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Pathologies au-delà du paysage

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Géographie et cultures 

81 | 2012

Les échelles des territorialités

Pathologies au-delà du paysage

Bertrand Pleven

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/236 DOI : 10.4000/gc.236

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 septembre 2012 Pagination : 134-136

ISBN : 978-2-336-00431-0 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Bertrand Pleven, « Pathologies au-delà du paysage », Géographie et cultures [En ligne], 81 | 2012, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/gc/236 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.236

Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020.

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Pathologies au-delà du paysage

Bertrand Pleven

RÉFÉRENCE

The Wire [Sur écoute], série télévisée créée par David Simon et co-écrite avec Ed Burns pour la chaîne HBO, cinq saisons 2002-2008, disponibles en DVD (Warner Bros Video et HBO)

1 Ce soir « le morveux » est mort. Le sang ruisselle sur l’asphalte d’un quartier du Westside de Baltimore et le détective McNulty discute, assis sur l’escalier de marbre d’une des petites maisons à deux étages, avec le témoin. Il questionne : « Mais pourquoi donc le laissiez-vous jouer si vous saviez qu’il volait ? », son interlocuteur, surpris de la question lui répond finalement : « We got to. This is America, men1 » tandis que le cadre s’élargit et laisse percevoir le corps situé juste en face d’eux. Le détective, désabusé, sourit en coin. Immersives et bavardes, authentiques mais distanciées, les premières minutes des 60 heures de fiction que comprend la série The Wire donnent le ton d’une œuvre qui constate et qui cherche à comprendre comment les règles du jeu ont dérapé dans les rues du péricentre d’une ville frappée de plein fouet par la désindustrialisation et la fuite des classes moyennes blanches. Coïncidence notable, la ville est centrale dans la réflexion du géographe David Harvey qui la considère comme un laboratoire particulièrement pertinent pour penser les méfaits du capitalisme globalisé :

« Baltimore est en grande partie un désordre, pas le désordre enchanteur qui rend les villes si intéressantes à explorer, mais un horrible désordre »2. Série profondément urbaine, The Wire a acquis très vite et spectaculairement le statut d’objet universitaire3 et pourtant peu de géographes ont sacrifié à l’effet de mode.

2 The Wire raconte, étalée sur cinq saisons, « la guerre contre la drogue » que mène une équipe de policiers dans le paysage lunaire d’« une ville qui rétrécit ». Tous ces flics ont leur pathologie, leurs casseroles et leurs petites lâchetés. Loosers plus au moins magnifiques, ils s’opposent aux gangs territorialisés dans les tours et les pavillons des quartiers pauvres et se battent contre les rigidités de leur hiérarchie, la moralité molle

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des décideurs politiques et la réduction drastique des budgets. La série adopte les deux points de vue sans présupposés moraux, pénètre les spatialités tout aussi underground des policiers et des dealers et donne à voir les espaces délaissés et gangrénés par la drogue. L’enjeu de cette lutte des places est d’abord le contrôle des corners, lieux stratégiques de la revente et part visible des multiples ramifications de l’industrie de la drogue. Au fil des épisodes et des saisons, la série élargit le cadre et intègre de nouveaux espaces. Le port (saison 2), les hauts lieux du pouvoir (saison 3), l’école du péricentre (saison 4), la rédaction du Baltimore Sun (saison 5) sont autant de pièces qui dévoilent les logiques de filières et de réseaux que les policiers tentent contre vents et marées d’enregistrer en écho au projet la série de rendre visible et audible les mécaniques aboutissant in fine à la fabrique urbaine des inégalités. Les dynamiques urbaines telles la rénovation ou l’abandon de quartiers entiers (bien pratique pour cacher des cadavres) deviennent partie prenante de l’intrigue, nourrissant les thèses engagées des auteurs. La série va plus loin encore en envisageant des possibles géographiques dignes de films d’anticipation et verse dans la « fantasmagorie »4, quand, par exemple, le Major Colvin tente de sacrifier un quartier entier – Hamsterdam ! – dans lequel la drogue peut être consommée et commercée légalement afin de mieux en préserver le reste de la ville. Rarement, le récit étalé – tendance feuilleton – et fragmenté – choral – des séries télévisées de dernière génération n’a semblé si remarquablement adapté pour rendre compte d’« innovations » géographiques prises sur le vif.

