Faitclinique
Trachéopathie ossifiante : diagnostic différentiel de l’asthme
Tracheopathia osteoplastica: Differential diagnosis from asthma
H. Jabri*, A. Aichane, W. El khattabi, H. Afif, Z. Bouayad
Servicedesmaladiesrespiratoires,hôpital20Août1953,CHUIbnRochd,rueLahcenArjoun,Casablanca,Maroc Reçule30mai2013;acceptéle24octobre2013
DisponiblesurInternetle11de´cembre2013
Résumé
Latrachéopathieossifianteoutrachéobronchopathieostéochondroplastique(TBOP)estunemaladierared’étiologieinconnue,quioccasionne desmanifestationspouvantsimulerunasthme.Nousrapportonsuneobservationcolligéeaumoisd’octobre2012.Ils’agitd’unepatienteâgéede 47anssuiviepourasthmesévèrenoncontrôlé,hospitaliséesuiteàdesépisodesd’hémoptysiesminimes.L’examencliniqueavaitnotéunwheezing etdesrâlessibilantsdiffusàl’auscultation.Lediagnosticdetrachéopathieossifianteaétésoulevédevantlesdonnéesdel’imagerieradiologiqueet l’aspectendoscopiquecaractéristique.Letraitementn’estquesymptomatique.
#2013ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
Motsclés: Trachéopathieossifiante;Asthme;Wheezing;Maladierare;Endoscopiebronchique Abstract
Tracheopathia osteoplastica or tracheobronchopathia osteochondroplastica (TPO) is a rare disease of unknown etiology which causes symptomsthatmaymimicasthma.WereportacaseobservedinOctober2012.The47-year-oldpatient,whowasbeingfollowedforsevere uncontrolledasthma,was hospitalizedafter episodesof minimal hemoptysis.Clinicalexaminationrevealed wheezingand sibilantrales on auscultation.Adiagnosisoftracheopathiaosteoplasticawasmadebeforetheradiologicimagingdataandendoscopicfeatureswereobtained.The onlytreatmentissymptomatic.
#2013ElsevierMassonSAS.Allrightsreserved.
Keywords:Tracheopathiaosteoplastica;Asthma;Wheezing;Bronchialendoscopy
1. Introduction
La trachéopathie ossifiante aussi appelée trachéobroncho- pathie ostéochondroplastique (TBOP) est une maladie rare d’étiologieinconnue,caractériséeparundépôtdephosphatede calciumdanslasous-muqueusedelaparoidesvoiesaériennes centralesavecuneproliférationbénignedel’osetducartilage.
C’estuneaffection leplussouvent asymptomatiquemais qui peutoccasionnerdesmanifestationspouvantsimulerunasthme.
2. Observation
MadameE.R.estâgéede47ans,ellen’apasd’habitudes toxiques et n’a pas d’atopie personnelle ni familiale. La
patienterapportait depuisquatre ansdes dyspnéessifflantes paroxystiques sans facteur déclenchant évident, prises au compte d’un asthme sévère noncontrôlé malgrél’instaura- tiond’untraitementdefondoptimal(corticothérapieinhalée associée à un bronchodilatateur de longue durée d’action).
Elle avait recours fréquent aux cures courtes de cortico- thérapie orale. L’évolution était marquée deux mois avant sonhospitalisationparl’installationd’unwheezingassociéà unehémoptysiedefaibleabondancesansdouleurthoracique.
La reprise de l’interrogatoire n’avait pas objectivé de syndrome de pénétration. L’auscultation du thorax avait perçu en plus du wheezing des discrets râles sibilants diffus.
Après mise en condition de la patiente, une radiographie thoracique (Fig.1)étaitréaliséeobjectivantuneréductiondu calibreetunaspectsinueuxdelalumièretrachéaleassociésà unedistensionthoracique.
Disponibleenlignesur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
Revuefrançaised’allergologie54(2014)78–81
*Auteurcorrespondant.
Adressee-mail:hasnajabri@hotmail.fr(H.Jabri).
