• Aucun résultat trouvé

jean-jacques snaps au nom du diable roman SUSPENSE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "jean-jacques snaps au nom du diable roman SUSPENSE"

Copied!
20
0
0

Texte intégral

(1)

2

au nom du diable

roman

SUSPENSE

jean-jacques snaps

33

---INFORMATION--- Couverture : Classique

[Roman (130x204)]

NB Pages : 424 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) =

33

---

au nom du diable roman - SUSPENSE

jean-jacques snaps

(2)

Du même auteur :

Le sirop de la rue

(Chronique d’un passé révolu) biographie

La Bande du Rex

(Meurtre chez les yéyés) roman

Au nom du diable

(Mystère sur l’île des Sept Saints) roman

L’auteur a pris quelques libertés avec la trame historique et la topographie des lieux jusqu’à créer de toutes pièces, au nord du Trégor, une région qui n’existe pas.

Ce roman est une œuvre de fiction dans laquelle toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existés ne pourrait être que fortuite.

Les faits décrits dans ce roman sont appréhendés par le protagoniste principal, un garçon de dix-sept ans. Sans qu’il soit le narrateur, c’est par son regard que l’on découvre l’univers dans lequel il évolue presque par hasard. On suit le cheminement de ses pensées, ses analyses, ses réactions, ses erreurs, ses revirements, ses sentiments, son entêtement et son interprétation subjective.

Les courtes expressions en breton et en latin ne sont pas traduites dans le seul but de placer le lecteur dans la même sujétion que ce personnage.

Couverture : illustration adaptée d’un détail du tableau de Dieric Bouts

« La Chute des damnés »

peint en 1470 et conservé au Palais des Beaux Arts de Lille.

© copyright Jean-Jacques Snaps 2018. Tous droits réservés.

(3)

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud

(4)
(5)

Prologue

Une espèce d’ectoplasme secouait l’homme endormi.

Il ouvrit les yeux. Ni surpris ni effrayé de se retrouver nez à nez avec l’insolite zombi féminiforme qui le tirait par la manche de sa chemise de nuit pour l’inviter à le suivre.

L’homme se laissa entraîner. Docilement.

L’étrange couple parcourut les ruelles désertes de villages assoupis, coupa à travers bois empruntant de ténébreux sentiers, traversa des champs moissonnés, des landes de callune et de molinie pour enfin marquer une pause au milieu du chaos de rochers en granit rose qui borde la grève.

La marée haute n’arrêta pas cette curieuse escapade nocturne. Sans se mouiller les pieds, l’homme enjambait lestement les vagues derrière son guide qui planait au ras de l’eau et slalomait entre les nombreux îlots qui parsèment la côte du Trégor.

Enfin, ils stoppèrent sur une île inhabitée, une vaste étendue sauvage et rocheuse montant en plan incliné jusqu’à son versant nord escarpé en falaises.

La créature spectrale motiva alors leur surprenante expédition en se lançant dans une longue explication.

(6)

Yann Marionnik de Kéranrais se réveilla en sursaut.

Pour de bon ce coup-ci.

Une sueur glacée perlait sur son front et exsudait de sa poitrine.

Première observation rassurante : il était bel et bien dans son lit. Et ce lit se trouvait là où il devait être, dans cette grande chambre dépouillée du château de La Landec.

Yann Marionnik écarta drap et fourrure qui le couvraient. Il se leva.

À l’autre extrémité de la pièce, une timide lueur vacillait autour de la cheminée au foyer encadré d’oribus.

Vêtu de sa chemise de nuit, nu-pieds, Yann Marionnik alla jusqu’à l’âtre, tisonna les quelques braises incandescentes à coups de ringard, y enflamma une brindille de bois sec avec laquelle il revint allumer les bougies du candélabre posé sur la commode.

Assis dans son antique fauteuil, il se remémora dans le détail sa pérégrination cauchemardesque.

La première constatation qui s’imposa à lui ne présageait rien de bon. À l’évidence, ce rêve bizarre recelait un message prémonitoire.

D’abord… fallait-il qu’il appelât un chat un chat, et un fantôme un fantôme.

