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View of Une rumeur sous-terraine. Entretien avec Olivier Smolders

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Academic year: 2021

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« Une rumeur sous-terraine » Entretien avec Olivier Smolders Arne De Winde, Sientje Maes & Bart Philipsen

Processus fantasmatique

Dans un exposé sur « Mort à Vignole », vous affirmez que « les images violentes sont traversées par un point aveugle ».

Pourriez-vous développer cette réponse à « l’image de l’innommable » ?

Une image anodine en apparence peut être très violente dans l'effet qu'elle produit. Une image qui exhibe la violence peut, à contrario, être inoffensive.

« Funny Games » est un film extrêmement violent, bien qu'il ne montre quasi pas la violence elle-même. A l'inverse, des films d'horreurs qui exhibent une violence extrême prêtent plutôt à sourire. Les images d'actualité, parfois très dures, inspirent des sentiments contradictoires qui vont de la compassion à l'effroi, en passant par l'indifférence ou la protestation de pure forme. En réalité la violence ne relève qu'assez peu du champ du « représentable » car elle procède moins de la perception sensorielle (facilement stimulable) que du travail de

l'imaginaire. L'innommable n'est pas dicible, et encore moins « montrable » car c'est un phantasme qui prend des formes très variées selon les individus.

Le processus fantasmatique fonctionne-t-il également dans la direction opposée ? C’est-à-dire, les images innocentes dans vos films ne sont-elles pas immanquablement affectées par la présomption de « l’innommable »?

C'est une histoire de contamination. Les images et les sons de tout film sont connectés entre-eux par des liens secrets. C’est à la fois le jeu des correspondances formelles, des analogies « Fixez la violence dans une

représentation et aussitôt elle prend le chemin de l’artifice, du spectacle c’est-à-dire déjà du déni, de l’occultation. La blessure devient un signe, le sang se cherche une esthétique, la mort se pare d’une multitude de masques. Qu’il soit fictionnel ou de reportage, le cinéma qui montre la mort violente est le même que celui qui exhibe le sexe : un cinéma résolument fantasmatique. Son acharnement réaliste, sa fièvre de vérité le conduit

immanquablement à

l’abstraction. Que voit-on lorsqu’on regarde les images de Kennedy s’effondrant dans sa voiture, les photographies de têtes

coupées par des

tortionnaires, l’exécution sordide de Ceaucescu, le plan d’une fillette qu’engloutit un torrent de boue sous les caméras des télévisions ? Que voit-on devant l’image de l’innommable ? Les images violentes sont traversées par un point aveugle. »

Olivier Smolders, La part de l’ombre (p. 28)

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troublantes et des chevauchements d’éléments sonores. Une rumeur sous-terraine

impressionne d’une même aura toutes les parties d’un film. La présence d’un chancre, au sein d’un fruit, ne manquera donc pas d’affecter le fruit tout entier.

Comment votre « écriture cinématographique » nous permet-elle de réfléchir sur ce processus fantasmatique ?

Il ne s'agit pas de réfléchir mais d'abord de ressentir. Même si j'ai toujours eu l'envie d'écrire et de publier des fragments de notes sur le cinéma, l'approche d'un film est d’abord une affaire de sensations.

Photogramme extrait de Voyage autour de ma chambre (2008)

Esthétisation et éthique

Vos films s’opposent clairement à la narrative psychologisante. Que lui reprochez-vous? La psychologie appauvrit tout, réduit les comportements humains à des caricatures. C'est pratique pour raconter une histoire classique, dont le principe repose précisément sur la reprise de stéréotypes comportementaux, mais, en comparaison avec la complexité du réel, cela relève du conte de fée. Les relations humaines et la manière dont nous percevons nos vies, sont tellement plus complexes, ambigües, déroutantes. Je suis très bon spectateur de fictions psychologiques mais je considère que cela n’a qu’un rapport extrêmement lointain avec la vie.

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La focalisation sur le non-narratif et non-psychologisant peut cependant mener à une apparente « superficialité » qui peut être ressentie comme purement esthétisante, et donc, pour certains, amorale. Comment répondriez-vous à une telle critique ?

Qu'est-ce qu'un esthète ? Un cinéaste qui à force de se préoccuper de « faire joli », ne se préoccupe pas du contenu ? Alors je ne m'y reconnais pas. Ou bien serait-ce un cinéaste qui pense que ce n'est que par un travail de la forme qu'il aura quelque chance

d'approcher d'une façon nouvelle un contenu ? Alors je suis de ceux-là. La forme est à l’origine même des contenus. Le choix d’une langue – d’une esthétique, si on préfère – détermine le rapport que nous avons au monde. Sans travail de la forme, vous êtes condamné à tourner en rond au milieu de stéréotypes.

Expérimenter de nouvelles formes, c'est se donner l'opportunité de penser différemment notre rapport au réel.

