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Jean-Pierre Le Crom
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Jean-Pierre Le Crom. Les années ”fastes” de la Revue française du travail (1946-1948). Revue française
des affaires sociales, La documentation française, 2006, pp.25-43. �halshs-00194589�
de la Revue française du Travail (1946-1948)
Jean-Pierre Le Crom*
Membre du comité de rédaction de la Revue française des Affaires sociales (RFAS) depuis 1999, j’ai accepté avec plaisir l’idée de rédiger un article sur les débuts de celle qui l’a précédée, la Revue française du Travail (RFT).
En vérité, et malgré l’intérêt que je porte à cette période dans mes travaux, je n’avais jamais dépouillé les sommaires de manière exhaustive, même si quelques articles m’étaient bien connus, tels celui de Pierre Laroque sur
« Le plan français de sécurité sociale » ou ceux d’Olga Raffalovich et de Renée Petit sur les comités d’entreprise.
Un véritable travail historique aurait nécessité l’utilisation d’une documenta- tion adaptée rendant compte du fonctionnement de la revue, du choix des sujets, du rôle joué par le comité de rédaction et du gérant de la revue, etc.
Malheureusement, il n’existe aucune trace des archives du 7
ebureau de la Direction du travail qui s’en occupait, dans les fonds versés par le ministère du travail au Centre des archives contemporaines de Fontainebleau. La seule source de cet article est donc la revue elle-même, sachant toutefois que des éléments d’information existent dans deux articles publiés à l’occasion du 25
eet du 40
eanniversaire de la RFT-RFAS (Anonyme, 1971 ; Ziegler, 1986).
L’information sociale du ministère du Travail ne date pas des lendemains de la Libération. Les historiens du travail connaissent bien et utilisent sou- vent les informations contenues dans le Bulletin de l’Office du travail à la fin du XIX
esiècle. À partir de la Première Guerre mondiale, pourtant, celui-ci périclite, laissant la place au Bulletin de l’Inspection du travail et au Bulletin du ministère du Travail dont le contenu ne dépasse pas « le stade compilatoire » des règlements à appliquer et qui ne se déprend pas d’une
« attitude contemplative et neutre » dans le traitement des faits observés.
À la Libération, même si les rubriques du bulletin – statistiques, législation et jurisprudence (notamment dans les suppléments) – perdurent dans la nouvelle revue, les ambitions affichées sont plus importantes. Elles sont énoncées dès le premier numéro, en avril 1946 : « Dans la Revue française du Travail, des militants syndicalistes, des personnalités politiques, des chefs d’industries, des universitaires aborderont les grands problèmes sociaux français et étrangers. La revue s’efforcera aussi d’apporter à ses
*Historien du droit, directeur de recherche au CNRS et directeur de Droit et changement social (UMR 6028 CNRS et université de Nantes).
lecteurs le maximum de renseignements pratiques et complétera utilement l’examen théorique des problèmes par des chroniques permanentes, des informations, des comptes rendus, des notes de jurisprudence, des biblio- graphies, des séries statistiques. La Revue française du Travail deviendra aussi un organe de liaison entre tous ceux qui estiment indispensable un nouvel examen des problèmes sociaux dont la guerre et ses conséquences ont rendu la solution de plus en plus urgente... ».
Le ton est donné. Il s’agit d’une revue associant les aspects pratiques aux aspects théoriques dans un esprit de large ouverture à ce qu’on appellerait aujourd’hui la société civile et avec la volonté de faire du neuf. À l’instar de ce qui se fait déjà aux États-Unis, en Angleterre, en Espagne ou en Bel- gique, l’objectif est « une revue qui franchisse le stade de la description, du constat, de l’évaluation chiffrée et cherche à aller au fond des choses, les considère sous l’angle du dossier, du débat, de la critique, on dirait aujourd’hui de l’enjeu ou du défi » (Ziegler, 1986, p. 7).
Notre objectif dans cet article sera d’examiner si ce défi est tenu dans les trois premières années d’existence de la Revue française du Travail. La volonté d’ouverture et d’esprit critique résiste-t-elle à l’épreuve des faits et aux contraintes, notamment politiques, du moment ? Pour y répondre, nous examinerons successivement les aspects techniques et organisationnels de la revue, puis la nature des sujets et la manière dont ils sont traités et, enfin, l’attention accordée aux questions étrangères et internationales.
■ Une revue de l’administration qui cherche à s’ouvrir
La Revue française du Travail se présente sous un quasi-format A5 avec
une couverture en couleur qui change à chaque numéro. Sur cette couver-
ture ornée d’un dessin usinier, il est indiqué qu’elle est éditée par le minis-
tère du Travail et de la Sécurité sociale (et non par un office, ce qui est une
particularité du ministère du Travail) et qu’elle est diffusée par les Presses
universitaires de France au prix de 35 F le numéro. Les articles peuvent être
reproduits sans payer, ce qui en fait une « revue cadeau ». La diffusion est
inconnue. En 1946 et 1947, la périodicité est mensuelle pour devenir irré-
gulière (mensuelle, bimestrielle ou trimestrielle) en 1948. Il n’y a jamais de
dossier, mais un numéro spécial de caractère technique est consacré aux
comités d’entreprise et aux délégués du personnel en 1948. En plus des arti-
cles de fond, généralement signés, existent des rubriques régulières sur
l’activité sociale en France, qui rendent notamment compte des congrès
syndicaux, sur l’activité dans les organismes internationaux, principale-
ment l’OIT, et sur l’activité sociale à l’étranger. On y trouve aussi une
rubrique statistiques assez longue portant sur l’activité économique, les
conflits du travail, l’évolution du montant des salaires, l’emploi, le
chômage, etc. ainsi qu’une bibliographie qui n’est au départ qu’une simple recension des ouvrages reçus au ministère du Travail.
