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L exemple des «Livres Roses» de la Guerre

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(1)

ENFANTS EN GUERRE : LA PROPAGANDE

LITTÉRAIRE À DESTINATION DE LA JEUNESSE PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

L’exemple des « Livres Roses » de la Guerre Marie Puren – Epitech MNSHS

Séminaire –Master Arts, Lettres et Civilisation - Le Mans Université /Université d’Angers

10 décembre 2021

Gustave Le Rouge, Victor Spahn, Nos gosses et la guerre, Maison de l’Édition, 1915

(2)

PLAN

La propagande à destination des enfants pendant la Grande Guerre

Le cas de la littérature de guerre pour les enfants

La collection « Les Livres Roses » de la Librairie Larousse

La représentation de l’enfant dans les romans de la collection « Les Livres Roses »

La réactualisation du modèle héroïque en 1914-1918 : l’exemple de la figure du

boy-scout dans un des romans

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UNE GUERRE TOTALE

❑ Guerre 14-18 : violence complètement nouvelle => violences sur champ de bataille + violences exercées sur les sociétés en guerre

❑ Concept de « brutalization » (« action de rendre brutal ») créé par George Mosse pour définir tournant culturel de la 1ère GM

❑ Dimension « totale » du conflit avec cette culture de guerre nouvelle qui touche toutes les couches des sociétés en guerre

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L’UNION SACRÉE

L’Union sacrée doit réunir tou·te·s les Français·es : les hommes bien sûr, mais aussi les femmes et les enfants

Chanteurs des rues réservistes, Paris, vers 1914-1915

(5)

MOBILISER LES ENFANTS

Réunir tou·te·s les citoyen·ne·s français·es, quels

que soient leur origine sociale, leur genre ou leur âge

❑ Créer une propaganda spécifiquement destinée aux enfants, population par nature non mobilisable

❑ Les plus jeunes deviennent des cibles pour la propaganda, notamment avec la littérature (romans et périodiques)

(6)

LES ENFANTS DANS LA

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

❑ Enfants = « enjeu caché de la guerre » (S. Audoin-Rouzeau)

Guerre faite « pour eux » qui justifie la poursuite des combats => guerre civilisationnelle

Faciliter acceptation d’une guerre qui dure

Discours qui leur sont destinés => « mobiliser » l’enfant dans le conflit

❑ Création d’une propagande de guerre qui leur est uniquement destinée

Se démarque peu de celle des adultes

Reste plus stable dans le temps

❑ Analyser cette propagande de guerre destinée aux enfants permet de mieux appréhender :

Le « noyau dur » des cultures de guerre européennes

Les représentations collectives des participants du conflit

(7)

PROPAGANDE DE GUERRE POUR LES ENFANTS

❑ Une guerre faite « pour » les enfants :

Guerre de protection des enfants

Guerre qui prépare et protège leur futur

❑ Forte pression sur eux (culpabilisation) puisqu’on peut donc exiger d’eux un dévouement sans bornes

❑ Héroïsme du quotidien qui doit se traduire par un comportement exemplaire, avec une claire séparation des rôles masculins et féminins.

❑ Pression très forte de l’institution scolaire avec finalité patriotique de l’éducation

Les filles doivent aider à soulager la détresse de leurs proches.

Les garçons doivent se

préparer à leurs rôles de soldats.

(8)

PETITES HÉROÏNES ET PETITS HÉROS

DU QUOTIDIEN

(9)

UNE LITTÉRATURE DE GUERRE

❑ Loisirs (jeux, jouets et lectures) : vecteurs de la propagande de guerre

❑ France, Grande-Bretagne et Allemagne : production en masse de livres de guerre pour enfants (1914-1918)

❑ Transformation de la littérature pour enfants rendue possible par un terrain favorable : militarisation de la littérature en France, en Allemagne et en GB avant la guerre

Flambeau, chien de guerre. Dessin de Benjamin Rabier.

