CHAPITRE IX
DESCRIPTION RAISONNEE DES ETABLISSEMENTS DU BAS ET MOYEN LURIN AUX PERIODES RECENTES
1. Présentation des recherches
L'étude des données ethnohistoriques et de leurs exégèses modernes a mis en évidence les faiblesses des modèles explicatifs élaborés à propos de Pachacamac et de la situation générale de la zone Rimac-Lurin aux périodes récentes (cf. chap. IV).
Les déficiences peuvent se résumer en quatre questions :
1) Quelles étaient les limites territoriales exactes des divers groupes sociaux en présence, et particulièrement où se situe la frontière entre la chefferie de Ychsma et ses voisins Yauyos des hautes terres, si tant est qu'elle ait existé ?
2) Y-a-t-il une "culture Ychsma", et si oui, quelles sont ses spécificités, ses origines, sa diffusion, son influence ?
3) Quelle était la forme d'autorité qui régissait la seigneurie de Ychsma, et où se situait le siège de cette autorité ?
4) Dans quelle mesure la situation de l'Horizon récent telle qu'elle est décrite au travers des sources ethnohistoriques correspond-elle à celle qui a précédé la conquête inca, ou, en d'autres termes, quelle fut l'impact de cette conquête dans le territoire considéré ?
Il est possible d'apporter, grâce aux fouilles, des éclaircissements à ces questions.
Compte tenu du temps et des moyens matériels dont je disposais, il était impossible d'explorer et de fouiller l'ensemble du territoire couvert par la seigneurie de Ychsma, aussi ai-je dû me restreindre à une zone privilégiée de recherche : la vallée du Lurin.
La plus grande partie des sites de la zone d'étude - à l'exception de ceux situé au-dessous de
350m d'altitude- ont été visités et décrits par Feltham (1983), qui présente également des plans de
sites et des croquis de certaines structures. Le travail de Feltham était cependant axé sur la
chronologie ; grâce aux collectes de surface, elle a ainsi identifié les périodes d'occupation pour
chaque site. Les travaux de Bonavia (1965), Negro (1977) et Bueno Mendoza (1977, 1978, 1980),
plus ponctuels, m'ont également servi de références pour opérer une sélection des sites intéressants dans le cadre de la problématique envisagée.
2. Stratégie de recherche
J'ai procédé en deux étapes principales : prospections et fouilles. La campagne de prospections et de planimétrie s'est déroulée durant deux mois (avril-mai) en 1994 et la campagne de fouilles a duré environ deux mois et demi (entre fin février et début mai 1995).
2.1. Prospections et planimétrie
Le choix des sites à explorer a été fait en fonction du caractère probable de leur occupation.
En effet, pour répondre aux questions évoquées ci-dessus, je devais me concentrer en priorité sur les établissements d'élite et/ou cérémoniels.
Or, si l'on suit la classification de Matos Mar (1964:21-2), il existait trois patrons d'établissement humain dans la zone côtière de la vallée du Lurin en 1533 :
1) le village, c'est-à-dire la résidence du chef.
2) les communautés rurales qui vivaient près des champs répartis par le chef, et qui exploitaient ces champs. Une grande partie des maisons étaient faites de cannes de jonc, dont aucune trace n'a subsisté
1. On appelle ce patron "communauté" en raison des implications que cela suppose au niveau de la propriété de la terre.
3) les établissements de culte, dont il existe deux variantes dans la vallée : a) Pachacamac, cas unique ;
b) huacas ou lieux de cultes locaux, servis par des groupes moins importants de prêtres.
Peut-être y avait-il une huaca dans chacun des ayllus de la vallée car leur présence est très ancienne (Matos Mar 1964:22).
Feltham, quant à elle, distingue trois classes d'architecture : -1: domestique : cercles et plates-formes de pierres
-2 : rituelle : ensemble de pièces, cours et tombes
- 3 : communautaire : terrasses, routes, canaux, ponts (Feltham 1983:236)
1
De nombreux paysans pauvres du bas-Lurin vivent encore aujourd'hui dans des cabanes de bois et de joncs, à
Cependant, les cercles de pierres et les plates-formes à flanc de colline qu'elle a fouillé à Avillay (PV48-137) ne présentent pas d'indices corroborant la fonction domestique qu'elle leur attribue. Je me rallie donc en toute logique à l'avis de Matos Mar qui, se basant sur les observations faites à l'époque de la conquête, considère que les gens du commun vivaient dans des huttes de matériaux périssables dont il ne reste rien aujourd'hui. On trouve une description de ces structures chez Cobo (1990:190-1 ; confirmé par Kendall 1985:66 ).
