéjà été signalé dans la tête des abeilles
oula gelée royale (L ERCKER
etCO II., 1981).
Un
autrecorps isolé par L!rrsxY dans les
tracesque laissent les pattes des abeilles
surle substrat, l’acide décanoïque,
estnettement actif, mais il
ne setrouve pas dans la survivone. J’ai été aussi fort étonné de n’y pas rencontrer les acides insaturés
commeles composés de l’acide décanoïque qui
ontété si
bien étudiés à la suite des travaux de PAIN
etqui sont abondants dans la gelée royale.
D’autre part, les corps actifs
surla survie réduisent tous le métabolisme
etdiminuent le rejet de C0 2 . Toutefois, il faut apporter
toutde suite certaines restrictions à
cetteaffirmation : il existe des corps (signalés par L ENSKY ) que j’ai
trouvés inactifs
surla survie,
commele cyclopentanol
etqui réduisent l’émission de gaz carbonique. Il
estdonc bien possible que la survivone n’agisse pas
uniquement par réduction du métabolisme des isolées.
Le siège d’émission de la survivone. Le
testrespirométrique
aété appliqué
à la recherche du siège d’émission de la survivone. J’ai d’abord recherché si la présence d’un cadavre réduit l’émission de gaz carbonique chez
uneabeille
vivante :
etc’est bien le
cas.Il était alors facile de présenter
auxabeilles isolées soit
unetête isolée, soit
uncorps entier dépourvu de tête : les résultats
sont toutà fait
nets :c’est la tête qui induit la réduction de l’émission de CO,,. Il
meparaît
donc probable que la survivone
estsécrétée dans la tête
etprobablement dans
les glandes mandibulaires. Toutefois, l’inactivité de l’essence de gelée royale
totale préparée
commela survivone par entraînement à la vapeur d’eau, montre,
ou
bien qu’il existe dans la gelée
unfacteur inhibiteur de l’acide azélaïque (qui s’y trouve
entrès faible quantité)
ouque la sécrétion de la glande mandi-
bulaire lorsqu’elle
serépand
surles téguments, y subit diverses modifications.
DISCUSSION
En quoi consiste le
stressde l’isolement ?
Il semble qu’on doive placer l’accélération du métabolisme
aupremier rang : elle entraînerait
uneconsommation
accruedes lipides,
etil n’est pas impossible
que la déplétion
enlipides gêne la formation des oeufs ; d’autre part
onn’ignore
pas la part de la pars intercerebralis dans l’ovogenèse par l’intermédiaire des corpo-
ra
allata. La diminution de la neurosécrétion de la pars intercerebrali.r est
encorré-
lation
avecl’accélération du métabolisme, mais quel
estle phénomène premier ?
L’analyse du phénomène n’a pas été poussée
assezloin pour qu’on puisse le dire.
Qu’est-ce qui déclenche le
stressde l’isolement ?
Nous conclurons que c’est l’absence d’une substance
«tranquilisante
enquelque sorte, puisqu’elle ralentit beaucoup le métabolisme :
etil faut rappeler
l’observation d’A RNOLD suivant lequel les abeilles isolées s’agitent beaucoup plus que les groupées. Les diacides, répandus
surle corps des abeilles (et
nonobtenus par échange de nourriture
commeje le croyais
en1952) prolongent donc la vie de l’isolée. Il
nepeut s’agir que d’une chimioréception de
contact etl’abeille
nepeut percevoir la substance
enquestion
sur sonpropre corps, soit que l’isolement
en
fasse
cesserla sécrétion, soit qu’elle doive être associée à
uncorps étranger,
rugueux
oupileux, bref à
unstimulus tactile.