Caumery et Edouard François Zier, Bécassine chez les Alliés, 1917

(10)

LES GENRES

Romans de guerre pour les adolescents («war stories »)

Albums illustrés, albums de coloriage et abécédaires pour

les plus jeunes

Littérature de guerre bon marché (« Livres Roses pour la

jeunesse »)

Contes « détournés » (par exemple, version du Petit Chaperon Rouge transposé

dans la guerre)

Périodiques pour enfants moins chers et destinés à un public plus populaire : création de périodiques spécialisés sur la

guerre (par ex. Les Trois Couleurs, La jeune France, La

Croix d’honneur)

Conversion de périodiques existants :

Garçons : recentrement sur le roman d’aventures et de guerre (disparition du roman d’aventures exotique)

Filles : les aventures des héroïnes sont déplacées dans le contexte de la guerre

Fillette, 1916

L’Epatant, 1915

(11)

LES THÈMES

Haine de l’ennemi, exprimée de manière outrancière

Récit des atrocités allemandes –notamment sur les plus jeunes

Violences exercées sur l’ennemi : passage à tabac, description de la mort infligée à l’ennemi (thème obsessionnel des publications enfantines)

❑Vision héroïque de la guerre, loin de celle véritablement vécue : guerre de cavalerie, qui se déroule dans des plaines sans tranchées, guerre avec des combats au sabre – « d’homme à homme »

❑Blessés qui ne souffrent pas mais au visage radieux

❑Version apaisée de la mort Guerre irréelle :

Etonnamment, description parfois très crue de la mort : composante de violence extrême dans la littérature enfantine, héritière de la IIIème République

(12)

LA LIBRAIRIE LAROUSSE PENDANT LA GRANDE GUERRE

Edition pendant la Grande Guerre : période de désorganisation + manque de main d’œuvre + manque de matières premières (papier) + baisse des tirages

❑1914-1919 : période « faste » pour Larousse

Tirages exceptionnels

Renouvellement du catalogue

Entre 1914 et 1918 : augmentation du nombre de titres

Réorientation du catalogue dans un sens patriotique :

1. Livres informatifs sur la guerre et ses conséquences 2. Ouvrages de littérature héroïque

3. Littérature nationaliste (écrivains et intellectuels de renom)

(13)

UNE RÉORIENTATION PATRIOTIQUE (1914- 1919)

❑ Augmentation de la production des ouvrages patriotiques (1/3 de la production) pour compenser la baisse des ventes des dictionnaires et manuels scolaires

❑ Ouvrages pour la jeunesse : une grande partie de cette production (1/4 des titres)

❑ « Les Livres Roses » représente la collection la plus importante

❑ Création en 1915 d’une « Série héroïque » au sein de la collection => naissance des

« Livres Roses de la guerre »

30000

75000

100000

125000

150000

100000

0 20000 40000 60000 80000 100000 120000 140000 160000

Début 1915 Fin 1915 Avril 1916 Août 1916 Juin 1917 Fin 1917

Evolution du nombre d’exemplaires tirés pour chaque volume de la collection « Les Livres Roses »

(14)

LA LIBRAIRIE LAROUSSE

❑ Librairie Larousse : crée en 1852 par Pierre Larousse, instituteur, lexicographe et écrivain (1817- 1885) et Augustin Boyer, instituteur (1821-1896)

❑ Concurrente directe de la maison Hachette

❑ Bouleverse le paysage de l’édition scolaire avec ses manuels scolaires

❑ Dictionnaires Larousse :

Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1863, 1866-1876, 1878) rédigé par Pierre Larrousse

Petit Larousse illustré (1905) conçu par Claude Augé (1854- 1924) (successeur de Larousse et Boyer à la tête de l’entreprise)

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« LES LIVRES ROSES POUR LA JEUNESSE » (1909-1939)

❑ Lancée en 1910, se poursuit jusqu’en 1939.

▪ Une des plus grosses collections Larousse

▪ Une partie de la collection est consultable à la BnF (dont une partie est numérisée et disponible sur Gallica)

❑ A l’origine, pas des ouvrages originaux en français : traduction et adaptation de romans anglais pour enfants

▪ Dans la lignée des « books for the bairns » (livres pour chambres d’enfants)

▪ Lancés sur le marché britannique par la maison W.T.