La morale, en politique, consiste à défendre des valeurs auxquelles on croit. La morale, en matière d'art, c'est tout autre chose. Elle consiste d'abord à défendre le droit à l'imaginaire. Or celui-ci n'a que faire des valeurs utiles au bien vivre ensemble. On ne fait pas de l'art avec des bons sentiments. Au contraire, l'art a la

responsabilité d'affronter parfois aussi la part la plus sombre de l'humain. La morale de l'art se trouve dans la rigueur qu'il a vis à vis de sa forme, son refus des complaisances, des simplismes, des envies de plaire au plus grand nombre. Lorsque je veux défendre les valeurs auxquelles je crois, je suis professeur, citoyen, père de famille. Cela occupe d’ailleurs la plus grande partie de mon temps. Mais lorsque je fais un film, j’abandonne ces postes, délibérément. Je m’occupe de tout autre chose.

Dans vos notes sur « Seuls », vous faites plusieurs fois remarquer que les enfants ne s’intéressent aucunement à celui qui les

observe : « Vous n’êtes pas concernés par sa parole. Allez-vous en ». S’agit-il d’une autre sorte d’éthique qui n’est pas basée sur

La symétrie est-elle à priori plus mortifère que le désordre ? Je pense à ces maisons bourgeoises que personne ne paraît habiter tant chaque objet – déjà en lui-même conventionnel – y trouve sa juste place : les deux chandeliers sur la cheminée, la rangée de livres à tranches dorées dans la bibliothèque, la figurine en porcelaine sur le buffet. Sans doute n’y a-t-il que des fantômes qui puissent habiter cet ordre-là. Les désordre, le déséquilibre, le rythme rapide seraient-ils alors le signe de la vie ? Mais c’est oublier que le désordre est aussi une tentation

suicidaire, un refus du vouloir maîtriser le monde, une acceptation du

gaspillage.

Olivier Smolders, Voyage auteur de ma chambre (p. 39)

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l’empathie ?

Ces enfants sont submergés par leur refus du monde, des autres, d'eux-mêmes. Leur solitude raconte jusqu'à l'excès ce que nous sommes tous : prisonniers d'un corps, d'une histoire personnelle, d'un monde intérieur impossible à partager complètement. Notre capacité à échanger des mots et des témoignages d'affection nous rassurent mais ne change pas grand chose sur le fond. Pourtant, le sentiment d'être provisoirement vivants ensemble, au même moment, sur la même terre, d'une certaine façon nous lie profondément. Je trouve ce lien émouvant, que ce soit vis à vis d'enfants autistes, d'inconnus dans un train ou d'un étranger que je croise quelques minutes au bord d’une route : nous aurons été vivants ensemble, au même moment. Il y a peu de choses que nous puissions partager avec autant de force et d’évidence.

Photogramme extrait de Seuls (1989)

Dans « Pensées et Visions d’une tête coupée », Arthur Wiertz déclare qu’il « veut placer le spectateur dans une situation de culpabilité ». Dans quelle mesure cette déclaration s’applique-t-elle également à votre esthétique de film ?

La culpabilité est un concept très judéo-chrétien. C'est tout l'art du catholicisme d'avoir réussi à conditionner le plaisir à la notion de faute, au plaisir de transgresser l'interdit. Baudelaire prétend que le plaisir des amants vient de leur : « certitude de faire le mal ». Il a cependant aussi cet autre propos, qui me plaît davantage : « il est du devoir d'un artiste de se placer dans

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une situation d'inconfort maximum ». Et, partant, de placer l'autre dans cet inconfort, cette inquiétude, cette perte de repères. Il faut s'égarer un peu et entraîner le spectateur dans cet égarement. Qui n'implique cependant pas le désordre. Au contraire. Donc non pas un spectateur coupable mais plutôt un spectateur inquiet.

Photogramme extrait de Adoration (1987)

Archive Fever

Il ressort de vos films et textes une énorme fascination pour le cabinet des curiosités, la collection, l’archive, le recueil de photos, le musée… Cette rage de la compilation est-elle guidée par un souhait de réglementation, d’ordre ou de rangement? Ou bien par un désir de l’aléatoire et du non-systématique ?

Un mélange des deux : rêve de maîtrise et, au même moment, de lâcher prise. Ivresse du catalogue, mais dans un sens pataphysique. Fascination de l’ordre, pourtant souvent mortifère, et passion du joyeux désordre, du carnavalesque.

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Logorrhée des images

Vous parlez de « l’image interdite ». Existe-t-il vraiment encore, dans notre ère d’hyper-visibilité multi-médiatique, des images tabous ? Dans vos notes concernant « Voyage autour de ma chambre », vous parlez même d’un « voile pudique » des médias.

