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Robert Herrick, un Horace anglais? La voix du poète dans Hesperides (1648)

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Submitted on 10 Feb 2019

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dans Hesperides (1648)

Line Cottegnies

To cite this version:

Line Cottegnies. Robert Herrick, un Horace anglais? La voix du poète dans Hesperides (1648). Nathalie Dauvois, Béatrice Delignon, Line Cottegnies. L’Invention de la vie privée et le modèle d’Horace, Editions Classiques Garnier, 2017, 978-2-406-05913-4. �halshs-01469088v2�

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Comme son modèle, le poète et dramaturge Ben Jonson, Robert Herrick (1591-1674) est pétri de poésie latine. Herrick, fils d’orfèvre prospère, est issu des meilleures écoles ; un temps Chapelain du duc de Buckingham, il est membre du cercle des « fils de Ben » qui se rencontrent autour de leur maître spirituel dans les tavernes londoniennes entre 1620 et 1627. Il est l’auteur d’un volume de poésie profane et sacrée, l’un des tout premiers à être un véritable recueil organique, qu’il rassemble et publie en 1648, après son éviction de Dean Prior, dans le Devon, paroisse dont il était le vicaire. Royaliste convaincu, il a effet refusé en 1647 de prêter serment au Pacte solennel qui entendait réformer l’église d’Angleterre (Solemn League and Covenant) et auquel tous les prêtres devaient jurer fidélité. Les sources latines auxquelles puise Herrick pour son œuvre poétique sont nombreuses, et les plus évidentes sont peut-être Catulle ou Martial comme le révèle son goût pour l’épigramme, Anacréon, Virgile ou Ovide, pour sa poésie amoureuse et pour la poésie de l’exil qui donne une coloration mélancolique à son volume, véritable bréviaire d’un monde en train de sombrer. Ce recueil, intitulé Hesperides (Les Hespérides), a en effet été lu comme

un témoignage brillant d’une culture royaliste en perdition, qu’il s’agisse de l’accent mis sur les fêtes anglaises rurales et de leur folklore (mis à l’index par les Puritains au pouvoir) ou des poèmes de circonstance en l’honneur du Prince de Galles ou de ses amis, qui incluent certains courtisans fort en vue avant la révolution.1 Prenant le contrepied de Gorden

Braden qui en 1978 faisait de Herrick un poète de la retraite pure et du détachement stoïcien, Leah Marcus, la même année, montrait les affinités de Herrick avec une culture identifiée comme royaliste – qui incluait notamment l’héritage séculaire des festivals et fêtes populaires, interdits par les puritains2. Plus récemment, Syrithe Pugh a également montré

comment chez Herrick l’intertextualité ovidienne revêt une dimension profondément royaliste : la poétique de l’exil et de la retraite est bien chez lui au service d’un engagement pour la cause royaliste dont il devient par la publication de son œuvre même un point de ralliement3.

Robert Herrick fait œuvre originale en choisissant de publier un volume poétique organisé, geste encore peu fréquent à cette période en Angleterre, où la circulation manuscrite est encore préférée à l’impression pour la poésie4. Par ce geste auctorial, il

1 La synthèse la plus récente sur l’importance de Herrick comme poète royaliste est Cain et Connolly (éd.) (2011). 2 Marcus (1978), et Braden (1978), p. 154-254.

3 Voir Pugh (2010).

4 Il faut rappeler que la publication imprimée d’œuvres lyriques est encore relativement inusitée pour les gentlemen et aristocrates de l’Angleterre de la première moitié du XVIIe siècle, car soumise à une forme d’opprobre  il y a quelques rares exceptions. On tend à lui préférer encore la publication manuscrite, plus élitiste, car a priori réservée à un cercle de

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s’inscrivait clairement dans le sillage de son mentor et ami Ben Jonson, qui, quant à lui, avait causé scandale dès 1616 en publiant ses poèmes et son œuvre dramatique — genre alors considéré comme éminemment éphémère en Angleterre — dans un luxueux in-folio au titre ronflant, Workes (Londres, 1616) — titre raillé par ses contemporains5. C’est

certainement d’abord Jonson qui mérite le titre de Horace anglais en ce début de XVIIe siècle : c’est lui qui a le plus imité Horace, dans ses recueils poétiques intitulés Epigrammes et