Stead de Londres

▪ Cession par Stead à Larousse du droit de publier et vendre les traductions et adaptations en français de ces livres pour une période de 10 ans à partir du 1er octobre 1909

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« LES LIVRES ROSES POUR LA JEUNESSE » (1909-1939)

Lancement de la collection en juillet 1909 avec une grande campagne publicitaire

Caractéristiques :

Public : garçons et filles de 6 à 13 ans

Rythme : 2 volumes de 64 pages par mois

Prix : 15 centimes par volume soit 0,60 euros de 2020

Adaptation de la collection au marché

30000 exemplaires vendus au lieu des 50000 attendus

Dès 1910 : ajouts de contes et nouvelles en plus des traductions

Baisse du prix qui passe à 10 centimes soit 0,40 euros de 2020

Editeurs Larousse demandent des retours des lecteurs et de leurs parents sur la collection

Envoi de spécimens + encarts publicitaires dans des périodiques qui invitent parents et enfants à envoyer leur avis

Mieux saisir les attentes du lectorat pour se distinguer des autres maisons d’édition qui proposent des collections jeunesse (Fayard, Tallandier, Ferenczi)

(17)

DES ROMANS POUR ENFANTS

1910 1910 1913

(18)

DES CONTES

1910 1910 1912

(19)

LES GRANDS MYTHES

1911 1911 1912

(20)

L’ADAPTATION DE CLASSIQUES DE LA LITTÉRATURE

1910 1910 1912

(21)

HISTOIRE & GEOGRAPHIE

1913 1914 1914

(22)

« LES LIVRES ROSES » PENDANT LA GUERRE (1914-1919)

Une centaine de titres publiés (n°144 à 238) pendant la guerre

Une bonne partie d’entre eux traitent uniquement de la guerre avec une vision

« héroïsée »

• Exposent les atrocités de la guerre…

• … Justifient la poursuite des combats

Toujours conçus comme des romans courts pour les enfants, mais :

Cultiver le patriotisme des plus jeunes

Profiter du succès de la veine patriotique

« Patriotisme patronal » (cf. Paul Gillon, directeur commercial qui exprime sa haine des Allemands dans les lettres qu’ils envoie à ses employés mobilisés)

Motivations des éditeurs :

(23)

1915 1916 1916 1918

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LA MISE EN SCÈNE DE L’ENFANT-HÉROS

Leitmotiv récurrent des « Livres Roses » : enfants héroïques

Thème central de la propagande à destination des enfants (S. Audoin-Rouzeau)

Pas innovation de la Grande Guerre : figure qui se développe à partir de la guerre de 1870 et s’épanouit à la fin du XIXe. s.

Enfant-héros : pas seulement personnage de papier ; souvent présenté comme

« réel » par la propagande => rupture avec la période précédente 1870-1914

Porter une dimension morale et civique en temps de guerre

Leçon morale et instruction civique

Exemple pour tous les enfants de France, tou·te·s potentiel·le·s héro·ïne·s de la guerre

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L’ENGAGÉ VOLONTAIRE

Mise en scène deux catégories de jeunes engagés :

Très jeunes soldats mobilisés (les « bleuets»), qui arrivent sur le champ de bataille avec l'ensemble de leur classe d’âge

Ceux qui ont devancé l'appel et ceux qui, très jeunes, se font « adopter » par une troupe ou un régiment (enfants-soldats âgés de 11 à 16 ans)

Pour les plus jeunes, « joie » de devenir soldat : leur entrée dans l'armée régulière est souvent une récompense pour les actes de bravoure exceptionnels qu’ils accomplis

Ambiguïté permanente :

Enfant-soldat propulsé dans l'âge adulte avec son entrée dans l'armée

Enfant-soldat reste un enfant au sein de la troupe qui l'adopte

Claude, 12 ans, dorloté par la troupe de poilus qui l’a recueilli, s'endort dans les bras de ses camarades. Le général Foch vient même l'embrasser dans son sommeil... avant de lui remettre la Croix de guerre le lendemain. (Joachim Renez, Le Petit Poilu, 1916)

Enfants mis en scène expérimentent la violence dans leurs corps (blessés et tués) et dans leurs actes :

Témoins d'actes de barbarie commis par les Allemands sur leur famille et leurs proches, les enfants-soldats s'engagent pour se venger.

Claude dans Le Petit poilu combat seul le soldat allemand qui lui a fait du mal : « Claude, le bras et la main entamés [il vient de recevoir un coup de sabre], lâcha l'arme, mais son terrible bras gauche devait venger le droit. Il fit un rapide moulinet et au moment où le sabre du Uhlan allait lui fendre la tête, à l'aide d'une feinte, il esquiva le coup et, rapide, le bout ferré frappa le

hideux personnage à la tempe droite d'un coup à assommer un bœuf! »

Mort infligée avec une certaine nonchalance : Albert Schuffrenkes, 14 ans, ne sait plus combien d'Allemands il a tué : « Certes, je ne les ai pas comptés, mais j'avais bon nombre de casques, de lances et de sabres. Je les ai donnés partout où j'ai passé, parce qu'ils m'encombraient. D'ailleurs, je pense bien en avoir d'autres bientôt. »

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MOBILISER LES FILLES

Jeune fille / petite fille doit elle aussi participer à l'effort de guerre

Jeanne, 7 ans : « Les petites filles aussi, s'écria Jeanne, se dévouent pour la France ! Oh ! Que j'en suis fière et que je voudrais faire comme elles ! » (Charles Guyon, Les Enfants héroïques de 1914, 1915)

Pas directement impliquée dans les combats, et surtout ne donne pas la mort.