En vérité, Yann Marionnik avait sur l’instant identifié sa visiteuse. Plus exactement, il n’ignorait pas quel mauvais génie possédait la faculté de se glisser dans l’inconscient des dormeurs. C’était son ancêtre, Tiphaine de Rostreen, dame de Kéranrais. Celle-ci n’avait pas son pareil pour mettre magistralement en communication intemporelle les vivants et les morts. En soi, ce point acquis n’augurait aucune réjouissance pour la suite.

Voyante extralucide dont la réputation dépassait

(7)

largement les frontières de Bretagne, Tiphaine de Rostreen avait été, en son temps, la pénitente d’Yves Hélory de Kermartin, pasteur de Louannec. La dame s’était distinguée en prédisant, au jour près, la mort de son pasteur bien aimé.

Et Yves Hélory de Kermartin n’avait rien d’un pasteur ordinaire. Loin s’en faut ! Quarante-quatre ans après sa mort, le pape Innocent VI le canonisa. Devenu saint-patron des hommes de loi, les croyants le vénéraient depuis des siècles sous le nom de saint Yves.

Ceci établi, Yann Marionnik poursuivit le décryptage des indices parsemés dans son rêve.

Il situait parfaitement l’île sur laquelle Tiphaine l’avait entraîné. Entourée de sables mouvants qui formaient un rempart infranchissable, l’endroit était inaccessible à marée basse. Et Yann Marionnik n’ignorait rien du passé sulfureux de ce lieu malfamé. La mauvaise réputation de l’île ne datait pas d’hier ! Elle remontait précisément aux premiers temps de l’ère chrétienne. La légende voulait qu’une nuit de tempête, sept religieux aient fait naufrage à proximité de l’île. Ils auraient atteint celle-ci à la nage pour s’y abriter dans une sombre grotte sous les falaises. Là, ils se seraient endormis pour ne se réveiller que… deux siècles plus tard.

Au début du XIème siècle, en commémoration de cette prétendue résurrection, l’un des premiers évêques de Tréguier, Hugues 1er de Saint-Pabutral, baptisa alors ce bout de terre rocheux l’Île des Sept Saints.

Au XIIIème siècle, ce fut au tour de l’évêque Alain 1er de Lezardrieu d’y faire construire un monastère avec son abbaye. Mais quelques années après leur installation, pour d’obscures et mystérieuses raisons, les moines de l’ordre de saint Colomban abandonnèrent les lieux saints, même au prix de l’anathématisation et de l’exil.

(8)

Jusqu’à la fin du moyen âge, le site resta consacré, mais désert. Par superstition, les pèlerins eux-mêmes se tinrent à l’écart.

Puis, le temps passa. Et à mesure que le temps passait, paysans et pêcheurs commencèrent à donner foi aux histoires maléfiques que des nécromants colportaient de ferme en hameau et de bourg en port. La rumeur publique décréta que l’île des Sept Saints était un haut lieu sabbatique où sorcières et satanistes armoricains se rendaient en barque les nuits de pleine lune lors des marées propices pour y célébrer d’orgiaques messes noires dans les ruines de l’abbaye.

Alors, sans qu’aucun élément probant ne corroborât jamais cette conviction populaire, l’île fut damnée, proscrite par Dieu et oubliée des hommes.

Cette nuit-là, Tiphaine de Rostreen, ou du moins son esprit, venait de renouveler la prédiction faite à saint Yves plusieurs siècles auparavant. Elle avait annoncé à Yann Marionnik la date exacte de sa mort prochaine. Toutefois, avant de quitter le monde des vivants, il lui resterait six années à vivre pour s’acquitter d’une impérative mission. Il devrait acquérir en toute propriété l’île des Sept Saints et y faire édifier le nouveau fief des Kéranrais.

Yann Marionnik de Kéranrais cumulait les titres nobiliaires de comte de La Landec et vicomte du Trégor.

Le lendemain, dès l’aube, il donna l’ordre à ses gens d’atteler sa calèche pour 14 heures. D’une ponctualité aristocratique, deux coups sonnaient au carillon du vestibule quand il parut sur le perron du château. Un brillant soleil automnal lui fit cligner les paupières. Il incurva le large bord de son feutre noir pour préserver des

(9)

rayons aveuglants ses yeux couleur de nuit aux iris d’un bleu si foncé que les mauvaises langues prétendaient que le comte avait le regard d’un rapace.