The Forest6. Jonson se met aussi en scène dans la figure du poète Horace lui-même dans une

pièce, The Poetaster, représentée pour la première fois en 1601 (Londres, 1602) ; enfin, il offre de l’Ars poetica deux traductions — toutes deux publiées en 1640, bien que la première ait été composée en 16047. Pour autant, le recueil de Herrick contient lui aussi de

nombreuses références à Horace, qui témoignent de l’influence du poète latin. Après voir décrit brièvement l’étendue de la dette de Herrick à l’égard d’Horace, cet essai s’intéressera à quelques emprunts ou échos qui permettent de mieux comprendre la construction de l’auctorialité dans son œuvre.

Pour prendre la mesure de ce que représente Horace en cette première moitié de XVIIe siècle en Angleterre, il faut à nouveau se tourner vers Jonson, qui décrit Horace comme: « The best master of virtue and wisdom »8. C’est aussi le moraliste que salue

Herrick dans un poème adressé au comte de Wesmorland, où il sert d’autorité familière pour une forme de sagesse proverbiale: « Vertue conceal'd (with Horace you'l confesse) /

Differs not much from drowzie slothfullnesse. »9 Elizabeth Hazelton Haight, dans un article

connaissances ou une coterie. L’avènement de la guerre civile, qui provoque la dispersion des coteries et des différents cercles qui gravitent autour de la cour et des courtisans, est l’un des facteurs qui expliquent la fin de ce tabou qu’on peut considérer comme relativement archaïque, au regard du reste de l’Europe. Les années 1640 et 1650 voient la publication (souvent par des éditeurs royalistes engagés dans la cause) de nombreux recueils rassemblant les œuvres poétiques de poètes courtisans ou ayant écrit pour la cour dans les décennies qui précèdent. À cet égard, la publication par Herrick de

son vivant d’un recueil poétique composé est encore relativement inédit.

5 Un commentateur anonyme raille : “Pray tell me Ben, where doth the mistery lurke,/ What others call a play you call a work” (“Dis-moi, Ben, quel est donc ce mystère, / Que ce que les autres nomment pièce tu le nommes œuvre?”, Wit's

Recreation, 1640, sig. G3v). Voir Meskill (2008).

6 Les deux recueils furent publiés dans les Workes (1616).

7 Sur les rapports entre Jonson et Horace, voir l’ouvrage de Moul (2010), passim.

8 « Le meilleur maître en termes de vertu et de sagesse » (toutes les traductions sont de mon fait, sauf indication contraire), in Ben Jonson, Discoveries, cité par Martindale (1993), p. 53.

9 « La vertu cachée (avec Horace tu le confesseras) / N’est guère que paresse assoupie ». « To the right Honourable

Mildmay, Earle of Westmorland », The Poetical Works, éd. Moorman (1915), p. 173 (tous les poèmes de Herrick sont tirés de

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ancien10, relève de multiples exemples de ce type d’emplois de sagesses proverbiales. C’est

cette figure de sage vertueux et stoïcien qui domine en Angleterre jusqu’à la Restauration (après 1660), où il tendra à être identifié davantage à une figure de libertin jouisseur, amateur de chair et de bon vin. L’Horace que Jonson et Herrick retiennent tous deux est avant tout caractérisé par cette philosophie qui associe résignation stoïque à la destinée et loyauté politique dans le cadre de relations de patronage, mais aussi par la célébration parfois teintée de mélancolie de l’amitié, du vin et de la bonne vie face au passage du temps et à la présence de la mort11. Herrick mentionne le nom d’Horace encore à deux reprises,

toujours avec Anacréon, dans son volume, et toujours pour l’associer à la célébration de l’amitié, du vin et des femmes :

Here we securely live and eate The Creame of meat, And keep eternal fires, By which we sit, and doe Divine As Wine

And Rage inspires.