Il paraît évident que les routes, canaux, ponts et terrasses
2repris dans "l'architecture communautaire" de Feltham ne correspondent pas davantage à des structures spécifiquement associées à l'élite ou aux cérémonies religieuses (bien que certains rites soient liés à leur fondation et à leur entretien).
On peut donc considérer que tout ce qui est construit en dur et dont la fonction n'est pas explicite est attribué à l'élite ou au culte.
Pourtant, certains secteurs des sites construits en matériaux durs présentent un patron résidentiel qui cadre mal avec l'idée de "palais" ou de "temple". Force est donc de considérer ces portions de site comme des sortes d'annexes où, sans doute, vivaient des gens de statut inférieur, en rapport avec les activités du culte ou au service direct des autorités locales.
L'identification des structures d'élite et/ou cérémonielles proprement dites, s'est faite dans un premier temps sur base de la correspondance plus ou moins grande avec les édifices monumentaux de Pachacamac. De cette manière, il a été possible de déterminer géographiquement et stylistiquement les limites de l'influence du patron architectonique des pyramides à rampe dans la vallée du Lurin.
J'ai également considéré les structures qui, à l'intérieur d'un site, se distinguent des autres par des traits indiquant une probable fonction publique (cours, gradins, plates-formes, etc.).
Une liste de 23 sites potentiels a ainsi été établie. Tous ont été visités. Quelques-uns d'entre eux, comme par exemple Huaycan ou Nieve-Nieve, avaient déjà fait l'objet de recherches et de relevés complets ou presque complets. Certains autres se sont révélés sans rapport avec les critères choisis. Finalement, une série de 21 structures a été relevée dans 10 sites différents.
2
Feltham fait bien entendu référence aux terrasses agricoles étagées sur les flancs des collines et communément
appelées "andenes".
2.1.1. Méthodologie
2.1.1.Localisation précise des sites sur les photographies aériennes de l'Instituto Aerofotografico Militar del Peru.
Afin de me faire une première idée du relief et de l'état de conservation des vestiges archéologiques, j'ai utilisé des lentilles stéréoscopiques. J'avais comme projet initial de réaliser des croquis préliminaires des structures sur base des photographies aériennes. La piètre qualité des photos et le caractère du contexte m'a fait abandonner cette idée. La démarche enseigne néanmoins qu'il faut faire montre d'une grande méfiance vis-à-vis des croquis réalisés sur base des seules photos aériennes dans le même genre de contexte (p.e. Krzanowski 1991b).
Les photos aériennes peuvent cependant s'avérer utiles en termes de topographie générale : pour replacer correctement différentes structures les unes par rapport aux autres au sein d'un même site (cf. Pampa de las Florès A), définir les limites du périmètre archéologique, situer des structures difficilement accessibles, replacer le site dans le contexte général de la vallée, par rapport aux autres sites, à la route, au fleuve, etc.
2.1.2. Reconnaissance préliminaire de la vallée
Cette expédition avait pour but de sélectionner les sites comprenant des structures intéressantes mais également de localiser les voies d'accès et trouver un endroit approprié qui servirait de camp de base. En 1994, le camp a été établi dans le petit village moderne de Sisicaya, en vallée moyenne. Lors de la campagne de fouilles 1995, le camp de base a été établi dans le site de Pampa de las Florès B, en vallée basse.
2.1.3. Relevé des structures dans les sites choisis
Les plans ont été réalisés selon une méthode qui permet de réduire la marge d'erreur des angles et des distances à moins de 5% :
1- croquis de la construction choisie, avec indication de tous les traits architecturaux significatifs (portes, accès condamnés, fenêtres, niches, pièces souterraines, rampes, escaliers, plates-formes, frises murales, etc.);
2- mesures au double décamètre en fibre de verre de chaque pièce et de chaque détail
visible. L'épaisseur de chaque mur a également été mesurée. Afin d'être le plus précis possible, j'ai
effectué des dégagements superficiels de sommets de murs et de coins pour situer les limites de
structures sous les décombres. Ce travail n'a bien sûr aucune prétention d'exhaustivité et il est possible que d'autres traits architectoniques, tels que des divisions supplémentaires de quelques pièces, apparaissent lors de fouilles. J'insiste sur le fait que les plans présentés sont des relevés de ruines dont la conformité avec la réalité archéologique dépend directement de l'état de conservation des vestiges.