Maître Bourniac, notaire à Lannion, restait l’un des rares autochtones à entretenir encore quelques relations avec ce vieux comte solitaire qui vivait reclus en son château. Une ou deux fois l’an, les deux hommes se rendaient une visite de courtoisie et discutaient des affaires du pays. Pays qui, une fois encore, était à feu et à sang. Yann Marionnik puisait ses informations dans les lettres détaillées que lui envoyait son fils Loïc, avocat dans la capitale. Par cette source épistolaire, Yann Marionnik se remémorait la Révolution que lui-même avait vécue un demi-siècle auparavant.

Loïc de Kéranrais avait décrit à son père par le menu les chaudes journées de février, les barricades, l’abdication du roi, la fuite de la famille royale en Angleterre, l’installation du gouvernement provisoire à l’hôtel de ville où flottait le drapeau rouge, l’attentat contre l’assemblée…

Dans sa dernière lettre, il s’attardait sur les évènements sanglants du mois de mai. On s’était battu un peu partout, à la barrière de Fontainebleau, place de la Bastille, faubourg Saint-Antoine. Un certain général Cavaignac, Eugène, un socialiste, venait de prendre le pouvoir…

Le notaire et son visiteur commentèrent longuement ces évènements récents avant que le comte de La Landec n’exposât le but de sa visite. Il mandatait officiellement maître Bourniac d’effectuer, en son nom, les démarches visant à l’acquisition de l’île des Sept Saints qui appartenait toujours à l’ancien évêché de Tréguier, mais dont le siège épiscopal avait été supprimé par bulle pontificale.

La transaction fut rondement menée. En ces temps où une terrible épidémie de choléra venait de vider Tréguier de

(10)

ses habitants, et où l’église connaissait une complète débâcle, le nouveau vicaire accueillit comme un don du ciel l’occasion de se débarrasser enfin de cette île frappée de malédiction.

L’offre du comte fut acceptée sans la moindre négociation.

Yann Marionnik exécuta à la lettre les ordres reçus lors de son songe prémonitoire. Il fit construire un immense manoir sur l’emplacement même de l’ancienne abbaye, à flanc de falaise. Une fois la bâtisse terminée et qu’il y fût transporté l’héritage ésotérique amassé par de nombreuses générations de Kéranrais, Yann Marionnik quitta alors son château de La Landec pour s’installer dans ce nouveau domaine familial.

Il n’y vécut que quelques jours. Dix, pour être précis.

Puis, comme Tiphaine de Rostreen le lui avait prédit, le jour J, l’Ankou1 vint le chercher.

Nous étions le vendredi 21 juillet 1854.

1 En Bretagne : personnification de la mort pour les uns, ouvrier de la mort

pour les autres, c’est un squelette vêtu d’une longue cape noire et d’un grand chapeau de feutre noir. Il est armé d’une faux dont le tranchant est tourné vers l’extérieur.

(11)

J moins dix

1

Jeudi. Fin d’après-midi. Juillet 1968. Bretagne, Côtes du Nord.

D’abord des crachotements. Suit le sifflement caractéristique de l’effet Larsen. Puis, les haut-parleurs Bouyer libèrent une voix nasillarde. « Attention ! Attention ! L’autorail en provenance de Guingamp assurant la correspondance avec l’express Paris-Brest entre en gare.

Eloignez-vous de la bordure du quai. »

Le garçon assis sur un banc du quai, vêtu d’une chemisette blanche et d’un pantalon de toile bleu clair, regarde approcher le tortillard.

Il s’appelle Ovide Mareuil. C’est un adolescent spontané, insouciant, qui fêtera ses dix-sept ans le 24 septembre prochain. Signe astrologique : Balance. Volontiers ironique, il se montre surtout espiègle et facétieux.

Selon Mareuil père, la principale qualité de son fils reste la loyauté.

Pour la mère, son plus gros défaut est l’insoumission.

Un cabochard têtu comme une mule.