Soigne / sauve / s’occupe des soldats blessés

« Ah ! Pourquoi s'écriait Pierre, ne puis-je aller aussi avec toi, cher papa, combattre les ennemis ? Je n'aurais pas peur de la bataille et, avec un fusil, je me défendrais bien - Et moi, disait René, je relèverais les blessés et je les emmènerais aux ambulances. - Moi, je les soignerais, ajoutait Jeanne. » (Charles Guyon, Les Enfants héroïques de

1914, 1915)

Rôle d'infirmière pour participer à l'effort de guerre : « […] puisque je ne puis combattre à côté de nos soldats, [annonce la jeune Mariola,] je n'ai qu'un désir, me consacrer aux soins de nos

blessés. »

Exploits héroïques possibles :

Avantage physique conféré par leur petite stature : elles peuvent se faufiler et se cacher facilement, leur permettant ainsi de prévenir l'armée française de l'avancée des Allemands. Louise Haumont, 12 ans, « grâce à sa taille mignonne » peut s'échapper du fort de Troyon cerné par les Allemands, et prévenir les soldats français de leur présence.

Fait preuve de courage et sang-froid.

Mariola, 14 ans, héroïne des Exploits d'une petite Roumaine(1918), soigne des soldats blessés, prévient des soldats roumains de la présence d'ennemis autrichiens, leur sert de guide à travers la campagne, fait sauter un pont pour ralentir l'avancée des troupes hongroises et permet à des villageois emprisonnés de s'enfuir. Sa récompense : pas la

Croix de Guerre, mais devenir infirmière.

(27)

L’ENFANT RÉSISTANT DANS LES TERRITOIRES OCCUPÉS

Révolte enfantine s’exprime de différentes manières :

Blagues d’écolier (mode de la farce)

Fritz, jeune Alsacien été enlevé par « des nomades prussiens », résiste et se rebelle : il improvise un drapeau français avec quelques morceaux d'étoffe, et remplace le drapeau

allemand qui flotte sur la mairie de la ville où il a été emmené, par le drapeau français.

(Charles Guyon, Le Petit Patriote, 1919)

Révolte constante, cachée mais quotidienne

Marguerite Müller, strasbourgeoise de 13 ans, qui « souffrait cruellement de ne pouvoir se révolter contre la domination étrangère » se révolte en jouant chaque jour sur son piano La

Marseillaise, avec la fenêtre ouverte. (Michel Nour, Français avant tout!, s.d.)

Attitude de dignité alors que l'enfant est prisonnier des Allemands

Marthe, 15 ans, emmenée de force par les Allemands lors de leur retraite, résiste aux humiliations à travers une attitude pleine de dignité face à l'ennemi : « Ces grands yeux bleus qui regardent bien en face et cette attitude volontaire et énergique ne lui disent rien

qui vaille. C'est encore une de ces révoltées dont on a tant de mal à venir à bout et qu'on ne peut jamais mater tout à fait. » (Henri Pellier, La petite Exilée, 1917)

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DES QUALITÉS ENFANTINES MISES AU SERVICE DE LA FRANCE

Jeu utilisé comme une « arme » face à un ennemi plus puissant.

Dans Le Petit Prisonnier, le enfants rassemblés sur la place du village marquent leur mépris envers l’envahisseur allemand en jouant, alors qu'un défilé militaire traverse la grand-rue : « Il s'en trouva deux bonnes douzaines, gamins et gamines, pour aller voir ça. Seulement, c'est sans en avoir l'air qu'ils regardaient le défilé et écoutaient la

musique. Ils jouaient à la toupie, aux billes, à la marelle. » Leur absence visible d'intérêt rend alors furieux leurs occupants. (Louis Dorey, Le Petit Prisonnier, 1918).