D’avril 1946 jusqu’à la fin 1947, la RFT dépend d’un nouveau centre de recherche que la Résistance imaginait non comme « le refuge des paresseux et des gens sans compétence particulière », mais qui serait composé de gens de valeur et doté de moyens suffisants pour réaliser des enquêtes, des publi- cations, organiser des voyages et prendre des contacts
1. Il est créé à l’initia- tive d’Olga Raffalovich et animé par Charles Bettelheim, économiste marxiste, suspendu du PCF en juillet 1937 pour « état d’esprit anti-sovié- tique » avant de rejoindre pendant la guerre, aux côtés d’Yvan Craipeau et David Rousset, le Parti ouvrier internationaliste de tendance trostkyste (Denord et Zunigo, 2006). Le secrétaire de la rédaction est alors Jacques Charrière, un jeune économiste proche de Bettelheim.
L’animation de la revue
En 1948, alors que Bettelheim se voit contraint de quitter ses fonctions par le nouveau ministre Daniel Mayer, Charrière est remplacé par André Philbert, la revue étant désormais animée par le 7
ebureau de la direction du travail, le
« saint des saints » du ministère. Il est assisté par un comité consultatif après les premiers numéros. En 1947, celui-ci est composé principalement de hauts fonctionnaires du ministère du Travail (Charles Bettelheim, Jean Briquet, D
rHenri Desoille, Henry Hauck, Robert Jaussaud, Pierre Laroque, Jacques Maillet, Olga Raffalovich, Robert Vinay), de membres ou d’ex-membres du cabinet (Roger Lefèvre, Pierre-Roland Lévy, Eugène Sirvent), de deux uni- versitaires (Lucien Febvre, professeur au Collège de France ; Georges Lefebvre, professeur honoraire à la faculté des lettres de Paris), de trois syn- dicalistes (Benoît Frachon et Léon Jouhaux, secrétaires généraux de la CGT ; Gaston Tessier, secrétaire général de la CFTC), d’un conseiller de la Répu- blique communiste (Marcel Willard), d’une avocate (Suzanne Lévy) et du vice-président du Conseil d’État (René Cassin).
Cette composition correspond tout à fait aux orientations définies dès le premier numéro. Dominé par l’administration, le comité consultatif est ouvert à des syndicalistes, des politiques et des universitaires. Cette volonté d’ouverture est l’une des manifestations les plus visibles des nombreux changements qui touchent le ministère du Travail à la Libération. Celui-ci connaît en effet un profond renouvellement pour répondre aux critiques dont il fait l’objet pour avoir notamment collaboré, contre son gré, à la déportation de la main-d’œuvre française pour le III
eReich. Si l’épuration est assez faible (341 personnes, soit 1,83 % des effectifs), elle touche par contre fortement les cadres du ministère. En plus du secrétaire général, les trois quarts des directeurs généraux et directeurs et le tiers des directeurs
1Archives nationales, CHAN, 307 AP 160 (papiers Dautry).
adjoints et sous-directeurs ou personnels de grade équivalent sont sanction- nés professionnellement (Le Crom, 2006). Cela laisse le champ libre à Alexandre Parodi, le ministre en poste après le court intermède Tixier, pour constituer une équipe entièrement nouvelle composée de Résistants : Pierre Bideberry, inspecteur du travail communiste, prend les rênes de la direction de l’administration générale et du personnel, Pierre Laroque la direction de la sécurité sociale, Henry Hauck la direction des relations professionnelles, Eugène Chaillé la direction du travail et Jacques Maillet celle de la main- d’œuvre. Parmi les personnalités marquantes, on notera également la pré- sence d’André Séguélat, le directeur de cabinet du ministre, et celle d’Olga Raffalovich, chef de cabinet avant de s’occuper de l’importante sous-direc- tion des relations professionnelles.
Après le départ de Parodi et l’arrivée du ministre communiste Amb roise Croizat, les structures du ministère sont réformées par un arrêté du 5 janvier 1946. Les effectifs de la « centrale » sont fixés à 1 410 personnes dont 2 directeurs généraux, 3 directeurs, 4 directeurs adjoints, 8 sous-directeurs, 41 chefs et 67 sous-chefs de bureau. L’organigramme voit apparaître de nou- velles têtes comme celle de Robert Jaussaud, nommé à la direction du travail, ou celle de Jean Briquet, syndicaliste CGT du bâtiment dans la clandestinité, à qui est confiée la direction de la main-d’œuvre. Cette équipe est chargée de mettre en œuvre les idées sociales du programme du Conseil national de la Résistance. En réalité, elles sont assez vagues. On y trouve certes l’affirma- tion d’un droit au travail, l’annonce d’un rajustement important des salaires et la volonté de mettre en œuvre un plan complet de sécurité sociale, mais le programme ne contient par exemple rien sur la création des comités d’entre- prise en raison des divergences internes au Conseil national de la Résistance (De Bellescize, 1979 ; Andrieu, 1984). Jusqu’à l’élection de l’Assemblée constituante, l’administration va donc jouer un rôle très important dans la mise en œuvre d’une nouvelle politique sociale.
