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L’aversion des antipodes

Contrepoids des exaltations nationalitaires, l’expression du mépris et de la détestation de l’« Anti-Flandre » est également présente dans l’œuvre de Gantois sous la forme d’un antiméridionalisme tenace (II.3.1), d’un racisme inconsistant (II.3.2) et d’un extrémisme modéré (II.3.3).

II.3.1 le Midi noirci

Complément du septentrionalisme dont il a pu devenir le revers, l’antiméridionalisme est l’opinion défavorable, sinon haineuse, envers les Méridionaux, qu’ils habitent dans le Midi de la France ou dès au-delà de la Loire censée être la clé « de l’énigme française » (Vidal de La Blache)107. Il ne s’agit pas proprement d’un courant originaire du Nord108, puisque maint auteur français du 19ème siècle avaient nourri une forme d’antipathie pour le Sud, suivis au 20ème siècle par quelques plumes féroces109. Dans le premier tiers du 20ème siècle, le Méridional fait régulièrement office de bouc émissaire dans la presse d’opinion du Nord, depuis la gauche (Valentin Bresle) jusqu’à l’extrême droite (Gabriel Pagnerre). Seule une véhémence incurablement outrageuse110 a fait perdre à Georges Blachon, précurseur de l’antiméridionalisme pamphlétaire puis doctrinal111, le blanc-seing accordé par la majeure

106 N’est pas anodin le fait que le Denkschrift soit classé, aux Archives d’Indre-et-Loire, dans le dossier Z XV 30 provenant de la Feldkommandatur de Saint-Symphorien, avec les Grundlagen der Grenzführung im lothringischen Raum (non daté), les Gedanken über das Schicksal Burgunds von einem Burgunder (non daté) et un Neuer Bericht über Euzkadi von einem baskischen Nationalisten (rédigé avant avril 1942).Cette série de documents (ADI&L Z XV 30) provient de la Feldkommandatur de Saint-Symphorien.

107 Cf. J.-Y. Guiomar, « Le Tableau de la géographie de la France de Vidal de la Blache », in P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. II.1, Paris, Gallimard, 1986, pp. 579 & 588.

108 Des exemples peuvent également être trouvés dans d’autres régions. Cf. M. Denis, « Le mouvement breton pendant la guerre », in Ch. Bougeard (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre Mondiale, Brest, CRBC, 2002, p. 159.

109 Philippe Martel cite notamment Mérimée, Hugo, Stendhal, Michelet, Bloy et Céline dans son article « Le Félibrige », in P. Nora, Les lieux de mémoires, Paris, Gallimard, t.III2, 1992, p. 572

110 Cf. e.g. lettre de L. Delepoulle à N. Bourgeois du 10/08/1931 (Archives Départementales du Nord : 70 J 101) ou encore l’article d’un Emile Raoust ulcéré par les insultes contre les Méridionaux, dont il reconnaît pourtant les

« torts » in Les Amis de Lille, 15 mars 1930, pp. 15-16.

111 Cf. sa série de factums La Flandre prend la parole (1919 ; ADN M 154 /317) et Pourquoi j’aime la Flandre (Lille, Mercure de Flandre, 1921).

partie de l’élite lettrée du Nord. Quant au fond, nul ne trouvait à disputer la véracité des « faits » établis par l’ancien préfet dans un inventaire que d’autres auteurs régionaux ont volontiers enrichi d’exemples : hâblerie, paresse, propension à la politique politicienne et au fonctionnariat, coupable continence démographique, confiscation de l’exécutif112

S’affranchir de l’antiméridionalisme eût été, pour le Gantois des années 1920, le plus sûr moyen de s’interdire l’accès au champ intellectuel régional. Pareillement, renoncer à un antiméridionalisme très cathartique eût été, pour le Gantois des années 1940, la meilleure façon de s’aliéner la bonne volonté d’un Occupant misant sur les stratégies médiatiques de dépolitisation113. Au reste, Gantois est sans doute moins responsable d’avoir alimenté intellectuellement l’antiméridionalisme que d’en avoir facilité la diffusion dans les revues liées à son mouvement.