1877-0320/$–seefrontmatter#2013ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2013.10.005
À cette étape, devant l’hémoptysie et le wheezing, nous avions discuté une tumeur trachéale (bénigne, maligne, carcinoïde), uncorps étrangerinhalé quoiquel’interrogatoire n’avaitpastrouvédesyndromedepénétration.Unepathologie dégénérative de la trachée, notamment une trachéopathie, paraissaittrèsprobablevulewheezing,l’aspectradiologiqueet laconservationdel’étatgénéral.Enfin,nousavionssoulevéle diagnosticd’uneamylosetrachéaleouatteintetrachéaledansle cadre d’une maladiede système, notammentunesarcoïdose, unesclérodermie, ouunedermatomyosite.
L’exploration fonctionnelle respiratoire avait montré un aplatissement de la courbe débit-volume (Fig. 2) avec un troubleventilatoireobstructifsévèreirréversibleaprèsl’admin- istration de bêta 2 mimétiques. Pour avancer dans notre discussion diagnostique, la tomodensitométrie thoracique (Fig. 3) avait mis en évidence des calcifications trachéales étagées en fer à cheval associées à des nodules rendant la lumièretrachéaleirrégulièreparendroit.Ceslésionsprennent naissance au niveau de la partie antérieure, c’est-à-dire cartilagineusedelatrachéeainsiquecelledespartiesinitiales desdeuxbronchesprincipales.Cetaspectestpathognomonique delatrachéopathieossifiante.
La bronchoscopie souple avait confirmé ce diagnostic en objectivantunaspectirrégulierdelamuqueusebronchiquefait dedépressionsetdesurélévationsavecprésencedebourrelets cartilagineux saillants. Cet aspect concerne aussi bien la trachée,quiestsujetteàunesténose,quelesbronchessouches
quisontdecalibreréduit(Fig.4).Labronchoscopierigideétait indiquéedanslebutderéaliserdesbiopsies.Nousn’avionspas isolé de germes à l’étude microbiologique du liquide d’aspiration bronchique. L’étude anatomopathologique des biopsiesréaliséesavaitmontré unemuqueusemalpighienneà revêtementpapillomateuxacanthosiquemodérémentkératosi- que, dépourvue d’atypie cellulaire etrenferme des calcifica- tions dystrophiquestémoignantd’une inflammationtrachéale
Fig.1. Radiographieduthoraxface:aspectsinueuxdelalumièretrachéale.
Fig.2. Aplatissementdelacourbedébit-volume.
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chronique calcifiante. Une coloration au rouge Congo des biopsiesétaitnégative.
Le traitement est symptomatique, la patiente est stable cliniquement. Elle est régulièrement suivie à la consultation avecunreculde12mois.
3. Discussion
Latrachéopathie ossifiante,aussi appeléetrachéobroncho- pathieostéochondroplastique(TBOP),estunepathologiepeu fréquenteetbénigne [1,2].Elleaétédécritepourlapremière fois par Wilks en 1857 et par Rokitansky en 1861. Son incidenceesttrèsfaiblepuisqu’elleestdel’ordrede0,02%à 0,7 % [3] chez les patients ayant eu une bronchoscopie systématique pour une symptomatologie respiratoire, ce qui supposequecetteincidenceestlargementsous-estimée.Cette pathologie se rencontreleplus souventchezlesujet desexe masculin (sex-ratio : 3/1), vers l’âge de 50ans [4]. Notre observationaconcerné unepatientedesexe féminin.
La découverte estle plus souventfortuite [5]. Lessignes cliniques sont loin d’être spécifiques tels que la toux, l’hémoptysie [2], la dyspnée, la dysphonie, le wheezing et l’asthmequi peut êtresévère. Dansce dernier cas de figure, l’absence d’atopie personnelle ou familiale, l’âge tardif de l’apparition des signes cliniques de l’asthme, l’absence de facteurdéclenchantoud’autressignesd’allergiedoiventfaire attirer l’attention du clinicien vers l’un des diagnostics différentiels de l’asthme.Les investigationsspirométrique et radiologique viennent par la suite infirmer ou affirmer le diagnosticd’asthme«noncontrôlé».Danslamajoritédescas des TBOP, les explorations fonctionnelles respiratoires objectiventunsyndrome obstructif[6–8] non réversiblesous bêta2 mimétiques.