(12)

L’autorail s’est immobilisé. À l’intérieur, les voyageurs récupèrent leurs bagages et piétinent à la queue leu-leu vers les portes latérales. Dans la file, un jeune homme croise le regard d’Ovide qui l’identifie d’emblée. C’est lui ! Johannes2. Le fameux Johannes dont la tante lui a rebattu les oreilles.

À vue de nez, ce vague cousin parait aussi peu sympa en vrai qu’en photo. Et, depuis six jours qu’Ovide est arrivé chez cette tante au lien de parenté hypothétique, on lui en a passé et repassé sous le nez des photos du dénommé Johannes.

Pieds nus dans ses espadrilles, Ovide quitte nonchalamment son banc pour rejoindre la Bretonne plantée roide au milieu du quai.

Voilà la tante, Marie-Jeanne de Kéranrais.

Sans complexe ni crainte du ridicule, ce petit bout de femme arbore fièrement les oripeaux de la trégorroise pur jus. L’une des dernières vieilles de la région à porter encore la touken ; cette coiffe pittoresque de l’ancien évêché de Tréguier composée d’ailettes en tulle empesé rebiquant de chaque côté et d’un bonnet blanc gonflé comme un ballon de baudruche à l’arrière du crâne.

Haute d’un mètre soixante à tout casser, malingre, quarante-cinq kilos toute habillée, elle a de petits yeux d’un gris délavé enfoncés dans un visage tellement ridé qu’on croirait un masque en papier mâché. Difficile d’imaginer aujourd’hui cette vieillarde rabougrie, austère et malgracieuse, au bel âge d’Ovide. Et pourtant…

Pourtant, Marie-Jeanne a eu dix-sept ans, elle aussi.

Dix-sept ans ! Un riche mariage avec le lieutenant de vaisseau Joseph de Kéranrais. Deux courtes années d’un

2 Voir du même auteur « La Bande du Rex ».

(13)

bonheur dont l’éphémérité en a depuis longtemps altéré le souvenir. Joseph est mort en mission à la fin de la Première Guerre mondiale en lui laissant un fils, décédé depuis.

À l’âge de vingt ans, Marie-Jeanne a d’abord été la Veuve Joseph de Kéranrais, est devenue à trente ans, la Dame de Kéranrais, à cinquante, la Mère Kéranrais, puis…

prématurément fanée, aigrie, solitaire, ouvertement misanthrope, les trégorrois ne la désignent plus désormais que péjorativement « La » Kéranrais.

Cette physionomie revêche se lézarde d’un rictus chiche quand son neveu la serre dans ses bras. Pas longtemps. Quelques secondes avant qu’elle ne se plaigne d’étouffer, se débatte, dégage la tête de l’aisselle masculine et inventorie les trois poils qui lui poussent au menton.

« Vous avez de la barbe, maintenant ! » Rajuste sa coiffe,

« Et vous auriez encore grandi ou est-ce moi qui rapetisse ? »

Les deux, ma poule ! commente Ovide en lui-même.

Après avoir récupéré le bagage abandonné sur le quai par son cousin, Ovide s’intéresse à l’animation que l’arrivée d’un train déchaine. Retrouvailles d’amoureux qui se bécotent, de vieux qui s’engueulent, de jeunes qui chahutent… Une bande de novices trottine derrière leur mère supérieure ; un bébé braille ; les mômes d’une colo s’interpellent à tue-tête ; des bidasses permissionnaires éméchés à la bibine hurlent la quille, bordel ! ; une mégère gantée et chapeautée rate le marchepied du wagon, se raccroche aux cannes à pêche et filet à crevettes d’un gros bonhomme grincheux pendant que son chihuahua profite de l’occase pour prendre la tangente ; le chef de gare est cocu ; Ovide…

« Ovide ! crie la tante. Vous êtes encore dans les nuages.

(14)

Rejoignez-nous, mon petit. » Elle le désigne au nouvel arrivant, « Johannes, je vous présente Ovide Mareuil, votre cousin lyonnais que j’ai invité cette année à passer l’été avec nous au Moustoir. »

Ovide tend la main, sourit, « Salut ! »

L’autre se laisse indolemment serrer le bout des doigts.

Sans un mot.

Le véhicule de Marie-Jeanne est stationné devant la gare.

Et faut viser l’engin que la tante appelle pompeusement “la calèche” !