... Then cause we Horace to be read, Which sung, or seyd, A Goblet, to the brim

Of Lyrick Wine, both swell'd and crown'd, A Round

We quaffe to him.

Thus, thus, we live, and spend the houres In Wine and Flowers :

And make the frollick yeere, The Month, the Week, the instant Day To stay

The longer here.12

10 Haight (1911), p. 186-89, plus particulièrement p. 186-88. 11 Cf. Moul (2010), p. 10.

12 « Ici, paisibles, nous dégustons / Les meilleurs mets, / Devant des feux éternels, / Auxquels nous nous réchauffons, et nous prophétisons / Ce que et le vin / Et l’inspiration nous soufflent. / Alors nous faisons résonner Horace, / et ses poèmes chantés ou récités, / Le gobelet rempli à ras bord / De vin lyrique, gais et couronnés de lauriers, / Une tournée, / Nous dédions à sa santé./ C’est ainsi que nous vivons et passons le temps, / Dans le vin et les fleurs, / Et retenons l’année joyeuse, / Le mois, la semaine, le jour présent / Pour qu’ils demeurent / Plus longtemps. » (« An Ode to Sir Clipsebie Crew », Poetical Works, p. 198). Anacréon est aussi mentionné, à la strophe 2 du même poème.

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On retrouve ici la figure de l’Horace bon vivant, faisant l’éloge de Bacchus et du vin partagé entre amis de l’Ode I.18, mais non que sans transparaisse la mélancolie sobre des odes sur la mutabilité (comme l’Ode II.3).

Il en va de même dans le dernier poème qui mentionne Horace, intitulé « A Lyrick to Mirth » (« Ode lyrique à la joie »), dans des vers qui frappent par leur musicalité rythmique. Comme la poésie d’Horace, celle de Herrick, véritable orfèvre du vers, se définit en effet par sa grande variété prosodique et rythmique et son attention constante à la musique :

While the milder Fates consent, Let's enjoy our merryment:

Drink, and dance, and pipe, and play; Kiss our Dollies night and day: Crown'd with clusters of the Vine; Let us sit, and quaff our wine. Call on Bacchus; chaunt his praise; Rouze Anacreon from the dead; And return him drunk to bed: Sing o're Horace; for ere long Death will come and mar the song: Then shall Wilson and Cotitre Never sing, or play more here.13

Herrick voit donc en Horace d’abord le poète de la « muse joyeuse », dont il se fait l’émule ; de lui-même, dans une épigramme en forme d’épitaphe qui clôt son volume, il écrit ainsi : « Jocund his Muse was ; but his Life was chast. »14, comme en écho à la « lyre badine » de

l’Ode 3 du Livre III d’Horace15. Mais l’Horace d’Herrick est aussi le poète de la mélancolie

face à la brièveté de la vie, on l’a vu, et plusieurs de ses poèmes portent explicitement sur le caractère éphémère des plaisirs simples de la vie. Dans ses invitations à l’amour, c’est souvent le caractère pressant du temps qui passe qui joue le rôle de moteur : « Gather ye rosebuds while ye may », le premier vers du célèbre « To the Virgins, to make much of time », puise ainsi son image au dernier vers de l’Ode I.11, « Cueille le jour, sans te fier le

13 « Tant que les Parques clémentes y consentent / Profitons de notre félicité: / Buvons, dansons, sonnons fifres, et jouons ; / Embrassons nos filles nuit et jour : / Couronnés de pampres de vigne ; / Allons, buvons à notre santé. / Invoquons Bacchus ; chantons ses louanges ; / Ramenons Anacréon d’entre les morts ; / Et renvoyons-le ivre à son lit : / Chantons la gloire d’Horace ; car bientôt / La mort viendra et gâtera notre chant ; / Alors Wilson et Cotitre / Ne chanteront ni ne joueront plus ici. » (Poetical Works, p. 39).

14 « Joyeuse était sa muse, mais sa vie était chaste » (« Upon himself », Poetical Works, p. 335). 15 Horace, Odes (2002), p. 171. Les citations d’Horace en français sont tirées de cette édition.