Qui écrit dans la revue ?
La suprématie de l’administration est nette lorsque l’on examine l’origine des auteurs.
Sur les 75 contributeurs signataires d’un article de 1946 à 1948, on compte
en effet dix universitaires au sens large (incluant les agrégés « de l’univer-
sité » enseignant au lycée) parmi lesquels deux juristes (Georges Scelle et
Henri Lévy-Bruhl), trois historiens (Georges Lefebvre, Édouard Dolléans
et Jean Bruhat), un sociologue (Georges Friedmann), un professeur d’orga-
nisation industrielle à l’université Columbia (R. Villers-Allerand) et deux
professeurs de médecine (Pierre Mazel et André Ombredane). Leur partici-
pation se résume généralement à un seul article, qui s’adapte au style de la
revue : court, sans paratexte ni références en bas de page. Henri Lévy-Bruhl
traite de la création du Centre d’études sociologiques (Lévy-Bruhl, 1946),
Georges Lefebvre du rôle de la classe ouvrière dans la rationalisation du
travail (Lefebvre, 1947) et de « la sécurité sociale et [des] constitutions de la France » (Lévy-Bruhl, 1946), Édouard Dolléans de « technique et crise du progrès » (Dolléans, 1947), Georges Scelle de la notion d’organisation syndicale la plus représentative et de la loi du 23 décembre 1946 sur les conventions collectives (Scelle, 1947), Georges Friedmann de la sociologie industrielle aux États-Unis (Friedmann, 1948) et de « l’adaptation des machines à l’ouvrier » (Friedmann, 1947), R. Villiers-Allerand du pro- blème de la sélection des cadres subalternes dans l’industrie américaine (Villiers-Allerand, 1948).
Les auteurs syndicalistes sont au nombre de sept auxquels on doit pouvoir ajouter Paoletti, le président de Tourisme et travail, « filiale » touristique de la CGT
1. La CGT est largement représentée puisque parmi les signataires, on note les noms de Léon Jouhaux, le secrétaire général avant la création de la CGT-FO qui est le seul à écrire plus d’un papier, de son secrétaire Marcel Dufriche, de Delamarre, de Saillant (aussi secrétaire général de la Fédéra- tion syndicale mondiale), et d’André Tollet (en tant que président de la commission de la main-d’œuvre du Commissariat général du Plan). La CFTC est représentée par son secrétaire général Gaston Tessier et par le secrétaire de son service juridique, Jean-Paul Murcier. On repère enfin un représentant d’un syndicat de cadres, André Jean. L’ouverture au syndica- lisme est donc bien réelle, mais elle ne concerne pas le syndicalisme patro- nal, très mal vu par les pouvoirs publics à la Libération (Jeanneney, 1980), et elle s’arrête en 1947, année qui marque les débuts de la guerre froide, puisqu’on ne compte aucun article de type syndical en 1948.
Tous les autres auteurs sont des hauts fonctionnaires, pour la plupart en poste à l’administration centrale du Travail ou membres du cabinet. Parmi ceux-ci, certains (Madeleine Guilbert) feront ensuite des carrières universi- taires ou de recherche. On y trouve des gens en poste à l’étranger, en Alle- magne ou en Grande-Bretagne, comme Henry Hauck. Les articles rédigés par les fonctionnaires correspondent très généralement à leurs domaines de compétence. Ainsi, Pierre Laroque écrit-il sur les questions de sécurité sociale (Laroque, 1946 et 1947), Henri Desoille, médecin-inspecteur géné- ral du travail, sur la médecine du travail (Desoille, 1947), P. Lafarge, chef de service de l’hygiène et de la sécurité, sur la prévention des risques pro- fessionnels (Lafarge, 1946), Denizet, sous-directeur de la formation profes- sionnelle sur... la formation professionnelle (Denizet, 1947), Renée Petit, chef du bureau des conventions collectives sur... les conventions collecti- ves (Petit, 1948). Les papiers sont donc particulièrement bien informés.
Ainsi l’article de M. Chachuat sur « l’arbitrage en pratique avant la guerre » (Chachuat, 1946) s’alimente-t-il des archives inédites du 9
ebureau de la direction du travail dont s’occupait précisément l’auteur de l’article avant la
1Dans un article sur « Le problème des vacances ouvrières », Henry Paoletti indique cepen- dant que Tourisme et travail est un organisme unitaire à la CGT, à la CFTC et à la CGA (Confé- dération générale de l’agriculture) (Paoletti, 1946).
guerre. De même Renée Petit peut-elle écrire un article de fond sur « les comités d’entreprise dans divers pays » (Petit, 1948) en s’appuyant sur son expérience à la sous-direction des relations professionnelles, notamment la rédaction de l’ordonnance de 1945 sur les comités d’entreprise et des décrets d’application, ainsi que sur ses travaux universitaires puisqu’elle est l’auteur d’une thèse sur les conventions collectives et d’un ouvrage juri- dique sur la représentation du personnel dans les entreprises.