Insouciance propre à l'enfance = manière de résister à la terreur

Résister, c'est aussi jouer dans la rue, malgré les obus qui menacent Reims : « Tu comprends, ajouta crânement le petit garçon, ce n'est pas amusant d'être toujours enfermé On est bien mieux, dans la rue. Et puis, tu sais bien que

les Boches n'en veulent qu'à la cathédrale !... » (Jeanne-Bénita Azaïs, Le Petit écolier de Reims, 1916)

Héroïsme de l'enfant s'exprime à travers cette capacité à faire abstraction de la violence quotidienne et à vivre

« comme avant »

«Henriot est un petit bonhomme courageux. […] après deux longs jours passés tout au fond de leur souterrain, Henriot a oublié les angoisses et les dangers de la veille. Il est tout au soleil qui brille et qui réchauffe, il est tout

aux oiseaux qui chantent ». (Henri Pellier, L'Ami du Grand Blessé, 1918)

La dernière arme de l'enfant, c'est sa ruse

Lorsque la petite Henriette, 10 ans, ferme la trappe de sa cave et emprisonne ainsi les huit Allemands qui pillent sa maison, c'est parce qu'elle a « une inspiration. Elle ne s'arrêta point à calculer les conséquences de son acte. »

(Charles Guyon, Les Braves petits Français pendant la guerre, 1915)

(29)

LES HÉRO·ÏNE·S DU QUOTIDIEN

Premier devoir de l'enfant :ne pas succomber à la peur.

La guerre a tout changé comme l'explique son frère aîné à la petite Gaby : « C'était bon avant la guerre d'avoir peur. Mais, maintenant, tous les Français, et aussi toutes les Françaises, doivent ignorer ce que c'est que la peur. [..] Il faut me promettre d'être raisonnable, c'est- à-dire de ne plus te sauver à la cave en entendant parler des Prussiens, et de ne plus pousser des cris pour une feuille qui tombe ou une

souris qui trotte. » (Henri Pellier, La Jeune Infirmière, 1918)

Devoir de s'habituer et s'adapter aux nouvelles conditions de vie imposées par la guerre, sans se plaindre.

Alors qu'une alerte signale des bombardements allemands sur Paris, le petit Pierre boude, à l'idée de descendre à la cave en plein milieu de la nuit. Mais son grand-père le reprend : « « Quand tu manques de courage et d'énergie pour supporter ce qui n'est, après tout, qu'un petit désagrément et un trouble momentané dans tes habitudes, tu devrais penser à ton cher papa qui en subit bien d'autres, lui, là-bas

au front. » (H. Pierre Linel, Les deux Alertes. Dans une cave de Paris, 1918)

Pas possible de se plaindre alors que les pères et les frères combattent en première ligne.

Face à l'adversité, il faut résister et surtout ne pas succomber à la tristesse et au découragement. Ce serait faire le jeu des Allemands, comme l'explique Lucie, 10 ans : « Puisque les Allemands veulent nous ennuyer et nous énerver avec leurs gothas [...], n'est-ce pas tout naturel de leur riposter en prenant la chose le plus gaîment possible. » (H. Pierre Linel, Les deux Alertes. Dans une cave de Paris, 1918)

Vie de l'enfant : combat de tous les jours : comme le soldat, l'enfant doit supporter les épreuves du « front du quotidien ».

Dans Le petit écolier de Reims, les enfants mis en scène sont véritablement mobilisés, et se sentent eux-mêmes mobilisés. Les habitants de la ville de Reims, constamment bombardée, tentent en effet de vivre normalement ; les enfants en sont le symbole, jeunes volontaires qui vont à l'école malgré les dangers. L'enfant, se transforme en petits soldats : « Je t'assure, maman, que je dois aller à l'école. Tu n'as pas

empêché papa de partir au front. Ne m'empêche pas non plus de faire mon devoir. » Jeanne-Bénita Azaïs, Le Petit écolier de Reims, 1916)

Tous les actes du quotidien prennent symboliquement une valeur extrême : faire comme s'il n'y avait pas la guerre, c'est aussi résister, et participer à l'effort de guerre.

(30)

DE NOUVEAUX HÉROS : DEUX BOY-SCOUTS À PARIS PENDANT LA GUERRE (1916) DE MARIE DE LA HIRE

On suit Pierre Morand, 13 ans, qui rêve de partir sur le front

Multiplication des épisodes : mise en scene ces qualités que le jeune héros doit developper pour devenir un futur bon soldat

Les deux boy-scouts du titre : deux frères, Jean et Jacques Bruneau, qui se préparent à partir pour la guerre.

