• Aucun résultat trouvé

Copie numérique de l article accessible depuis

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Copie numérique de l article accessible depuis"

Copied!
31
0
0

Texte intégral

(1)

GHILLEBAERT, Christian-Pierre, 2017, « Les interférences belges sur le réseau flamand de France », Réseaux et sociétés dans le Nord de la France, Boulogne sur mer, Cercle d’Etudes en Pays Boulonnais, 2016, pp. 89-123.

Copie numérique de l’article accessible depuis

https://drive.google.com/file/d/0BxAihlKDGtK0dE45NzJJMnpqa1U/view?usp=sharing Recension de l’article par Christian Pfister-Langanay (MCF en histoire contemporaine, ULCO) in Revue du Nord, 416, 2017, p. 716

(2)

Les interférences belges sur le réseau flamand de France

Christian-Pierre Ghillebaert Introduction

Parmi les mots dont la grande plasticité sémantique et la haute productivité linguistique sont validées par un usage persistant, fréquent, voire obsessionnel, se trouve, sans nul doute possible, l’incontournable « réseau » que l’hyperconnectivité technophile1 et l’efficacité criminogène d’organisations a-nationales ont définitivement imposé sur l’agenda sémiotique.

Depuis l’halieutique (rets) et le textile (lacis) jusqu’aux nouvelles technologies (informatique) et les sciences humaines (sociométrie), ce terme connaît un usage empirique et théorique particulièrement florissant. Il implique des liens et des nœuds où se croisent ces liens, selon une structure définie formellement ou informellement dont l’intelligibilité est diversement accessible. L’informalité d’un réseau peut devenir une source d’inquiétude fondée et/ou de fantasmes irraisonnés, ainsi qu’en témoigne le traitement journalistique ou académique du Darknet2 ou des « lobbies »3.

Récemment, dans une revue aux aspirations académiques estompées4, ce dernier substantif au potentiel fortement disqualifiant a servi à évoquer, superficiellement, la reconfiguration d’un réseau préexistant d’associations culturelles et de décideurs publics par suite de leur priorisation convergente de la préservation et de la promotion du flamand- occidental pratiqué en France. Le « lobby flamand » ainsi ciblé, qu’« un ministre consent à recevoir », serait un « cénacle de linguistes sympathiques et studieux s’adonnant à la création d’une nouvelle langue elfique » et « défendant le flamand de France – le Vlaamsch – comme une langue à part entière détachée du néerlandais »5. Que l’Institut de la Langue Régionale Flamande / Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele (ILRF/ANVT)6, jamais cité nommément dans la revue, se range7 parmi les groupes de pression (lobbies) plutôt que parmi les groupes d’influence (dans la sous-catégorie advocacy tanks8) est certes discutable ; que cette large fédération d’associations se garde de la pression et de l’influence d’allochtones est, en revanche, indiscutable et, en définitive, originale.

Par le passé, en effet, les mouvements organisés et les groupements restreints qui déclaraient œuvrer pour la culture des Flamands de France formaient certes un réseau propre – ou un cluster de réseaux plus ou moins indépendants –, mais ce réseau a toujours agrégé, entre autres, des Belges et des Néerlandais, par le biais d’une contribution financière, pratique ou

1 Même les sociétés savantes issues du milieu du 19ème siècle semblent sacrifier à la mode des réseaux sociaux, si l’on en juge à l’ouverture, courant 2015, d’un compte facebook dédié au Comité Flamand de France (°1853) : https://www.facebook.com/Comit%C3%A9-flamand-de-France-209517602726945/

2 Les (sous-)titres de deux ouvrages de référence sur le sujet, par le journaliste Jamie Barlett et par le chercheur Evgeny Morozov, en sont très évocateurs : The dark net :inside the digital underworld (London, William Heinemann, 2014) et The net delusion :the dark side of the Internet freedom (New York, Public Affairs, 2011).

3 Il existe désormais toute une littérature spécialisée qui permet de distinguer les différentes formes de ce qui est appelé, peut-être trop hâtivement ou commodément, « lobbying ». cf. P. Bardon & Th. Libaert, Le lobbying, Paris, Dunod, 2012, not. pp. 7-24 ; V. de Beaufort & F. Hacque-Cosson (dir.), Lobbying : cadre, outils et stratégies, Bruxelles, Larcier, 2015.

4 C’est l’aveu, sinon la revendication même, qu’exprime Luc Devolder, rédacteur en chef de De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français, dans son article introductif « Bij de veertige verjaardag van het jaarboek

"De Franse Nederlanden – Les Pays-Bas Français" », De Franse Nederlanden, n°40, 2015, p. 8.

5 G. Bourel, « Le Paradoxe de la langue maternelle », De Franse Nederlanden, n°37, 2012, p. 226 et p. 225.

6 Les buts, membres et activités de cette association (°2004) sont détaillés sur le site www.anvt.org.

7 Nous renvoyons le lecteur à la catégorisation des groupes d’intérêt proposée in M. Offerlé, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1994.

8 Cf. C. H. Weiss (dir.), Organizations for policy analysis : helping government think, Newbury Park, Sage, 1992.

(3)

intellectuelle. Par exemple, si on identifie l’abbé Jean-Marie Gantois9 comme l’Ego d’un réseau principal (i.e. le centre ou le nœud de liens réticulaires) sur une période d’une quarantaine d’années, on peut aisément compter plusieurs Belges et Néerlandais parmi les Alters (i.e. les personnes qui gravitent autour du centre)10. Si l’exclusion d’éléments belges ou néerlandais du réseau ILRF/ANVT semble avoir pour conséquence une autonomisation principielle du vlaamsch par rapport au néerlandais standard pratiqué outre-Quiévrain, l’inclusion de tels éléments dans le réseau flamand de France à l’époque de Gantois n’a peut-être pas été sans conséquence sur l’appréhension du vlaamsch et du néerlandais au sein de ce réseau, ni non plus sur la définition même de la culture des Flamands de France. Nous nous proposons ici d’examiner les modalités d’inclusion desdits éléments et leurs effets, d’une part, sur le réseau lui-même (I) et, d’autre part, sur la variable relationnelle majeure du réseau qu’est la vision de la Flandre française (II).

I. L’organisation d’un nouveau réseau flamand de France

Dans une large mesure, l’abbé Jean-Marie Gantois (1904-1968) s’est avéré un

« opérateur de réseau » (I.1) en constituant un réseau à partir de « circuits » préexistants (I.2) et en y adjoignant des éléments étrangers, belges en particulier (I.3).

I.1) Un Ego spirituel11

Issu d’une famille catholique rurale plutôt réactionnaire, formé dans des établissements catholiques du primaire au séminaire, Jean-Marie Gantois a évolué dans un milieu clérical dont l’attachement aux traditions locales s’exprimait tantôt par un chauvinisme quelque peu exubérant (e.g. abbé Ildephonse Deblonde), tantôt par un rigorisme savant (e.g. abbé Jules Andouche12). Cet environnement initial l’a vraisemblablement conduit à mûrir sa double vocation de prêtre et de militant flamand ; son nouvel entourage au grand séminaire d’Annapes (1922), où existait le Cercle d’Etudes Flamand fondé par Antoine Lescroart en 1919, l’a indubitablement confirmé dans cette double vocation. En témoignent également la création de son propre cercle d’études au séminaire académique en 1923 et sa participation au lancement de De Vlaemsche Stemme in Vrankyk (1923-1926), l’organe de liaison des cercles qu’il a réunis en une Union des Cercles Flamands de France en 1924, sous le regard bienveillant du chanoine Looten13, alors président du Comité Flamand de France.

Cependant, le caractère confidentiel et confessionnel de ces groupements associés n’a bientôt plus suffi à Jean-Marie Gantois qui, en 1926, a fait évoluer l’union en une ligue, le Vlaamsch Verbond van Fankrijk (VVF), résolument ouverte aux laïcs et inscrite dans le régionalisme de l’Entre-deux-guerres14. Le mouvement régionaliste était localement déjà animé par quelques lettrés, au sein de revues telles que le Beffroi de Flandre (1919-1928) et Le Mercure de Flandre (1923-1931), et par certains membres de la bonne bourgeoisie urbaine.

9 Cf. Ch.-P. Ghillebaert, L’abbé Jean-Marie Gantois (1904-1968), un prêtre égaré en politique, thèse de doctorat en science politique (dir. : M. Hastings), Lille, Université de Lille 2, 2007.