Ovide, n’y voit qu’une espèce de charrette branlante. En plein XXème siècle, circuler dans une antique carriole attelée à un bourrin dépasse l’entendement du garçon. Et c’est pourtant dans ce tombereau folklorique d’une autre époque, tiré par un vieux canasson asthmatique, que la Bretonne et son neveu vont se fesser le pétrus pendant plus de vingt bornes.

Pour le coup, Ovide se félicite d’avoir confié son scooter aux bons soins de la SNCF. Quand l’envie le prend, il excursionne dans la région sans quémander de permission à personne. Libre comme l’air. Rapide comme l’éclair. La tante et son neveu sortiront à peine de Lannion, que lui sera déjà sur l’île. Peinard.

L’île. Parlons-en, justement.

“Le Domaine”, comme dit la tante pince-sans-rire d’un ton ostentatoire.

Une île privée sur laquelle, dans un grand manoir de deux étages baptisé Le Moustoir, la vieille bretonne vit en compagnie d’une vieille fille du cru, Maryvonne Guéhennec, à la fois cuisinière, dame de compagnie et femme à tout faire.

Une bonne vivante corpulente qu’Ovide doit appeler

(15)

respectueusement “mademoiselle Maryvonne”. Quant à Marie-Jeanne, il est prié de lui donner du “ma tante” long comme le bras. Déférence oblige. Chez ces bretons-là, tutoiement et familiarité proscrits.

Ovide écarte la demi-douzaine de mouflets en pleine marrade devant l’attelage, balance le sac de Johannes derrière la banquette en bois, et leur adresse un salut railleur appuyé d’un sourire grimacé. « Bonne route, mes Seigneurs ! »

N’empêche que dimanche dernier, il faisait moins le mariol, le Mareuil ! Comment qu’elles te l’ont bizuté en beauté, les mémés !

Flash-back.

Intérieur jour. La grande cuisine du Moustoir au p’tit déj’.

Ovide n’est arrivé sur l’île que depuis la veille.

Dialogue :

Marie-Jeanne (mielleuse) « Accompagnez-nous, mon petit. Même si vous n’entrez pas à l’église pour l’office, cela vous promènera… »

Lui (étonné) « Vous ne déjeunez pas, avant de partir ? » Maryvonne (faux-jeton) « On doit pas manger pour communier. Mais qu’il mange, lui, qu’il mange ! Y sait pas qui qui l’mangera… »

Contre son gré, mais fataliste, il s’était laissé embarquer dans leur tape cul. Résultat, il avait dégobillé tripes et boyaux tout le long de la route.

2

Un ruban d’asphalte déroulé sur remblai traverse la mer et relit le domaine des Kéranrais au continent.

(16)

Au départ de cet étroit chemin goudronné se dresse un menhir haut de trois mètres. Fixée sur ce mégalithe, une plaque en cuivre oxydé indique : Ile des Sept Saints.

Domaine du Moustoir. D’autres pancartes moins officielles, certaines bancales, sont plantées de chaque côté. Propriété privée. Passage réservé. Accès interdit. Chien méchant.

L’île des Sept Saints est vaste, ceint de criques, falaises et récifs.

Disséminés au milieu d’une végétation efflorescente, pointent çà et là des rochers de granit rosâtre.

Une fois franchi le portail en fer forgé rouillé, derrière une rangée de châtaigniers abritant un fourré touffu, on aperçoit une maison d’un étage que gardiens et jardiniers habitaient autrefois.

Pour accéder à la demeure principale, on suit d’abord un chemin caillouteux sinuant entre un agencement de blocs rocheux et de volumineux massifs d’hortensias de couleurs variées. Ensuite, entre un mur végétal composé de halliers épineux qui, à la fin de l’été, donneront profusion de mûres et framboises sauvages, l’allée bordée d’asphodèle blanc, de bruyère cendrée et d’ajoncs d’or s’élargit.

Tout en haut, sur la droite, ronces, chardons et orties se disputent les ruines d’un ancien cloître.

L’allée débouche enfin sur une vaste cour gravillonnée.