Marie de La Hire, Deux Boy-Scouts à Paris pendant la guerre, 1916

« Pierre Morand regardait avec admiration ses

camarades Jean et Jacques Bruneau parce qu’ils étaient vêtus du costume en drap kaki des boys-scouts. »

(incipit, p.2)

(31)

JEAN ET MARIE DE LA HIRE

Mariés de 1904 à 1925

❑ Marie : écrivaine active dès le début du siècle, féministe

Articles dans L’Aurore sur le féminisme

Poèmes et romans

Se spécialise dans les romans sentimentaux (Duchesse et Midinette, 1911 par ex.)

❑ Jean : écrivain prolifique, actif dès 1898.

Romancier à succès et feuilletoniste régulier (Le Matin)

Romans d’aventures et de science-fiction (notamment chez Ferenczi et Tallandier)

Marie de La Hire,

pseudonyme de Marie Weyrich

(1878-1925)

Jean de La Hire,

pseudonyme d’Adolphe d’Espie (1878-1956)

Marie et Jean de La Hire vers 1905

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LES ROMANS PATRIOTIQUES DE MARIE ET JEAN DE LA HIRE

Tous les deux ont écrit des romans / textes patriotiques.

Les Trois Diables bleus (1915)

La Fauvette des tranchées (1915)

L’Archiduc sanglant (1916)… etc.

Jean de La Hire :

La Femme française, son activité pendant la guerre (s.d) mais probablement publié pendant la 1ère GM

Cœurs fidèles (1928) : publié après sa mort, probablement par Jean de La Hire, et sans doute écrit pendant le conflit (intrigue se déroule en 1914)

Marie de La Hire :

(33)

QUI EST L’AUTEUR·E DU

ROMAN ?

Marie de La Hire, prête-nom ?

❑ Ne pas être trop présent sur la scène littéraire et brouiller les pistes

▪ Jean est censé consacré son temps à la direction d’un hôpital militaire à Montpellier : 1916 = année très prolifique avec plusieurs feuilletons, romans et textes…

▪ Jean écrit principalement pour Ferenczi et Tallandier : utiliser un nom connu, sans dévoiler que l’on travaille pour un concurrent

❑Tous deux romanciers mais :

▪ Marie : spécialisée dans le roman sentimental

▪ Jean : connu pour ses romans d’aventures et romans scouts

❑ Dans Annuaire international des lettres et des arts

de langue ou de culture française (1922) : Marie

ne revendique pas la maternité du roman, alors

que toutes ses autres œuvres sont citées

(34)

QUI EST L’AUTEUR·E DU

ROMAN ?

Marie de La Hire, prête-nom ?

En 1920, Marie aurait joué le rôle de prête- nom de Francis Picabia en signant par complaisance un catalogue d’exposition qu’il aurait lui-même financé

1

.

❑ Mariés de1904 à 1925 :

▪ Séparés en 1914, mais pas de signes de mésentente (à l’époque)

▪ Possible collaboration : Jean de La Hire publie, après le décès de son épouse, des ouvrages sous leurs deux noms

❑ Ne pas écarter l’idée que Marie de La Hire soit la seule auteure du roman et qu’elle ait voulu profité de la renommée de son époux dans le roman scout

1 Aurélie Verdier, « L’Hainamoration. Picabia avec Picasso », Les Cahiers du Musée national d'art moderne, Paris : Centre Georges Pompidou, n°124, été 2013, p.80, note 19.

(35)

LE HÉROS SCOUT

Figure littéraire qui émerge avant la 1ère GM et qui connaît un beau succès : le boy- scout

Les Trois Boy-Scouts, n°19, 1914 (Ferenczi)

« Au cours d’une de nos promenades, Anne-Marie [sa mère] s’arrêta comme par hasard devant le kiosque qui se trouve encore à l’angle du

boulevard Saint-Michel et de la rue Soufflot, je vis des images

merveilleuses, leurs couleurs criardes me fascinèrent, je les réclamai, je les obtins ; le tour était joué, je voulus avoir toutes les semaines Cri-Cri, l’Epatant, Les Vacances, Les Trois Boy-Scouts de Jean de La Hire et Le Tour du monde en aéroplane, d’Arnould Galopin qui paraissaient en fascicules le

jeudi. »

Jean-Paul Sartre, Les mots, Paris : Éditions Gallimard, 1972, pp.61-62.