3- insertion de la structure dans un réseau de points calculés au théodolithe autoréducteur (mécanique). Une moyenne de 150 points par structure a été relevée. Par manque de temps, les structures de Tijerales A (sud) et de Molle sud ont uniquement été mesurées au double décamètre.
Pour ce qui concerne les pyramides n°4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de Pampa de las Florès A, seules la cour principale, la rampe et la plate-forme supérieure ont été mesurées. Néanmoins, les croquis présentés peuvent être considérés comme des reflets fidèles de la réalité en ce qui concerne les subdivisions internes des structures, la présence effective des traits indiqués, les proportions et l'orientation (calculée à l'aide d'une boussole selon l'axe de la rampe).
Plusieurs profils ont été réalisés pour les structures présentant un relief significatif.
4- numérotation et description de chaque pièce de la structure, ainsi que de la structure au sein du site. Les descriptions sont accompagnées de photographies pour chaque trait intéressant ou particulier. J'ai également effectué un archivage en diapositives et en vidéo afin de garder une trace de ces sites qui, pour la plupart, auront vraisemblablement disparu d'ici la prochaine génération.
5- développement des plans à l'échelle 1/200 et des profils à l'échelle 1/100.
2.1.4. Collectes de surface
La commission d'octroi des permis de recherches archéologiques de l'Instituto Nacional de Cultura de m'a pas donné l'autorisation d'effectuer des collectes de surface en 1994, lors de la campagne de prospections et de relevés planimétriques. J'en ai effectué quelques-unes en 1995 lors de la campagne de fouilles dans la vallée du Lurin.
Ceci explique que des collectes n'ont pas été faites dans tous les sites explorés. Il s'agissait cependant davantage d'une formalité de vérification puisque les sites que j'ai explorés avaient déjà été datés par Bonavia (1965), Feltham (1983), Negro (et al. 1989) et Bueno (1977, 1990).
Cette première phase de reconnaissance du terrain a permis d'élaborer une série
d'hypothèses lesquelles ont été testées, dans un second temps, par des fouilles.
2.2. Fouilles
Cette fois encore, pour des raisons de temps et de contingences matérielles, je ne pouvais me permettre que des fouilles relativement restreintes (au regard du potentiel archéologique de la zone d'étude). Il a donc fallu faire un choix de sites représentatifs susceptibles de fournir le maximum de données pour le minimum d'investissement en temps et en énergie.
2.2.1. Choix des sites de fouille
L'existence de pyramides à rampe dans le Lurin est connue depuis longtemps (Bazan 1990 ; Bueno 1982 ; Feltham 1983 ; Franco 1993 ; Jiménez 1985 ; Jiménez et Bueno 1970 ; Negro 1977;
Paredes Botoni 1985, 1988, 1990a, 1990b ; e.a.). Les auteurs partisans de la "théorie des ambassades" (cf.chap. IV) justifient leur point de vue en citant à l'envi les sites de Tijerales, Panquilma ou Pampa de las Florès, ainsi que quelques sites du Rimac incluant des pyramides à rampe.
Curieusement cependant, aucun n'a tenté de mettre cette théorie à l'épreuve du terrain. De plus, si l'on excepte Negro (1977), qui publie un plan partiel de Tijerales et de Huaycan, aucun auteur ne présente le moindre plan, croquis ou photographie des pyramides en question. Il m'a semblé voir là un manque évident qu'il fallait combler de toute urgence.
Pampa de las Florès A s'est directement imposé comme le site dont la fouille était indispensable. Il ne comprend en effet pas moins de 10 pyramides à rampe, ce qui en fait le centre monumental le plus important de la vallée, après Pachacamac. De plus, il offre l'avantage d'être jouxté d'un vaste cimetière, partiellement pillé. C'était l'occasion de recueillir des données de première main sur la chronologie du site, mais également sur ses occupants et leurs patrons funéraires.