Tout comme le septentrionalisme, l’antiméridionalisme au VVF a subi l’influence du débat intellectuel autour de l’idéologie nazie au milieu des années 1930, en prenant la forme plus spécifique d’antilatinisme. Voie ouverte très tôt par Blachon114, élargi dans les années 1930 avec les mues du germanisme, l’antilatinisme trouve ses origines à la fois dans le nationalisme allemand des 18ème et 19ème siècles115 et dans la remise en cause par des Français des canons classiques en littérature, en architecture et autres arts plastiques116. Selon ses penseurs, les Latins et leurs émules latinomanes auraient ouvert l’Europe à un pandémonium de peuples inférieurs, imposé à l’imagination germanique une gangue logique et rationnelle, corrompu l’Occident chrétien sorti du Moyen-Âge avec des références mythologiques à la Renaissance, affaibli l’ordre viril naturel par des pratiques hypercivilisées féminisantes117, contenu le mouvement urbain fondé sur les chartes et franchises avec un centralisme d’inspiration impérial.

Par conséquent, l’antiméridionalisme semble avoir prospéré dans l’œuvre de Gantois et de ses collaborateurs sans intervention extérieure, même si des nationalistes flamands belges ont tendu à faire de la Wallonie le Midi de la Belgique, car les références et les relais étaient notoirement français.

II.3.2) Un racisme en demi-teinte

Dès avant l’antiméridionalisme, puis bien au-delà, le racisme est l’élaboration théorique la plus propice à la catégorisation stricte aussi bien de l’in-group flamand à chérir que des out-groups nécessairement moins dignes des sentiments des Flamands. Réalisé en trois états distincts (préjugé racial, discrimination raciale, idéologie raciste), le racisme118 repose sur des déterminismes biologiques, attitudinaux et comportementaux dont les effets classent hiérarchiquement les groupes humains. Echelonné en trois niveaux (inclination naturelle au rejet de l’autre, ethnocentrisme, théorisation de l’ethnocentrisme), il peut prendre différentes formes selon la typologie proposée par Pierre-André Taguieff : le racisme

112 Cf. A.-M. Thiesse, Ils apprenaient la France, Paris, Ed. de la M.S.H.,1997, passim. Cf. aussi A. Corbin, « Paris-province », in P. Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. III.1, Paris, Gallimard, 1992, pp. 779 & 812.

113 Cf. F. Traullé, « La Vie du Nord, un organe de dépolitisation », Revue du Nord, t. II, 1988, pp. 613-636.

114 M.-A. Guegan [prob. G. Blachon], « Délivrance du Mal latin », Le Mercure de Flandre, fév. 1925, pp. 6-10.

115 Cf. J. G. Fichte, Discours à la nation allemande, Paris, Aubier, 1981 (1807-1808), pp. 129-130.

116 Cf. F. Mélonio, Naissance et affirmation d’une culture nationale, Paris, Le Seuil, 2001, p. 122 ; J.-Cl. Vicato,

« Doctrines architecturales et idéologies politiques françaises : le régionalisme », in Ch. Villai-Gandossi (dir.), L’Europe à la recherche de son identité, Paris, Ed. du C.T.H.S., 2002, pp. 380-381. Cf aussi la diatribe d’un des écrivains francophones préférés de Gantois, Joris-Karl Huysmans dans A rebours (Paris, Gallimard, 1998 [1884], p. 109).

117 Par parenthèse, on notera que l’anthropologue espagnol Julio Caro Baroja avait relevé, dans son pays, des critiques comparables in Le mythe du caractère national, Bordeaux, PUB, 2001 (1970), pp. 31-32.

118 P.-A. Taguieff, La force du préjugé, Paris, Gallimard / La Découverte, 1987, pp. 229-230, 270, 314, 395.

spiritualiste à la Jules Ferry, le racisme biologique-évolutionniste à la Hoeckel, le racisme communautariste-spirtitualiste à la Spengler, le racisme matérialiste-zoologique à la Vacher de Lapouge.