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moins du monde au lendemain »16. Enfin, Jonson et Herrick retiennent aussi tous deux

d’Horace la célébration de l’immortalité de la poésie, notamment l’esprit et la lettre du célèbre motif du « monumentum aere perennius »17, bien que ce thème ne soit

naturellement pas spécifique à Horace. Le poème de Herrick intitulé « The Pillar of fame » joue ainsi de la matérialité même du poème sur la page — en forme de colonne — pour suggérer l’élévation du monument dans et par la poésie qui est le sujet même du poème, en un écho direct à l’Ode III. 30 18:

Fames pillar here, at last, we set, Out-during Marble, Brasse, or Jet; Charm’d and enchanted so, As to withstand the blow Of overthrow : Nor shall the seas, Or O U T R A G E S

Of storms orebear What we up-rear; Tho Kingdoms fal, This pillar never shall Decline or waste at all; But stand for ever by his owne Firme and wellfixt foundation.19

Victoria Moul résume tous ces aspects de l’héritage d’Horace pour les poètes anglais de cette période dans l’ouvrage qu’elle consacre à l’intertertextualité horatienne chez Ben Jonson, et elle conclut qu’Horace est aussi, pour Jonson, une référence centrale pour le processus de construction de son auctorialité de poète :

Jonson used Horace and his relationship to the Roman poet to model his own self-conscious poetic authority, to mark his laureate role as a poet of courtly panegyric, and to insist upon his artistic

16 « Cueillez, cueillez, si le pouvez... » (trad. Gérard Gacon, 1990, p. 57 — il ne s’agit que de la traduction d’une sélection de poèmes). Herrick, Poetical Works, p. 84 ; Horace, Odes, p. 31.

17 Odes, III. 30, mais voir aussi I.1., IV. 8 et IV. 9.

18 « J’ai achevé un monument plus durable que le bronze, plus haut que la décrépitude des royales Pyramides… » (Odes, p. 263).

19 « Enfin, plantons ici le monument de la renommée, / Plus durable que le marbre, l’airain ou le jais ; / Protégé par un charme ou un enchantement / Pour résister aux coups / De la destruction ; / Ni les mers, / Ni les outrages / des tempêtes, n’abattront / Ce que nous érigeons ; / Même si les royaumes tombent, / Ce monument jamais / Ne connaîtra déclin, ni délabrement ; / Mais il se dressera pour l’éternité / Ferme, sur ses solides fondements. » (Poetical Works, p. 335).

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freedom despite the network of patronage and financial dependence within which he was compelled to operate.20

Cette relation se traduit d’abord par l’adhésion à des formes pratiquées par Horace, en l’occurrence l’ode et la satire, ainsi qu’à une certaine philosophie liée à une vision du monde et de la place du poète dans la société.

En fin lecteur et d’Horace et de Jonson, Herrick reprend donc à son tour, on le voit, cet héritage. Les critiques récentes sur Herrick ont tendance à minimiser sa dette à l’égard d’Horace pour mettre plutôt en avant son rapport d’imitation à Jonson. La critique Joanna Martindale décrit ainsi l’horatianisme de Herrick comme « un tissu d’allusions horatiennes dans un style jonsonien », à propos d’un poème comme « A Country Life » — où le poète décrit son goût pour l’honnête médiocrité de la retraite bucolique et les plaisirs de la campagne, loin de l’agitation de la vie citadine21. Michelle O’Callaghan, dans un chapitre

récent, montre quant à elle comment Herrick s’inscrit par l’imitation d’Horace dans ce qu’elle appelle un ethos « Jonsonio-Horatien »22. En rendant indiscernables l’influence

jonsonienne de celle d’Horace, Herrick se construirait, selon elle, une image de poète comme le plus légitime des « fils de Ben », un moi poétique « centré » (« Center-like, unmov’d », pour reprendre l’expression même de Herrick23) — parfaite synthèse entre le

moi centré de Jonson et le moi stoïcien idéal de Horace24. Il me semble toutefois que

l’horatianisme de Herrick n’est pas totalement médiatisé ou filtré par la référence à Jonson, même si l’influence jonsonienne est évidente.