La fouille d'une des pyramides à rampe constituait un objectif de premier plan. Je voulais aller au-delà de la comparaison formelle avec le modèle de Pachacamac et voir dans quelle mesure le rapport avec le grand centre côtier se traduisait au niveau du système constructif et du caractère de l'occupation, mais aussi déterminer la position chronologique relative des pyramides de Pampa de las Florès.
Il existe également deux sites particuliers (Panquilma et Tijerales) qui, tout en présentant un
patron de résidence d'élite assez classique, comportent une ou plusieurs pyramides à rampe
insérées dans le tissu urbain. J'ai choisi de fouiller Tijerales, bien qu'il soit plus difficile d'accès.
Deux raisons ont motivé ce choix :
- Tijerales présente un état de conservation bien meilleur que Panquilma, ce qui se traduit concrètement par le fait qu'il y a moins d'éboulis à dégager avant de pouvoir entamer une fouille ;
-Tijerales n'a jamais été fouillé, alors que Feltham (1983) a déjà fouillé un dépotoir à Panquilma et effectué des collectes de surface dans l'ensemble du site. Tijerales offrait donc l'opportunité d'élargir le panel des données de première main sur ce type de site.
Les sites présentant des traits de résidence d'élite sont relativement nombreux. J'ai tout d'abord choisi Molle pour sa situation géographique particulière, sur la rive droite du fleuve, face à Huaycan. Huaycan est un site dont il est souvent fait mention dans la littérature, même si les résultats des diverses campagnes de fouilles menées par Bueno Mendoza durant les années Ô70 n'ont toujours pas fait l'objet de publication de fond. Par ailleurs, les prospections approfondies effectuées à Molle m'avaient amené à échafauder de nombreuses hypothèses que je souhaitais tester par des fouilles.
J'ai également décidé de fouiller à Chontay car cet établissement présente un caractère différent des trois autres, plus commun en quelque sorte. Il n'y a pas de constructions monumentales ou de grandes cours à dénivellations. On pourrait l'interpréter comme le siège d'une autorité moins élevée dans la hiérarchie de la chefferie, et il était intéressant de vérifier si les liens avec Pachacamac étaient plus ou moins étroits. J'avais là aussi posé plusieurs hypothèses que je souhaitais vérifier par des fouilles.
3. Présentation des résultats
Chaque site est d'abord désigné par son numéro de référence dans la nomenclature officielle, c'est-à-dire Peru Valle 48 (le Lurin) suivi du numéro du site. J'ai ensuite indiqué le nom usuel du site, s'il en existe
Sous l'en-tête "Localisation" j'ai indiqué les numéros de référérence des photographie(s) aériennes sur lesquelles figure le site. Toutes les photographies appartiennent à la série Re5 186-70 de l'Instituto Aerofotografico Militar del Peru. Elles ont été prises en 1971.
L'altitude est calculée approximativement sur base de la Carte Nationale du Pérou,
deuxième édition (1970), feuillet 25-j, échelle 1: 100,000.
Les numéros de plans et de profils renvoient à l'annexe 8 du présent volume. Je n'ai pas fait de plans dans tous les sites visités.
L'accès défini est bien entendu l'accès moderne, généralement depuis la route qui longe le Lurin depuis Cieneguilla en direction de Huarochiri, passant alternativement d'une rive à l'autre.
Pour les sites de basse-vallée (Tijerales, Tambo Inga, Quebrada las Golondrinas et Pampa de las Florès), l'accès est défini à partir de l'ancienne piste qui part du village actuel de Pachacamac vers Panquilma, sur la rive gauche du fleuve. Cette piste est peu utilisée aujourd'hui et difficilement praticable par endroits.
Dans la partie "description" sont décrites non seulement les structures relevées, mais également l'ensemble du site, sur base de mes observations personnelles et des éventuels travaux antérieurs.
Dans la partie "système constructif" sont incluses les considérations se rapportant au matériel et à la technique de construction, ainsi qu'à la planification éventuelle du site. Dans chaque site, j'ai choisi un mur représentatif dont je présente une illustration et une description.
Dans la partie "fouilles et collectes de surface" sont résumés les résultats des recherches éventuellement entreprises dans le site ou la structure en question. L'exposé détaillé des fouilles fait l'objet de l'annexe 2.