La radiographie thoracique standard peut révéler le diagnosticen montrant desirrégularitéset unaspectsinueux delalumièretrachéalecommec’étaitlecascheznotrepatiente.
Cependant, elle peut être normale surtout dans les formes asymptomatiques[4].Latomodensitométriethoraciquemontre unépaississementdesparoisantérolatéralesdelatrachée,qui peuts’étendreverslesgrossesbronches[2,9],descalcifications irrégulières de la paroi, des nodules qui contribuent à l’obstruction de la lumière trachéale voire des sténoses [1].
Enfin,latrachéepeutêtretotalementdéforméeavecunaspect
Fig.3. a:TDMthoracique:calcificationenferàchevaldelatrachée;b: épaississementdelaparoiantérieuredelatrachéeavecnodulesfaisantsaillie danslalumièretrachéale.
Fig.4. Aspectperendoscopique/diminutionducalibredelalumièretrachéale,muqueusenodulaireirrégulière.
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trifolié comme dans les observations rapportées par Saint Blancardetal.[10].
L’endoscopie vientaffirmer lediagnostic, en montrant un aspect pathognomonique ; des calcifications irrégulières, des nodulesplusoumoinsconfluentsenplaquesréduisantlecalibre delalumièretrachéale, lamuqueusequiestpâle,atrophique maisjamaisulcérée.Lasensationdecrissementtémoignedela rigiditédelaparoitrachéale,cequirendlesbiopsiesdifficileset peu contribuables. Cependant, la confirmation histologique n’est pas nécessaire pour retenir le diagnostic de la TBOP [2,4,10].Malheureusement, dans notre observationil n’apas été précisé la distance entre cordes vocales et l’atteinte trachéaleniledegrédelasténosedelalumièretrachéalelors desgestesendoscopiques.
Sur le plan histologique, la TBOP est caractérisée par le dépôt de cartilage et d’os dans le chorion,indépendants des structurescartilagineusesnormalesdelaparoi,lamuqueuseest intacte[1,10].
Généralement,l’évolutionestlente,lepronosticrestebon.
Lesformes sévères peuvent mettre en jeu lepronostic vital par un tableau d’insuffisance respiratoire aiguë. Les complications sont d’ordre infectieux, mécanique et rare- menthémorragique [7,9]. Letraitement est symptomatique, ilfaitappelauxmucolytiques,humidificateurs,antibiotiques lorsque c’est nécessaire. Dans les formes sévères obstruc- tives,labronchoscopie interventionnellepermetlarésection mécanique des nodules, ses résultats sont significatifs. La pose d’une prothèse trachéale est aussi envisageable, mais sans que le résultat ne soit assuré [4]. La chirurgie prend place dans les formes localisées [3]. La radiothérapie est d’indication limitée [5].
À ce jour, l’étiopathogénie de cette affection est encore énigmatique. Plusieurs hypothèses ont été avancées ; les facteurslesplus incriminéssont lesinfectionsouirritations chroniques, et notamment le rôle du Klebsiella ozaenae [4,6]. Certains auteurs pensent que la trachéopathie ossifiante serait l’évolution ultime de l’amylose trachéo- bronchique [3].
4. Conclusion
La trachéopathie ossifiante est une maladie dégénérative rare dont les symptômes peuvent être pris pour un asthme sévère. Nous soulignons par cette observation l’intérêt de chercher les diagnostics différentiels de l’asthme avant de conclureàunasthmenoncontrôlé,ainsiquel’intérêtdemener desétudes pourclarifierl’étiopathogenèsedecetteaffection.
Déclarationd’intérêts
Lesauteursdéclarentnepasavoirdeconflitsd’intérêtsen relationavec cetarticle.
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