Mais quelle est exactement l’étendue des emprunts et des échos directs à Horace, dont certains, les plus évidents, ont été rappelés ci-dessus, dans l’œuvre poétique de Herrick ? Deux travaux anciens en offrent un inventaire utile25. Ces échos sont de trois

ordres : il peut s’agir de traductions-imitations de poèmes entiers. C’est ainsi le cas de « A Dialogue Betwixt Horace and Lydia, Anno 1627 », traduction fidèle de l’Ode III. 9, ou encore, dans une moindre mesure de « A Country Life, to his Brother M. Tho. Herrick », qui contient de nombreuses allusions à Horace, sur le thème de l’éloge de la médiocrité au sein d’une vie retirée. On peut aussi placer dans cette catégorie d’imitation le très bel hommage posthume à Jonson, « An Ode for him », qui ne pouvait pas ne pas prendre une forme horatienne : Ah Ben! 20 Moul (2010), p. 3. 21 Martindale (1993), p. 54. 22 O’Callaghan, (2011), p. 91.

23 « A Country life : To his brother, M. Tho. Herrick », v. 101, Poetical Works, p. 37. 24 O’Callaghan (2011), p. 93.

25 Voir Haight (1911à, et Melville Ruggles (1936), p. 223-34, ainsi que l’étude que Braden consacra à ce thème en 1978, déjà citée, dans The Classics and English Renaissance Poetry.

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Say how, or when Shall we thy Guests Meet at those Lyric Feasts Made at the Sun, The Dog, the triple Tunne? Where we such clusters had, As made us nobly wild, not mad; And yet each Verse of thine Out-did the meate, outdid the frolic wine. My Ben

Or come agen : Or send to us, Thy wits great over-plus; But teach us yet Wisely to husband it; Lest we that Tallent spend : And having once brought to an end That precious stock ; the store Of such a wit the world sho’d have no more.26

Une deuxième forme de dette à l’égard d’Horace concerne les nombreux emprunts verbaux ou échos caractéristiques dans l’ensemble des poèmes, par exemple dans « His Age, dedicated to his peculiar friend, Mr. John Wickes, under the name of Posthumus. », dont Elizabeth Haight a montré que les sept premières strophes contenaient sept allusions directes à Horace27. Par ces emprunts à diverses odes, Herrick tisse un texte empreint

d’horatianisme plus ou moins diffus, ce qui montre aussi sa profonde familiarité avec l’œuvre d’Horace. Enfin, une troisième forme d’emprunts à Horace concerne les échos thématiques et stylistiques moins précis, mais qui évoquent néanmoins l’univers d’Horace. Au chapitre des échos verbaux, on peut penser au vers final du très mélancolique « The bad

26 « Ah Ben ! / Dis-moi quand et comment / Nous, tes hôtes, / Te retrouverons à ces fêtes lyriques / À l’enseigne du Soleil, / Du Chien, du triple Tonneau ? / Où nous tînmes nos assemblées / Qui nous virent noblement enivrés, et non délirants ; / Et pourtant chacun de tes vers / Eclipsait les mets, l’emportait sur le vin joyeux. / Mon Ben, / Reviens / Ou envoie-nous / Ton esprit prodigue ; / Apprends-nous encore / À le faire fructifier ; / De peur qu’ayant usé de ce talent, / Jusqu’à épuiser / Ce précieux stock, il ne reste rien / Et que d’un tel esprit le monde soit privé. » (Poetical Works, p. 289).