Dans la partie "commentaires" sont inclus la critique des sources mentionnant le site (s'il y en a), l'interprétation du développement et du fonctionnement des structures et du site en général, ainsi que les rapports que l'on peut faire avec Pachacamac. Les données ethnohistoriques disponibles sont également prises en compte.
PV48-4 : PAMPA DE LAS FLORéS A
1. Localisation :
photos aériennes 1073-74-75-76 et Kosok 1965:46 (fig.12) Altitude : 150-200m
Superficie : 25ha
Plan général du site : n°22.
Plans des édifices : n°23 à 30.
Profils : n°23A et 28A.
Plan du cimetière : n°31.
2. Accès :
A 9,5 km du village de Pachacamac, le long de la route vers Sisicaya, sur la rive gauche (sud) du Lurin. Un petit chemin sur la droite mène à l'hacienda Paravicino, en bordure des ruines.
3.Description :
Le site occupe la partie avant (la plus proche du fleuve) d'une large quebrada qui va en montant et en se rétrécissant vers l'est. Il est actuellement limité sur trois de ses côtés par des cultures (principalement des vergers) et ouvert au sud-sud-est vers le fond de la quebrada.
Il n'y a pas de planification apparente : dix ensembles pyramidaux ont été identifiés mais aucun chemin ou rue qui permette de faire le lien entre eux. Les pistes indiquées sur le plan général sont modernes et rien ne permet d'affirmer qu'elles existaient déjà à l'époque précolombienne. De même, le canal qui traverse les pyramides 1 & 2 a été construit après la deuxième guerre mondiale (c'est ce canal qui traverse également le site de Tambo Inga). A proximité du croisement de la route et du chemin qui traverse les ruines se trouvaient les restes d'un mur décoré d'une frise en bas-relief présentant un motif échelonné en mortier (P sur le plan de Bonavia, ci-dessous p.428). Il a été détruit par l'expansion des vergers en 1993 (Ramos Giraldo, comm. pers. 1994).
Outre les pyramides et leurs dépendances, on note la présence de plusieurs grands dépotoirs archéologiques, principalement aux environs de la pyramide 4. Il existe également des constructions isolées qui semblent correspondre à des unités domestiques. Elles se situent principalement dans la partie orientale des ruines, mais on en trouve également quelques-unes entre les pyramides 6 et 7 ainsi qu'au sud de la pyramide 8, en bordure du cimetière.
Celui-ci occupe la moitié sud/sud-est du site, c'est-à-dire la partie arrière de la quebrada (par
rapport au fleuve). Le cimetière est séparé du site lui-même par une zone-frontière constituée d'une
série de gigantesques dépotoirs archéologiques dont la hauteur peut atteindre plusieurs mètres. Un
énorme trou de pillage au sommet de l'un des dépotoirs ne révèle aucun soubassement naturel
(colline, promontoire rocheux) ou structurel. Ils constituent de toute évidence le produit de
l'accumulation de déchets divers, dont une quantité impressionnante de tessons de céramique. Ces
dépotoirs prennent la forme d'une enfilade de monticules qui traverse la quebrada du sud-ouest au
nord-est. Le cimetière se développe du côté oriental de cette "enceinte" tandis que les premières
structures en dur apparaissent au pied de son côté occidental.
Les dix ensembles pyramidaux ont fait l'objet de relevés planimétriques et de collectes de surface. L'un d'eux a été fouillé. Le cimetière a fait l'objet d'un relevé topographique, de collectes de surface et de fouilles. Je débuterai par la description des pyramides et l'exposé du résultat des recherches menées dans la pyramide 3. L'orientation indiquée au début de chaque description correspond à celle de l'axe de la rampe calculée depuis le sommet de celle-ci en direction de sa base.
3.1. La zone monumentale
3.1.1. Pyramide à rampe n°1:
Plan n°23
3.1.1.1.Localisation et superficie :
La pyramide 1 se trouve dans la partie sud du secteur monumental. Elle est bordée au nord par les pyramides 2 & 3 ; à l'est par des dépotoirs et la pyramide 6, au sud par des constructions isolés particulièrement mal conservées ; à l'est par les dépotoirs qui marquent la frontière avec le cimetière. La pyramide 1 couvre une superficie de 6750 m2 environ.
