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Etre là quand on ne peut rien faire: accompagnement du deuil périnatal

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Academic year: 2022

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K. Weber A. Canuto S. Toma J. Bonnet M. Epiney E. Girard

«Un homme ne meurt vraiment que lorsque plus personne ne pense à lui»

(auteur inconnu)

deuil oudépression

?

Nous devons à Sigmund Freud 1 des termes aujourd’hui entrés dans le langage commun, les termes «travail de deuil» et «perte de l’objet». Freud avait précisé que le deuil, bien qu’il puisse générer les pires souffrances, n’est pas une maladie et n’a donc pas à être traité comme telle. Les manifestations de douleur, de tristesse et de désespoir sont une expression momentanée dans un processus naturel et non pathologique.

Elisabeth Kübler-Ross 2 et Bowlby 3 ont mis en évidence quatre à cinq phases dans ce processus (tableau 1), dont la tristesse ne constitue qu’une des étapes. Ces étapes offrent surtout un repère, leur ordre et leur durée étant largement variables selon les individus.

L’étape de la tristesse s’exprime à travers un sentiment de perte et d’impuissance qui est souvent spectaculaire.4 Il est pourtant essentiel pour les professionnels de la santé de ne pas limiter le pro- cessus de deuil à cette étape, voire de l’enfermer dans le modèle classique de la dépression.5

complexitédudeuilpérinatal

La particularité du deuil périnatal réside dans le fait que la mort intervient à un instant qui était destiné à l’arrivée de la vie. La mort périnatale peut survenir en cours de grossesse, à la naissance, ou durant les sept premiers jours de vie, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé. Le deuil périnatal n’est pas un deuil du passé, mais un deuil de l’avenir, de la vie qui n’aura pas lieu, un deuil des projets.6 L’être perdu n’était pas ou peu présent physiquement et ne laisse pas d’absence remarquable ni de souvenirs, ce qui complique l’assimilation de la réalité du décès. L’objet du deuil est dérobé en tant que tel à la représen- tation psychique des parents.7 Il arrive souvent qu’une sage-femme ait été l’une des seules personnes à avoir vu, touché ou manipulé le bébé mort-né. Dans son The art of being when there is nothing you

can do : caring for perinatal bereavement The period of mourning after perinatal loss is not synonym for depression. The article illus- trates a way of caring for bereaved parents, which takes into account the temporality and individual nature of the bereavement pro- cess. The use of rituals and symbolic gestures allows for calling into existence the loss of a human being, who is gone without leaving many reminders. Psychotherapeutic care by the liaison-psychiatric service is part of the multidisciplinary care program proposed by the maternity of the University Hospitals of Geneva. These encounters offer parents the possibility to continue to include the dead in the membership of our lives.

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 390-2

Considérant que le deuil périnatal n’est pas synonyme de dépression, l’article aborde une manière d’accompagner les parents endeuillés qui tient compte de la temporalité et de la nature très individuelle de ce processus. Le recours aux rituels et aux gestes symboliques permet de faire exister et rendre visible la perte d’un être, qui n’a souvent guère laissé de sou- venirs palpables. L’accompagnement psychothérapeutique par la psychiatrie de liaison fait partie intégrante de la prise en soins pluridisciplinaire proposée à la Maternité des Hôpitaux universitaires de Genève, offrant aux parents un espace pour inscrire la mort de leur bébé dans leur propre récit de vie.

Etre là quand on ne peut rien faire : accompagnement du deuil périnatal

perspective

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12 février 2014 Drs Kerstin Weber, Elodie Girard et Alessandra Canuto

Simona Toma, psychologue Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise (SPLIC) Département de santé mentale et psychiatrie

Jocelyne Bonnet, infirmière Direction des soins Dr Manuella Epiney

Département de gynécologie et d’obstétrique

HUG, 1211 Genève 14 kerstin.weber@hcuge.ch

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accompagnement durant toute la phase du travail et au moment de l’accouchement, elle est le témoin privilégié de l’existence de l’enfant.