De 1924 à 1935, le terme race était pris par Gantois dans son acception gobinienne, exempte de toute influence au racisme « scientifique » de Vacher de Lapouge et autres craniologues, alors que Bourgeois, inséré dans les milieux politiques parisiens, lui faisait déjà assumer un autre sens119. Entre 1935 et 1940, le mot est employé de manière presque obsessionnelle dans les publications du mouvement et dans la correspondance privée de Gantois. Sous l’Occupation, les emprunts à la terminologie raciste, telles que les références aux indices céphaliques, ont prospéré dans les publications du VVF, quand avant la guerre ils n’étaient que circonstanciels. Or pendant la guerre, ses nouveaux collaborateurs (Cauvin, Hervé, Quesnoy) ont tenté de faire évoluer le racisme secondaire, où « stagnait » personnellement Gantois, vers un racisme tertiaire, notamment via les organismes pédagogiques du VVF, en théorisant l’ethnocentrisme flamand. Quand Gantois réfutait avec constance la pureté de la race aryenne et sa supposée supériorité120, ses collaborateurs se sont adonnés à un racisme matérialiste-zoologique (différentiation presque interspécifique des groupes humains), voire bio-évolutionniste (sélection exclusive des races dites supérieures).

Après-guerre, l’ethnisme a remplacé le racisme chez Gantois, sans regret ni dissimulation.

Indiscutablement, les préjugés raciaux circulaient librement dans le milieu où évoluait Gantois qui les a reproduits sans peine, s’abstenant seulement des injures et autres marqueurs de coprolalie d’un Blachon, réservant à la correspondance privée tardive les mots publics apparus précocement chez un Bourgeois (« métèque »)121. Pour l’élaboration idéologique du racisme au VVF, Gantois a puisé à quatre sources principales : les références intellectuelles évoquées plus haut ; la presse nationale française xénophobe, raciste et antisémite (à laquelle il avait notamment accès par Bourgeois) ; les périodiques militants d’autres groupements régionalistes ou nationalistes français ; les organes des mouvements nationalistes flamands. Il est difficile d’évaluer laquelle de ces sources a été la plus décisive et donc de conclure à l’influence déterminante des Belges.

En tout état de cause, son racisme a manqué de consistance ou de stabilité conceptuelles, notamment à cause de sa réticence admirative à la manipulation des énoncés formalisés par les

« scientifiques » du racisme. Egalement, malgré sa conviction profonde d’une pérennité et inaltérabilité des caractéristiques thioises de la Flandre française, il croyait en l’amélioration possible de la « race flamande » et au progrès des « races inférieures » mises en contact avec les « races supérieures », a rejeté en 1926 comme en 1939 l’hypothèse de races pures, tout en soutenant l’inégalité fonctionnelle et l’irréversibilité de races dont la diversité devait être maintenue122. Son attachement indéfectible au christianisme semble l’avoir à la fois gardé d’évoluer vers des formes de racisme plus criminogènes et persuadé du bien-fondé d’un racisme théologiquement équilibré (christianisation possible de toutes les races ; compatibilité des dogmes chrétiens et des dogmes racistes selon le Cardinal Faulhaber ; arguments religieux depuis la Bible jusqu’à Mit brennender Sorge). Paradoxalement, non sans une certaine mauvaise foi, il a condamné le racisme dès lorsqu’il s’exerçait « à rebours », c’est-à-dire quand les « races inférieures » étaient favorisées par rapport aux « races supérieures » au sein de la France et de son empire colonial, depuis l’époque de la radicalisation de l’antiméridionalisme

119 N. Bourgeois, « La Flandre française et ses Droits », Le Beffroi de Flandre, oct.-déc. 1926, p. 7 et passim.

120 Cf. Lettres de J.-M. Gantois à M.-Th. Le Boucq de Ternas datées du 29/06/1939 et 03/04/1939, citées in E.

Defoort, Une châtelaine flamande : Marie-Thérèse Le Boucq de Ternas (1873-1961), Dunkerque, Westhoek Editions, pp. 73 et 81.

121 Cf. N. Bourgeois, art. cit. et « D’une tactique de défense familiale », Le Lion de Flandre, mars-avril 1930, p.

42 & Lettre déjà citée de J.-M. Gantois à M.-Th. Le Boucq de Ternas du 29/06/1939/

122 Cf. « La race flamande » [1926], in De Zuidelijkste Nederlanden, Wilrijk, Oranje-Uitgaven, 1967, p. 6; « Il n’y a pas de Flandre wallonne », Le Lion de Flandre, mai 1939, p. 184 ; Le Règne de la race, op. cit., p. 105.

vers 1936 jusqu’aux années 1960 et l’émergence de la nouvelle droite. N’était une rancune tenace contre les Français, artisans éternels du sort malheureux de la France, Gantois ne semble pas avoir éprouvé de haine envers les « races inférieures », ni souhaité de tort aux Noirs, aux Arabes ou aux Juifs.