3.1.1.2. Orientation : rampe A: 74° à l'ouest du nord rampe B : 74° à l'ouest du nord
rampe C : 16° à l'est du nord.
3.1.1.3. Description :
Pour faciliter la description, on peut distinguer 4 quartiers au sein du complexe pyramidal 1 : l'Ensemble 1 (n°1 à 22) à l'ouest, la pyramide 1A (n°28 à 32) au nord-est , la pyramide 1B (n°33 à 44) à l'est, et la pyramide 1C (n° 45 à 53) au sud.
Il existe plusieurs entrées au complexe pyramidal. Depuis l'entrée n°1, un large couloir
(n°2) longe une série de pièces et de places puis débouche dans la cour inférieure (n°33) de la
pyramide 1B, face à la rampe. Les pièces n°4 et 5 possèdent également une entrée donnant sur
l'extérieur.
L'ensemble 1 se trouve en contrebas par rapport au monticule pyramidal 1C. Il contient de nombreux compartiments, la plupart de plain-pied et certains surbaissés. Le groupe sud-est (n°5 à 11) présente un patron identique à celui des pyramides à rampe, à savoir une cour inférieure, un niveau intermédiaire, une plate-forme supérieure à banquettes longitudinales, des restes de toit et un accès postérieur, des constructions en U et des entrepôts adjacents.
Tout concourt donc à faire de cette zone une pyramide parallèle à 1C, si ce n'est que la rampe en est désespérément absente, malgré des recherches assidues. Peut-être s'agit-il d'une pyramide non-terminée. Au vu des nombreux points communs avec le schéma traditionnel, je l'ai intégrée au corpus général des structures pyramidales. Il est à noter que les cercles en pointillés dans la cour inférieure n°5 et la place n°4 représentent d'énormes cratères de chasseurs de trésors où l'on observe des restes de sépultures.
Une structure intéressante (n°21) se trouve à l'autre extrémité de l'ensemble 1, en bordure du chemin qui le sépare de la pyramide 3. Elle se situe sur une plate-forme dominant la place située n°20. Ce pourrait être une double banquette sur le coin de laquelle on remarque un système en gradins semblable à ceux de Tijerales A & B, et de Panquilma. Elle est accessible depuis l'extérieur par l'entrée en chicane n°18 qui donne également sur un couloir en cul-de-sac (n°19) et une place (n°17). Des entrepôts et des pièces surbaissées (n°22 à 27) entourent la structure n°21.
Dans la pièce n°22, une partie des murs est en briques d'adobe de grandes dimensions ; ces murs sont ornés de niches.
La pyramide 1A est accessible depuis la cour inférieure de la pyramide 2 ou la cour inférieure (n°33) de la pyramide 1B. La rampe de la pyramide 1A (n°32) a été transformée en mur dans une phase ultérieure. Les pièces n°28 à 31 qui dépendaient apparemment de cette pyramide ont été réaménagées, comme en témoignent de nombreux vestiges de murs et des entrées condamnées.
La pyramide 1B comporte une cour (n°33) avec entrée centrale face à la rampe. On remarque trois autres voies d'accès à cette cour : l'une au nord-est vers l'ex-pyramide A, où se trouve notamment une file d'entrepôts (n°30) ; l'autre au sud-est sous la forme d'un large couloir (n°43) qui mène à la partie arrière de la pyramide B (n°40) ; la dernière au sud, qui donne dans la cour (n°45) de la pyramide C.
La rampe B passe par un niveau intermédiaire (n°34) et conduit à la plate-forme supérieure
(n°35), complètement bouleversée par le canal moderne qui la traverse de part en part. La plate-
forme est entourée sur trois côtés de pièces et de entrepôts (n°36 à 39) . Une porte à l'est permet d'accéder à ces pièces et entrepôts. L'ensemble est comme enchâssé dans une série de constructions en U (n°40 à 44).
Parmi ces constructions malheureusement fort détruites, on note la présence d'une très intéressante plate-forme (n°42) comportant des murets bas dans lesquels sont fichés des restes de poteaux. En dégageant les éboulis au bord de la plate-forme, nous avons rencontré une rampe est- ouest, c'est-à-dire la direction générale de la plupart des autres rampes. Elle possède une rambarde et donne accès à l'espace entre les deux murets parallèles à poteaux.
