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QUELQUES ENJEUX INTERCULTURELS DE LA MONDIALISATION

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QUELQUES ENJEUX INTERCULTURELS DE LA MONDIALISATION

Michel Casteigts

To cite this version:

Michel Casteigts. QUELQUES ENJEUX INTERCULTURELS DE LA MONDIALISATION : Autour

des notions de proximité, d’identité et de territoire. Ali Sedjari. CULTURE ET CULTURES. UN

DÉFI POUR LES DROITS DE L’HOMME, L’Harmattan, 2011, 978-2296557628. �halshs-01529449�

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QUELQUES ENJEUX INTERCULTURELS DE LA MONDIALISATION, autour des notions de proximité, d’identité et de territoire

Michel Casteigts

1

Publié dans Sedjari A., 2011, Culture et cultures. Un défi pour les droits de l'homme, Paris – Rabat, L’Harmattan.

Le titre initial de ce texte

2

manquait à la fois de modestie et de précision. Il ne saurait évidemment être question ici d’embrasser toutes les dimensions interculturelles de la mondialisation, mais seulement quelques unes d’entre elles, en menant une réflexion particulière sur trois thématiques articulées autour des notions de proximité et de territoire :

- les métamorphoses de la proximité dans le processus de globalisation ; - la dislocation et la recomposition des identités culturelles ;

- les effets combinés des deux bouleversements précédents sur les marges de liberté des acteurs territoriaux.

Il faut avant toute chose convenir d’une précision terminologique. Pendant longtemps mondialisation et globalisation ont été considérés comme synonymes. L’anglais n’utilise qu’un seul mot pour désigner le phénomène dans son ensemble et, en français, mondialisation a été pendant longtemps la traduction de globalisation. Il semble pourtant très utile de maintenir une distinction entre la globalisation comme processus déterritorialisé et la mondialisation comme avènement d’un territoire planétaire (Casteigts, 2010). En effet, le caractère territorial ou déterritorialisé des transformations à l’œuvre a un impact majeur sur les conditions concrètes d’exercice des droits, culturels ou autres, dans les sociétés concernées

3

.

Globalisation et métamorphoses de la proximité

Dire que les processus de globalisation modifient en profondeur les relations de proximité est un truisme, mais il est beaucoup moins évident de savoir comment. On peut cependant noter 1 Inspecteur général de l’administration, Professeur des Universités associé à l’Université de Pau et des pays de

l’Adour.

2 Les enjeux interculturels de la mondialisation

3 Le terme « territoire » désigne un espace socialisé, c'est-à-dire structuré par des pratiques sociales multiples, plus

ou moins sédimentées au cours de l’histoire; la « territorialisation » est le processus de production des territoires,

c’est à dire d’inscription des dispositifs sociaux dans l’espace géographique ; la « déterritorialisation » est

inversement le processus par lequel un espace perd les structures spécifiques qui en ont fait un territoire ou par

lequel un dispositif social perd son inscription territoriale propre.

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qu’ils le font de façon à la fois hétérogène et dissymétrique, en fonction du niveau de développement des sociétés, des catégories socio-professionnelles dominantes et des pratiques sociales les plus directement impactées (Sassen, 2007).

Hétérogénéités et dissymétries

Le caractère hétérogène de ces mutations est notamment lié au fait que, si les niveaux d’exposition des territoires aux effets de la globalisation varient, la capacité d’y résister aussi.

Ainsi, ce ne sont pas les territoires les plus exposés qui sont nécessairement les plus atteints, car ils sont souvent mieux préparés et plus résilients. Les grands systèmes métropolitains mondiaux nous en donnent un exemple particulièrement démonstratif : bien que fortement exposées aux processus de globalisation les grandes métropoles occidentales (New York, Londres , Paris etc.) en ont bien mieux maîtrisé les effets que leurs homologues des pays en développement (Calcutta, Lagos ou Mexico, par exemple), notamment sur le registre de la cohérence de l'organisation territoriale et des relations avec les territoires voisins (Sassen, 1991).

