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Quelles perspectives pour une agriculture durable ?

Pierre-Alain Jayet

To cite this version:

Pierre-Alain Jayet. Quelles perspectives pour une agriculture durable ?. Les Cahiers français : docu-

ments d’actualité, La Documentation Française, 2007, pp.76-81. �hal-01172836�

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Développement et environnement Cahiers français n° 337

Instruments et politiques 1

Instruments et politiques Quelles

perspectives pour une

agriculture durable ?

Les pays développés ont mené pendant plusieurs décennies des politiques agricoles bénéfiques en termes de rendements et de production, sans se soucier des effets de l’agriculture intensive en matière de pollution, de biodiversité ou de consommation de ressources naturelles. Depuis la fin des années 80, les réflexions sur le

développement durable ont fait apparaître la nécessité de prendre en compte les externalités environnementales. Située au centre de la biosphère, l’agriculture est particulièrement concernée : elle est en effet tributaire de la qualité de

l’environnement, tout en produisant sur lui des effets tantôt négatifs, tantôt positifs.

Après avoir rappelé les termes de la problématique agriculture-environnement, Pierre-Alain Jayet analyse les

perspectives d’évolution vers une agriculture « durable ». Les réponses à ce défi supposent à la fois une adaptation des politiques de régulation sectorielle et une réflexion plus large sur l’agriculture, en termes de production et d’utilisation du territoire.

C. F.

D’une agriculture

« soutenue » à une

agriculture « soutenable »

Un exemple d’agriculture

« soutenue »

Dans la plupart des économies développées, les producteurs agricoles ont bénéficié d’appuis publics considérables. La politique agricole commune (PAC) dans l’Union européenne (UE) en offre un bon exemple. Depuis « l’Agenda 2000 » (1), on estime que les aides directes versées chaque année représentent en moyenne 30 à 35 % de la marge brute agricole pour les principales productions végétales et animales.

Ramené aux surfaces concernées, ce soutien représente en moyenne européenne autour de 300 euros par hectare et par an. Ces chiffres ne prennent pas en compte le soutien par les prix, qui peut être très important (pour le sucre en premier lieu). Sur la base du modèle AROPAj (GENEDEC, 2006) (2), on estime qu’en 2002, l’absence d’aides directes se traduirait par des marges brutes négatives pour plus de 10 % des exploitations de l’UE-15, et que plus de 40 % d’entre elles ne dégageraient plus de marge brute supérieure à 10 000 euros annuels.

Les différents soutiens dont ont bénéficié les agricultures des pays développés ont eu des effets positifs en termes de rendements et de sécurité alimentaire, mais les coûts environnementaux – tels que les pollutions et l’augmentation des prélèvements dans les réserves d’eau – ont le plus souvent été ignorés.

Agriculture, environnement et incertitude

Les effets de l’agriculture sur l’environnement L’agriculture entretient avec l’environnement un lien à double sens. Comme tout secteur d’activité, elle contribue à le modifier. Elle est la source de nombreux effets externes, positifs ou négatifs, l’appréciation pouvant d’ailleurs dépendre de ceux qui en subissent les effets. La Commission européenne en a retenu plus de trente-cinq (rapport IRENA, EEA 2005) (3).

L’activité agricole est notamment à l’origine de polluants dont certains contribuent à l’effet de serre : - le protoxyde d’azote (NO

2

), qui provient de l’utilisation d’engrais azotés et du tassement des sols.

Ce gaz à effet de serre (GES) est à l’origine de pollutions

(1) L’Agenda 2000 est un programme d’action destiné à renforcer les politiques communautaires et doter l’Union européenne d’un nouveau cadre financier pour la période 2000-2006. Outre les mesures liées à l’élargissement, il comprend un volet de réformes concernant la PAC.