(36)

LE MOUVEMENT SCOUT

❑ Scoutisme = mouvement de jeunesse créé par Robert Baden-Powell en 1908 après le succès de son livre Aids to scouting (1899)

Scout= éclaireur ; to scout= explorer

Livre d’instruction sur des opérations militaires de repérage + techniques de survie dans le wilderness(que l’on peut traduire par «région sauvage » - pas modifiée par la main humaine)

Utilisé par des pédagogues et des organisations de jeunesse + très apprécié par les jeunes garçons

❑ Robert Baden-Powell (1857-1941) : général britannique à la retraire

Formé aux techniques de survie à la fin du XIXe siècle

Combattant dans les guerres coloniales

❑ Succès phénoménal de Scouting for Boys en 1908 :

Réécriture de Aids to scoutingen occultant l’aspect militaire et en recentrant sur des héros non- militaires

Ajout de nouveaux principes éducatifs (la méthode scoute) basée sur des jeux en plein-air,

destinée à former des jeunes gens indépendants, confiants en eux-mêmes, en bonne santé et utiles à la société

(37)

LE ROMAN SCOUT EN FRANCE

Quatre romans scouts publiés en français en 1913 :

❑ Dans Le Journal des voyages, Le Défi d’un boy-scout. Roman d’aventures du Colonel Royet (publication périodique)

Jack l’éclaireur. Un boy-scout français de Paul Zimmermann (roman)

❑ Les Trois Boy-Scouts de Jean de La Hire (publication en fasciscules)

Les Aventures de trois boy-scouts d’Arnould Galopin dans le nouvel hebdomadaire d’Albin-Michel (publication périodique)

❑ A part Zimmermann, tous les auteurs sont des spécialistes du

roman populaire et d’aventuress Paul Zimmermann, Jack l’éclaireur. Un boy-scout français, Paris : Larousse, 1913.

(38)

LE ROMAN SCOUT EN FRANCE

❑ Contexte éditorial favorable

Essor des éditions bon marché

Développement d’une littérature destinée exclusivement à la jeunesse à la veille de la Grande Guerre

❑ Stratégies éditoriales avec pour objectif de drainer un jeune public plus important vers des publications censées satisfaire son attrait vers le comique, l’aventureux et le sentimental.

❑ Roman d’aventures pour la jeunesse, héritier du

« Bildungsroman » traditionnellement destiné aux adolescents, lecteurs plus matures

❑ Forme prise par l’aventure dans les romans scouts : héritière de

la pédagogie développée à partir des ouvrage de Baden-Powell Colonel Royet, « Le Défi d’un boy- scout », Le Journal des voyages, 1913.

(39)

LE BOY-SCOUT AVANT LA 1 ÈRE GM

Figure particulièrement adaptée pour devenir un héros patriotique

pendant la Grande Guerre

❑ Des adolescents exceptionnels

Qualités intellectuelles : Intelligents, astucieux, « imaginatifs », « débrouillards »

Qualités physiques : corps sportifs

Qualités « viriles » : beauté physique, noblesse, force, autorité naturelle

Valeurs militaires => incarner le jeune patriote idéal + futur soldat

❑ Mise en scène de nombreux combats : pédagogie de l’affrontement promue par le scoutisme

Canaliser instinct combatif qui serait propre aux adolescents

Faire l’éducation civique, physique et morale de l’adolescent

❑ Enfant idéal et idéalisé : figure que l’on retrouve régulièrement dans la littérature pour la jeunesse au début du XXe s.

Sens du devoir hors du commun // pédagogie appliquée dans les écoles en France

(40)

(L’ENFANT) SOLDAT DE DEMAIN

Futur du jeune scout est tout tracé : il sera soldat, car il est formé pour le devenir.

Conscience de ce destin guerrier ancrée dans l’esprit des jeunes garçons eux–mêmes, dans « leurs âmes de futurs militaires ».