Hétérogènes, ces mutations sont aussi dissymétriques, car les nouveaux registres de proximité sont beaucoup plus nombreux et plus complexes que les anciens. Mais les anciens subsistent et les nouveaux s’y ajoutent. Il en va ainsi des diasporas qui rétablissent des proximités virtuelles avec leur communauté et/ou leur territoire d’origine, sans se couper de leur environnement immédiat et des proximités sociales qu’ils ont plus ou moins bien établies dans leur lieu de résidence. Dans Modernity at large. Cultural Dimensions of Globalization (1996)

4

, l'anthropologue américain d'origine indienne Arjun Appadurai met en évidence les reconfigurations incessantes des représentations des populations migrantes, par hybridation de leurs références propres et des éléments qu'ils empruntent à leur nouvel environnement. A travers la notion d'ethnoscape

5

, Appadurai rend compte de la diversification des proximités communautaires qu'induisent ces reconstructions imaginaires.

Le renouvellement des pratiques culturelles des diasporas constitue un exemple de cette réarticulation des différents registres de proximité

6

. La notion de diaspora recouvre une triple réalité : la dispersion totale ou partielle d'un peuple dans un certain nombre de pays ou de contrées ; un enracinement réel dans les territoires d'accueil ; le maintien, à travers le temps et l'espace, d'une part significative de l'identité originelle, ne fût-ce qu'à travers les mémoires familiales ou les patronymes. Il en va ainsi de la diaspora basque en Amérique latine ou dans le sud des Etats-Unis. Etant données les spécificités de la langue basque, l'euskara, les patronymes jouent un rôle majeur de marqueurs d'origine, car ils ne ressemblent à aucun autre. Cela a permis 4 Ce titre a été curieusement traduit par Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation à

l'occasion de l'édition française de l'ouvrage (2001).

5 Pour Appadurai, le processus de globalisation induit des remaniements imaginaires profonds, toutes les sphères de la société (et pas seulement les populations migrantes) étant concernées par le réagencement de leurs représentations au sein de nouveaux paysages (scapes) mentaux : ethnoscape, mediascape, technoscape, ideoscape etc.

6 L'intérêt croissant des sciences sociales pour l'étude des diasporas (Dufoix, 2003) est, à n'en pas douter, un des

innombrables effets de la mondialisation.

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une forte transmission intergénérationnelle du sentiment d'appartenance. Le développement d'internet et des services numériques a offert à ce sentiment les moyens techniques pour s'exprimer dans un resserrement, ou une réinvention, des liens avec le territoire d'origine, à travers des sites généalogiques, historiques ou culturels et par l'intermédiaire de réseaux sociaux

7

. Ces nouvelles proximités ont une dimension fondamentalement combinatoire et dessinent un foisonnement d'appartenances multiples (Hannerz, 1992). Cela conduit à revisiter l'opposition classique entre universalisme et particularisme culturels, telle qu'elle s'est mise en place dès les premières tentatives de fonder une théorie scientifique de la culture, à travers le double héritage de Tylor (1971) et de Boas (1940). Dans son livre sur le cosmopolitisme, Ulrich Beck (2004) renvoie dos à dos les deux approches, montrant en quoi elles procèdent toutes deux d'une conception dépassée de la culture

8

.

Un processus chaotique

En matière culturelle ces métamorphoses de la proximité empruntent plusieurs voies. La plus manifeste est l’extraordinaire développement des proximités communicationnelles, médiatiques ou numériques (Internet et réseaux sociaux) dont on a récemment mesuré les effets politiques dans la propagation des révolutions arabes ou sociétaux dans les réactions planétaires à la catastrophe de Fukushima

9

. Il en résulte des mutations soudaines, et parfois violentes, des représentations collectives et individuelles et de l’organisation de la société elle-même, notamment par court-circuit des dispositifs habituels de médiation et de contrôle social à travers les réseaux sociaux numériques.