S’agissant plus spécifiquement de l’antisémitisme, Gantois y avait été vraisemblablement exposé à la fois par origine sociale (milieu réactionnaire probablement antidreyfusard) et sa situation cléricale (milieu généralement hostile aux « Juifs perfides »), comme tant d’autres intellectuels à droite comme à gauche123. Encore faut-il, dans le cas de Gantois, de déterminer l’importance de l’antisémitisme dans son œuvre et de quelle forme d’antisémitisme il peut s’agir. Entre 1924 et 1935, dans les publications du VVF, les Juifs n’ont pas exactement d’existence, l’antisémitisme en est donc absent. Entre 1935 et 1940, le thème des Juifs a été greffé à d’autres sujets, de manière pour le moins anecdotique – quoique négative124. Or depuis la fin des années 1920, il y a de franches hostilités dans plusieurs autres publications régionalistes locales échappant à la supervision, directe ou indirecte, de Gantois.

En un sens, les publications du VVF se sont faits l’écho distant d’un fond médiatique antisémite jusqu’à l’Occupation et ont laissé paraître des références sporadiques à défaut d’article spécialisé. Après-guerre, s’il n’a pas disparu dans la société, l’antisémitisme est « passé de mode » chez les intellectuels, pour des raisons évidentes, et les Juifs semblent avoir complètement perdu le peu de substance qu’ils occupaient dans les écrits propres de Gantois, quand ils sont restés une préoccupation chez certaines de ses relations.

Selon la taxinomie proposée par Taguieff125, les écrits à portée antisémite étaient généralement, au VVF, de type I (« antisémitisme social / sociétal / populaire ») avec des références péjoratives liées aux thèmes du négoce ambulant, l’appât du gain et les pratiques bancaires, l’errance et le patriotisme douteux, la proximité insidieuse avec le pouvoir.

Toutefois, une adhésion à une idéologie plus élaborée de type II (« antisémitisme idéologique ou doctrinal ») se laisse entrevoir dans certains articles publiés sous l’Occupation, notamment sous la plume de Nicolas Bourgeois126. De fait, Gantois avait parmi ses amis français des antisémites notoires : Johannès Thomasset, pour la Bourgogne ; Yann Fouéré, Célestin Lainé et Olier Mordrel pour la Bretagne ; Roger Hervé, Albert Cauvin, le Dr Quesnoy, Jacques Florin, pour la Flandre ; Maurice Guignard pour la Normandie, etc. Quant à ses fréquentations nationalistes flamandes belges engagées politiquement (cf. supra), elles étaient la plupart très investies dans l’antisémtisme. Dans son livre le plus controversé, Le Règne de la Race (1936), on peut lire, chez Gantois même, une douzaine de références à la judéophobie ecclésiastique classique et une autre à l’antisémitisme d’extrême droite contemporaine127. Cependant, selon l’un de ses deux amis juifs, Gantois n’aurait eu qu’une adhésion superficielle ou partielle à l’antisémitisme de type II128. Cela pourrait expliquer pourquoi Gantois aurait volontiers accepté que ledit ami prenne des responsabilités au sein de Notre Flandre, dans les années 1950, convaincu de se conformer ainsi au « nouvel esprit » chez les intellectuels129 et d’avoir en Herbert Paul Schaap une caution morale à son théodiscisme.

123 Sur l’antisémitisme de gauche contemporain ou antérieur à Gantois, cf. F.-G. Dreyfus, Histoire de Vichy, Paris, Fallois, 2004 (1990), pp. 67-71, 80-81 et 83-84 ; N. Fresco, Comment devient-on antisémite ?, Paris, Seuil, 1999, L. Kochan (dir.), Les Juifs en Union soviétique après 1917, Paris, Calmann-Lévy, 1971 (1970).

124 Cf. le texte signé de Despicht sur le thème du Juif errant dans les chants populaires flamands in Le lion de Flandre, sept.-oct. 1937, pp. 178-182.

125 P.-A. Taguieff, L’antisémitisme de plume, Paris, Berg International Editeurs, 1999, pp. 15, 19 et 30-31.

126 Au reste les Juifs sont des figurants récurrents dans son autobiographie Comment avoir une patrie à aimer, Dunkerque, Westhoek Editions, 1979 (e.g. pp. 24-25).