Accent mis sur la valeur physique et morale de ces enfants qui feront

« feront, un jour, une armée forte et disciplinée. »

« Tout cela représentait pour lui [Pierre] le plus bel uniforme du monde et Pierre qui n’avait que treize ans enviait Jean d’avoir seize ans, Jacques

d’en avoir quinze, et tous les deux de faire partie d’une compagnie d’Éclaireurs du IXe arrondissement de Paris. […] Pierre Morand enviait

surtout Jean et Jacques parce qu’ils seraient bientôt soldats et qu’ils pourraient se joindre à ceux que la mobilisation venait d’appeler sous les

drapeaux pour défendre la France. »

(41)

L’ENFANT -SOLDAT DU PASSÉ

Deux figures invoquées par le père du jeune héros Pierre, qui souhaite illustrer, pour son fils

« le type de la vaillance chez les adolescents »

Mobilisation totale de l’enfant : doit se préparer à être soldat, à combattre et à mourir à tout moment.

Modèle héroïque exigeant imposé à l’enfant, avec les morts exemplaires de deux jeunes

soldats de la Révolution, Joseph Agricol Viala (1778-1793) et

Joseph Bara (1779-1793)

Deux figures popularisées par les manuels scolaires laïques de la Troisième République

Enfants-soldats de la Révolution

Morts au service de la République à 14 et 15 ans

Joseph

Agricol-Viala

Joseph Bara

(42)

UN IDÉAL DU SACRIFICE

Inciter son fils à donner sa vie pour la patrie si « l'occasion se présente » : « Cela te prouve, mon cher fils, reprit M. Morand, qu’un enfant peut parfois trouver

l’occasion d’être un héros quand il accomplit simplement son devoir. Il faut que l’occasion, lorsqu’elle se présente, trouve un cœur fort et un caractère décidé. »

Mort acceptée, par le parent et par l'enfant qui « voudrai[t] être un Viala ou un Bara »

Mort de l'enfant-héros : un des ingrédients essentiels des « Livres Roses » sans en cacher la violence parfois insupportable – notamment avec les récits de jeunes enfants héroïques et sans défense, fusillés impunément par les Allemands (p. ex. Charles Guyon, Les Fils de nos Poilus, 1916)

Modèle héroïque révolutionnaire « actualisé » en 1914 avec l'histoire du jeune Émile Desprès.

Récit de la mort héroïque de ce jeune garçon (13 ou 14 ans) va hanter la presse et la littérature destinées à l'enfance. Episode relaté par deux fois dans les « Livres Roses » (Les Enfants héroïques de 1914 de Charles Guyon (1915) et dans Histoire merveilleuse du Roi-Chevalier de Henriette Perrin (1915))

Faisant mine de fusiller un soldat français blessé, aurait abattu un soldat allemand puis aurait été tué à coups de baïonnettes

Les Enfants héroïques de 1914

Histoire merveilleuse du roi-chevalier

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UN MODÈLE HÉROÏQUE ACTUALISÉ AVEC LES BOY- SCOUTS

Exploiter une figure littéraire qui a connu un grand succès juste avant la guerre

Moderniser la figure de l’enfant-soldat en rattachant des figures légendaires anciennes à une figure du présent

Mettre en scène des personnages issus du quotidien : permettre aux jeunes lecteurs de s’identifier plus facilement aux héros du roman

Ne pas faire uniquement appel à des figures légendaires

« - Mais, ajouta M. Morand, les exemples comme ceux de Viala et de Bara sont des cas exceptionnels ; l’armée française n’admet point de gamins dans ses rangs ; pour faire un

bon soldat, il faut avoir un développement physique que facilitent tous les exercices des compagnies d’éclaireurs. - Il faut donc que je sois boy-scout ! dit Pierre en soupirant. »

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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

❖ Stéphane Audoin-Rouzeau, La Guerre des enfants 1914-1918, Paris : Armand Colin, 2004

❖ Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures 1870-1930, PULIM : Limoges, 2010.

❖ Jean-Yves Mollier et Bruno Dubot, Histoire de la librairie Larousse, Paris : Fayard, 2012;

❖Marie Puren, « Les Livres Roses de la guerre (1915-1919) : la mise en scène de l'enfant- héros pendant la Première Guerre mondiale », dir. Catherine Milkovitch-Rioux, Catherine Songouslahvili, Claudine Hervouët, Pierre Vidal-Naquet, Enfants en temps de guerre et littératures de jeunesse (XXe-XXIe siècles),Paris : Bibliothèque nationale de France, Centre national de la littérature pour la jeunesse ; Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2013.

❖ Annie Renonciat, Les livres d'enfance et de jeunesse en France dans les années vingt (1919- 1931) : années-charnières, années pionnières, thèse de doctorat en Histoire et sémiologie du texte et de l'image, dir. Anne-Marie Christin, 1997.

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