10 Nous empruntons ici les termes et concepts classiquement admis en sociologie des réseaux. Cf. Cl. Bidart, A.

Degenne & M. Grossetti, La vie en réseau, Paris, PUF, 2011 ; A. Degenne & M. Forsé, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 2004 ; E. Lazega, Réseaux sociaux et structures relationnelles, Paris, PUF, 1998.

11 Cf. les repères biographiques de l’annexe 1.

12 Ch.-P. Ghillebaert, « L’abbé Andouche (1887-1948), préfet d’indiscipline ? », Bulletin du Comité Flamand de France, n°91-92, oct. 2011, pp. 28-33.

13 M. Nuyttens, Camille Looten (1855-1941), Leuven, Universitaire Pers Leuven, 1981.

14 Cf. J.-F. Chanet, L’Ecole républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 ; Ch. Gras & G. Livet (dir.), Régions et régionalismes en France du 17ème siècle à nos jours, Paris, PUF, 1977 ; H. Lebovics, True France, Ithaca & London, Cornell University Press, 1992 ; A.-M. Thiesse, Ecrire la France, Paris, PUF, 1991.

(4)

Avec le VVF, ce mouvement a ainsi connu un nouvel essor grâce à des manifestations annuelles, les Congrès Flamands de France (1925-1938), et à une publication mensuelle, Le Lion de Flandre (1929-1939, 1941-1944).

Parallèlement à des positions teintées d’un régionalisme de « bon aloi »15, Gantois a progressivement développé des thèses plus radicales sur l’identité des Flamands de France et sur leur appartenance à une communauté « ethnoculturelle »16 plus large sise entre la Somme, fleuve septentrional de la France, et le Dollart, golfe au nord-est des Pays-Bas. Esquissées au début des années 1930, sinon à la toute fin des années 1920, ces thèses relevaient les supposées entraves françaises à l’expression d’un soi-disant génie néerlandais des Flamands de France dont la germanité était soulignée à la fin des années 1930 et sous l’Occupation. Explicites dans certaines publications, implicites dans d’autres, elles donnaient lieu à des ambiguïtés finalement assez commodes, eu égard au lectorat hétéroclite et aux autorités occupantes ambivalentes17. On pouvait aussi les découvrir, directement ou indirectement, à l’occasion des conférences données par Gantois en Belgique en 1942, lors des activités de la section de jeunesse créée la même année, au détour des enseignements proposés dans le cadre du Centre Régional de Cours et de Conférences18, ainsi qu’en arrière-plan de l’Exposition de l’Art Flamand Contemporain visitée par 12.000 personnes en 194319.

Au reste, sa diffusion de telles thèses (« grand-néerlandaises » ou « pannéerlandaises), son obstination (expédientiste20) à agir sous l’Occupation, sa proximité (inopportune) avec l’ennemi et ses affidés français ont valu à Gantois une arrestation en 1944, une condamnation à plusieurs peines en décembre 1946 pour intelligence avec l’ennemi et une détention jusqu’en 1948. Ni son emprisonnement à Loos, ni son « exil » du Nord requis par la justice, ni son affectation en paroisse à Lille (1962) ne l’ont empêché de poursuivre son activité militante, puisque, après la Deuxième Guerre Mondiale, il a encore publié, outre quelques opuscules, des dizaines d’articles dans diverses revues, en France et à l’étranger, sur ses thèmes de prédilection, en suivant souvent les modes éditoriales de son époque (e.g. européanisme). Son œuvre prolifique, son érudition ciblée et sa ténacité doctrinale, motifs mêmes de son indéniable discrédit en France, ont été les causes de sa notoriété incontestable hors de France, ainsi que l’attestent son élection en 1962 à la prestigieuse Société de la Littérature Néerlandaise, de Maatschappij der Nederlandse Letterkunde21, et sa consécration en 1964 lors d’une journée hommage au château comtal de Male (Belgique)22. Son décès accidentel en mai 1968 est

15 Selon sa devise originelle, la revue De Vlaemsche Stemme in Vrankyk visait à « servir la Flandre française afin d’embellir et de fortifier la France » (trad. par nos soins).

16 Par « ethnoculturel », nous entendons ce qui est relatif aux caractéristiques physiques, comportementales, attitudinales, psychologiques censément héréditaires et communes à un groupe supposé homogène. Notre usage de cet adjectif ici ne vaut en aucun cas pour sa validation scientifique, ni non plus pour notre reconnaissance de l’existence d’une telle communauté ethnoculturelle dans le cas étudié dans le présent article.

17 Les autorités occupantes n’ont pas interdit la publication du livre de Gantois intitulé Jusqu’où s’étendent en France les Pays-Bas ? (1941), ne se sont pas opposées à la reparution du Lion de Flandre et de son appendice néerlandophone De Torrewachter, ont même favorisé la publication de La Vie du Nord, n’ont pas trop restreint la libre circulation des personnes liées au VVF. Toutefois, certains passages étaient censurés et l’inflexibilité de Gantois sur des points de sa « doctrine flamande » le rendait suspect aux yeux mêmes des Allemands.

18 Créé en 1942, il est appelé Institut Flamand de France à partir de 1943.

19 Ce chiffre, annoncé dans Le Lion de Flandre (oct.-nov. 1943, p. 462) et cité dans une lettre au secrétaire général de la Mairie de Lille datée du 26/11/1943 (ADN 1 W 4038), a été repris par Etienne Dejonghe in Le Nord-Pas- de-Calais dans la main allemande 1940-1944, Lille, Ed. de La Voix du Nord, 2000, p. 104.

20 L’expédientisme est l’« attitude qui consiste à accepter de recourir à toutes sortes de moyens, y compris les plus indélicats, les plus moralement condamnables, pour parvenir à ses fins »20. M. Denis, « Le mouvement breton pendant la guerre. Un bilan », in Ch. Bougeard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre Mondiale, Brest, C.R.B.C., 2002, p. 158.

21 Cf. http://www.dbnl.org/auteurs/auteur.php?id=gant001.

22 A cette Gantoishulde auraient participé, directement ou indirectement quelque 500 personnes, dont un ministre d’Etat belge, le secrétaire général du gouvernement sud-africain, des parlementaires, des universitaires, des

(5)

néanmoins passé inaperçu en France, à la fois en raison de sa moindre visibilité personnelle et de l’agitation sociale générale, à telle enseigne qu’on peut en parler comme d’un « non- évenément » culturel local au moment des « événements » politiques nationaux.

I.2) La mise en réseau d’Alters de poids

Dans une large mesure, la biographie de Jean-Marie Gantois pourrait s’apparenter à l’histoire d’une trajectoire23 déviée24 sous l’effet de l’attraction d’éléments dont l’auteur militant a choisi de forcer la mise en relation en couplant des « circuits »25 sociaux. Ces circuits s’organisaient en trois séries typologiques selon le rapport de leurs éléments à un principe majeur de pouvoir (I.2.1), de savoir (I.2.2) ou de vouloir (I.2.3).

I.2.1) Les circuits de haute et basse puissance

La première série de circuits comprend le presbyterium (pouvoir religieux diocésain), la bourgeoisie (pouvoir économique), la presse (pouvoir médiatique), la représentation (pouvoir politique). L’environnement clérical évoqué plus haut était prédictif d’une bonne insertion dans un presbyterium lillois empreint, sinon vecteur26, de culture flamande27. De fait, les amis du séminaire, les jeunes prêtres et leurs aînés du petit clergé flamand rural ont permis à Gantois d’étendre un réseau d’influence avérée ou potentielle, au-delà d’un maigre contingent d’irrédentistes rescapés du 19ème siècle (cf. infra), via les notables locaux sur qui les clercs exerçaient quelque ascendant. Une partie28 du circuit clérical a ainsi été dérivée au profit d’un réseau plus large, le réseau flamand de France, du moins jusqu’à (la fin de) l’Occupation, plus exceptionnellement après 1950, selon une logique conservatrice d’indissociabilité de la défense de la foi et de l’amour pour la petite patrie29.

