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VICTOR HUGO AUJOURD'HUI AU JAPON

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Academic year: 2022

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VICTOR HUGO

AUJOURD'HUI AU JAPON

Naoki Inagaki

I

1 I 1 va sans dire que Victor Hugo est connu de tous les

Japonais. Mais, hélas, uniquement comme l'auteur des , Misérables. Ce roman hugolien avait été traduit, ou plutôt adapté, par un journaliste nommé Ruïkô Kuroïwa (1862-1920) et publié en feuilleton, il y a cent ans, de 1902 à 1903 dans son journal

Yorozu-chôhô. Dans cette adaptation, Kuroïwa, à force de conden- ser et d'abréger le roman à sa guise, n'en avait conservé que l'ossa- ture et les intrigues, et en avait fait une sorte de roman populaire.

Ce roman-feuilleton, remportant un succès absolument inouï, constitue au Japon, selon la terminologie de Sainte-Beuve, l'une des premières incarnations de « littérature industrielle ». Il parut par la suite en un volume et ne cessa d'être un best-seller pendant au moins trente ans. Dès lors, Hugo ne fut pratiquement plus connu au Japon qu'en tant qu'auteur des Misérables, ou, tout au plus, comme celui d'un certain nombre de romans.

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Le Hugo romancier a longtemps éclipsé le Hugo poète jus- qu'au moment de la parution d'une anthologie intitulée Poésies de Hugo (1984), traduite par Tôru Tsuji (1916-2000) et moi-même.

Présentant au public, pour la première fois au Japon, une grande quantité (une soixantaine) de poèmes importants et célèbres de Hugo, cette anthologie a obtenu le Prix japonais de traduction de valeur culturelle de l'année 1984 et, après cinq tirages successifs, a été révisée et rééditée récemment, en octobre 2000.

L'image actuelle de Hugo au Japon se caractérise par les deux faits suivants : la grande popularité de la tragédie musicale des Misérables et la réussite de l'exposition, le Siècle de Victor Hugo, qui s'est tenue en 1996.

Il est bien connu que cette tragédie musicale a été conçue et réalisée en France, d'après le roman hugolien, par Alain Boublil (pour les textes, rédigés avec l'assistance de Jean-Marc Natal) et Claude-Michel Schônberg (pour la musique). Créée en 1980 à Paris, mais mal accueillie par le public, elle triomphe à Londres et ne quittera dorénavant jamais plus l'affiche. La version anglaise, produite par Cameron Mackintosh, conserve la musique de Schônberg, mais remplace entièrement les textes français par ceux de Herbert Kretzmer en anglais. La première représentation a lieu le 8 octobre 1985 au théâtre Barbican. Deux ans plus tard, en 1987, le spectacle s'exporte à la fois vers Broadway et Tokyo. La version japonaise se sert de la musique de Schônberg et de la traduction non pas des textes français, mais des textes anglais. Invitant toute l'équipe de la mise en scène de Londres, les interprètes japonais jouent les Misérables à partir du 11 juin 1987 au Théâtre impérial à Tokyo. En trois mois, elle est représentée 115 fois (en matinée et soirée). Toutes les représentations affichent complet et le Théâtre impérial ne tarde pas à décider de la représenter tous les ans à peu près à la même saison et, qui plus est, de la faire jouer presque chaque année aux théâtres Hiten ou Umeda-koma, à Osaka. Le nombre total des spectateurs au Japon s'élève à 3,5 millions en treize ans, chiffre lui-même considérable, quoique peu comparable à celui du monde entier qui atteint 55 millions, répartis certes sur plus de vingt-six pays.

D'où cet engouement vient-il ? Premièrement, il faut tenir compte de la composition extrêmement dramatique de l'ouvrage

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original hugolien, qui ne peut point être altérée par l'adaptation musicale. Deuxièmement, on peut évoquer les cent ans de lecture de ce roman au Japon : on y est si familiarisé qu'on en a appris les intrigues par cœur. Troisièmement, l'aspect historique est indé- niable. En effet, en cette même année 1985 où la tragédie musicale des Misérables décroche son premier grand succès, Gorbatchev est élu Secrétaire général du parti communiste soviétique : événement décisif qui conduira, quatre ans plus tard, l'Union soviétique au démembrement et les pays socialistes de l'Europe de l'Est vers une transformation en régime libéral. Ce tournant historique interrompt, en quelque sorte, le mythe du peuple du XIXe siècle, que le roman des Misérables avait si bien mis en valeur, et fait de ce mythe un simple objet de consommation de masse dans les sociétés capita- listes.

Une nouvelle compréhension de Victor Hugo

Passons maintenant à l'exposition le Siècle de Victor Hugo.