(2) GENEDEC, 2006 : http://www.grignon.inra.fr/economie- publique/genedec/publi/deliv/WP3_D4.pdf

(3) Agence européenne de l’environnement, « Agriculture and environment in EU-15 - the IRENA indicator report », Rapport n°

6/2005 : http://reports.eea.europa.eu/eea_report_2005_6/en

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Instruments et politiques 2

globales de l’atmosphère. Rapidement diffusé mais d’une durée longue – autour de cent vingt ans –, il possède en masse un pouvoir radiatif global égal à plus de trois cents fois celui du gaz carbonique ; en France, 74 % des émissions de NO

2

viennent du secteur agricole ; - les nitrates, responsables de pollutions diffuses de l’eau des nappes et des cours d’eau, dont l’effet est retardé ;

- l’ammoniac, issu des activités d’élevage et créateur de pollutions transfrontières de la troposphère ; - le méthane (CH

4

), également rejeté par les activités d’élevage, notamment des ruminants.

Dans l’Union européenne, 41 % des émissions de ce gaz à effet de serre (GES) sont d’origine agricole. Ce pourcentage s’élève à 70 % pour la France (cf.

tableau 1) ;

- le dioxyde de carbone (CO

2

), lié à l’utilisation d’énergie fossile dans le secteur agricole.

Au total, l’agriculture contribue à 10 % des émissions de GES.

On peut aussi classer les pollutions selon qu’elles sont liées aux facteurs de production (engrais, pesticides, carburants), aux produits (selon leur contenu en OGM), aux techniques et modes de production (impacts différenciés selon qu’il s’agit

d’agriculture « traditionnelle » ou « biologique », avec ou sans labour).

Les impacts environnementaux de l’agriculture sont néanmoins ambivalents, car celle-ci produit aussi de nombreuses externalités positives. Par exemple, l’activité agricole dégage des GES et offre dans le même temps l’opportunité de les réduire, avec le stockage du carbone (biomasse aérienne et racinaire, matière organique des sols). Elle joue traditionnellement un rôle important dans le maintien de la diversité, mais celui-ci a été en grande partie remis en question par l’intensification de la production et la sous-utilisation des terres. Elle est responsable du tassement et de l’épuisement de certains sols, mais peut aussi maintenir leur qualité en préservant la diversité des usages dans le futur. Enfin, l’agriculture améliore la qualité de l’environnement à travers la « production de paysages ».

Certaines pratiques peuvent se révéler tantôt positives, tantôt négatives, selon le critère d’évaluation considéré.

Par exemple, l’alimentation animale par les fourrages et les céréales produits à la ferme favorise l’extensification animale et limite certaines pollutions associées à une trop forte intensification ; mais dans le même temps, ces aliments sont susceptibles d’être plus

« méthanogènes » donc plus émetteurs de gaz à effet de serre que ceux produits par l’industrie.

Tableau : La responsabilité de l’agriculture dans les GES en France

Source : MIES, CITEPA, 2003.

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Instruments et politiques 3

L’agriculture et les cycles biogéniques

En retour, l’agriculture, plus que d’autres secteurs, est sensible à l’environnement. Elle est en effet fortement tributaire d’un environnement global (pluviométrie, températures, concentration en dioxyde de carbone) ou local (morcellement des terres disponibles, pollutions urbaines) en constante évolution. Elle

« rejette » des éléments azotés et carbonés, et dans le même temps utilise des matières premières, interférant avec les cycles du carbone, de l’azote, de l’eau.

Les apports d’azote facilement assimilables par les plantes sont permis par l’industrie, mais le coût énergétique de leur fabrication pourrait en fragiliser la production. Le carbone de l’atmosphère ne pose pas de problème de disponibilité, ceci d’autant moins que l’on observe une augmentation significative du taux de dioxyde de carbone (CO

2

) dont on s’inquiète par ailleurs. L’eau renvoie quant à elle à des problèmes de nature complexe, puisqu’elle est nécessaire à la production de biomasse, et que son utilisation met en compétition l’agriculture et d’autres secteurs, ces derniers étant affectés par la qualité des eaux dépendant en partie de l’activité agricole. Avec le changement climatique, on peut imaginer que l’eau puisse devenir, avant l’azote, le principal facteur limitant la production agricole dans l’Union européenne.