écrivains. Pour notre part, nous avons pu identifier avec certitude au moins 110 personnes sur les 300 présents physiquement à cette manifestation en recoupant plusieurs sources : Notre Flandre, n°XIII, 1965, p. 31 et sqq. ; De Weekbode (18/09/1964) ; J.-M. Gantois, Bezinning bij een verjaardag. Rede gehouden te Male, Langemark, Vonksteen, 1966 ; Id., De zuidelijkste Nederlanden, Wilrijk, Oranje-Uitgaven, 1967, pp. 480-490.

23 Nous entendons par trajectoire l’itinéraire social entre le milieu d’origine et le milieu d’arrivée que balisent les moments critiques de réaction de l’individu aux institutions socio-économiques, culturelles et, éventuellement, religieuses. Cf. P. Bourdieu, Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, p. 360 ; V. de Gauléjac, La névrose de classe.

Trajectoire sociale et conflits d’identité, Paris, Hommes et Groupes éditeurs, 1987 ; M. Chaudron, « Trajectoire », in A. Akoun et al., Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert / Seuil, 1999, pp. 540-541.

24 Dans un milieu et un temps marqués par une assez faible mobilité sociale, les deux types de trajectoires prévisibles de Gantois l’auraient conduit à embrasser une carrière médicale (comme son père), voire juridique, s’il n’avait pas choisi la voie sacerdotale, ou bien à progresser dans la hiérarchie ecclésiale (grade, fonction, état) selon ses qualités et le discernement des autorités de l’Eglise.

25 C’est plus pour filer la métaphore du réseau électrique que par pertinence intrinsèque que nous avons choisi ici

« circuits » là où d’autres parleraient de « champs » (dans le sillage de P. Bourdieu), de « configurations » (selon les paramètres de N. Elias) ou de « mondes » (à la suite des explorations sociologiques de H. Becker) pour décrire l’espace social de relations soumises à des règles de sociabilité particulière.

26 Une partie de ce clergé a, en effet, soutenu la perpétuation de la culture flamande par des usages linguistiques exclusivistes (e.g. catéchisme et prédication en flamand), des activités artistiques (e.g. publications littéraires marginales et productions théâtrales rurales en flamand), des transmissions patrimoniales (e.g. legs de livres en flamand).

27 Le diocèse de Lille (°1913) comprenait principalement deux « corps » de prêtres (flamands/non-flamands) dont l’affectation géographique et fonctionnelle suivait bien moins une logique de résistance périphérique à la francisation qu’un simple pragmatisme pastoral adapté aux besoins réels, fussent-ils linguistiques.

28 Le soutien du clergé flamand, direct ou indirect, fondamental ou superficiel, durable ou provisoire a dépendu d’une adhésion variable aux courants de pensée qui sous-tendaient l’action de Gantois ; le défaut de soutien était souvent corrélé au niveau de « dégrossissement » des clercs (responsabilités académiques, députation, prélature).

29 Cf. M. Lagrée, « Les petites patries », in N. Lemaitre, Histoire des curés, Paris, Fayard, 2002, p. 346 et sqq.

(6)

Une logique comparable animait les principales figures de la grande bourgeoisie, en particulier lilloise, membres du syndicat d’initiative Les Amis de Lille30 où le séminariste Gantois a été introduit par le chanoine Looten et Nicolas Bourgeois31 en 1926. Il y a donc trouvé, en la personne de Louis Delepoulle, beau-frère industriel de l’écrivain patoisant Jules Watteeuw, un président perméable aux idées régionalistes, un directeur de publication favorable à ses contributions et à la publicité pour le VVF, et un « commutateur » utile pour de nouvelles connexions propices au développement du VVF32. Or le syndicat d’initiative lillois a fait des émules dans tout le département, si bien que ce modèle de développement local touristico- culturel, placé sous la houlette d’un patronat interventionniste33, s’est essaimé rapidement dans les arrondissements de Lille et de Dunkerque. Dans les années 1920-1930, ces « Essis » ont servi à Gantois de soutien logistique pour l’organisation de Congrès Flamands de France, de réserve éventuelle de capitaux financiers et de fournisseurs réguliers de facilitateurs précieux.

Au reste, la revue Les Amis de Lille s’est avérée une voie d’accès supplémentaire aux centres de diffusion des informations et des idées. Cet accès était, parallèlement, rendu possible par le truchement de quelques journalistes influents, tels que Valentin Bresle, Paul Verschave ou Paul Devigne34, dont Gantois avait su gagné la sympathie. Durant l’Entre-deux-guerres, la presse locale insérait aussi des comptes rendus de manifestation avec d’autant plus d’empressement que ses directeurs étaient souvent liés d’amitié avec Gantois35. Sous l’Occupation, un hebdomadaire tenu par André Cauvin, La Vie du Nord (1941-1944)36, a même enrichi les publications du VVF. Celles-ci, lancées à l’extrême fin des années 1920, avaient trouvé leur place parmi les périodiques régionaux dont les contributeurs ont soit parrainé, soit formé Gantois, avant qu’il ne les mette à contribution ou en concurrence dans les années 193037. Hors de la région, son entregent et son positionnement flamand sur le créneau régionaliste ont mis Gantois en relation avec les fers de lance des mouvements identitaires en France, avant et après la Deuxième Guerre Mondiale38. Hors de France, les contacts étrangers d’avant-guerre ont été réellement activés à partir de l’Occupation, notamment après la Libération, pour perpétuer une présence médiatique de l’auteur Gantois (cf. I.3).

Si le VVF a eu bonne presse pendant une vingtaine d’années, c’est aussi grâce à l’habileté dont Gantois a fait preuve en s’attirant les bonnes grâces d’élus. On trouve ainsi, parmi les fréquentations de Gantois, des maires de petites communes (e.g. Jean Chocqueel à West-Cappel) et de grands centres urbains (Paul Dehove à Lille), des conseillers

30 Cf. K. Labiausse, « Un syndicat d’initiative durant l’Entre-deux-guerres : Les Amis de Lille », Revue du Nord, n°349, 2003, pp. 117-138.

31 Cf. Lettre de J.-M. Gantois à L. Delepoulle datée à Lille du 08/06/1926 (ADN 70 J 90).

32 Certains membres des Amis de Lille ont collaboré étroitement, par la suite à Gantois, tels que Jacques Florin, responsable de la Zuid-Vlaamsche Jeugd (ZVJ) sous l’Occupation, ou Georges Vandenheede, membre de la Ligue des Droits du Nord avec Jules Vandendriessche.

33 Sur la base de notre thèse, nous pouvons citer surtout Jean Hié (Bailleul), Jean Chocqueel (Bergues), les Glorieux (Roubaix), Jules Scrive-Loyer (région lilloise), Benjamin Vandenbroucque (Bourbourg), Georges Wiart (Lille).

34 Valentin Bresle, directeur du Mercure de Flandre, est l’occultiste qui a édité le premier ouvrage de Gantois sur les mystiques flamands. Paul Verschave, docteur en droit et enseignant des facultés catholiques de Lille, a fondé l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille. Paul Devigne, journaliste en Bretagne, était le secrétaire adjoint de la Fédération Régionaliste de France.

35 Parmi le panel de journaux locaux, nous pouvons songer à La Bailleuloise, dirigé par le trésorier du VVF pendant une vingtaine d’années, au Journal de Bergues, propriété d’un proche du président du VVF, ou même Le Journal de Roubaix, dont le directeur finançait souvent les actions du VVF.

36 F. Traullé, « La Vie du Nord, un organe de dépolitisation », Revue du Nord, h.-s. n°2, t. II, 1988, pp. 613-636.

37 Par exemple, Le Beffroi de Flandre a d’abord été « infiltré » par Gantois et ses proches, à la faveur d’une crise interne de la revue en 1922, avant d’être totalement noyauté en 1927 et de disparaître en 1928 pour faire place au Lion de Flandre en 1929.

38 C’est ainsi par l’abbé Jean-Marie Perrot que le séminariste Gantois a accédé aux animateurs de l’emsav breton, dont Olier Mordrel, à l’origine du Bulletin des Minorités nationales de France (°1936), laquelle revue attirait des contributeurs des différentes périphéries à potentiel nationaliste.