oserpenserl

impensable

L’accompagnement des parents endeuillés est un défi pour les équipes soignantes. La tristesse des parents est palpable, parfois contagieuse. Les émotions douloureuses et intenses induisent souvent deux mouvements contraires chez le soignant : «Prisonnier d’une double contrainte ef- fectivement difficile à métaboliser, le [soignant] tend à ré- pondre par une compassion hyperactive dans un premier temps, par la fuite ou l’agressivité dans un deuxième temps» (p. 254).5 Le temps d’élaboration que nécessite l’endeuillé peut différer fortement du temps de tolérance de son entourage et des équipes. Les temps pour dire et les temps pour entendre ne sont pas les mêmes. «Le deuil n’est pas que le temps de la douleur, ni celui de la confron- tation à l’impossible réparation, c’est un moment de réor- ganisation des relations dans une famille et de résonances dans les réseaux personnels et professionnels» (p. 255).5

La difficulté à se confronter à un deuil impensable et les possibles maladresses devant l’insupportable nécessitent une prise en soins conjointe. Un groupe de professionnels du Département de gynécologie-obstétrique, du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise, de la Direction des soins, de l’Aumônerie, de l’Unité de néona- tologie et du Service de pathologie clinique des Hôpitaux universitaires de Genève se réunit régulièrement pour ga- rantir un accompagnement pluridisciplinaire aux person nes confrontées à un deuil périnatal. Celui-ci a évolué d’une banalisation ou d’un tabou à la reconnaissance d’une souf- france, voire d’un vécu potentiellement traumatisant des pertes fœtales. Le travail en direct et indirect du psycho- logue/psychiatre de liaison auprès des équipes de la ma- ternité (partage, débriefing, supervision) permet à celles-ci de s’engager dans une relation d’émotions intenses là où la naissance est synonyme de mort.

laconvocation dusymbolique

L’équipe obstétricale – surtout les sages-femmes – ac- compagne le travail de l’accouchement et la naissance en créant des conditions permettant aux parents de rencon- trer leur enfant mort. Souvent, les parents n’expriment pas d’emblée le souhait d’une rencontre, qui est impensable et inimaginable. La sage-femme offre au couple la possibilité

de faire émerger ce souhait, de rendre visible la présence de l’enfant, de concrétiser son existence si brève qu’elle ait été. Seule ou avec l’aide des parents (le père souvent), elle prépare le nouveau-né et offre la possibilité de le tou- cher, de le porter, de lui dire au revoir de façon plus con- crète. Les parents peuvent demander une photo de l’enfant, une empreinte de son pied, son bracelet de naissance ou une mèche de cheveux, et adresser leur témoignage à l’en- fant dans le livre d’Or. Avec l’aide de l’aumônerie, le couple peut organiser une cérémonie familiale dans un lieu de re- cueillement mis à disposition. Après le séjour à la maternité, les parents peuvent également participer à une cérémonie du souvenir annuelle organisée chaque mois de mars pour les familles, les proches et les soignants (www.hug-ge.ch/

ceremonie-du-souvenir). La possibilité d’une rencontre avec un psychologue/psychiatre de liaison ou la communication de leurs coordonnées sont offertes au moment même de la perte, modulable selon le besoin des parents ou la de- mande de l’équipe obstétricale.

Les rituels ou les gestes symboliques introduisent un espace intermédiaire, espace de liberté protégé de toute explication, au sein de la rencontre.5 La dimension analo- gique permet l’expérience d’une communication alterna- tive qui intègre l’émotion et ouvre à la créativité. Ces outils tentent d’établir une «borne temporelle» soulignant ainsi un avant et un après. Ils permettent d’inscrire ce moment de crise et de déséquilibre existentiel dans le champ de l’expérience. «C’est par la représentation de la disparition que s’est creusée la notion de temps, de trace et celle de l’histoire. La tombe est à l’origine du souvenir» (p. 252).5 L’équipe tente ainsi d’offrir la possibilité aux parents de faire appel au symbolique, car pour pouvoir perdre leur bébé et s’en séparer, ils doivent d’abord le faire exister dans le réel.