L’agriculture interfère ainsi fortement avec les cycles biogéniques majeurs. Son caractère durable dépend donc de la maîtrise de leurs variations. De façon générale, l’agriculture devra s’adapter aux changements de l’environnement.

Autres facteurs d’incertitude

Nous venons de voir que l’offre quantitative de biens agricoles est conditionnée par un environnement changeant et incertain. L’incertitude est également grande du côté de la demande. Elle tient à l’évolution de la population mondiale et au niveau de vie des habitants de la planète. Sur le plan de la qualité, le changement climatique aura des conséquences importantes pour tous les produits d’origine géographique protégée.

L’ensemble des effets externes est en lui-même un facteur d’incertitude. Ainsi, l’irruption du changement climatique dans les préoccupations scientifiques conduit à accorder une plus grande attention à des phénomènes dont les effets pouvaient de prime abord paraître limités.

Par exemple, le tassement des sols agricoles lié au passage des engins mécaniques a été au départ perçu comme un problème de « qualité » du sol dont les conséquences sont a priori d’ordre privé dans la mesure où la baisse des rendements qui en résulte affecte les revenus agricoles présents et futurs. Il semble maintenant acquis que l’effet du tassement sur les émissions de protoxyde d’azote puisse être significatif (4).

La prise en compte des incertitudes et des coûts environnementaux soulève de nouveaux défis en termes de régulation économique de l’agriculture. L’Union

européenne, qui offre une longue expérience de régulation économique sectorielle, pourrait progressivement substituer une politique agro- environnementale à la politique agricole commune (PAC) que l’on connaît depuis un demi-siècle.

L’analyse qui suit s’appuie essentiellement sur l’exemple européen, mais les principes qui la sous- tendent n’ont pas de limite géographique.

L’agriculture et la régulation de ses effets sur le milieu

L’environnement est une préoccupation croissante affichée par les décideurs, en particulier au niveau des instances de l’UE. La PAC est imprégnée de cette évolution, avec l’insertion croissante des mesures agro- environnementales (MAE) (5). L’intérêt des décideurs suit ou accompagne une prise de conscience réelle des enjeux environnementaux par la société dans son ensemble, qui fait que la notion de développement durable est souvent confondue avec l’intégration de l’environnement dans les choix de long terme.

Les instruments de régulation économique

Comme toutes les activités affectant l’environnement, l’agriculture doit être soumise à la régulation économique, qui, en combinant les instruments prix (les taxes) ou quantités (les « droits à polluer »), devrait se substituer aux incantations sur le « respect des bonnes pratiques agricoles ». En théorie, les instruments doivent être en nombre et en niveau aussi proches que possible des externalités qu’il faut réguler.

En pratique, il convient de respecter un principe de parcimonie avec le souci de ne pas obscurcir les objectifs publics à atteindre et de mieux prendre en compte les coûts d’intervention et de contrôle. Or, la PAC dans ses objectifs traditionnels est déjà riche de nombreux instruments de régulation. Et il convient évidemment de proposer des instruments adaptés à ce qui est mesurable et observable à des coûts acceptables.

Les taxes

Il serait par exemple difficile et coûteux de taxer directement les émissions des gaz à effet de serre tels que le méthane et le protoxyde d’azote ; il conviendrait plutôt de taxer les facteurs responsables de ces émissions : les engrais azotés, les animaux, leurs aliments. Apparaît alors un délicat arbitrage entre l’efficacité économique et les résultats en matière d’environnement. Supposons que l’on veuille atteindre

(4) Cf. Richard G., (2005), programme de recherche « Dégrada- tion physique des sols agricoles et forestiers liée au tassement : impact, prévision, prévention, suivi, cartographie » : h t t p : / / w w w . o r l e a n s . i n r a . f r / l e s _ u n i t e s / u r _ s c i e n c e _ d u _ s o l / programmes_de_recherche/projet_dst_tassement_des_sols (5) Cf. l'encadré p. 00.