Le problème des sécrétions tarsales de Lensky
Cet
auteurm’a communiqué les extraits des
tracesdes ouvrières laissées
sur
le verre,
etje les ai trouvés actifs
surla survie (CHAUVIN, 1981). Or, leur composition
est toutà fait différente de celle de la survivone ; à peine ont-ils
encommun
quelques alcanes. Parmi
cesconstituants, l’acide décanoïque s’est révélé seul actif
surla survie
etle métabolisme. J’avais émis dans
untravail précédent
l’idée que la survivone devait provenir de la grosse glande d’Anhart qui
se trouvedans les
tarses.Comme
onle voit, je suis forcé de changer d’opinion.
Reçu pour
publication en
mars 1984.Accepté
pourpublication
enseptembre
1984.ZUSAMMENFASSUNG
DIE WIRKUNG DES HORMONS « SURVIVONE » AUF DIE MORTALITÄT VON ISOLIERTEN
HONIGBIENEN,
APIS MELLIFERA L.(GRUPPENEFFEKT)
Atherextrakte von Arbeiterinnen der
Honigbiene
enthalten eine Substanz oder eineGruppe
von
Substanzen,
die das Leben von isolierten Bienen nachweislichverlängern (Tab. 1).
DieAnalyse
des Extraktes imGaschromatographen
und durchMassenspektographie (nach Einwirkung
vonWasserdampf) ergab folgende
Inhaltsstoffe :Alkane,
höhere Alkohole und vor allem eineGruppe
von Di- und Monosäuren. Der Einfluß dieser Stoffe
auf
das überleben isolierter Bienen wurde mit einer einheitlichenDosierung
von 1 vg getestet. Bisjetzt
haben sich die Azelainsäure oderNonandisäure
unddie
Pimelinsäure oderHeptandisäure
als wirksamherausgestellt (Tab. 2).
Danach wurde dieWirkungsweise
dieser Substanzenanalysiert.
Dierespirometrischen
Tests habengezeigt,
daß diese Säuren dieEigenschaft haben,
die Produktion vonCO z
durch die isolierten Bienen zureduzieren
(Tab. 3).
Mit diesemrespirometrischen
Test wurde dann die Suche nach dem Pro- duktionsortdieser
Säurenaufgenommen.
Manpräsentierte
den isolierten Bienen denKopf,
den Thorax oder das Abdomen vonStockgenossen.
Man stelltefest,
daß derKopf
bei weitem der wirksamsteKörperteil
ist(Tab. 4).
DieDroge
wirkt nicht durch Aufnahme in denVerdauungstrakt
sondern durchChemorezeption
beim Kontakt. Wir wissen nochnicht,
ob sie durch die Mandibel-drüsen
oder diePharynxdrüsen gebildet
wird. Jedenfalls findet man Azelainsäure im Geleeroyale.
SUMMARY
ACTION OF A
HORMONE, SURV1VONE,
UPON ISOLATED HONEYBEE(APIS
MELLZFERAL.)
MORTALITY(GROUP
EFFECT)Ether extracts of honeybee workers contain a substance, or a group of
substances,
thatgreatly
extends the survival of isolatedhoneybees (Tabl. 1).
The extractedproduct
was steamdistilled,
thenanalysed
bygas chromatography
and mass spe.ctrometry.Alcancs, higher
alcohols andparticularly
a group of diacids and a few monacids were isolated. The action of these substances was tested on the survival of isolatedhoneybees
at a dose of 1 !g. Until nowonly
azelaic(or nonandioic)
andpimelic (or heptandioic)
acids were found to be efficient(Tabl. 2).
We
attempted
to determine the mode of action of these substances.Respirometric
tests showed that these acidsstrongly
reduced theproduction
of carbon dioxide in isolated bees(Tabl.
3).They
also enabled tests for the emission site of these acids to be conducted.Honeybee heads,
thoraces and abdomens weregiven
to isolatedbees ;
the head isby
far the most activebody
part (Tab].4).
The substance did not act
by ingestion
butby
contactchemoreception.
We do not yet know whether it is secretedby
mandibulaa- orpharyngeal glands,
but azelaic acid occurs inroyal jelly.
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