Un fouilleur clandestin a creusé un trou dans la partie supérieure de la rampe. Le sol de la plate-forme est au même niveau que le sommet de la rampe, soit 60cm plus haut que le sol à la base de la rampe. La rampe elle-même fait 90cm de large ; ce à quoi il faut ajouter la largeur d'un adobe (soit 20cm) pour la rambarde.
Au niveau du système constructif, on observe que la rampe a été posée sur un sol de mortier fin. Le mur de rambarde a servi de mur de contention pour le remplissage de la rampe. Le remplissage contient notamment des adobes entières et fragmentaires (ce qui montre un emploi des adobes antérieur à la dernière phase de construction). La rampe a été scellée par une chape de mortier couverte d'une couche de finition. Au départ de la rampe, en bas à droite, on remarque l'empreinte d'un pied droit (commémoration de la rampe ?) et peut-être de talons (danse ?). Au sommet de la rampe, à l'entrée de la plate-forme, on a relevé des traces de peinture blanche sur le sol.
La plate-forme n°42 est ceinturée d'un mur. Un couloir est visible au sud, et mène à une série de pièces et d'entrepôts (n°41). L'une des pièces contient des restes d'ossements humains.
On observe à proximité de l'ensemble n°41-42 la présence d'une porte menant à l'extérieur de la pyramide. A côté de cette porte, longeant le flanc nord de la pyramide au bord du canal, se trouve un énorme monticule. Il est creusé de multiples trous et l'on aperçoit ça et là des restes de murs en pierres et des ossements enfouis sous les décombres. Je pensais au départ avoir affaire à une pyramide supplémentaire mais malgré des recherches approfondies, il a fallu abandonner cette idée car l'état déplorable des vestiges empêche toute certitude à ce propos.
L'accès à la pyramide 1C se fait depuis la cour inférieure (n°33) de la pyramide B. L'entrée
fait face à la rampe C. Celle-ci mène à la plate-forme supérieure (n°46) qui comporte des
Donc deux étapes principales : fondation de la tombe et sa fermeture par une structure en gradins ; recouvrement de la structure, suivi de la pose d'un sol et de l'ajout d'un mur à l'arrière. De plus, les vestiges en place laissent supposer que cette structure possédait un toit.
Les collectes de surface suggèrent une occupation Intermédiaire récent 7/8 et Horizon récent. On trouve des tessons Inca Local et une proportion appréciable de décorés (Crème-sur- Rouge, Noir Poli Incisé et Engobe Rouge Serpentiforme).
3.1.1.5. Commentaires :
La pyramide 1 est le plus grand édifice du site et ne compte pas moins de trois rampes principales, représentant chacune une phase dans la chronologie de la construction de l'édifice. En d'autres termes, la pyramide 1 se compose en fait de trois pyramides A, B et C qui se chevauchent les unes les autres.
La rampe de la pyramide A originelle a été transformée en mur d'enceinte de la cour inférieure de la pyramide B. Cette cour possède une entrée centrale située dans le mur ouest, face à la rampe B. Une portion de la cour a été amputée par la suite pour constituer la cour de la pyramide C.
Toutes les structures qui étaient en relation avec la pyramide A ont été détruites ou considérablement modifiées par la construction de la pyramide B. Si certaines parties ont été épargnées, elles ont par la suite été virtuellement effacées par le creusement du canal moderne.
Remarquons que la pyramide C (la plus récente des trois) possède des banquettes longitudinales et a subi des remodelages en grandes briques d'adobe (type inca).
Il est intéressant de noter que les remodelages en grandes briques d'adobe ont servi à circonscrire des pièces surbaissées qui servaient sans doute d'entrepôts (n°22, 47, 48, 51). Le cas de la pièce n°42 est particulier car nous avons visiblement affaire à une structure atypique qui s'inspire du patron des pyramides à rampe sans y souscrire vraiment.
L'ensemble 1 semble jouer le rôle de sas entre l'extérieur du complexe et les édifices pyramidaux proprement dits. Il comporte deux groupes avec cour, plate-forme et entrepôts (n°3-10 et 20-27). Ces caractéristiques évoquent, au niveau du fonctionnement, les hypothèses développées à partir du système des audiencias des palais de Chan Chan et de certains sites de la Côte nord (Conklin 1990 ; Day 1982a, 1982b ; Keatinge 1982 ; Ketainge et al. 1975 ; Kolata 1990). J'aurai l'occasion de revenir en détails sur cette question au chapitre X.