Ce phénomène est amplifié par les bouleversements de la famille et de l’école, vecteurs traditionnels de la transmission intergénérationnelle des représentations, des valeurs et de la conscience des droits, personnels et collectifs. Les nouvelles formes de communication sociale contribuant précisément à la remise en cause du statut de la famille et de l'école comme sources légitimes d'autorité et de savoir, ce processus de déstabilisation s'auto-accélère. Entre l’universel et le particulier, les normes locales et les règles venues d’ailleurs, les repères traditionnels et les imaginaires d’importation, la confusion est à son comble. Ainsi, plusieurs études ont mis en lumière les effets d'une consommation intense de séries policières américaines sur la perception par les justiciables français des procédures appliquées en France, ce qui n'est pas trop grave, mais aussi sur leur capacité à s'y conformer, ce qui l'est beaucoup plus.

L’effet combiné de l’ensemble de ces évolutions conduit à une remise en cause des cadres territoriaux de la culture dans une double dimension :

7 Cf. par exemple http://www.eke.org/fr/partaideak/cat/diaspora/elkarteak (consulté le 12 sept. 2011).

8 Voir à ce sujet le texte d'Alain Bourdin « La cosmopolitique, un mythe nécessaire » dans le présent ouvrage.

9 La remise en cause en quelques jours de nombreux projets d'investissement dans le domaine de l'énergie

nucléaire laisse songeur, alors même que ces projets avaient fait l'objet d'études multiples et d'expertises

approfondies. Le cas de l'Allemagne est particulièrement caractéristique d'une posture qui jette un doute sérieux

sur la rationalité des processus de décision publique, d'autant plus que le volet nucléaire de la catastrophe de

Fukushima (hors effets directs du tsunami) n'a fait à ce jour aucun mort, alors que chaque année l'extraction du

charbon tue des centaines de mineurs chinois, dans une indifférence médiatique totale et sans remettre en cause la

place du charbon dans la consommation énergétique allemande.

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- celle des fondements culturels de la territorialité, et notamment de la place des pratiques et des représentations culturelles dans les processus de territorialisation de l’espace et d’organisation des territoires ; ainsi « la reconfiguration des espaces économiques associée à la globalisation dans les grandes villes a produit des effets différenciés sur les femmes et sur les hommes, sur les cultures du travail féminin et masculin, et sur les formes masculines et féminines de pouvoir et de puissance » (Sassen, 2007 [2009, p.126]);

- celle des bases territoriales des pratiques et des représentations culturelles, y compris de leur contribution aux processus de différentiation et au creusement des inégalités ; c’est que, comme les territoires, « les cultures n’existent pas hors des rapports sociaux, qui sont toujours des rapports inégalitaires » (Cuche, 1996 [2004, p.67]).

Dans cette remise en cause, il faut noter l’importance des flux migratoires et la façon dont ils sont non seulement vécus, par les nouveaux arrivants comme par les populations autochtones, mais encore nommés, théorisés ou dénoncés dans des paroles où l’ « agir communicationnel », essentiel pour la « rationalisation de la société » et des rapports sociaux (Habermas, 1981 t.1), vire souvent à l’imprécation mutuelle.

Les identités culturelles disloquées ou recomposées ?

Dans ce contexte, la notion même d’identité culturelle doit être profondément réinterrogée.

Malgré d'incontestables efforts de clarification entrepris par des auteurs aussi divers que Fredrick Barth (1969), Georges Devereux (1972), Pierre Bourdieu (1980) ou Fernand Braudel (1986), son statut scientifique reste incertain, comme l'a montré René Gallissot (1987), tant ce concept a donné lieu à de nombreuses dérives idéologiques

10

. Autant dire que la formulation fondatrice d'Edward B. Tylor., qui a donné en 1871 la première définition anthropologique de la culture , s'avère bien difficile à dépasser:

Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnologique le plus étendu, est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société. (1871, p.1)

Une approche générative de l'identité culturelle

Aussi divers que soient les regards portés sur l'identité et sur les précautions qu'elle appelle, un large consensus s'établit pour rompre avec la conception patrimoniale que la notion a souvent suscitée. L'identité n'est pas un bien immuable que l'on se transmet de génération en génération, mais un phénomène essentiellement relationnel. De même qu'« une carte n'est pas le territoire »,

10 La conclusion précipitée du débat sur l'identité nationale, organisé par le gouvernement français de novembre

2009 à février 2010, a montré l'extrême difficulté qu'il y avait à débattre sereinement, sur un plan politique

comme sur un plan scientifique, de cette notion mouvante et controversée.