(7)

d’arrondissement (e.g. Joseph Parmentier, maire de Steenvoorde) et des conseillers généraux (e.g. Auguste Bergerot, député-maire d’Esquelbecq), des parlementaires (e.g. Auguste Potié, sénateur-maire d’Haubourdin), sans compter, à l’échelon extrarégional, les relations empruntées à son ami Nicolas Bourgeois, collaborateur technique d’hommes politiques39. Seulement arrêtées à leur propre mort ou à la mort sociale de Gantois en 1944, leur participation à des manifestations récurrentes ou ponctuelles, leurs faveurs en nature et leurs subventions en numéraire, leur adhésion au mouvement et leur abonnement aux revues, leurs déclarations de sympathie et leurs réponses aux interpellations ont apporté au VVF une caution susceptible d’entraîner de nouveaux sympathisants, en contrepartie de remerciements valorisants de la part de détenteurs du savoir.

I.2.2) Les circuits logiques

La deuxième série de circuits se compose des artistes et des savants. Très tôt, Gantois a tenté de s’allier avec les artistes contemporains40 fondés à illustrer le génie créatif flamand et/ou à légitimer sa propre entreprise « culturelle », en échange de perspectives de débouchés extra- parisiens41. Parmi les gloires littéraires locales et les « Rousseau du ruisseau »42, il faut en particulier noter Léon Bocquet (1892-1954)43, le « père » du régionalisme littéraire dans le Nord, Henry-Louis Dubly (1901-1985), l’industriel-écrivain deux fois primés par l’Académie française (1927, 1942)44, André Mabille de Poncheville (1886-1969), autre précurseur du régionalisme dans le Nord et auteur prolifique primé sur le tard par les Immortels (1956, 1966)45, Pierre Valdelièvre (1876-1957), influent industriel taquinant les muses et président des Rosati de Flandre46, Joseph-Henry Louwyck (1886-1983), mécène de Gantois et auteur trois fois honoré par les hommes en habit vert, Emmanuel Looten (1908-1974), le poète récompensé pour son style amphigourique par le prix de l’Académie47. Parmi les grands noms de la littérature française du 20ème siècle, seul Louis-Ferdinand Céline semble avoir accordé un

39 Sitôt diplômé, le normalien et docteur Nicolas Bourgeois a commencé sa carrière au cabinet du Président du Conseil Municipal de Paris et l’a poursuivie un temps au service budgétaire du Conseil général de la Seine.

40 Le jeu était autrement plus facile avec les artistes passés dont Gantois pouvait à l’envi retrouver dans les œuvres, sans craindre la contradiction ou le procès, les éléments susceptibles de corroborer ses thèses sur l’identité flamande. La citation desdits éléments, voire la seule mention de ces artistes, suffisait à valider le statut d’érudit de Gantois, i.e. à l’instituer en tant qu’autorité intellectuelle.

41 La relations avec Gantois était, pour les artistes, de nature symbiotique, car Gantois contribuait à renforcer ou créer un champ artistique régional dans un contexte de saturation accrue du marché des lettres et de l’art, au sens de Jocelyne Georges in Paris Province, Paris, Fayard, 1998.

42 Cette expression de Restif de la Bretonne a été reprise et commentée in R. Darnton, Bohème littéraire et révolution, Paris, Gallimard / Le Seuil, 1983, p. 32. Cf. aussi à ce sujet Cf. F. Dosse, La marche des idées, Paris, La Découverte, 2003, pp. 21-22.

43 Nous avons pu retrouver des manifestations de sympathie de Bocquet à Gantois jusqu’aux années 1940 (cf. la correspondance conservée dans le dossier ADN 1 W 4037). Sur Léon Bocquet et le régionalisme littéraire dans le Nord, cf. Nord’, n°43, 2003 & A. Mascarello, La revue le Beffroi de Léon Bocquet, Saarbrücken, Verlag der Universität des Saarlandes, 1962.

44 Même 20 ans après la guerre, Dubly estimait publiquement Gantois, ainsi que l’atteste le témoignage paru in Notre Flandre, n°13, 1965, p. 112.

45 Gantois a réussi à entraîner Mabille de Poncheville jusque dans des impasses confondantes, puisque ce dernier a publié un article dans un numéro de la revue collaborationniste belge DeVlag (n°III-8, mars 1941, pp. 376-382), entièrement préparé par les membres du VVF. La collaboration entre les deux hommes s’est arrêtée à la fin de l’Occupation.

46 C’est par le biais de Valdelièvre que Gantois a pu accéder à un champ littéraire régional dont il a davantage forcé l’ouverture au régionalisme linguistique (initialement favorable au picard) au point que les Rosati ont admis le flamand à leurs concours littéraires dans les années 1920.

47 Nord’, n°3, 1984.

(8)

chaleureux satisfecit à Gantois, sous l’Occupation48, après avoir été vraisemblablement mis en relation par un commun ami, à savoir le nationaliste breton Olier Mordrel, directeur du Bulletin des minorités nationales / Peuples et Frontières. Par ailleurs, c’est parce qu’il a été introduit dans les milieux nationalistes flamands belges que Gantois a également côtoyé de près des écrivains belges de langue néerlandaise (cf. infra).

Pour certains peintres et plasticiens, s’afficher avec le leader du VVF a dû représenter, sinon une nécessité intellectuelle de conformité avec des idées régionalistes préexistantes, au moins un enjeu réel dans leur qualification artistique auprès de critiques et de consommateurs (régionaux) d’art (régional) qui gravitaient autour de Gantois. La période paradoxalement la plus faste de collaboration entre Gantois et ces artistes est celle de l’Occupation, avec un point d’orgue en 1943 à l’occasion de la Quinzaine Flamande. S’y sont notamment retrouvés, au sein de la Compagnie d’Art Flamand, le sculpteur Alexandre Descatoires (1874-1949), second grand prix de Rome et membre de l’Académie de Beaux-Arts (élu en 1939), le peintre cubiste Henri Le Fauconnier (1881-1946) et Marcel Gromaire (1872-1971), prix Guggenheim national (1956) et Grand Prix national des Arts (1958). Ce dernier, en relation avec Gantois depuis 1935, a exprimé sa sympathie pour le prêtre et militant jusqu’au moins les années 1950. A côté de ces artistes de renommée peuvent être également signalés, malgré un plus faible rayonnement, Félix Del Marle (1889-1952), René De Graeve (1901-1957), Alex Deschmacker (1889-1973), Pierre- Paul Desrumaux (1898-1990), Edmond Jamois (1876-1975), Gustave Vandenberghe, Raoul Brygoo (1886-1973), l’architecte Pierre Drobecq (1893-1944), Pierre Ladureau (1882-1974), Maurice Ruffin (1886-1966), Jules Joëts (1884-1949) et, d’un rayonnement moindre encore, le graveur Joseph Dezitter (1883-1957)49, fidèle à Gantois jusqu’à la mort50.

Enfin, à cette liste s’ajoutent quelques représentants d’autres disciplines artistiques : César Bourgeois (1870-1950), musicien-compositeur et sous-chef de la musique de la Garde Républicaine (1905-1925), père de l’ami de Gantois, le compositeur Maxime Dumoulin (1893- 1972)51, récipiendaire des prix Boulanger et Fondation Halphen, les prêtres diocésains qui ont animé le renouveau dramatique en monde rural durant l’Entre-deux-guerres (abbé Ryckelynck).

Composante culturelle de l’élite intellectuelle, ces producteurs du savoir-faire artistique ne dédaignaient pas la proximité avec les conservateurs du savoir historique, fraction érudite de cette même élite. Or dans un territoire marqué par une « nébuleuse de villes savantes »52 l’admission à une société savante et la participation aux activités de la sociabilité érudite à la fois confirmaient la notabilité et conduisaient aux notables. Mu par une ambition personnelle et par un dessein communautaire, Gantois n’a pas négligé ce détail, puisque, dès 1923, avec le parrainage du chanoine Looten, il était autorisé à faire partie du Comité Flamand de France où l’avaient précédé Bourgeois, Vandenbussche, Mabille de Poncheville et Lescroart, et où il a ensuite entraîné ses proches collaborateurs (Ficheroulle, Vandendriessche, Despicht, Pierre et Justin Blanckaert). Cette insertion dans le monde savant s’est initialement accompagnée de marques de sympathie pour les actions du VVF et de subventions, puis elle a donné lieu à des

48 Dans le dossier ADN 1 W 4037, nous avons trouvé une lettre du premier semestre 1944 dans laquelle Céline complimente Gantois pour son article « Une légende qui a assez duré : le mythe de l’influence espagnole en Flandre » (Le Lion de Flandre, mars 1944, pp. 108-119 et avril 1944, pp. 177-186.). Ladite lettre, que nous avions alors signalée à la direction des Archives Départementales du Nord, a dû circuler depuis, puisque le lien Gantois- Céline est désormais acquis pour certains auteurs qui omettent toute référence explicite à nos travaux ou à notre découverte : J. Josset, Louis Ferdinand Céline, mort et vif, Bebooks (pour Kindle), 2014 [https://books.google.fr/books?id=TAcbCwAAQBAJ&lpg=PT27&ots=PTmRdL1mXP&dq=louis%20ferdinand

%20celine%20gantois&hl=fr&pg=PT27#v=onepage&q=louis%20ferdinand%20celine%20gantois&f=false]

49 M. Tomasek, Joseph Dezitter, Dunkerque, Société dunkerquoise d’histoire et d’archéologie, 2012.

50 Hormis Dezitter et Gromaire, nous n’avons pas trouvé de trace certaine d’un lien avéré entre ces artistes et Gantois après la Deuxième Guerre Mondiale.