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Instruments et politiques 4

une cible donnée en matière de réduction des émissions de GES (par exemple 8 %). Avec un système de taxes sur les facteurs responsables des rejets, il faudrait que celles-ci soient deux à quatre fois supérieures à celles qu’on appliquerait aux émissions pour approcher le résultat visé. On peut expliquer cet écart de la façon suivante : de façon pragmatique, la taxe ne peut s’appliquer que sur les engrais synthétiques disponibles sur le marché, et non sur les fertilisants organiques recyclés sur l’exploitation ; de même, une taxe sur les aliments achetés offrirait aux céréales et fourrages produits et utilisés sur l’exploitation un avantage injustifié du point de vue des émissions de GES ; enfin, une taxe sur les animaux n’inciterait pas les éleveurs à les nourrir en fonction du pouvoir « méthanogène » des aliments.

Les subventions

De la même façon que les activités à l’origine d’externalités négatives peuvent être pénalisées par une taxe, celles générant des externalités positives peuvent être encouragées par une subvention. Ce cas de figure se produit pour le stockage du carbone, qui permet de lutter contre l’effet de serre. Tel que cela est rappelé dans le protocole de Kyoto, le stockage est pris en compte dès lors qu’il résulte d’un impact additionnel comparé au « business as usual ». Si le stockage est avéré, il peut être rémunéré aussi bien que peut être taxée l’émission de GES. Une expertise récente a été conduite sur le thème du stockage du carbone dans les sols agricoles (Arrouays et al, 2002). Ses conclusions aboutissent aux recommandations suivantes : au mieux, un tiers de la surface agricole utile de la France devrait bénéficier pendant un peu moins de trente ans d’une subvention de l’ordre de 25 euros par hectare et par an (sur la base d’un « prix du carbone » de l’ordre de 80 euros la tonne). Cela supposerait un contrôle assez strict de l’utilisation des terres sur longue période. Il conviendrait également de vérifier que l’extension des prairies au détriment des cultures se traduit bien par une limitation des émissions nettes en équivalent CO

2

. L’augmentation du stockage du carbone et la diminution des émissions de protoxyde d’azote liées aux cultures pourraient en effet être compensées par une hausse des émissions de méthane des ruminants valorisant la prairie.

Dans l’exemple précédent, on remarquera que la

« subvention carbone » représenterait moins de 10 % de la subvention « PAC », qui est en moyenne européenne de 300 € /ha, et moins de 3 % de cette subvention si l’on tient compte des seules terres changeant d’affectation. La justification des transferts dont bénéficie le secteur agricole en Europe par les avantages environnementaux suppose de bien identifier et traduire en termes monétaires l’ensemble des externalités positives et négatives associées à l’agriculture, depuis la préservation de la qualité des sols et des paysages jusqu’à la contribution au maintien de la biodiversité, en passant par les pollutions des cours d’eau et des aquifères par les transferts d’azote et de pesticides.

Deux défis à relever

Les politiques environnementales de régulation des externalités dans le secteur primaire doivent relever deux défis pour être efficaces

Les effets redistributifs des mesures

Il s’agit tout d’abord d’intégrer les effets redistributifs de tout changement d’orientation d’une politique de régulation. On objecte souvent que toute politique environnementale est condamnée d’emblée par l’incertitude quant à ses effets, surtout lorsqu’elle s’appuie sur le principe « pollueur-payeur », qui fait apparaître des « perdants ». On remarquera qu’on peut combiner le caractère incitatif d’une taxe avec la redistribution de façon forfaitaire de tout ou partie de la recette fiscale qui en découle. Au-delà des modalités d’application, une politique économique d’avenir soucieuse de l’environnement ne devrait exclure aucun secteur de son champ d’application, et l’agriculture moins que d’autres, en raison des externalités positives qui lui sont associées.

La dispersion des coûts marginaux de réduction des pollutions

L’autre défi concerne la dispersion des coûts marginaux de réduction des pollutions par les exploitations agricoles. De Cara et al. (2005) montrent qu’une réduction individuelle de 8 % des émissions de référence à moins de 100 euros par tonne d’équivalent CO

2

n’est possible que pour des exploitations dont l’ensemble est responsable de la moitié seulement des rejets. Avec un seuil de 20 euros – comparable au prix observé en 2006 sur les marchés du carbone – cette proportion tombe à 25 %. Cette diversité devrait persister à toutes les échelles du territoire.