3 La chaîne HBO (Home box office) qui a produit The Wire a en effet grandement participé d’un véritable tournant spatial narratif que l’on peut situer à la fin des années 1990. Ces séries relèvent et se revendiquent d’un « œil du soupçon » à double détente : il s’exerce sur la société étatsunienne mais également sur la forme sérielle et les discours télévisuels. D’un point de vue spatial, elles projettent un regard nouveau – pour la télévision – et à différents degrés désenchanté sur les différents espaces urbains étatsuniens du downtown de Sex and the city à la suburb de Desperate Housewives, à l’exurb de Sons of anarchy ou encore à la small town de Friday night lights. Par les récurrences qu’elles portent, par la nouvelle épaisseur spatiale de leurs récits, ces œuvres dessinent de véritables géotypes renégociés à l’aune des métropoles postmodernes questionnant systématiquement leur habitabilité5. The Wire dans sa manière de camper (et de camper dans) Baltimore s’inscrit dans le même mouvement tout en le poussant à l’extrême.

Comme souvent, un background artistique – en l’espèce les films de Barry Levinson et John Waters ancrés dans Baltimore – préparent le terrain de la délocalisation narrative.

Le choix de sortir des lieux dominants – l’inner city de Baltimore et non New-York, Los Angeles ou Chicago – autorise un nouvel éclairage thématique, ici social, et offre une visibilité nouvelle à des espaces plus génériques aptes à supporter des regards critiques voire radicaux, en l’occurrence sur la reproduction des inégalités sociales au sein de la ville. Enfin, la recherche très poussée du vraisemblable, voire dans le cas de The Wire de l’authentique – appuyée sur un savoir et une pratique des espaces des deux auteurs qui ont été respectivement journaliste pour l’un, détective et professeur pour l’autre – renforce l’effet de réel, produit une étrange proximité avec les personnages, et propose une expérience plus proche de l’excursion géographique que de la visite guidée.

4 The Wire est une plongée saisissante dans les cercles de l’enfer, une version télévisuelle de la Comédie humaine transposée dans l’urbanité des villes de la rust belt. Engagée, elle se présente comme une critique des dérives néolibérales et des institutions et a entrainé de nombreux débats aux États-Unis, tout en s’inscrivant quand même dans

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une certaine nostalgie, celle de la communauté et du mode de production révolu de type fordiste notamment. Forcément partielle, elle s’apparente à une tentative de cartographie réactualisée du modèle de Burgess de territoires finalement mouvants d’une ville en déliquescence agissant comme un piège spatial, bref, un organisme socio- spatial malade. Que reste-il à faire : détruire Baltimore ? Voir ou re-voir The Wire.

NOTES

1. « Fallait bien. On est en Amérique ».

2. David Harvey, Spaces of capital, Edinburgh University press, 2000. Traduction de l’auteur.

3. Voir par exemple A. Chaddha, W. J. Wilson, « Why we’re teaching ‘The Wire’ at Harvard », www.washingtonpost.com, en France voir le récent colloque à l’Université Paris X du 13 janvier au 1er juin 2012 ainsi que l’excellent ouvrage The Wire : reconstitution collective, Les prairies ordinaires, 2011, 166 p.

4. Pour reprendre l’expression d’Emmanuel Burdeau dans The Wire : reconstitution collective, op. cit.

5. Voir sur la question des suburbs : G. Billard, A. Brennetot, D. Andréolle, B. Pleven et A. Prié. « Subversive suburbs : la représentation des suburbs dans les séries télévisées américaines », TV/

Series (revue en ligne), à paraître en 2012.

AUTEUR

BERTRAND PLEVEN Géographie-Cités – UMR 8504

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