Mme C. et son époux, tout comme plusieurs autres parents, expriment leur reconnaissance d’avoir été accom- pagnés par Elisabeth, sage-femme, lorsque leur fils «est mort au lieu de naître» dix jours avant la date du terme.

«Quand plus rien n’avait de goût, ni de couleur, j’étais contente qu’on me prête une photo, un cahier… j’ai pu ainsi trouver les mots justes», me dit la patiente lorsque je la rencontre en tant que psychologue de liaison à la maternité.

La même semaine, je fais connaissance de Mme R. et de son mari. En voyage de noces en Suisse, Mme R. vient d’ac- coucher en urgence suite à une infection néonatale d’un fœtus mort in utero, à 27 semaines de grossesse. Monsieur dort sur sa chaise et Mme R. me tend les formulaires de dé- claration de naissance et de décès de manière incrédule et perdue. Elle me questionne pêle-mêle sur le sens de ces démarches, l’utilité d’une autopsie et le sens d’une céré- monie. Elle m’explique que dans son pays, les bébés morts in utero sont incinérés avec les déchets de l’hôpital, et elle ne comprend pas pourquoi ici à Genève, on impose aux parents de s’en charger. Elle explique que sa mère a allumé une bougie pour eux, pour remercier Dieu d’avoir sauvé la vie de Mme R. Triste et fâchée, la patiente se sent incomprise, seule et abandonnée.

«Rencontrer» une personne, c’est la reconnaître à partir de son propre modèle du monde pour entrer en contact avec elle par la dimension qui est la sienne.7 Dans les

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12 février 2014 1. Déni : refus de la réalité

2. Colère, protestation : recherche d’un coupable – possiblement le per- sonnel médical et soignant

3. Désorganisation, prise de conscience du caractère définitif de la perte : peur, douleur, impuissance, désespoir – repli, parfois rupture de communication entre conjoints

4. Réorganisation, résignation, recherche de sens : recherche de soutien, reprise du quotidien

5. Acceptation, ou plutôt adaptation : stabilité, paix, sérénité Tableau 1. Etapes de deuil 2

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moments de deuil, le temps et le vécu sont éminemment subjectifs. Mme R. nous rappelle l’importance d’individua- liser tout rituel, et combien il est indispensable d’intégrer la mort dans ce qui fait la vie pour cette personne.

lesrencontrespsychothérapeutiques Selon les résonances individuelles, le deuil peut at- teindre un degré de souffrance qui nécessite un accompa- gnement psychothérapeutique ou psychiatrique dans un deuxième temps. Deux ans plus tard, Mme C. recontacte la psychiatrie de liaison en urgence. Pour se consoler, le couple avait acquis un chat après la perte de leur enfant mort-né.

D’abord attendrie, Mme C. s’est surprise à détester le chat, à le négliger, puis à le cogner avant de devoir s’en séparer.

Actuellement, Mme C. est à nouveau enceinte. Elle n’ose pas penser à la grossesse, me parle de l’effroi qu’elle res- sent lorsqu’elle songe à ses gestes et à sa violence. Elle pleure longuement. Puis, les mots commencent à prendre forme, elle parle de son incompréhension. «Pourtant j’avais tout fait comme il faut pour faire le deuil… J’ai suivi toutes les consignes, toutes les étapes… et pourtant…». Au cours du suivi psychothérapeutique hebdomadaire, Mme C. est parvenue à «métaboliser» la tristesse liée à l’enfant perdu, à revivre des émotions passées, réactualisées par la nou- velle grossesse. Elle a pu nommer son enfant mort, et trouver le moyen de faire persister un lien affectif malgré la rupture et l’absence physique entraînées par la mort. Ceci lui a permis d’accueillir sa nouvelle grossesse avec plus de sé- rénité et d’apaiser la crainte que son deuxième enfant ne vienne prendre la place du premier.