En face, se dresse le Moustoir. Demeure vétuste, mais majestueuse, encadrée par deux tours. L’une à gauche, coiffée d’un toit pointu surmontée d’une girouette en zinc ciselé, et l’autre à droite, en forme de donjon tapissé de lierre, couronnée de créneaux délabrés. Une aile perpendiculaire à flanc de falaise prolonge le bâtiment principal.

Île et manoir composent le patrimoine des Kéranrais dont le dernier d’entre eux, Johannes, est l’héritier linéal.

(17)

Marie-Jeanne n’en a que l’usufruit.

Les gaz coupés, Ovide stabilise la Vespa sur sa béquille à l’ombre de l’if séculaire près du hangar.

De la cuisine, Maryvonne Guéhennec a entendu la pétarade du pot d’échappement. Elle sort aussitôt et s’avance à la rencontre du garçon, sa bonne bouille ronde agrémentée d’un large sourire édenté, « Alors ? Enfin ! L’a vu son cousin ! »

Conformément à sa mauvaise habitude, Ovide ne résiste pas au plaisir de la taquiner. Il se compose instantanément une mine contrariée. « Bah non, justement ! Il était pas dans l’train, figurez-vous. J’vous raconte pas l’angoisse. Tata est pas à prendre avec des pincettes j’aime autant vous le dire… Sur des charbons ardents, qu’elle est, la tantine ! Bon, d’un côté ça se comprend, elle se mouronne atrocement, mettez-vous à sa place… »

En un éclair, l’anxiété éclipse le sourire. Les rougeaudes pommettes de la plantureuse Maryvonne virent au blanc.

« Ma Doue ! Mallozh ! Quoi qu’y nous chante-là, c’ui-là ! » À treize ans, sitôt en âge de travailler, les Guéhennec avaient emmené Maryvonne et leurs deux fils, douze et quinze ans, à la foire aux domestiques de Rennes qui se tenait à cette époque le 29 juin de chaque année. C’était ce jour-là que les gens de peine se mettaient à la disposition des maîtres qui les engageraient pour l’année. Tandis que les parents Guéhennec et leur aîné furent embauchés par un agriculteur de Plougonven, près de Morlaix, Maryvonne et son plus jeune frère suivirent un fermier de Goasnoal, soi- disant pour effectuer de menus travaux et garder les troupeaux. En réalité, non content d’exploiter les deux

(18)

enfants pour des tâches pénibles réservées aux adultes, l’homme abusa d’eux sexuellement à plusieurs reprises.

Au début du siècle, la pratique était encore fréquente sans que la maréchaussée n’en soit alertée. Ce genre d’affaires, les paysans bretons les réglaient eux-mêmes.

Certains par l’entremise de saint Yves, d’autres par celle du diable, avec souvent une même finalité.

Après plusieurs semaines de sévices, les enfants Guéhennec s’enfuirent pour rejoindre leurs parents à Plougonven.

Un mois plus tard, on retrouva le fermier pédophile de Goasnoal agonisant dans son champ, éventré par le soc de sa charrue. Accident de labour. Affaire classée avant même d’avoir été ouverte.

Trois ans après, Maryvonne entra au service des Kéranrais pour ne plus le quitter. Ses parents et son frère aîné sont morts aujourd’hui. Le cadet a disparu mystérieusement en 1934. Maryvonne ne s’est jamais mariée. Les Kéranrais sont devenus son unique famille, et le Moustoir sa seule maison. Elle a élevé plusieurs générations d’entre eux ; le fils de Marie-Jeanne et de Joseph, les filles de Marion, les enfants de Fanch, ceux de Loïk, et le dernier, Johannes, qui a vécu sur l’île jusqu’à l’âge de onze ans, avant que son père ne le rapatrie auprès de lui pour qu’il termine ses études à Paris.

Le père de Johannes, Michel Servan, a été député de Normandie, puis ministre du gouvernement Debré.

Aujourd’hui, il assure la vice-présidence d’une compagnie pétrolière et siège au conseil d’administration de plusieurs holdings multinationaux.

Johannes vient d’avoir dix-huit ans. Son regard sombre aux yeux bleu-nuit donne à son visage une insolite beauté.

(19)

Etudiant en droit, il entrera en troisième année de fac en septembre.