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selon l'expression du logicien Alfred Korzybski (1931), la langue n'est pas le dictionnaire, mais un outil qui n'a de sens que dans les situations de communication où il est utilisé : de façon globale, « le véritable lieu de la culture, ce sont les interactions individuelles et, sur le plan subjectif, l'univers de signification que chacun peut se construire à la faveur de ses relations avec autrui » (Sapir, 1932).

La culture ne peut donc s'assimiler à un corpus immuable, figé une fois pour toutes comme dans un texte sacré, qu'il conviendrait de défendre à tout prix contre les influences extérieures, sacrilèges par nature (Maalouf, 1998). Elle doit être conçue au contraire comme une capacité à générer à tout moment des énoncés culturels nouveaux, qui s'adaptent à l'évolution des contextes et des circonstances mais qui sont porteurs d’un nombre suffisant de traits spécifiques pour s’inscrire dans une continuité patrimoniale de nature générative.

Derrière l’apparence de la dislocation des héritages identitaires émerge donc une conception nouvelle de l’identité, conçue comme une grammaire générative, au sens que Noam Chomsky a donné à ce terme dans le champ linguistique, c'est à dire un ensemble fini de principes combinatoires et de règles, généralement implicites, qui permettent de rendre compte de la capacité des locuteurs à formuler un ensemble infini d’énoncés ayant un sens dans la langue concernée (Chomsky, 1955, 1998). L’ensemble des énoncés possibles constitue la compétence linguistique, la notion de performance désignant les énoncés effectivement formulés. Il en va de l’identité culturelle en général comme de l’identité linguistique en particulier : elle ne réside pas dans un nombre limité de formes culturelles définitivement figées, mais dans la capacité des groupes qui s’y reconnaissent à créer de nouvelles formes à partir des règles de compétence dont ils sont porteurs.

Cela conduit à revisiter la notion de métissage, qui a donné lieu en France à de nombreux débats, notamment à l'occasion de l'attribution récente de prix littéraires à des auteurs de langue française porteurs d'héritages culturels divers

11

. Dans Métissages. D'Arcimboldo à Zombi (2001), François Laplantine et Alexis Nouss montrent que le métissage reste fondamentalement hétérogène : il n'implique pas une fusion des éléments qui le constituent, mais un mélange instable en perpétuelle évolution. En effet, comme le note Edouard Glissant dans sa description de la « créolisation », les processus de mise en contact des langues et des cultures sont souvent chaotiques et conflictuels, « s'échangeant à travers de heurts irrémissibles, des guerres sans pitié, mais aussi des avancées de conscience et d'espoir » (1996, p.15). Cette créolisation, Edouard Glissant en souligne l'imprévisibilité :

J'appelle créolisation cet enjeu entre les cultures du monde, ces conflits, ces luttes, ces harmonies, ces disharmonies, ces entremêlements, ces rejets, cette répulsion, cette attraction entre toutes les cultures du monde. Bref, un métissage, mais avec une résultante qui va plus loin et qui est imprévisible (1999, p.50).

Il n'y a là rien d'étonnant. Pour en revenir au modèle de la grammaire générative, les énoncés culturels concrets (la performance culturelle) produits dans un tel contexte se situent à l'intersection d'influences relevant de champs de compétence culturelle radicalement distincts.

Ces champs de compétence étant eux mêmes parcourus de fortes tensions et les stratégies des acteurs qui s'y inscrivent étant multiples et contradictoires, leurs résultantes sont nécessairement

11 En 2008, le prix Goncourt a été attribué à l’écrivain francophone d’origine afghane Atiq Rahimi, pendant que le

prix Renaudot allait au guinéen Tierno Monénembo.

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instables et imprévisibles.

Dans cette perspective, les dynamiques de métissage impliquent une proximité spatiale et sociale entre les cultures qui entrent en interaction

12

. C'est dire qu'il n' y a pas opposition mais complémentarité entre métissage et maillage interculturel

13

.