Ces articles présentent tous des caractéristiques identiques. Bien écrits, assez courts, sans notes en bas de page, ils sont fortement imprégnés de la culture juridique de leurs auteurs, tant du point de vue de leur présentation que de celui de leur contenu. Une très large place est réservée à la descrip- tion et à la mise en ordre logique des normes existantes et aux positions des différents acteurs. Une place plus importante que celle qui existe dans les revues juridiques est toutefois consacrée aux conséquences pratiques de la mise en œuvre des dispositifs grâce à l’utilisation des statistiques disponi- bles au sein de l’administration. Ce juridisme sera remis en cause avec l’arrivée des énarques, « peu portés aux raisonnements juridiques, habitués par le brassage de l’École aux contacts faciles avec des camarades se situant dans tous les secteurs de l’administration, qui refuseront de se laisser enfer- mer pour toute une carrière dans un unique secteur de compétence, et sur- tout ayant l’ambition d’accéder très vite aux responsabilités.
1»
Parmi les adversaires du tout juridique se trouve Olga Raffalovich qui joue un rôle très important dans l’administration à ce moment en tant que chef de cabinet d’Alexandre Parodi, puis comme sous-directrice des relations pro- fessionnelles. Dans ses Mémoires inédits, Pierre Fournier, qui fut son colla- borateur, la présente comme une « intelligence subtile et efficace [qui]
s’écartait du juridisme étroit où les cadres anciens du ministère avaient ten- dance à s’enfermer au profit d’une ouverture sur des sciences sociales qui étaient encore souvent en gestation ». Dans la Revue française du Travail, cette ouverture se fait donc d’abord vis-à-vis des universitaires, mais ceux- ci restent, on l’a dit, peu nombreux ; ils écrivent rarement et se moulent assez largement dans le style de la revue. Leurs articles sont toutefois moins techniques et plus généraux. Dans le même esprit d’ouverture au non juri- dique, il faut également signaler la publication d’enquêtes très documentées sur l’absentéisme dans les entreprises (Anonyme, 1946a), le fonctionne- ment des comités d’entreprise (Anonyme, 1946b), les transports quotidiens entre le lieu d’habitation et le lieu de travail ou encore les conditions de vie des femmes salariées dans la région parisienne (Guilbert, 1946) qui s’inspi- rent des méthodes de la sociologie du travail naissante. Dans cette dernière enquête, réalisée par questionnaire, on apprend par exemple que les ouvriè- res mariées passent en moyenne 1 h 30 dans les transports, consacrent 1 h 45 aux travaux du ménage et 1 h 20 à la recherche de ravitaillement, soit 4 h 35 au total.
1Manuscrit inédit de Pierre Fournier, ancien administrateur civil au ministère du Travail.
■ Des articles centrés sur les priorités de la période
Le périmètre de réflexion de la Revue française du Travail est celui du ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Il n’inclut donc pas les ques- tions de santé, sauf quand elles sont liées au travail, ni celles liées au loge- ment social.
Le tableau ci-après indique la fréquence des articles en fonction des princi- paux thèmes abordés.
Tableau : Nature des articles
11946 1947 1948 Total
Divers – Sujets généraux 5 11 4 20
Sécurité sociale 25 17 2 44
Travail et main-d’œuvre 15 15 1 31
Formation professionnelle 6 7 - 13
Comités d’entreprise 9 4 1 14
Salaires – Conventions collectives - 2 2 4
Organismes internationaux 7 16 1 23
Activité syndicale 9 - - 9
Accidents du travail et maladies professionnelles - 3 1 4
Médecine du travail 2 1 3
Main-d’œuvre étrangère - 7 - 7
Les principaux pôles d’intérêt y apparaissent assez clairement. Si l’on met à part les sujets généraux inclassables, la Sécurité sociale arrive en tête devant les problèmes de travail et de main-d’œuvre, les organismes interna- tionaux et les comités d’entreprise. Les questions de formation profession- nelle, de médecine du travail et d’accidents du travail et de maladies professionnelles font aussi l’objet d’un nombre assez important d’articles, contrairement au champ de l’assistance et de l’action sociale, complète- ment délaissé. Nous nous contenterons ici de traiter brièvement de la sécurité sociale, des questions d’emploi et de main-d’œuvre et des comités d’entreprise.
1Cette nomenclature est celle établie par la revue elle-même pour la publication des tables annuelles de 1946 et 1947. Pour 1948, année où le nombre d’articles est nettement moins nom- breux compte tenu de la périodicité variable de la revue, nous avons repris cette nomenclature pour classer les articles, ce qui comporte naturellement une part d’arbitraire.
La sécurité sociale, un enjeu majeur
La Sécurité sociale est la grande affaire des années 1946 et 1947. Le ministre du Travail, Ambroise Croizat, y consacre plusieurs articles, mais les contributions les plus intéressantes sont dues à Pierre Laroque, juste- ment nommé « père » de la sécurité sociale, même si cette dénomination a tendance à faire la part belle à l’administration par rapport au rôle joué par les politiques. Le directeur général de la sécurité sociale écrit donc « le plan français de sécurité sociale » dans le numéro 1 de la revue en avril 1946 (Laroque, 1946).