51 R. Guilloux, « Maxime Dumoulin, musicien français poète du Nord », Revue du Nord, n°246, 1980, pp. 637- 649.

52 J.-F. Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Paris, Ed. du CTHS, 1998, pp. 97-98.

(9)

collaborations ponctuelles (e.g. organisation commune de la Fête Régionaliste d’Eecke en 1929) et à des passerelles vers d’autres cercles savants en France. De tremplin dans les années 1920, l’adhésion est devenue un filet de secours notabiliaire à la fin des années 1930 lors de manœuvres idéologiques et éditoriales plus risquées, loin de la culture de l’« érudition pour l’érudition »53.

C’est pourtant son érudition, supposée ou avérée, dans des sujets « locaux » qui a attiré à Gantois plusieurs universitaires ou chercheurs, parfois dépourvus de toute prévention contre son approche téléologique de la production et du traitement des données érudites. Alors que s’achevait l’autonomisation du champ scientifique par rapport au champ savant, non sans quelques servitudes épistémologiques (e.g. folklorisme/ethnologie, raciologie/anthropologie), Gantois a volontiers servi de témoin, d’intermédiaire et de collecteur pour des scientifiques, malgré ses propres réticences envers la science54, avec l’espoir probable d’un avancement de sa cause et de la consécration de son autorité savante. Or il appert que la presque totalité de ces scientifiques étaient étrangers soit par leur nationalité, soit par leur implantation. Parmi les linguistes, on peut relever l’incontournable dialectologue belge Willem Pée, venu à l’abbé Gantois via l’abbé flamandophone Despicht durant les années 1920, le linguiste néerlandais Piet Paardekooper, mis en contact vraisemblablement via André Demedts dans les années 195055, le philologue Pierre Naert, en échange épistolaire depuis l’université finlandaise de Turku dans les années 1960, le germaniste américain Geart B. Droege, doyen de l’Elmhurst College (Illinois). Chez les historiens, on remarque principalement des auteurs belges proches du nationalisme flamand, avec en tête de file Jozef Goossenaerts, dès les années 1920 et surtout dans les années 1950-1960, quand ce dernier a régulièrement offert à Gantois l’asile éditorial de ses Wetenschappelijke Tijdingen. On soulignera également que Gantois a collaboré avec l’allemand Franz Petri dès avant la Deuxième Guerre Mondiale, bientôt « Volkstum- und Kulturreferent » de la Militärverwaltung ; il était l’interlocuteur privilégié de la Westdeutsche Forschungsgemeinschaft, dans cette même période propice aux biais56. En 1954, il a été approché des historiens américains Shepard Clough et Carlton Hayes, président de l’American Historical Association. Les seuls historiens ou ethnologues français dans son entourage appartenaient au courant « folkloriste » dont la valeur scientifique était déjà en cours de déclassement, tels que Georges Henri Rivière57 et André Varagnac. Les historiens de l’art les plus connus, parmi ses fréquentations, étaient belges, comme Juliane Gabriëls, ou néerlandais, comme Sixma van Heemstra.

Chronologiquement, son activisme culturel flamand nourri de références érudites a permis à Gantois d’être approché, tout d’abord, par des scientifiques que disqualifiait plus ou moins une franche sensibilité nationaliste ou folkloriste, puis, après la Deuxième Guerre Mondiale, par des scientifiques strictement étrangers au contexte intellectuel et culturel français que l’indignité nationale post-bellum ceignait d’un invisible cordon sanitaire.

I.2.3) Les courts-circuits périphériques

53 Cf. la critique courtoisement acerbe dans l’éditorial de janvier 1939 du Lion de Flandre.

54 Avant comme après la Deuxième Guerre Mondiale, Gantois s’est prononcé très durement contre la science qui ne conduirait pas à une action animée d’amour envers ses semblables. Cf. Le Lion de Flandre, mai-juin 1930, p.

6 ; J.-M. Gantois, In de leer bij Pater Stracke, Langemark, Vonksteen, 1956, p. 36.

55 Cf. http://www.dbnl.org/auteurs/auteur.php?id=pee_003 et

http://www.dbnl.org/auteurs/auteur.php?id=paar001.

56 M. Fahlbusch, « Deutschtumspolitik und Westdeuschte Forschungsgemeinschaft », in B. Dietz, H. Gabel & U.

Tiedau (dir.), Griff nach dem Westen, Münster, Waxmann Verlag, 2003, t. II, p. 590.

57 Cf. J. Julliard & M. Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 2002 (1996), pp. 1.208- 1.209.

(10)

Au reste, c’est ce même activisme culturel destiné à l’illustration de la Flandre qui a placé Gantois dans un écheveau de réseaux parallèles ou appariés d’acteurs identitaires. Lors de la période de l’effervescence régionaliste de l’Entre-deux-guerres, par imitation formatrice de modèles vocationnels (e.g. chanoine Looten), Gantois s’est fait défenseur de la décentralisation culturelle, prônée par nombre de notables locaux des provinces de France. Il a donc adjoint initialement son mouvement aux Jeunesses Régionalistes du Nord, filiale locale de la Fédération Régionaliste de France créée par l’industrielle Achille Glorieux en 1922 et active jusque la fin des années 1920, dont il s’est lié avec les principaux animateurs (Dubly, Scrive-Loyer, Van den Driessche). Il l’a logiquement remorqué à la Fédération Régionaliste de France (FRF), qu’il a appris à connaître avec quelques personnalités (e.g. Paul Devigne). La proximité de la FRF avec le Félibrige a conduit à la proximité de Gantois avec certaines grandes figures du mouvement mistralien, telles que l’abbé Salvat.

Mu par une forme d’émulation homologique, Gantois a trouvé en la personne d’un autre prêtre, l’abbé Perrot, tête pensante du Bleun Brug, non seulement un modèle et un ami durable (1925-1943), mais aussi un passeur vers les principaux terrains de lutte de l’Emsav : le régionalisme catholique breton d’Adsao sous l’égide l’abbé Madec, entre 1929 et 1931, le fédéralisme breton de la Ligue Fédéraliste de Bretagne mené par Maurice Duhamel (entre 1931 et 1936) et plus tard propice à produire des Résistants, le nationalisme jusque-boutiste de Célestin Laîné déjà mêlé à l’attentat de Rennes de 1932 et bientôt impliqué dans le collaborationnisme le plus militairement accompli avec la Bezen Perrot, le nationalisme ambigu de Yann Fouéré, l’activisme d’extrême-droite de Roger Hervé, mi-flamand mi-breton, ancien assistant de Rivière et admirateur du nazisme. De lien en lien, Gantois a même fini par être investi de la sympathie de nationalistes irlandais et écossais après la Deuxième Guerre Mondiale.

Sitôt identifié comme « Monsieur Flandre française », Gantois a en fait rejoint le

« club » des représentants de la défense des périphéries où peuvent se ranger, parmi ses fréquentations, l’abbé Haegy pour l’Alsace (années 1920), Johannès Thomasset pour la Bourgogne (avant et après la Deuxième Guerre Mondiale), Jean Mabire et Maurice Guignard pour la Normandie (après la Deuxième Guerre Mondiale). Aucune liste de ses interlocuteurs, correspondants et occasionnels commensaux n’a pas encore pu être établie avec certitude ou exactitude, mais les nombreux et étonnants hommages dans les années 1960 qui lui ont été rendus sont assez édifiants, dont certains étaient signés par E.T.A. et Enbata.