De nouveaux espaces de liberté et de nouveaux registres de cohérence

Alors que l’expression de « perte d’identité », souvent utilisée par les contempteurs de l’ouverture des frontières pour désigner ces processus de métissage, possède une connotation fortement péjorative, ces mutations ouvrent aux individus de nouveaux espaces de liberté. De ces apports culturels d’origines plurielles, chacun a la capacité de faire son propre mélange, en choisissant les goûts, les odeurs, les couleurs qu’il emprunte aux matériaux qui sont à portée de sa main. C’est précisément cette capacité infinie d’invention stratégique des acteurs qui crée à la fois la richesse, l’imprévisibilité et l’instabilité des processus de créolisation (Glissant, 1999) et qui, de façon plus générale, fait « des individus en mouvement une source de turbulence globale » (Rosenau, 1994).

Pour autant, il n’y a pas de risque réel de mise en cause des cohérences sociétales, dès lors que les solidarités sont conçues comme des communautés de destin et non des indivisions patrimoniales. Dans A Sociology of Globalization , Saskia Sassen montre comment le processus de globalisation, s'il s'accompagne d'une « déstabilisation des anciennes hiérarchies d'échelle » (2007 [2009, p20]) fait émerger de nouveaux lieux et de nouvelles pratiques sociales (ibid., pp.

103-135), ainsi que de nouvelles catégories d'acteurs locaux (id. pp. 199-222). Mais cet univers chaotique ne peut trouver de cohérence sans des modalités appropriées de communication. Paul Ricoeur en a tracé la direction dans un article publié en 2004 dans Le Monde, « Cultures, du deuil à la traduction » :

La traduction est la réplique à la dispersion et à la confusion de la tour de Babel. La traduction ne se réduit pas à une technique pratiquée spontanément par des voyageurs, des marchands, des ambassadeurs, des passeurs, des traîtres et, en discipline professionnelle, par les traducteurs et les interprètes : elle constitue un paradigme pour tous les échanges, non seulement de langue à langue, mais aussi de culture à culture. La traduction ouvre sur des universels concrets, et non pas du tout sur un universel abstrait, coupé de l'histoire.

Cela suppose en outre que soient mises en œuvre des modalités appropriées de régulation de l’action collective, et notamment des démarches de management territorial stratégique (MTS ; cf.

ci-après).

En d’autres termes, c’est un nouveau mode d'articulation entre droits individuels et identités collectives qui se dessine. Il ne s’agit plus de subordonner strictement les comportements et les modes de penser des individus à une doxa sociétale intangible et hégémonique. Il s’agit au contraire de fonder la liberté d’agir et de penser de chacun sur des héritages collectifs multiples, dans des solidarités dynamiques : passer d’un kit idéologique à une boite à outil culturelle. Cette

12 D'un point de vue théorique, les processus de métissage sont également concevables dans des espaces numériques où les proximités seraient purement virtuelles. Force est de reconnaître qu'à ce jour on ne les a pas constatés.

13 Ceci étant précisé en réponse à une observation de Chantal Moubachir-Génin.

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dernière métaphore n’est pas tout à fait arbitraire, la notion de bricolage ayant acquis, depuis Claude Lévi-Strauss (1962, pp. 31-34) et Roger Bastide (1970) droit de cité dans le champ des sciences sociales.

Les cohésions territoriales au risque des interculturalités

L'impact de ces évolutions sur les logiques territoriales est considérable. Dans la mesure où les représentations collectives occupent une place essentielle dans le processus de territorialisation, ce bouleversement de la donne culturelle a un profond retentissement sur les dynamiques territoriales et sur la cohésion des sociétés locales. Dans ces conditions, l’avènement d’un monde globalisé doit conduire à mettre en œuvre un management territorial stratégique des dynamiques interculturelles, comme outil de gouvernance locale de la diversité culturelle.

Bouleversements culturels et mutations territoriales

Puisque le territoire est un espace socialisé, les formes de la territorialité sont étroitement conditionnées par l’ensemble des pratiques sociales dont le territoire est le cadre (Vanier, 2009), comme par les représentations collectives dont il est l’objet (Casteigts, 2009). A « l’institution imaginaire de la société », décrite par Cornélius Castoriadis (1975), répond donc une « institution imaginaire des territoires ».