Cet article fondateur, souvent cité, est bien connu. Rappelons-en néan- moins les lignes directrices. Pour Laroque, la sécurité sociale fait partie d’un programme révolutionnaire : « La vérité est que le plan français de sécurité sociale est un élément de la révolution nécessaire. Par-delà les améliorations matérielles qu’il apporte au sort des travailleurs, il y a une révolution. Dans la pleine conscience de nos responsabilités, c’est une révolution que nous voulons faire et c’est une révolution que nous fai- sons ». Dans son esprit, l’expression doit s’entendre dans son sens le plus large. La sécurité sociale, c’est à la fois le plein emploi, une politique des salaires « qui ne peut plus être considérée uniquement par des considéra- tions économiques », la lutte conte l’arbitraire patronal en matière de congédiement, et, enfin, un dispositif permettant de « parer aux conséquen- ces de la perte possible, par le travailleur, de son activité rémunératrice ».
En réalité, l’article n’aborde que ce dernier objectif. Sur le plan structurel, il prévoit une organisation unique regroupant tous les risques, sauf le chô- mage, renvoyé à un futur incertain, et la gestion par les intéressés eux- mêmes. Un régime général serait constitué à la base par des caisses primai- res possédant des sections, des caisses régionales pour certains risques et une caisse nationale, publique, assurant la compensation entre les différen- tes caisses.
À côté du régime général, le plan laisse subsister des régimes spéciaux, solution dont on sent bien qu’elle n’a pas vraiment la faveur de l’auteur.
Après l’unité, le deuxième principe est celui de l’universalité. De manière progressive, il est prévu que la Sécurité sociale soit étendue à toute la population, les cotisations et prestations étant variables en fonction des revenus jusqu’à un certain plafond, ce qui distingue le plan français du plan Beveridge (Kerschen, 1996).
L’auteur détaille ensuite les réformes prévues ou déjà réalisées pour les assu- rances sociales, les allocations familiales, les accidents du travail avant de terminer par des considérations qui écartent le financement par l’impôt, comme c’est le cas dans le plan Beveridge, pour retenir l’idée que la sécurité sociale doit être alimentée par les bénéficiaires et par les employeurs.
Cet « article-programme » de Pierre Laroque va être suivi par de nombreux
autres. Certains sont assez généraux, comme celui qu’il consacre au thème
« Famille et sécurité sociale » (Laroque, 1947) ou celui qu’Alfred Sauvy écrit sur le vieillissement de la population et la sécurité sociale (Sauvy, 1946), dans lequel il tire l’alarme déjà – en 1946 – sur les problèmes finan- ciers que va poser l’évolution démographique de la France, pays où la proportion de vieux est la plus forte. La dimension internationale n’est pas négligée puisqu’on recense un papier sur la sécurité sociale en Italie (Agostini, 1946) et un autre sur les assurances sociales en Allemagne (Dechamp, 1947). Quelques articles ont un caractère technique. Ainsi celui où l’auteur se demande « comment on peut concevoir une organisation des caisses primaires de sécurité sociale » (Cantegreil, 1946) ou ceux consacrés au contentieux (Anonyme, 1947b) ou à l’organisation des exa- mens de santé (Anonyme, 1946d). D’autres, enfin, ont pour fonction impli- cite de répondre aux inquiétudes ou aux blocages qui se manifestent chez les cadres (Jean, 1946), les travailleurs indépendants (Datain, 1947), les médecins (Hilaire, 1946) ou les mutualistes (Burgot, 1947). En 1948 arrive le temps des premiers bilans, que ce soit dans le domaine des accidents du travail (Anonyme, 1948) ou, plus généralement, d’un point de vue financier (Anonyme, 1947c ; Dechamp, 1948).
Accroître la main-d’œuvre
Pendant la période qui nous intéresse ici, les questions du travail et de la main-d’œuvre sont dominées par le souci récurrent de l’emploi. Il se mani- feste par la publication régulière d’enquêtes statistiques sur la main- d’œuvre, le chômage ou la population active, d’articles de fond, mais aussi de rapports, comme celui de la commission de la main-d’œuvre du Com- missariat général du Plan. Cet intérêt résulte d’une double préoccupation.
La première est politique. Dans le sillage des travaux du Comité général des études du Conseil national de la Résistance
1, le ministère du Travail doit mener une action vigoureuse pour prévenir le chômage, cause principale de la montée du nazisme. Le plein emploi n’est pas un vague objectif mais une nécessité absolue, ce qui explique d’ailleurs que le chômage n’ait pas été intégré dans les risques couverts par la Sécurité sociale à la Libération. Pour autant, les difficultés qui existent à ce moment ne sont pas dues au chômage qui ne touche officiellement, si on laisse de côté les « inaptes », que 7 344 personnes, dont seulement à peine 400 à 500 ouvriers « possédant un métier défini » (Biez, 1947).
Le problème de la période est exactement l’inverse, à savoir la pénurie de main-d’œuvre. En effet, si la population active, grâce à la présence de 500 000 prisonniers de guerre, est pratiquement équivalente à celle de 1938, les effectifs du secteur productif ont beaucoup baissé. Ils sont passés de 13 200 000 à 12 200 000 (prisonniers de guerre inclus) au profit du secteur
1Archives nationales, CHAN, F1A 3734, rapport sur les problèmes économiques d’après- guerre, 20 mai 1942.