De nouveaux équilibres pour l’agriculture du futur

Au regard de tout ce que l’on attend d’eux en matière d’environnement et de services autres que la production agroalimentaire traditionnelle, les actifs du secteur agricole pourraient légitimement s’inquiéter de leur avenir. Eux-mêmes et ceux qui se préoccupent de l’évolution du « capital humain » mobilisé par l’agriculture savent néanmoins que l’extrapolation des tendances récentes – sur les prix, le recul des terres agricoles, le vieillissement des actifs – peut conduire à des prévisions erronées.

L’évolution des prix des carburants fournit un signal important pour l’avenir de l’agriculture. Certes, en valeur actualisée, le prix du pétrole observé en 2006 n’excède pas encore celui que l’on a pu observer à la fin des années 70, lors du « deuxième choc pétrolier ».

Néanmoins, le renversement de tendance depuis dix

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Instruments et politiques 5

ans est important. Le fait que l’on peut encore tabler sur des ressources fossiles importantes (à des coûts plus élevés) ne modifie pas leur caractère limité. Cette évolution conduit à deux observations.

Les biocarburants : quelles perspectives pour le secteur agricole ?

En premier lieu, l’évolution de la demande en carburants combinée à l’impact de la consommation de carburants fossiles sur les émissions de dioxyde de carbone oriente les politiques publiques vers l’émergence de ressources alternatives a priori favorables à l’agriculture. En témoigne la directive

« biocarburants » (6) de la Commission européenne (2003). À court terme pourtant, les analyses économiques tempèrent les espoirs d’un secteur agricole européen retrouvant de fortes marges de manœuvre face à une demande soutenue en biocarburants. Ainsi, Sourie et al. (2005) estiment que le seuil de rentabilité microéconomique des biocarburants sera atteint pour un prix du baril de pétrole brut de 80 dollars (aux conditions actuelles des marchés agricoles et de la PAC), prix encore très supérieur au maximum observé en 2006. Par ailleurs, la production de biocarburants ne serait pas forcément localisée en Europe. Si cette obligation était énoncée, on pourrait lui opposer le respect des règles de l’OMC et la recherche de l’efficacité économique dans la mesure où il resterait moins coûteux d’importer des carburants produits dans des pays tiers (Brésil). Mais, même si ce n’est pas l’agriculture européenne qui profite directement de cette opportunité, elle pourrait en bénéficier via la pression sur la production de produits agricoles traditionnels ou via la forte demande nord-américaine d’éthanol.

Remarquons enfin que l’Europe seule aurait du mal à satisfaire la directive européenne de 2003, compte tenu des surfaces qu’il conviendrait d’allouer aux productions destinées aux biocarburants (les terres actuellement en jachère ne pourraient y pourvoir). Des anticipations de hausse de la demande mondiale de biocarburants suffiraient à mettre à mal la politique européenne de gel de terre maintenue par l’accord de Luxembourg sur la réforme de la PAC. Nous aurions là une première cause de hausse du prix des produits agricoles et des terres. Du point de vue public, il pourrait s’avérer opportun d’inciter à maintenir en état de production agricole des surfaces importantes. Les

« bonnes terres agricoles », souvent situées près des zones de fort développement urbain, bénéficieraient alors d’une forte valeur d’option (7) et ne seraient sans doute plus aussi facilement retirées de la production.

Vers une agriculture relocalisée ? En second lieu, la hausse tendancielle des prix de l’énergie risque de peser fortement sur les coûts de production agricoles, que ceux-ci soient directs

(combustibles et carburants à la ferme) ou indirects (la part de l’énergie dans la production de fertilisants azotés peut atteindre 80 % du coût de production).

Elle pénaliserait également le transport des produits.