Pendant longtemps cet imaginaire territorial a été structuré par la prégnance des représentations institutionnelles, selon une conception faisant du territoire un simple attribut spatial des institutions

14

. En effet, le cadre institutionnel tirait sa force d’être à la fois dans le champ des territoires « réels » par ses effets juridiques directs et dans celui des territoires

« imaginaires » par ses dimensions symboliques. Les décennies qui viennent de s’écouler ont vu un lent mais inexorable divorce entre logiques institutionnelles et logiques territoriales. La multiplication des échelles de l’action publique, la diversification corrélative des périmètres et des systèmes d’acteurs ont déstabilisé l’identification des territoires et des institutions.

Cette désinstitutionnalisation du fait territorial a eu pour corollaire l’importance croissante des dimensions imaginaires, et donc culturelles, dans la structuration des territoires vécus.

Quelles que soient leurs échelles spatiales, les interactions entre acteurs locaux comme les stratégies de développement territorial échappent de plus en plus au contrôle des institutions pour faire l’objet d’appropriations collectives plus larges. C’est le sens profond de la mutation des dispositifs de décision collective, marquée par la montée en puissance progressive des processus de gouvernance, qui font appel à la coordination entre institutions et à leur partenariat avec la société civile, en complément des procédés classiques de gouvernement institutionnel. Ces processus de gouvernance impliquent un rapprochement des horizons stratégiques des différents acteurs et une convergence croissante dans leur représentation du monde. Il y a là matière à de

14 La tradition juridique définit le territoire comme l’étendue sur laquelle s’exerce l’autorité souveraine et exclusive

de l’État et, par extension, la compétence des collectivités territoriales.

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profonds remaniements des imaginaires collectifs, dans une dynamique cognitive et culturelle de nature à déplacer fortement les lignes du statu quo ante.

Pour un management territorial stratégique des dynamiques interculturelles

Dès lors, et contrairement au titre d'un ouvrage de Bertrand Badie (1995), la globalisation ne marque pas La fin des territoires, mais une profonde mutation dans les relations entre les territoires et les institutions, notamment au regard de leurs fondements culturels. A cette nouvelle donne dans l'emboîtement des échelles territoriales et des dispositifs institutionnels doit en effet répondre une véritable métamorphose des modes de coordination de l'action collective, basculant d'une régulation juridique, de nature procédurale et hiérarchique, dans un cadre institutionnel, vers une régulation managériale, de nature stratégique et transactionnelle, dans un cadre territorial.

Il y a huit ans, j'avais eu l'honneur de présenter ici même le concept de management territorial stratégique (MTS). L'assistance s'étant notablement renouvelée, je vais en faire un bref rappel. Le MTS est une configuration d'action collective qui articule le territoire comme cadre de régulation, la gouvernance comme processus décisionnel, la mutualisation des savoirs comme modèle cognitif, la transaction sociale comme mode opératoire et le développement durable comme référence partagée (Casteigts, 2003).

Il ne s’agit pas d’un modèle prescriptif, conçu et formaté par un cabinet de consultant pour être transposé à l’identique d’un territoire à l’autre. Il s’agit au contraire d’un dispositif né de l’invention stratégique d’acteurs de terrains, placés dans des contextes très différents, mais ayant à résoudre le même type de problème : cette configuration apparaît chaque fois que des dynamiques sociétales fortes ne trouvent pas à s'exprimer dans les dispositifs institutionnels classiques. Tel est précisément le cas des dynamiques de mondialisation et de leurs dimensions interculturelles.

C'est dire que le MTS est la configuration d'action collective la mieux adaptée à la régulation de la diversité culturelle concrète (Casteigts, 2009). Participation ouverte aux processus de gouvernance, développement d'une intelligence partagée par la mutualisation des savoirs, résolution des conflits dans des dispositifs transactionnels, enrichissement des projets territoriaux par une référence commune au développement durable : autant de nouveaux espaces de liberté pour combiner stratégies individuelles et identités collectives dans une dynamique interculturelle.

Dès lors le retour aux territoires, qu'il ne faut pas confondre avec le retour des territoires anciens,

ne traduit pas un repli identitaire sur des références archaïques mais marque une nouvelle étape

dans l'ouverture du Même à l'Autre.

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