127 A. Decleene [J.-M. Gantois], Le Règne de la race, Paris, Sorlot, 1936, pp. 33, 90, 110, 112 & pp. 39, 44, 60-61, 71, 77, 109.

128 Lettre de P. Schaap à E. Defoort du 02/12/1974 (KAFN 1.59).

129 Lettre de J.-M. Gantois à V. Celen du 02/12/1951 (KAFN 1.2).

Autrement dit, l’antisémitisme n’est pas, ni dans l’œuvre proprement ni dans le mouvement de Gantois, un trait saillant, malgré un environnement particulièrement pénétré par les diverses formes de la judéophobie. Plus surprenant encore, Gantois n’a pas absorbé l’antisémitisme couramment distillé dans les publications de ses fréquentations flamandes belges, si bien que nous pouvons dire que, en matière d’antisémitisme, l’influence des Belges a été faible, du moins sur Gantois.

II.3.3 Les illuminations brunes nuancées

De la même manière, alors que son environnement français et belge immédiat ou plus éloigné l’y prédisposait, Gantois n’a pas exactement versé dans le fascisme, le nazisme, l’extrémisme de droite, ou l’anticommunisme. Considéré comme une idéologie néolatine, le fascisme130 le rebutait à cause du culte du chef, du militarisme, du mépris pour les élites traditionnelles, la volonté de créer un homme nouveau et les desseins statocratiques, alors que l’irénique Gantois comptait sur le soutien des bourgeois pour revigorer l’homme ancien, en ignorance souveraine des modalités de l’organisation des pouvoirs publics. Conséquemment, le fascisme comme mouvement était méprisé en raison de son organisation partisane, martiale, violente, autoritaire avec des rituels de masse. Pourtant, certaines fréquentations de Gantois avaient embrassé le fascisme avec enthousiasme, y puisant les ressources symboliques pour l’organisation du Verdinaso ou du Vlaamsch Nationaal Verbond. Cela semble minimiser sérieusement l’influence des Belges sur Gantois, sous ce rapport au moins. Au demeurant, il nous semble difficile d’imputer aux Belges, plus qu’aux Français ou directement aux Italiens, la responsabilité de la fascisation partielle du mouvement de Gantois sous l’Occupation, quand Jacques Florin a introduit, auprès des membres de la section de jeunesse du VVF, la notion de chef et le principe militaire dans les relations verbales et les codes sociaux.

Quant au nazisme, avec lequel Gantois refusait de confondre le germanisme, il avait trouvé des adeptes avérés parmi certains membres, en particulier ceux qui ont rejoint formellement le mouvement sous l’Occupation. Dans un premier temps, Gantois semble avoir espéré dans l’avénement du nazisme, idéologie supposément au service du germanisme, la possibilité d’un avénement thiois ; dans Le Règne de la race (1936), il voyait le Führer comme un « homme providentiel ». Mais dès après la condamnation de l’encyclique Mit brennender Sorge (1937), Gantois n’a plus, à notre connaissance, écrit en faveur du nazisme. Le garde-fou de la foi catholique semble l’avoir prémuni contre la souscription à une pensée fondamentalement homicidaire et contre l’adhésion à une doctrine éminemment païenne.

Toutefois, il ne s’est pas pour autant détourné d’amis ouvertement nazis, formant « une aile extrémiste » qui « surclassait ses positions, depuis 1940 »131 ; il n’a pas non plus veillé à diminuer l’influence grandissante des Belges pro-nazis du Willem van Gullikkring (cf. supra).

Plus généralement, l’œuvre de Gantois a bien compris des items idéels constitutifs de l’extrême droite132 : nationalisme (fût-il à l’état larvaire), xénophobie (dépourvue d’extension idéologique criminogène), goût de l’ordre (exempt de velléités statophiles), refus de l’altérité (consubstantiel au conservatisme de l’ethnème), anticommunisme (indissocié de l’obéissance ecclésiale). Son milieu d’origine ou d’évolution le rendait perméable aux idées d’extrême droite, avec des amis ou membres représentatifs du catholicisme réactionnaire, de la bourgeoisie xénophobe, du régionalisme amer ou de la dynamique maurrassienne, sans pour autant le pénétrer profondément. S’il n’était pas personnellement favorable à la franc-maçonnerie, selon

130 Nous reprenons ici les principaux marqueurs isolés par Philippe Burrin in Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris, Seuil, 200, p. 251.