3.1.2.Pyramide à rampe n°2 Plan n°23
3.1.2.1.Localisation et superficie :
La pyramide 2 se trouve dans la partie nord-est de la zone monumentale. Elle est entourée au nord et à l'ouest par la pyramide 3 ; au sud par la pyramide 1A ; à l'est par le canal moderne. Elle occupe, dans son état actuel, une superficie de 325m2.
3.1.2.2. Orientation : 77° à l'ouest du nord.
3.1.2.3. Description :
La pyramide 2 est accessible depuis la rue n°54 qui passe entre la pyramide 1 (ensemble 1) et la pyramide 3. Il n'en reste malheureusement plus que la cour inférieure (n°55) , la rampe et le niveau intermédiaire. Toutes les constructions supérieures ont été détruites par le canal. De nombreux restes de sépultures ont été retrouvés sur la plate-forme supérieure (n°56) .
Parallèle à la cour de la pyramide, au sud, se trouve une autre cour (n°28) suivie d'une plate- forme (n°29) . Une fois encore nous pensions être en présence d'une nouvelle pyramide, mais le nettoyage des structures a fait apparaître un mur là où nous croyions trouver une rampe.
3.1.2.4. Fouilles et collectes de surfaces : voir pyramide 1.
3.1.2.5. Commentaires :
Les restes de sépultures ont peut-être un rapport avec ceux observés de l'autre côté du canal, dans la structure archéologique amorphe. L'état de dégradation avancé de cette partie du site ne permet pas de déterminer avec certitude si la pyramide 2 et la structure archéologique amorphe faisaient partie d'un même ensemble, encore que cette hypothèse soit la plus plausible.
3.1.3. Pyramide à rampe n°3 Plan n°23, Profil n°23A
3.1.3.1.Localisation et superficie :
La pyramide 3 se trouve dans la partie nord-est de la zone monumentale. Elle est entourée au nord et à l'est par un ensemble de constructions isolées (unités domestiques) ; au sud par la pyramide 2 et l'ensemble 1 (pyramide 1) ; à l'ouest par un espace dégagé qui la sépare de la pyramide 4. La pyramide n°3 couvre une superficie approximative de 1000m2 (sans compter les pièces n°76 et la cour n°79)
3.1.3.2. Orientation : 75° à l'ouest du nord
3.1.3.3. Description :
La pyramide est accessible depuis l'ouest par une entrée (n°58) qui s'ouvre sur la cour inférieure (n°66), face à la rampe. Un mur formant chicane a été construit devant la porte de manière à empêcher que l'on puisse voir depuis l'extérieur. Dans le coin nord de la cour n°66 on peut voir, à demi-enterré, les restes d'une grande urne en terre cuite
3.
Parallèle à la cour, au nord-est, une place (n°77) à entrée centrale et plate-forme (n°78) constitue un exemple de "proto-pyramide" sans rampe. A l'intérieur de cette structure, le long du mur nord-est un peu avant la plate-forme n°78, on trouve les restes d'une autre grande jarre à demi- enfouie dans le sol.
Revenant à la pyramide 3 proprement dite, on observe que directement après l'entrée de la cour on peut suivre au sud un couloir (n°59) qui mène à différents entrepôts (n°61 à 63) disposés autour d'une plate-forme (n°60). A noter les remodelages en grandes briques d'adobe, sous la forme de deux "anneaux" formant compartiments (n°65). Ce type de remodelages a également été observé dans la portion sud de la pyramide 1C.
La rampe de la pyramide 3 passe par un niveau intermédiaire (n°67) et conduit à la plate- forme supérieure (n°69). La surface de la plate-forme offre un aspect chaotique en raison des dégradations des chercheurs de trésors qui ont creusé à de nombreux endroits. Il est donc impossible de déterminer si elle était équipée des structures longitudinales parallèles qu'on peut voir sur la plupart des autres pyramides du site. Par contre, des restes de toit sont toujours visibles sous les décombres.
Une rangée d'entrepôts (n°71 à 74) court le long de la plate-forme au nord. Une grande place en contrebas (n°75) se développe à l'arrière de la pyramide, à l'est. Une tombe a été ouverte au pied du mur sud-ouest de cette place.
3