Une image n’est jamais qu’une image. Elle ne devient tabou qu’en fonction de l’usage qui en est fait, des circuits de distribution qu’elle traverse. Une image pornographique ou ultraviolente est tabou sur une chaine de télévision généraliste, alors qu’elle est banale sur internet. La grande différence entre ces deux canaux de diffusion, c’est que ce qui rapporte de l’argent sur internet (les annonceurs profitent de la curiosité des surfeurs pour placer leurs bandeaux publicitaires), c’est précisément ce qui en fait perdre à la télévision (rompre la quiétude du téléspectateur nuit à l’efficacité des publicités). Pour l’occident, l’image tabou c’est donc celle qui fait perdre de l’argent à ceux qui la diffusent. Les images qui montrent la misère et la souffrance dans laquelle vivent en permanence des millions de gens, dans certaines régions d’ Afrique, pour ne citer qu’un exemple, sont des images qu’on verra peu, quel que soit le circuit de distribution, car ce sont des images qui ne rapportent pas d’argent. Cette image-là, à tort ou à raison culpabilisante, reste cachée car elle est anxiogène et, à ce titre, susceptible de troubler une société prioritairement

consumériste. Si cette image revient quand même, c’est à dose homéopathique, pour mieux l’oublier. D’une façon générale, les médias évitent de trop montrer ce qui reste pourtant une des réalités les plus insoutenables de l’histoire de l’humanité: son incapacité à résorber la misère.

L’attention portée sur la matérialité du corps humain, souvent déformé et grotesque ou associé à l’animalité est,

bien-Aussi évitera-t-on autant que possible de montrer ce par où le corps fait trou, ce par où il s’affiche comme un organisme vivant qui non seulement mange et boit quotidiennement mais aussi rote, pète, se mouche, pisse, saigne ou défèque. (…) Le corps au cinéma se fossilisa donc dans cette vie désincarnée à laquelle le destinait l’inconscient collectif d’une communauté culturelle qui n’eut jamais rien en plus grande horreur que la manifestation

impudique de la vie dans ce qu’elle a de plus primitif et de plus naturel.

Olivier Smolders, De l’autre côté du tiroir (p. 99-100)

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entendu, surprenante. Pourrions-nous lire vos films comme la critique d’un certain humanisme ?

Les sciences naturelles (dont l’anatomie, la tératologie ou l’entomologie ne sont que des préférences personnelles) me font rêver. Elles donnent la mesure du mystère du vivant, dont les hommes ne sont qu'une infime partie. Cela n'empêche pas d'être humaniste mais invite à la modestie, à la curiosité, à l’envie d’approcher les mystères – tantôt merveilleux tantôt

effrayants – dont nous sommes faits.

Photogramme extrait de Petite Anatomie de l’image (2009)

Mot – image

“Ces images de ce qu’on a été et que l’on est encore semblent échapper à tout commentaire rationnel et il arrive parfois qu’elles nous parlent de la mort, avec une tendresse que les mots n’atteindront jamais”. D’après vous, de quel façon les média langue et images diffèrent-ils dans leur approche de la mort et de la violence ?

Que dire de la mort ou de la violence ? Plus jamais ça ? En dehors de discours politiques ou consolatoires – légitimes cela va de soi – que dire de ces indicibles ? La poésie, la musique, plus rarement les images, peuvent cependant peut-être nous permettre de « partager » notre solitude commune face à ces questions sans réponse.

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« Mon art n’est pas de nature politique mais philosophique » . Vous retrouvez-vous dans ce propos de Wiertz dans « Pensées et visions d’une tête coupée » ?

Je préfèrerais « poétique », le discours philosophique étant souvent, comme l'écrivait Scutenaire « un cancer de l'intelligence ». Que l'art ne doive pas être politique, au sens

premier du terme, me semble aller de soi. Les « désastres de la guerre » ou « Guernica » sont des grandes œuvres car elles sont de Goya et de Picasso, pas parce qu'elles ont été au service d'une idéologie. Quant à la philosophie, elle prend souvent le risque d’une abstraction

excessive. Donc plutôt la poésie. Une affaire de sensations, de recherche de formes nouvelles, de dialogue secret avec l’imaginaire des spectateurs.

En collaboration avec Maud Gonne

Né le 4 janvier 1956 à Leopoldville (Congo), Olivier Smolders est écrivain, cinéaste, professeur à l’Insas (Institut Supérieur des Arts du Spectacle, à Bruxelles) et maître de conférence à l’Université de Liège. Il est l’auteur d’une douzaine de courts métrages primés dans de nombreux festivals

internationaux, d’un long métrage de fiction, Nuit Noire, et de livres comme Paul Nougé (Labor), 14 Adages d’Erasme (La Maison d’Érasme), Eraserhead de David Lynch (Yellow Now), Expérience de la bêtise (Yellow Now), La part de l’ombre (Les Impressions Nouvelles) et Voyage autour de ma chambre (Les Impressions Nouvelles).

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