« Quoi qu’il cherche à nous faire accroire avec ses racontars ? s’irrite Maryvonne. Veut faire tourner notre sang en bourrique ! Sakre baltas ! »

Sans répondre, Ovide traverse la cuisine, enfile le couloir qui dessert l’office, la lingerie et les pièces réservées dans le passé aux employés de maison.

Maryvonne lui colle aux talons, « Meuh… quoi qu’il croit, c’ui-là ? On sait qu’il nous fait marcher ! Pessort richin tra ! »

Impassible au doute qui la ronge, Ovide arrive dans le hall de l’entrée principale dont la lourde porte à double vantail n’est ouverte que le dimanche. Il gravit aussitôt le grand escalier. Muet comme une tombe, savourant intérieurement cette comédie improvisée.

Lorsque Maryvonne Guéhennec s’énerve pour de bon, le breton supplante le français. Plantée au milieu du hall, poings sur les hanches, tête levée, « Chewsus ! s’écrit-elle.

Hennezh zo kat da defial ur porc’hell marw ! »

Sitôt le second étage atteint, Ovide disparait dans le couloir qui mène à sa chambre. Puis se ravise. Revient sur ses pas. Se résigne à abréger le supplice de la pauvre femme.

Il se penche sur la balustrade pour la rassurer, mais…

Subitement, avant qu’il n’ouvre la bouche, le plancher semble trembler sous ses pieds. Légèrement d’abord. Plus fort ensuite. Simultanément, l’adolescent est comme ébloui par un flash et pris de vertige. Un vertige aussi soudain qu’intense. Une sorte d’étourdissement fulgurant. Ses pieds se soulèvent du sol et son corps bascule lentement vers le vide. Lentement, mais irrémédiablement. Deux étages sous

(20)

lui, le dallage en marbre noir et blanc du rez-de-chaussée génère une attraction magnétique puissante, impérieuse. Il ferme les yeux en s’agrippant à la rampe de toutes ses forces.

L’étrange phénomène ne dure qu’une poignée de secondes. Son malaise disparait aussi soudainement qu’il a commencé.

Surprenante sensation que celle de s’être senti coincé en sandwich entre deux forces invisibles opposées, l’une aurait voulu le jeter dans le vide tandis que l’autre l’aurait retenu par le colback avant de l’abandonner sur le palier comme un pantin désarticulé.

« Mad ha douss Jesus ! triomphe Maryvonne en regagnant la cuisine. Ah ! Fait moins le malin, braw goût ! Pessort ! »

Une fois devant l’évier, elle reprend le grattage des moules de bouchot destinées au repas du soir. Un sourire au coin des lèvres, elle marmonne pour elle-même, « Dre c’hrass Doue, ici, on punit toujours les raconteurs de menteries. »

3

Sous la tonnelle au treillage de vigne vierge et de chèvrefeuille, installé à califourchon sur une chaise de jardin, les petites cellules grises d’Ovide se captivent à la lecture d’une enquête d’Hercule Poirot.

Dans le lointain, des roues cerclées de ferraille crissent sur la caillasse du chemin.

Couché aux pieds de l’adolescent, le beauceron Léonard dresse les oreilles et détale en semant la panique parmi la basse-cour en liberté.

Références

Documents relatifs

Transmis par plusieurs versions dans un nombre appréciable de manuscrits, imprimés à maintes reprises, adaptés en maintes langues (la version italienne de Paris

Lavis d’encre de chine, aquarelle, pastels gras, crayon graphite noir, 30-x-40 cm. Série de 12 dessins Photographie

Afin de bien ranger mes données, je vais créer un dossier PIXresizer compression photo dans mon dossier « programmes JJ » puis je vais glisser le dossier téléchargé dedans..

Cette fenêtre s’ouvre, vous avez la possibilité de changer le nom, choisir l’emplacement (je demande mon bureau) en navigant dans les dossiers puis cliquer sur « Enregistrer

Si ensuite vous avez pris soin de cocher la case "Normaliser à 0 dB après la compression", l'ensemble du signal sera amplifié après la compression ce qui aura pour

Clic droit sur le fichier puis option « Envoyer vers » puis option « dossier compressé

I l savait que le temps était beau, avec jolie brise... Je ne me

[r]