« Distribution et services » qui s’est accru de près d’un million de personnes en raison notamment de l’accroissement des effectifs dans l’administration publique de 500 000 (1 200 000 contre 700 000 en 1938) et des effectifs de la distribution de 460 000 (2 800 000 contre 2 340 000 en 1938).
Par ailleurs, les services du ministère constatent que les bons ouvriers ont de plus en plus tendance à s’installer comme patrons-artisans pour échapper partiellement aux charges sociales et augmenter ainsi leurs revenus. Dans les Landes, 100 patrons du bâtiment emploient 630 ouvriers alors qu’ils pourraient en employer dix fois plus mais les 1 750 artisans recensés n’en occupent que 975 « car la majorité travaillent seuls et veulent rester seuls » (Biez, 1947).
Les exigences de la Reconstruction imposent donc d’accroître les effectifs de la main-d’œuvre, notamment dans l’industrie. De nombreux projets, dont la RFT rend régulièrement compte, sont envisagés. Les principaux consistent à accroître les effectifs ouvriers de près d’un million en réduisant les effectifs de l’armée, de l’administration et de la distribution où l’on compte « un grand nombre de demi-oisifs, de spéculateurs du marché noir ou de gens occupant un emploi inavouable ou inutile à l’économie », en favorisant l’immigration individuelle ou collective, en prolongeant la vie active et en favorisant le travail des femmes. Cette dernière idée s’alimente d’une enquête très intéressante de Madeleine Guilbert sur le travail des femmes publiée dans les numéros 8 et 9 de la RFT en 1946 (Guilbert, 1946a) et d’une autre, signée du même auteur, sur l’évolution des effectifs du travail féminin en France depuis 1866 (Guilbert, 1946b). Dans la même veine, Béatrice Piguet signe un article sur l’égalité des salaires masculins et féminins (Piguet, 1947).
Le recours à l’immigration est conçu de manière volontariste. Le Commis-
sariat général du Plan propose ainsi d’avoir recours à l’immigration
algérienne « spontanée » (100 000 pour la fin 1947), à l’immigration indi-
viduelle (3 000 par mois) et à l’immigration collective (250 000 au cours de
1947), mais cette volonté se heurte à des obstacles inattendus. L’adminis-
tration centrale n’hésite pas à donner son avis sur les qualités et les défauts
supposés des immigrés selon leur nationalité d’origine, ce qui ne serait sans
doute pas admis aujourd’hui. Ainsi, un article non signé de septembre 1947
sur « le marché du travail en juillet 1947 » s’élève contre « l’instabilité qui
règne parmi les ressortissants italiens et contre leurs prétentions souvent
excessives. À peine arrivés, ils formulent des revendications incessantes au
sujet des salaires, des conditions d’hébergement et de nourriture et profitent
de ce que leur employeur ne peut y donner suite pour rompre unilatérale-
ment leur contrat ; dans bien des cas, ils ne se donnent même pas la peine
d’évoquer un prétexte quelconque, et disparaissent sans laisser de trace
après quelques jours. [...] La proportion des ruptures avant la fin du premier
mois a été au minimum de 20 % ; les cas de force majeure invoqués sont
multiples : le plus couramment pratiqué est celui du décès, en Italie, d’un
membre de la famille. Dans ces conditions, l’intéressé ne peut évidemment
se soustraire à l’obligation de regagner son pays (en réalité, il a été déçu par le standard de vie). Quelques-uns rentrent en Italie ; d’autres vont rejoindre, en France, des membres de leur famille ou des compatriotes. » Cela explique le renouveau de faveur dont jouit la main-d’œuvre nord-africaine, qui, « malgré son nomadisme, s’avère plus travailleuse et plus stable » (Anonyme, 1947d).
L’objectif est également de développer la formation professionnelle, la pénurie de main-d’œuvre touchant essentiellement les ouvriers qualifiés.
La RFT y consacre six articles dans la seule année 1947. Tout en jouant sur les dispositifs institutionnels (réforme du Conseil supérieur de la formation professionnelle, meilleure coordination entre les acteurs), il s’agit de déve- lopper l’orientation et l’information professionnelles, de même que l’apprentissage et l’enseignement technique. Compte tenu de l’urgence, l’accent est mis particulièrement sur la formation professionnelle accélérée (Lévy et Cassan, 1946).