Avec le fédéralisme (cf. infra), la défense des périphéries trouvait une modalité idéologique capable d’oblitérer le clivage entre les diverses formes de régionalismes et les différentes expressions du nationalisme. L’espace ainsi créé a vite été comblé, déjà durant l’Entre-deux-guerres et bien plus évidemment dans le post-bellum europhile, par des personnes dont Gantois s’est volontiers rapproché, notamment celles du Cercle d’Etudes Fédéralistes fondé en 1935. L’inspiration proudhonienne de ce fédéralisme n’a pas rebuté Gantois, pas plus que ne l’a troublé le positionnement à l’extrême droite de certains alliés, comme les membres de la Ligue des Droits du Nord fondée par Blachon en 1926 et transformée en un Laboratoire d’Idée/Centre d’études Gobineau en 1929, ou, pendant un bref temps sous l’Occupation, les membres d’une ligue connue sous le même nom et menée par Dr Quesnoy (qui sera fusillé à la Libération). En revanche, Gantois se gardait de fréquenter les promoteurs de mouvements opposés, par principe, à l’existence même de périphéries distinctes ou au soi-disant esprit germanique des Flamands (le Parti Populaire Français de Doriot, le Parti Franciste de Bucard).

Or son aversion avérée pour l’extrême droite et les ligues avait une limite : la frontière franco-belge. Outre l’affinité intellectuelle indéniable avec le Verdinaso de Joris Van Severen58,

58 Nous n’avons pas trouvé de document attestant un lien réel entre Van Severen et Gantois. Cependant, une délégation du mouvement de jeunesse Gantois, la Zuid-Vlaamsche Jeugd, s’est rendue sur la tombe du leader du Verdinaso en 1943 à Abbeville.

(11)

qu’explique une commune adhésion à la nécessité d’un maximalisme territorial et culturel flamand/néerlandais, une connivence personnelle avec quelques personnalités du Vlaams Nationaal Verbond (°1936) prouve son absence de prévention envers l’extrême droite : la finalité ethnoculturelle l’emportait sur la modalité politique. Le parti nationaliste flamand de Staf De Clerq, ab initio favorable à un rapprochement entre la Flandre belge et la Flandre française, bientôt engagé dans la collaboration avec les nazis, était en contact avec Gantois dès 1937 par l’intermédiaire de Baziel De Bock, l’aumônier de l’Œuvre Flamande (cf. infra)59. La présence d’actualités liées au VNV dans les colonnes de la revue néerlandophone du mouvement de Gantois confirme cette connivence, même si elle doit être surtout le fait de collaborateurs belges du VVF, en particulier d’Albert Van Hoyweghen. De connaissance en connaissance, Gantois a ainsi eu des contacts avec les personnes au cœur du collaborationnisme flamand belge, d’où la parution d’un numéro spécial Flandre française dans la revue collaborationniste DeVlag dirigée par Jef Vandewiele en mars 1941.

I.3) De la friture belge sur le réseau flamand de France.

La présence de personnes de nationalité belge, voire d’immédiate ascendance belge, dans les différents « circuits » mis en réseau par Gantois ne constitue en rien une invraisemblance, malgré l’apparent ciblage des populations autochtones françaises. Dans le nord de la France jusque dans l’Oise, des travailleurs flamands belges s’étaient installés durablement ou provisoirement, dans les zones rurales (agriculture) comme urbaines (industrie). A cette diaspora liée aux migrations économiques il convient d’ajouter des foyers d’intérêts maintenus en Belgique, en raison de leur proximité avec la Flandre française ou de leur adhésion à une forme d’irrédentisme (cf. infra). Encore faudrait-il que ces viviers potentiels aient fourni effectivement des éléments dans le réseau flamand de France, que ces éléments aient eu une éventuelle signification et qu’ils aient exercé, volontairement ou non, une quelconque influence pour que nous puissions conclure à l’utilité d’isoler la « belgicité » comme facteur d’altération dudit réseau. Le simple examen de la correspondance personnelle de Gantois, depuis les années 1920, et de la correspondance du VVF, en particulier sous l’Occupation, suffit à valider aisément l’hypothèse d’une présence de Belges. Il faut un examen à peine plus minutieux pour apprécier les effets de cette présence.

I.3.1) Les commutateurs belges

Dans le circuit des hommes du « vouloir », plusieurs Belges semblent avoir joué un rôle significatif pour autant qu’ils fussent déjà affiliés à une organisation. Dans le cas évoqué plus haut du rapport entre Gantois et le Vlaams Nationaal Verbond, c’est bien un Belge, l’abbé de Bock, qui a permis son introduction dans le milieu de l’extrême droite belge, i.e. l’exposition de Gantois et d’une partie de son entourage à l’influence de cette forme de nationalisme flamand. La mise en relation entre les abbés Gantois et De Bock s’explique par trois facteurs décisifs : leur confraternité sacerdotale, leur attention envers les Flamands, leur implantation en région lilloise. Créée vers 1863, le Werk der Vlamingen dont De Bock était l’aumônier dans les années 1920-1930 était une œuvre destinée à maintenir la culture et la pratique catholiques flamandes parmi les immigrés belges à Lille (Wazemmes). Cette organisation se chargeait de nourritures spirituelles (sacrements en langue néerlandaise ou dans l’interlangue flamando- néerlandaise), terrestres (repas chauds sous l’Occupation) et intellectuels (lectures en néerlandais). Les successeurs de De Bock, les abbés Wannyn et Corsmit, ont été des proches

59 W. C. M. Meyers, « Les collaborateurs flamands de France et leurs contacts avec les milieux flamingants belges », Revue du Nord, n°237, t. L, avril-juin 1978, p. 342.

(12)

de Gantois, au point que le deuxième des deux est devenu son premier assistant après la Deuxième Guerre Mondiale.

Parallèlement, le Vlaamsche Vriendenkring van Robaais (VVK) apportait un soutien matériel, culturel et spirituel aux immigrés flamands belges de Roubaix employés dans les usines du Nord, d’abord à Roubaix à sa fondation en 1904, puis dans les communes proches (Tourcoing, Marquette, Marcq-en-Baroeul), avec la bénédiction de l’évêque du lieu (bénédiction du drapeau en 193460) et des autorités françaises (octroi du statut d’association étrangère en 1939). Or le président du VVK de 1922 à 1932, Henri Van Hoyweghen, a fourni à Gantois, en la personne de son propre fils, Albert, un collaborateur fidèle qui, incidemment, sous l’Occupation, a fait office de relais du collaborationnisme intellectuel belge. Devenu à son tour président du VVK en 1941, Albert Van Hoyweghen a fait de cette organisation une section du VVF de Gantois et l’a transformée en Willem van Gulikkring, dont le « service d’ordre » était assuré parfois par des membres du mouvement de jeunesse du VVF. Dans le cadre de ce

« cercle Guillaume de Juliers », Jules Kneuvels a organisé des réunions de propagande nationaliste flamande assez perméable aussi nazisme. Du reste, on notera que, dans les années 1960, un ancien président du VVK, Jozef Pollefeys, a reconduit les activités du groupement dans le cadre d’un nouvel avatar du Werk der Vlamingen avec l’abbé Corsmit.

Nettement moins marqué politiquement, malgré un nationalisme conservateur avéré, le Davidsfonds était l’une des principales organisations de diffusion de la culture flamande (conférences, récitals, pièces, prêts ou dons d’ouvrages en néerlandais) depuis 1875. Parmi les quelque 250 sections locales recensées dans les années 1920 se trouvaient deux sections françaises : une à Ghyvelde, ouverte en 1928 par un proche collaborateur de Gantois, l’abbé Janssen, et une autre à Roubaix, créée en 1929 sous l’impulsion du Vlaamsche Vriendenkring.

Ces deux sections ont compris une quarantaine de membres en 1930 dont la plupart étaient aussi membres du VVF ; certaines de leurs assemblées générales se sont tenues en marge des assemblées générales du VVF. Le Davidsfonds et le VVF se faisaient mutuellement de la publicité et l’organisation belge procurait volontiers des livres en néerlandais que l’organisation française transférait à ses membres belges ou aux membres apprenant le néerlandais.