Cette exposition a été organisée, sous le haut patronage du minis- tère des Affaires étrangères du Japon et de l'ambassade de France au Japon, par le journal Yomiuri (le premier quotidien japonais tiré à 10 millions d'exemplaires) et quatre musées japonais : le Musée d'Odakyu (Tokyo), le musée d'Art de Kintetsu (Osaka), le musée d'Art de Koriyama et le musée des Beaux-Arts de Hiroshima. Elle a été conçue et préparée par monsieur Jean Gaudon, mondialement connu des spécialistes de Hugo, entre autres, pour son Temps de la contemplation (1969). J'y ai moi-même joué le rôle du directeur japonais, rendant en même temps l'exposition et son catalogue susceptibles d'intéresser le public japonais.

L'exposition se composait de deux catégories de salles : l'une présentant la vie et l'œuvre de Hugo par ordre chronolo- gique, et l'autre abordant des thèmes spéciaux, bien précis. Ainsi la salle I, « La jeunesse de Victor Hugo : le premier romantisme », offrait un tableau de la société française sous la Restauration et de la vie du jeune poète royaliste. La salle II, « Le romantisme », cou- vrait la période allant de la bataille d'Hernani (1830) à l'échec de

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la représentation des Burgraves (1843), période où Hugo, à la tête du mouvement romantique, déployait, avant tout, son activité de dramaturge. La salle III, « Le musée imaginaire de Victor Hugo », rassemblait des gravures de Durer, de Piranèse, de Goya, de Rembrandt et de Callot, artistes qui, admirés par Hugo, lui avaient procuré des sources d'inspiration intarissables. La salle IV, « Dessins de Victor Hugo », montrait, pour la première fois au Japon, une vingtaine de dessins hugoliens originaux, tels que Tour des rats, Ville au bord d'un lac, Paysage aux trois arbres, le Rêve, le Serpent, Victor Hugo. Umbra Mei, Jersey. Marine-Terrace, Dolmen où m'a parlé la bouche d'ombre. Ces dessins à l'encre sépia, noire, brune

ont impressionné, par leur similitude avec le lavis traditionnel chino-japonais, jusqu'à de fins connaisseurs en matière artistique.

La salle V, « L'océan des œuvres », faisait revivre dix-neuf ans d'exil de Hugo à l'aide de nombreuses photographies, celles de Hugo lui-même, prises en particulier par son fils Charles, et celles en couleurs toutes récentes de la Hauteville House, grande maison que Hugo avait achetée à Guernesey et dont lui-même avait fait rénover tout l'intérieur, suivant son propre goût original et extrava- gant. Nous avions agrandi à l'échelle réelle la photographie de la Galerie de chêne (chambre de Garibaldi) se trouvant au troisième étage de la maison et nous l'avions illuminée de l'intérieur pour reproduire l'ambiance de cet espace hugolien par .excellence. La salle VI, « Les misérables », nous faisait découvrir surtout des pho- tographies de manuscrits de Hugo et celles de dessins, réalisés par Gustave Brion, des principaux personnages du roman. La salle VII,

« Grandes causes et luttes politiques », témoignait de la campagne incessante de Hugo contre la peine de mort, de son appui moral puissant prêté à des mouvements européens et américains pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et, enfin, de sa lutte acharnée contre son ennemi juré, Napoléon III. La salle VIII, « Du retour d'exil aux funérailles nationales », décrivait des scènes de la Commune de Paris, la transformation de la capitale et le statut cha- rismatique de Hugo sous la IIIe République.

En somme, cette exposition avait pour objectif de faire com- prendre au public japonais l'ensemble des relations étroites entre la carrière de Hugo et la société non seulement française, mais également occidentale de son temps. Dans quatre villes : Tokyo,

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Osaka, Hiroshima et Koriyama, le nombre total de visiteurs s'est élevé à 53 000, chiffre que les organisateurs estiment satisfaisant pour une exposition de ce genre et considèrent comme une preuve de plus de la haute qualité du public japonais, capable d'accepter une exposition qui l'oblige à un effort soutenu de réflexion. En tant que directeur japonais de cette exposition, je partage, sur ce point, l'opinion de ses organisateurs.

Nous pouvons conclure qu'en ce début du XXIe siècle les Japonais, sur la base de leur familiarité de longue date avec le poète

français, sont juste entrés dans une nouvelle phase de sa compré- hension et de sa réception, plus que jamais détaillées et approfon- dies.

Naoki Inagaki

* Professeur à l'université de Kyoto, spécialiste de Victor Hugo, de Saint-Exupéry et de littérature comparée. Naoki Inagaki est l'auteur de plusieurs livres, dont Saint-Exupéry (Tokyo, 1992), De Sade au Petit Prince .- l'impact de récits français sur quelques écri- vains japonais (Tokyo, 1993), Victor Hugo et le spiritisme (Tokyo, 1993), Une relecture des Misérables (Tokyo, 1998). Il a publié également des traductions : Poésies de Victor Hugo (Tokyo, 1984), anthologie qui a obtenu le Prix japonais de traduction de valeur culturelle de l'année 1984, Choses vues de Victor Hugo (Tokyo, 1991), Actes et paroles de Victor Hugo (Tokyo, 2001).

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