L’accompagnement psychothérapeutique par un psycho- logue/psychiatre de liaison vise la «mise au monde» du bébé malgré la mort, afin de favoriser le processus de la séparation entre la mère et son enfant, une étape d’autant plus importante à réaliser lorsque celui-ci est mort à l’inté- rieur d’elle dans les cas de mort in utero. Les mères peuvent avoir besoin de se poser, de parler, ou de se re- plier sur elles-mêmes pour sentir ce qui se passe dans leur corps, pour se réfugier dans leurs émotions qui les rap- prochent de leur bébé. En contraste, les pères peuvent vouloir tourner la page plus vite, passer à autre chose, alors même qu’ils souffrent et se sentent impuissants devant la douleur de leur compagne. Révoltés devant ce non-sens, ils disent ne pas oublier, mais choisir d’aller de l’avant pour ne pas sombrer. L’accompagnement permet d’aborder la différence de vécu entre mère et père, de penser ensem ble la confrontation à la mort au moment même de la venue d’un être à la vie, et d’aborder les questions existentielles et résonances propres à chaque individu. Finalement, il tient

compte du fait qu’une nouvelle grossesse peut réveiller les angoisses liées à l’issue dramatique possible, et ainsi devenir source de souffrance plutôt que de libération.7

Hedtke et Winslade 8 soulignent le bénéfice des théra- pies narratives, fondées sur l’idée que les récits que nous produisons en permanence sur notre vie peuvent soit nous enfermer, soit nous libérer, et qu’il existe toujours une mul- tiplicité de points de vue pour rendre compte d’une situa- tion. A travers des techniques telles que les conversations co-mémoratives (re-membering), la tâche du thérapeute n’est pas d’aider le patient à trouver une solution pour «lâcher prise» et couper le lien avec l’être cher. Il s’agit de propo- ser au patient d’explorer son histoire, de l’aider à observer l’influence de certaines histoires problématiques de nature culturelle, familiale, ou morale, et ainsi de lui permettre de trouver sa propre manière d’inscrire ce lien dans son récit de vie pour l’enrichir.

conclusion

Le rôle du psychologue/psychiatre de liaison est d’être là quand on ne peut rien «faire», de coconstuire avec le(s) parent(s) une voie qui puisse le(s) guider dans cette étape de vie. Les progrès techniques de la néonatalité nous con- frontent à une médecine à la fois si puissante et si impuis- sante devant la mort. Malgré de nombreux progrès, le déni juridique de l’existence du bébé mort trop prématurément persiste. En l’absence de réponses techniques ou légales, le partage personnalisé du vécu émotionnel prend toute son importance, et offre un remède réciproque et commun aux patients et aux soignants.

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12 février 2014 1 Freud S. Deuil et mélancolie ; extrait de métapsy- chologie. Sociétés 2004;4:7-19.

2 Kübler-Ross E. On death and dying. New York : Scribner Publisher, 1969.

3 Bowlby J. Attachement et perte, volume 3. La perte. Tristesse et dépression (D. Weil, trad.). Paris : Presses universitaires de France. (Original publié 1973, 1984).

4 De Montigny F, Beaudet L. Lorsque la vie éclate – l’impact de la mort d’un enfant sur la famille. Paris : Edi- tions Seli Arslan, 1997.

5 ** Gaillard JP, Rey Y. Deuil et thérapie familiale : quels objets flottants ? Thérapie Familiale 2001;22:251- 68.

6 ** Frydman R, Flis-Trèves M. Mourir avant de n’être.

Paris : Editions Odile Jacob, 1997.

7 ** Haussaire-Niquet C. L’enfant interrompu. Paris : Editions Flammarion, 1998.

8 * Hedtke L, Winslade J. Re-membering lives. Con- versations with the dying and the bereaved. New York : Baywood Publishing Compagny, 2000.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Implications pratiques

Afin que le rituel de deuil puisse permettre aux parents de vivre plus sereinement la perte de leur fœtus ou nouveau-né, il doit être investi de manière personnelle et individuelle Bien que l’expression clinique du deuil puisse se chevaucher avec les symptômes caractéristiques d’un épisode dépressif, la durée et la prise en charge du moment de tristesse peuvent être très différentes

Le suivi psychothérapeutique du deuil périnatal peut s’ap- puyer sur les mêmes techniques des thérapies narratives que les deuils de personnes adultes

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