Cependant, les relations entre Gantois et les interlocuteurs du Davidsfonds, « ces flaminboches de Louvain »61, n’ont cependant pas toujours été des meilleures, surtout après 1940.

Semblablement, un autre ecclésiastique, formé à la même époque que Janssen et Gantois, a fait office d’agent de liaison entre la Flandre française et la Flandre belge, permettant malgré lui la pénétration future du pannéerlandisme en France. Le créateur du premier cercle d’études flamand, Antoine Lescroart, s’était découvert une âme flamande en participant à une manifestation du groupe Pro Westlandia en 1913. Cette ghilde de chanteurs flamands belges, initialement appelée Vlaamse Zangersgilde en 1912, s’était donné pour objet de ranimer la langue flamande en France par le chant. Or les membres de ce groupe sont rapidement devenus des fers de lance du nationalisme flamand, voire du pannéerlandisme : Cyriel Rousseeu, Hilaire Allaeys, August Borms, W.J.L. Van Es. Dans les années 1920, le VVF a su gagner la sympathie de l’éditeur Barbez par l’entremise de Pro Westlandia et grâce à l’entregent de l’éditeur Vandenbussche approché par Allaeys. En 1938, Van Es a créé, en collaboration avec Gantois, une Zannekin-wergemeenschap pour soutenir les initiatives des Flamands de France en matière de diffusion des langues et culture néerlandaises. En 1941, Borms et Rousseeu ont refondé cette

« communauté de travail Zannekin », désormais appelée Zannekin-Arbeidsgemeenschap, et y ont attiré des anciens de Pro Westlandia et des collaborateurs flamands belges notoires (dont le gouverneur de la Flandre-Occidentale). Les membres de ce groupe ont mis à profit leur pouvoir ou influence pour permettre à Gantois d’augmenter son audience, facilitant notamment sa tournée de conférence en Belgique en 1942 et sa campagne d’abonnement aux revues du VVF.

60 Cf. document conservé dans le dossier 1.50 des Archives de Franse Nederlanden de la Kulak [KAFN].

61 Lettre déjà citée de Gantois à V. Celen datée du 09/04/1955.

(13)

Au reste, quelques rescapés de la Guerre et de son épuration ont relancé l’idée originelle de Pro Westlandia en créant l’association Zannekin Vereniging en 1966, soutien logistique et financier de plusieurs manifestations et publications autour de Gantois, dont elle reste attachée aux idées jusqu’aujourd’hui.

Enfin, après la Deuxième Guerre Mondiale, suite à ses « faits d’armes » et à son investissement pour une « partie de la Flandre », Gantois a été lié à d’autres organisations flamandes belges assez détachées du nationalisme intransigeant évoqué plus haut (le Komitee voor Frans-Vlaanderen, Bachten de Kupe). Cependant, ce lien plus ou moins distendu s’est surtout traduit par la mise en relation entre une nouvelle génération d’acteurs identitaires flamands de France et celle de l’autre côté de la frontière, sans que Gantois ne pût rester proprement l’Ego de ce réseau reconfiguré.

I.3.2) A courant et à contre-courant

A propos des hommes de pouvoir, il faut constater la faible présence initiale de Gantois sur le circuit belge. Assurément, de nouveau, le caractère clérical de Gantois a joué en sa faveur en Flandre belge où le catholicisme était puissant. Tous les relais parmi l’establishment catholique ne nous sont pas connus avec exactitude, qui, pourtant, peuvent expliquer certains succès intellectuels et sociaux. Ainsi Gantois a-t-il obtenu de l’évêque de Bruges une très aimable préface pour son livre sur les mystiques flamands, paru en 1928, sans que Mgr Waffelaert ne sût l’identité véritable de l’auteur « Bruggeman ». Pareillement, même si les étapes n’en sont pas établies avec exactitude, Gantois a su trouver son chemin jusqu’à l’abbé Cyriel Verschaeve, l’écrivain nationaliste, qui, sous l’Occupation, a développé une esthétique collaborationniste sans retenue aucune. Equivalent laïc de l’abbé Verschaeve, l’écrivain nationaliste Wies Moens s’est également lié d’amitié avec Gantois. Or cet ancien du Frontpartij dans les années 1920, cofondateur du Verdinaso, s’est fait nommer directeur de la radio nazie Zender Brussel sous l’Occupation grâce à son zèle nationaliste flamand et sa complaisance nazie. Son activité lui a valu d’être condamné, comme après la Première Guerre Mondiale, pour collaboration ; seule la fuite lui a permis d’échapper à la mort requise.

Autrement dit, plusieurs traits caractéristiques de Gantois ont permis son attraction vers des circuits flamands belges : un catholicisme irréductible, un attachement passionnel à la

« Flandre » (quoi qu’on mette sous cette appellation), un attrait indiscutable pour la littérature et les arts, un expédientisme bonhomme sans réserve, une fidélité aveugle aux engagements.

Or, par effet d’attraction, l’intégration sur les circuits belges, de cercle en cercle, a conduit Gantois à prendre part à des manifestations, des publications, des réunions, des conversations qui l’ont socialisé : ces participations ont, partiellement au moins, altéré la matrice attitudinale, comportementale et intellectuelle consubstantielle à son appartenance à d’autres circuits français. Elles ont entraîné, ou accru, une perméabilité de Gantois ou, par ricochet, de certains membres de son groupement et de son lectorat, à des idées souvent radicales, d’inspiration strictement flamande (e.g. pannéerlandisme) ou d’influence étrangère (e.g. nazisme) ; elles ont percé, ou agrandi, une ouverture vers les nazis et leurs affidés belges ou même français62. La radicalité des options pouvaient certes s’atténuer au-delà de la frontière franco-belge en raison de l’expansion de l’adhésion à ces options radicales vis-à-vis de la « Flandre », mais elles ne pouvaient que s’amplifier en-deçà de cette frontière pour les loyalistes français, de toute obédience politique. La figure de Janus bifrons, souvent attribuée à Gantois, provient précisément de la dualité née, développée, puis maintenue entre l’approche romantique de la défense de la « Flandre », acceptable pour les vieilles élites locales, et l’approche praxéologique

62 Nous pensons, sans pouvoir argumenter davantage faute de source fiable, que l’intégration d’éléments français pro-nazis dans le mouvement de Gantois est postérieure à la nazification, même superficielle, de ses fréquentations belges, ce qui aurait ainsi ôté tout enjeu moral à l’intégration desdits éléments français pro-nazis.

(14)

de la défense de la Flandre, intelligible pour des générations moins avantagées par un loyalisme français indiscuté. Or Gantois a élaboré et mis en pratique cette approche praxéologique, suivant certes la tendance présente dans certains mouvements nationalistes français de l’Entre- deux-guerres, mais avec une ligne d’horizon esquissée ou dévoilée par les Belges. C’est pourquoi, parmi les membres du mouvement de Gantois et parmi ses sympathisants, une majorité s’est désolidarisée ouvertement, avec bonne foi le plus souvent, après 1944, du moins quand, malencontreusement, leur adhésion et leur sympathie passées (re)faisaient surface.

En fin de compte, les participations de Gantois aux circuits susmentionnés lui ont apporté, outre des sources de financement supplémentaires, un capital social dont le bilan, en termes de rendement, n’est pas équilibré. D’une part, elles ont été la cause de son infamie en France, où l’infamie s’entend comme la réputation inaliénable d’être un vecteur de risques incommensurables pour l’honorabilité de Français, au-delà des seuls contacts pastoraux avec l’ecclésiastique jamais répudié par l’Eglise (figure répulsive contre-exemplaire ). D’autre part, elles ont été la cause de son prestige en Belgique et aux Pays-Bas, notamment, où l’abnégation, la persévérance, la résilience, l’indocilité, expérimentées au profit de la Flandre et en dépit des adversités, à l’occasion d’un sacerdoce nationaliste poussé jusqu’au martyre judiciaire, étaient hautement valorisées chez les militants prompts à recevoir des bénédictions contre des hommages (figure attractive exemplaire). Cela explique la présence d’élus flamands belges, parfois de haut rang, aux hommages évoqués plus hauts, pour autant qu’ils fussent eux-mêmes des militants de la cause flamande passés par les urnes ou simplement les patrons obligés de clientèles impliquées dans le nationalisme.