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season makes the Poet sad. », qui renvoie à un vers très connu de l’Ode 1 du livre I d’Horace :

Dull to myselfe, and almost dead to these My many fresh and fragrant Mistresses : Lost to all Musick now, since every thing Puts on the semblance here of sorrowing. Sick is the Land to th’heart ; and doth endure More dangerous faintings by her desp'rate cure. But if that golden Age wo’d come again, And Charles here rule, as he before did Raign ; If smooth and unperplext the Seasons were, As when the sweet Maria lived here :

I should delight to have my Curles half drown'd In Tyrian dewes, and Head with Roses crown'd ; And once more yet (ere I am laid out dead)

Knock at a Starre with my exalted Head.28

Toutes ces allusions et emprunts de Herrick à Horace concernent principalement les Odes du poète latin, mais aussi un peu les satires, sans oublier quelques allusions éparses à

l’Ars poetica. L’Horace des Odes offre à Herrick, à travers la figure complexe du poète, à la

fois protégé de Mécène et garant de son immortalité (Ode IV.8), un lieu pour déplacer les rapports de la marge et du centre, et même inverser explicitement les rapports de pouvoir induits par la situation de patronage. Cette stratégie symbolique avait déjà été celle de Ben Jonson lui-même, dans sa poésie thuriféraire notamment. Jonson, en tant que poète proche des milieux courtisans, poète lauréat qui plus est, n’avait bien évidemment pas échappé à la problématique du poète de cour telle que l’avait posée Horace. Il avait lui aussi trouvé dans la persona lyrique d’Horace un modèle d’une forte efficacité idéologique et poétique : par la force de la persona de poète que constitue Horace à travers son œuvre, notamment par la confiance réitérée qu’il exprime dans l’immortalité que lui confèrera la poésie (et qu’il pourra conférer à son tour à d’autres), Horace avait partiellement affranchi le poète de sa sujétion symbolique au prince, tout en offrant un modèle de panégyrique aux poètes à

28 « Insensible à moi-même, et presque mort à elles, / Mes maintes maîtresses, fraîches et odorantes:/ Inapte à toute musique désormais ; depuis que toute chose / A revêtu ici une apparence d’affliction. / Touché en son cœur est le pays ; et subit / Maints dangereux malaises causés par son traitement désespérée. / Mais si cet âge d’or pouvait revenir, / Et Charles régner comme auparavant ; / Si les saisons, paisiblement et sans heurt pouvaient s’écouler, / Comme lorsque la douce Marie vivait ici : / J’exulterais de baigner mes boucles / De rosée tyrienne, et de couronner ma tête de roses. / Et encore une fois, avant que la mort me saisisse, / Heurterais une étoile d’un front fier. » (Poetical Works, p. 214). Charles et Marie renvoient au roi Charles Ier, qui sera exécuté en 1649, et à la Reine Henriette-Marie, exilée en France. Cf. Horace, « j’irai, au haut des airs, toucher les astres de ma tête » (Odes, p. 5).

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venir. Mais lorsque Herrick emprunte à son tour cette identité poétique, après Jonson, il l’infléchit d’une manière inédite : à la lecture de ses poèmes, on constate vite que Herrick est loin d’épouser totalement la problématique du poète courtisan, bien qu’il s’en fasse l’écho. Il est vrai que Herrick n’est pas dans la situation d’un Jonson gravitant dans les cercles courtisans : pasteur de campagne loin de la cour et de Londres, et issu d’une famille bourgeoise aisée, il n’est pas directement dépendant de ses mécènes. Certes, il assume une position de respect vis à vis de certains grands personnages, le favori de la reine Endymion Porter ou le Comte de Westmorland (sans parler du Prince Charles à qui il dédie l’ensemble du volume), à la manière d’un Horace rendant hommage à Mécène. « The Country Life » est à cet égard une reprise de l’ode d’Horace à Mécène III. 29. Le poème intitulé « To the King » suit le modèle offert par Odes I. 2, dans laquelle Horace désigne Auguste comme le héros divin désigné par les cieux pour restaurer la civilisation et l’harmonie dans un monde chaotique.