L’amélioration des statistiques de la main-d’œuvre, qui fait l’objet de plu-
sieurs articles de fond, fait également partie de la panoplie des mesures
envisagées. Les instruments dont disposent les pouvoirs publics sont en
effet insuffisants pour mesurer la situation du marché du travail. La division
statistique du ministère du Travail utilise les recensements quinquennaux
de la population, qui doivent être exploités avec prudence, la statistique des
chômeurs secourus établie par les services de la main-d’œuvre, qui ne
répond pas à sa propre définition du chômage, la statistique des opérations
de placement effectuée par les offices de placement qui n’a qu’une valeur
médiocre et, enfin, l’enquête trimestrielle du ministère du Travail sur l’acti-
vité économique et les conditions d’emploi de la main-d’œuvre, qui « se
prête assez mal à une étude suivie et fréquente du chômage ». Bref, « les
diverses sources disponibles semblent [...] insuffisantes pour saisir d’une
manière convenable les caractéristiques et l’évolution du chômage »
(Aboughanem, 1948). D’où l’idée d’aller voir comment s’y prennent les
pays étrangers, et notamment les États-Unis qui expérimentent avec succès
la méthode des sondages. Cette méthode fait l’objet d’un vibrant plaidoyer
d’Henri Lacroix, chef du service central de statistiques du ministère du Tra-
vail, qui prône son utilisation en France tout en soulignant qu’une telle
importation risque de se heurter à bien des difficultés : « On ne peut à ce
sujet qu’être fortement inquiet, lorsque l’on s’aperçoit que les crédits
– pourtant minimes (1 500 000 F) – nécessaires pour mener l’enquête tri-
mestrielle sur l’activité économique et les conditions d’emploi de la main-
d’œuvre, unique source d’information en France sur la situation de la
main-d’œuvre, ont failli être supprimés au cours de la discussion du budget
par le Parlement, par suite d’une erreur – le rapporteur ayant mélangé des
questionnaires – et n’ont effectivement été votés que par une très faible
majorité – dans la plus grande ignorance de l’intérêt de l’enquête, et dans
les protestations d’une bonne moitié de l’Assemblée, jugeant totalement
inutile un pareil travail ! Et pourtant les crédits ainsi demandés ne visaient
qu’à couvrir les frais d’exécution de l’enquête et les frais de timbres néces- saires pour expédier les questionnaires de l’Inspection du travail aux employeurs : les employeurs doivent les renvoyer à leurs frais (en l’absence d’une franchise postale impossible à obtenir). On n’imaginerait pas, aux États-Unis, que l’employeur soit astreint à affranchir un question- naire pour le renvoyer à l’Administration, encore bien moins qu’il doive, comme c’était le cas jusqu’ici en France, payer la taxe postale pour le rece- voir ! » (Lacroix, 1947).
Moderniser les relations professionnelles
On sera plus bref sur les sujets consacrés aux relations professionnelles dans la RFT. Cette question est en effet largement traitée d’un point de vue comparatif (cf. infra). On recense ainsi deux articles sur les conventions collectives aux États-Unis et en URSS et plusieurs autres consacrés à divers aspects des relations industrielles dans les pays anglo-saxons. La loi du 23 décembre 1946 fait l’objet d’un article très complet en deux parties et d’un autre, plus ciblé, sur la notion d’organisation syndicale représentative (Scelle, 1947) tandis qu’un point de vue syndical l’approuve globalement, malgré « quelques réserves » (Dufriche, 1947), alors que cette loi sera un échec patent du fait de l’absence de possibilité de négociation des salaires.
Il est vrai qu’à l’époque la CGT revendique plutôt la baisse des prix que la hausse des salaires.
Les comités d’entreprise, sur lesquels les pouvoirs publics comptent énor- mément pour moderniser les relations professionnelles, font l’objet d’un article de la sous-directrice des relations professionnelles (Raffalovich, 1948) et d’un autre – comparatif – des fonctionnaires attachés au 2
ebureau de la direction des relations du travail chargés de la représentation du per- sonnel (Petit et Fournier, 1948). Mais les documents les plus intéressants historiquement sont les rapports des inspecteurs du travail livrés annuelle- ment sur l’institution, synthétisés au niveau national (Anonyme, 1946 ; Blanc, 1948). On y découvre notamment la grande importance accordée au rôle des comités d’entreprise dans l’accroissement de la productivité.
Dans ces articles, il est peu rendu compte des divergences syndicales, sauf dans une tribune libre accordée à la CGT et à la CFTC dans laquelle cha- cune des deux organisations défend sa conception du nouveau régime des élections professionnelles issu de la loi de 1947 : au scrutin majoritaire, pour la CGT (Delamarre, 1947) ; à la proportionnelle, pour la CFTC (Mur- cier, 1947).
Malgré ces divergences, l’heure est à l’enthousiasme. L’institution des
comités d’entreprise, créée en 1945 et réformée en mai 1946, est présentée
comme l’une des principales réformes sociales intervenues depuis la
Libération « qui constituent un nouveau pas dans cette voie de l’affranchis-
sement progressif de l’homme et tendent, faiblement encore, à parfaire
l’œuvre accomplie en 1789 et qui a abouti à la libération politique de l’indi- vidu » (Raffalovich, 1948). Il est vrai qu’au moins jusqu’en 1948, les comi- tés d’entreprise ne démentent pas les espoirs que les pouvoirs publics avaient mis sur eux. Ils se diffusent assez rapidement dans le pays (Le Crom, 2003) et les militants syndicaux les investissent avec euphorie (Combe, 1969) dans une ambiance consensuelle de « Bataille de la produc- tion » à propos de laquelle Maurice Thorez déclarait : « Produire est l’arme la plus élevée du devoir de classe ». Ce n’est qu’à partir du début des années 1950 que l’on se rendra compte que l’utopie n’aura duré que quelques années.
■ Une ouverture internationale forte
La RFT témoigne d’une très forte volonté d’ouverture internationale.