Or, on observe dans le même temps un regain d’intérêt pour l’agriculture traditionnelle et pour le maintien de productions agricoles dans les régions à forte densité de population. Dans cette optique, chercher à diminuer fortement la distance entre les bassins de production et de consommation suppose une approche de l’agriculture périurbaine plus soucieuse de la diversification de l’usage du territoire.

Deux moyens de lutter contre les émissions de GES ?

Opter pour une politique publique incitant à maintenir la terre comme facteur de production agricole peut sembler paradoxal, après des décennies de politique européenne accompagnant la diminution des surfaces en production. La perspective d’une croissance de la demande alimentaire et énergétique, mais aussi les effets de la PAC sur les émissions de gaz à effet de serre donnent du crédit cette option. De plus, il se pourrait que la diminution des émissions de GES d’origine agricole qui a accompagné les réformes successives de la PAC depuis 1990 soit en partie le résultat d’effets de fuite (« leakage ») liés à la délocalisation de productions agricoles vers le reste du monde. Contrer cet effet tout en respectant les engagements européens en rapport avec le protocole de Kyoto impliquerait de maintenir en Europe une agriculture présente sur tous les territoires et favorable à la réduction des émissions de GES. La production de biocarburants pourrait être subventionnée à hauteur des réductions avérées de consommation de carbone fossile.

* *

*

L’Europe offre un excellent champ d’investigation pour aborder l’agriculture du futur. Une forte tradition de régulation des marchés permettrait paradoxalement de maintenir le principe de la régulation en l’orientant vers la prise en compte des effets de l’agriculture sur l’environnement. Cette transition pourrait être facilitée si les transferts dont elle bénéficie sont mieux justifiés.

La rémunération d’externalités positives devrait aller de pair avec la pénalisation des pratiques dommageables à l’environnement. Par ailleurs, l’évolution de la demande de la société dans son

(6) Directive 2003/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 mai 2003 visant à promouvoir l’utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports :

h t t p : / / e u r o p a . e u . i n t / e u r - l e x / p r i / f r / o j / d a t / 2 0 0 3 / l _ 1 2 3 / l_12320030517fr00420046.pdf

(7) La « valeur d’option » est la valeur attribuée à un usage potentiel futur.

(7)

Développement et environnement Cahiers français n° 337

Instruments et politiques 6

ensemble vis-à-vis de l’agriculture pourrait à terme justifier une hausse du soutien public vers un capital

« humain » et un capital « terre » destinés à l’agriculture. Il ne s’agirait plus d’aider « moins », mais d’aider « plus efficacement ». Il s’agirait aussi d’aider de façon plus équitable en diminuant les écarts de soutien à la personne ou à l’hectare tels qu’ils apparaissent aujourd’hui à l’échelle de l’Europe, souvent déconnectés des réels services publics rendus.

La juste appréciation de ces services devrait contribuer

au développement durable de l’agriculture, face aux changements perpétuels provoqués par la pression humaine aussi bien que par la pression du milieu physique.

Pierre-Alain Jayet, Unité Mixte de Recherche en Économie Publique INRA-210

Pour en savoir plus

Arrouays D., J. Balesdent, J.-C. Germon, P.-A. Jayet, J.-F. Soussana, P. Stengel (eds) (2002), Stocker du carbone dans les sols agricoles ?, Expertise scientifique collective, synthèse, INRA, octobre.

De Cara S., M. Houzé, P.-A. Jayet (2005), « Green house gas emissions from agriculture in the EU : a spatial assessment of sources and abatement costs », Environmental And Resource Economics, vol. 32, n° 4, pp. 551 – 583.

Commission européenne (2006), The Second European Climate Change Programme - Final Report, Working Group ECCP Review - Topic Group Agriculture and Forestry.

Sourie J.-C., D. Tréguer, S. Rozakis (2005), L’ambivalence des filières biocarburants, INRA Sciences Sociales, décembre.

j h t t p : / / w w w. i n r a . f r / i n t e r n e t / D e p a r t e m e n t s / E S R / publications/iss/pdf/iss05-2.pdf

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