Mais si certains de ses poèmes sont bien dédiés à des « grands », la galerie des personnages évoquée dans Hesperides est pour le moins hétéroclite : humbles et puissants, célébrités et anonymes, comtes et serviteurs et fées du folklore mêmes, s’y côtoient dans un joyeux mélange, qui tient davantage de l’assortiment de curiosités que de la poésie sociale telle qu’elle se pratiquait alors dans les cercles et réseaux fréquentés par les courtisans que Herrick mentionne. Ainsi, Herrick consacre un poème sur sa servante, Pru (autorisé peut-être en cela par Horace, qui lui aussi donne la parole à son serviteur dans le livre II.7 des Satires, par exemple). Dans cette poésie familière, le lyrisme est constamment battu en brèche par le burlesque. Ainsi, dans le très virgilien « Eclogue, or Pastorall between Endimion Porter and Lycidas Herrick », Herrick se moque de l’esthétique pastorale en jouant du contraste burlesque entre le prénom très culturellement chargé de Porter (renvoyant au personnage mythologique d’Endymion) et son patronyme (« Porter » signifie d’abord portier)… Si Lycidas Herrick est un oxymore absurde — le patronyme Herrick évoque immanquablement « hayrick », la meule de foin, référence tout à fait appropriée dans le contexte d’une petite paroisse rurale du Devon —, il semble suggérer en filigranes la vanité de la condition d’un serviteur nommé Endymion… Le poète revendique ici une poétique familière bucolique contre les artifices du pastoralisme, tout en offrant un commentaire ironique sur la condition de courtisan.

Loin de célébrer les grands personnages ou les amis qu’il mentionne dans son œuvre poétique, le poète Robert Herrick, qui apparaît sous son nom propre à vint-trois reprises dans le recueil (bien plus que ne le fait Ben Jonson, pourtant coutumier du fait), se met en scène comme officiant dans un simulacre de rituel, où amis et puissants sont invités à y figurer. Par ce renversement symbolique explicite, le poète en fait de facto ses obligés. Dans « To his kinsman M. Tho : Herrick, who desired to be in his Book » (305), le poète,

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en pourvoyeur d’immortalité, mais mégotant sur sa générosité, décrit l’inclusion d’un nom dans son livre comme une forme « d’élection », qui n’obéit qu’à son bon plaisir:

Welcome to this my Colledge, and though late Tha’st got a place here (standing candidate) It matters not, since thou art chosen one Here of my great and good foundation.29

Son livre est son collège, sa république des lettres personnelle, où n’entre aucune considération de distinction sociale ou politique. Le recueil convoque une communauté poétique symbolique hétéroclite à un symposium imaginaire, mais auquel est convié le lecteur de bonne foi. Cette communauté dessine en fait les contours d’un espace d’auto-célébration pour le poète, qui se met en scène comme étant celui qui distribue arbitrairement les rôles et célèbre au final surtout son propre nom, contre l’ombre obsédante de la mort. Les personnages convoqués dans la communauté qu’il constitue par le volume (où la servante Pru cohabite avec le courtisan Porter) ne sont là que pour constituer une coterie symbolique improbable, un public, pour la persona du poète qui en est le centre rayonnant, quasi-absolutiste. Ils sont aussi un rempart contre la mutabilité inéluctable :

Onely a little more I have to write. Then Ile give o’re, And bid the world Good-night.30

Herrick mérite bien le titre de « Horace anglais » : retiré à la campagne, loin de Londres, il ne pouvait que s’identifier à Horace. Mais à cela il faut ajouter une caractéristiques propres : les critiques ont abondamment commenté le soin apporté à la composition du volume, jusqu’aux détails de typographie et de mise en page (avec les variantes dans la taille des polices, les poèmes hiéroglyphes, le jeu avec le blanc sur la page). Tout témoigne d’un désir de contrôle de la part du poète, face à la mutabilité de toutes choses, et de son ambition de construire une œuvre centrée sur le for intérieur, sur les ruines d’une culture royaliste menacée, mais avec une conscience très forte d’être un poète de l’imprimé et d’écrire résolument pour la publication.

Line COTTEGNIES

Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

29 « Bienvenue ici dans mon Collège, et bien que tard / Tu te vois attribuer une place ici (candidat aspirant) / Mais qu’importe, puisque te voilà distingué / Ici même pour entrer dans glorieuse et vertueuse fondation » (Poetical Works, p. 305).

30 « Juste quelques pages / Il me reste à écrire, / Et j’arrêterai tout, / Et ferai mes adieux au monde » (« His Poetrie his Pillar », The Poetical Works, p. 85).

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Références

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