Jusqu’à la fin 1948, en effet, le nombre d’articles originaux consacrés à des expériences étrangères s’élève à 54, celui des articles consacrés aux orga- nismes internationaux (Organisation internationale du travail – OIT, Fédé- ration syndicale mondiale – FSM...), ainsi qu’aux conventions bilatérales passées par la France avec certains pays étrangers à 8 alors que les articles de même nature, généraux ou consacrés à la France, sont au nombre de 67.
Les États-Unis sont le pays qui fait l’objet du plus grand nombre d’articles (13) devant l’URSS (7), la Grande-Bretagne (6), l’Allemagne (4), la Pologne, le Canada, la Tchécoslovaquie et la Belgique (3), la Suède et l’Italie (2) et, enfin, la Nouvelle-Zélande, l’Uruguay, le Japon, la Suède, l’Australie, le Danemark, la Roumanie, la Yougoslavie et l’Espagne (1).
Cette volonté s’affirme aussi dans l’existence d’une rubrique régulière consacrée à l’activité sociale à l’étranger. Les États-Unis y font l’objet de 27 articles, la Grande-Bretagne 20, le Canada et l’URSS 10. Viennent ensuite la Belgique (8), l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Suède (5), la Tchécoslovaquie (4), la Yougoslavie (3), l’Australie (2), le Danemark, l’Espagne, la Hongrie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Portugal, la Grèce, la Roumanie et l’Uruguay (1).
Ce décompte fait apparaître clairement les priorités internationales de la RFT et, au-delà, du ministère du Travail dans cette période dite de Recons- truction. L’attention est attirée par les pays anglo-saxons et certains pays de l’Est, en premier lieu l’URSS. Il est peu rendu compte de l’actualité sociale dans les pays scandinaves, à part la Suède, ce qui tranche avec la RFAS aujourd’hui. Le Sud, y compris européen, est le grand absent : un seul article est consacré au continent asiatique, en l’occurrence le Japon, un éga- lement à l’Amérique du Sud (l’Uruguay) et aucun au continent africain, aujourd’hui encore le parent pauvre des articles internationaux de la RFAS.
Les articles consacrés aux pays anglo-saxons cherchent surtout à attirer
l’attention sur certaines spécificités des relations professionnelles aux
États-Unis et en Grande-Bretagne. Henri Hauck consacre ainsi un article au régime de la closed shop
1en Grande-Bretagne (Hauck, 1946) et un autre aux conseils de perfectionnement dans les industries britanniques (Hauck, 1947). De son côté, Charles Bettelheim, dans un article consacré aux luttes revendicatives aux États-Unis (Bettelheim, 1946), explique bien, à partir d’éléments factuels sur la grève du charbon de 1946, pourquoi et comment le syndicalisme américain cherche à contrôler le marché du travail avec une demande de création d’un fonds de santé et de sécurité financé par les employeurs mais géré exclusivement par le syndicat. Cet article est l’un des résultats d’un voyage de trois mois effectué en 1946 par Bettelheim aux États-Unis dans l’objectif de comprendre le développement du syndica- lisme américain. Ce séjour lui permet de mettre en évidence les spécificités des syndicats américains
2. Il souligne ainsi leur caractère non démocra- tique, les adhésions étant moins motivées par une volonté militante que par
« l’impossibilité fréquente d’être embauché dans une entreprise si l’on n’est pas membre du syndicat avec laquelle la direction de celle-ci a signé une convention collective de travail ». Selon ses observations, un quart des syndiqués le seraient volontairement, la moitié se sentirait plus ou moins obligée d’adhérer, tandis que le dernier quart serait constitué de syndiqués adhérant contre leur volonté. Cette question de la liberté syndicale sera d’ailleurs l’objet d’un autre article de la RFT en 1947 (Pilliard, 1947).
Les articles dédiés à l’URSS traitent de sujets très variés : reconstruction, IV
eplan quinquennal, durée et sécurité du travail, conventions collectives, règlement des conflits, conditions de travail. Nettement plus nombreux en 1946 et 1947 qu’en 1948, ils sont essentiellement descriptifs et a-critiques.
L’un de ces articles est, par exemple, la traduction de deux extraits du IV
eplan quinquennal accompagnés par une résolution de la 15
eassemblée plénière du Conseil central panrusse des syndicats qui exprime notamment
« sa forte conviction que les travailleurs [du] pays, étroitement réunis autour du parti communiste et de son grand chef et guide, le camarade Staline, lèveront plus haut que jamais l’étendard socialiste et combattront avec abnégation pour la réalisation et le dépassement du nouveau Plan quinquennal. Sous l’étendard de Lénine et de Staline, en avant vers un nou- vel épanouissement de la Patrie soviétique. » (Anonyme, 1946f). La totale absence de recul, y compris dans le seul article signé, vis-à-vis du régime stalinien ne vaut sans doute pas acceptation du totalitarisme. Il faut naturel- lement tenir compte du contexte, du rôle de l’Armée rouge dans la victoire contre le nazisme, de la volonté de construire un monde nouveau, de l’absence d’informations précises sur les droits de l’homme, mais aussi de la place qu’occupe le parti communiste français sur la scène politique et au gouvernement. Dans cette période de Reconstruction si particulière, pen- dant laquelle Staline décide de mettre entre parenthèses la question de la
1Littéralement : « atelier fermé »... aux non-syndiqués.
2Voir les extraits desMémoiresde Charles Bettelheim en annexe.