Par parenthèses, on notera la curieuse ironie suivante : les meilleures amitiés entre Gantois et certains Belges (e.g. Vital Celen), avec la cascade de conséquences décrites plus hautes, ont été scellées à l’initiative de quelques Français (e.g. chanoine Looten) qui ont négligé ou ignoré l’évolution générationnelle de la majorité des Flamands belges vers le nationalisme, même – voire surtout – parmi les élites intellectuelles (e.g. Maurice Sabbe).

II. L’élaboration d’une nouvelle approche des Flamands de France

Ses connexions belges, ainsi avérées, ont inévitablement influé sur l’œuvre intellectuelle de l’abbé Gantois dans une mesure qu’il convient à présent d’évaluer. Son œuvre intellectuelle a consisté en la diffusion, ainsi qu’en son imprégnation, d’une « doctrine » marquée à la fois par une invariabilité de l’énoncé doxologique et par une inconstance de la formulation idéologique. De la soutane au linceul, Jean-Marie Gantois a insisté sur l’existence pérenne d’une « Flandre » digne d’être aimée et sur la nécessité impérieuse de sa restauration.

Cependant, selon les modes intellectuelles, les publics visés et les occasions saisies, il a emprunté des voies diverses pour exprimer et justifier une pareille insistance, lesquelles voies peuvent se classer en trois groupes distincts : l’apologie « Pro Westlandia » (II.1), le plaidoyer Pro Occidenti (II.2) et le discours Contra Anti-Flandria (II.3)

II.1 L’inversion des pôles

Une partie de son œuvre s’apparente à une apologie « pro Westlandia »63, où le « coin de l’Ouest » est traité conformément aux canons des courants de pensée favorables à la décentralisation, à l’irrédentisme, au « théodiscisme ».

II.1.1) A l’avant-poste des périphéries

63 Nous reprenons ici le nom de la ghilde de chanteurs flamands belges évoqués plus haut, suivant l’hypothèse d’une influence décisive de l’initiative belge sur la mise en branle effective des séminaristes dans les années 1920.

(15)

La décentralisation s’entend ici, au risque d’un anachronisme malheureux, comme la refocalisation de l’attention vers la partie d’un tout, selon les prérequis du régionalisme, ou comme la relocalisation de l’attention à une partie vers un tout, selon les exigences du fédéralisme. De fait, l’insertion de Jean-Marie Gantois dans le milieu intellectuel régional a impliqué l’adhésion, plus ou moins franche, au régionalisme prégnant dans ce milieu durant l’Entre-deux-guerres, lequel mouvement, incontournable, reposait sur un « vaste ensemble d’individus et d’associations ayant des activités et des productions différentes et formant pourtant un réseau »64 (A.-M. Thiesse). Dans le nord, cet ensemble comprenait notamment des groupements (e.g. Jeunesses régionalistes du Nord, Les Amis de Lille), des publications (e.g.

Le Mercure de Flandre, Le Beffroi de Flandre) et des manifestations (congrès et conférences régionalistes). Or quelque forme qu’il prît, le régionalisme en question est authentiquement autochtone, notamment par son principe indiscuté des « gigognes patriotiques »65 (petite patrie dans la grande Patrie). Toutefois, dans les années 1930, lorsque les principaux promoteurs du régionalisme ne lui ont plus permis d’avancée significative sur les plans notabiliaire, académique et culturel, Jean-Marie Gantois s’est détourné du régionalisme, sans pour autant réfuter clairement un courant apprécié de soutiens encore utiles à son réseau, puis s’en est détaché définitivement après la Deuxième Guerre Mondiale. L’élément belge n’est pas, en matière de régionalisme chez Gantois, grandement significatif, sauf à dire qu’il a été, via l’action de Pro Westlandia, le ferment du régionalisme primitif d’un Antoine Lescroart66, créateur du premier cercle flamand de France en 1919 auquel s’est joint Gantois, et l’engrais d’un régionalisme déjà éclos d’un Gaspard Vandenbussche67, directeur du Beffroi de Flandre cannibalisé par Gantois68.

Dans les années 1920, le régionalisme était contigu au fédéralisme69 qu’il a paradoxalement contribué à nourrir et à maintenir dans l’ombre. C’est après la fin de la deuxième Guerre Mondiale et son lot d’indignités personnelles que l’abbé Gantois a tenté de se refaire une virginité, auprès de la nouvelle génération de notables avérés ou potentiels, avec le fédéralisme qui « est à la mode : c’est le dernier article à Paris »70. Préalablement initié par son ami français Nicolas Bourgeois, auteur d’une thèse sur le principe fédératif (1921), et sensibilisé par certains membres de mouvements nationalitaires français (Fédération Régionaliste de France, Breiz Atao, Ligue Fédéraliste de Bretagne), l’abbé Gantois a rejoint les

« fédéralistes intégraux », d’aspiration proudhonienne et statophobes, plutôt que les

« fédéralistes classiques », admiratifs de The Federalist et statophiles71. Son ethnofédéralisme européen était ambivalent, car la région « flamande » de France devrait ou bien jouir d’une autonomie au sein de la fédération française et librement se mettre au niveau culturel, social et linguistique de la Flandre belge et des Pays-Bas, ou alors « réintégrer » la communauté

64 A.-M. Thiesse, Ecrire la France, Paris, PUF, 1991, p. 122.

65 A.-M. Thiesse, Ils apprenaient la France, Paris, Ed. de la MSH, 1997, p. 15.

66 Ons Erfdeel, n°VI-1, 1962, p. 7.

67 L. Verbeke, Vlaanderen in Frankrijk, Leuven, Davidsfonds, 1970, p. 143.

68 Entre 1923 et 1927, Gantois et ses collaborateurs se sont rendus de plus en plus nécessaires pour la survie du Beffroi de Flandre jusqu’à en devenir les maîtres ; le numéro unique de 1927 est d’ailleurs intégralement consacré au congrès du VVF. Pour preuve, sur les bulletins d’abonnement au Beffroi de Flandre conservés dans le dossier KAFN 1.43, le nom de Vandenbussche est biffé et remplacé par celui de Gantois.

69 Sur la définition du fédéralisme que nous avons retenue ici, nous renvoyons les lecteurs à J.-L. Quermonne et M. Croizat, L’Europe et le fédéralisme, Paris, Montchrestien, 1999, p. 11 ; P. Ansart, Proudhon, Paris, Livre de Poche, 1984, pp. 338. Les principales autres références employées ici pour notre compréhension historique et idéologique du fédéralisme sont A. Greilsammer, Les mouvements fédéralistes en France de 1945 à 1974, Nice, Presses d’Europe, 1975 ; Ch. Réveillard, Les premières tentatives de construction d’une Europe fédérale, Paris, Œil, 2001 ; D.-L. Seiler, « La naissance des formations indépendantistes en Europe occidentale », in Ch. Bidégaray (dir.), Europe occidentale. Le mirage séparatiste, Paris, Economica, 1997, p. 60

70 H. Dumesnil [J.-M. Gantois], Veut-on vraiment faire l’Europe ?, Paris, CEF, 1949, p. 3.

71 Nous reprenons ici la distinction proposée par Ch. Réveillard (op. cit.).

Références

Documents relatifs

Les sujets et corrigés publiés ici sont la propriété exclusive d’ECRICOME. Ils ne peuvent être reproduits à des fins commerciales sans un accord préalable d’ECRICOME. Great

Intégrée aux programmes scolaires dès 2005 au Royaume-Uni, elle fait l’objet d’un enseignement spécifique visant le développement de l’intelligence émotionnelle sur le

• La fonction montage facilite le déplacement du plancher sur les barreaux, en totale sécurité et avec une grande facilité.. Montage du plancher en sécurité et sans

Problème au sens de problématique scientifique et didactique, problématique scolaire, problème au sens d’énigme, problème reformulé par l’élève dans un

Le Mali a su également tirer profit du Cadre intégré renforcé (CIR) grâce à l'opérationnalisation de son Unité de mise en oeuvre, à travers laquelle

Un service client EVVA hors

Utilisation du blé et des céréales dans la ration des vaches laitières (revue).. Valeur alimentaire et utilisation du triticale en

Au cours des années 1920, années marquées par un pas en avant spec- taculaire des femmes, des auteurs souvent méconnus ont interrogé leur condition dans des collections qui