131 Lettre de Roger Hervé à E. Defoort datée 17/01/1975 (KAFN 2.3)

132 M. Winock (dir.), Histoire de l’extrême droite en France, Paris, Seuil, 1993, p. 13.

les recommandations mêmes des autorités ecclésiastiques, son antimaçonnisme était cependant tout à fait négligeable dans son œuvre.

Curieusement, l’anticommunisme n’a pas imprégné de manière significative l’œuvre de Gantois. Les remarques anticommunistes dans les publications du VVF, assez rares durant l’Entre-deux-guerres, ont été un peu plus nombreuses sous l’Occupation ; mais, durant la Guerre froide, le rejet du communisme soviétique a été indissociable du rejet du libéralisme américain. Fils d’une famille catholique conservatrice, ministre d’une institution en lutte contre le « péril rouge », ami de grands industriels de la région lilloise, Gantois aurait pu être autrement plus anticommuniste, à l’instar de Bourgeois. Pourtant, l’anticommunisme est ignoré133, sinon même désapprouvé. Autrefois vicaire en paroisse ouvrière, Gantois s’est parfois explicitement agacé de l’anticommunisme primaire de ses amis belges134 ; son amitié avec quelques marxistes l’en a peut-être préservé. Sous l’Occupation, il a clairement refusé l’anticommunisme

« pratique » en déclinant les invitations officielles à des manifestations antibolchéviques135, par crainte d’y perdre du temps, de l’énergie et de l’autonomie. Plus surprenant encore, après-guerre, il a valorisé le supposé bon traitement des minorités nationales au sein de l’U.R.S.S. et a même multiplié les références à des leaders communistes prétendument attachés à la sauvegarde des langues régionales et à la résistance au jacobinisme136.

Conclusion

Tout au long de la présente étude, nous avons testé le réseau des acteurs de la culture flamande de France pour en vérifier le niveau d’autochtonie, sachant que ladite culture participe ou participait d’un ensemble culturel situé (originellement) par-delà les frontières actuelles.

Notre objectif était de voir si, hier plus qu’aujourd’hui, ce réseau comprenait des acteurs de nationalité belge et si cette qualité présentait une quelconque pertinence pour la compréhension dudit réseau.

Nous avons choisi d’appréhender le réseau depuis un acteur français aussi marquant que controversé, l’abbé Jean-Marie Gantois, parce qu’il nous semblait avoir été le centre d’un réseau dont il a participé notablement à la reconfiguration. Nous avons apprécié son réseau en en analysant, diachroniquement, la structure plurielle et polymorphe en « circuits ». Nous avons montré que la mise en réseau initiale de Gantois était médiocrement liée aux acteurs belges de la culture flamande, notamment parce que les circuits existants étaient généralement coupés des néerlandophones belges. Nous avons cependant aussi montré que le renforcement de sa position au sein de ce réseau s’est accompagné d’un rapprochement avec des Flamands belges, incidemment facilité par les progrès linguistiques de Gantois en néerlandais. Or ce rapprochement a été contemporain d’une radicalisation accrue des acteurs belges de la culture flamande, si bien que la radicalité flamande a attiré Gantois aux radicaux flamands, au point de

Nous avons choisi d’appréhender le réseau depuis un acteur français aussi marquant que controversé, l’abbé Jean-Marie Gantois, parce qu’il nous semblait avoir été le centre d’un réseau dont il a participé notablement à la reconfiguration. Nous avons apprécié son réseau en en analysant, diachroniquement, la structure plurielle et polymorphe en « circuits ». Nous avons montré que la mise en réseau initiale de Gantois était médiocrement liée aux acteurs belges de la culture flamande, notamment parce que les circuits existants étaient généralement coupés des néerlandophones belges. Nous avons cependant aussi montré que le renforcement de sa position au sein de ce réseau s’est accompagné d’un rapprochement avec des Flamands belges, incidemment facilité par les progrès linguistiques de Gantois en néerlandais. Or ce rapprochement a été contemporain d’une radicalisation accrue des acteurs belges de la culture flamande, si bien que la radicalité flamande a attiré Gantois aux radicaux flamands, au point de

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