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Parce que le Royaume-Uni est une monarchie constitutionnelle,

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Academic year: 2022

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arce que le Royaume-Uni est une monarchie consti- tutionnelle, les dépenses liées aux activités publiques des membres actifs de la famille royale (1) sont finan- cées par le contribuable. Nombre de Britanniques dénoncent ce coût, jugé excessif. Ils s’appuient pour ce faire sur des estimations publiées par la presse ou par différents groupes d’intérêt. Ces estimations, comme d’ailleurs celles ayant trait à la fortune personnelle du monarque, sont sujettes à caution. Elles reposent sur des hypothèses très variables et produisent des résultats difficiles à vérifier. L’évaluation des coûts associés au fonctionnement d’une famille que le roi George VI aurait qualifiée d’entreprise (2) n’est qu’une partie du problème : ces coûts doivent être comparés aux bénéfices monétaires produits par l’attraction que la maison Windsor exerce sur le public, au Royaume-Uni comme dans le reste du monde.

Le financement public de la famille royale plonge ses racines dans l’histoire. Jusqu’en 1760, le souverain réglait l’ensemble des dépenses liées à ses fonctions officielles en puisant dans les

revenus du royaume. Ceux-ci incluaient les revenus héréditaires, qui provenaient pour

une large part des propriétés détenues par la Couronne. Dès son acces- sion au trône en 1760, George III céda au Parlement les revenus produits par les propriétés royales en échange d’une somme mise annuellement

Annick Steta est docteur en sciences économiques.

› asteta@hotmail.fr

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à la disposition du monarque pour couvrir les besoins de sa maison : la liste civile. À cette époque, les propriétés royales ne dégageaient qu’une faible rentabilité. En confier la charge à l’État en contrepartie d’un finan- cement annuel pérenne paraissait être une décision prudente. Il n’en reste pas moins que deux duchés échappèrent à ce transfert : le duché de Lancastre (Duchy of Lancaster) et le duché de Cornouailles (Duchy of Cornwall)(3). Les propriétés royales d’Angleterre, du pays de Galles et d’Irlande (4) dont la gestion a été transférée à l’État forment le Domaine de la Couronne (the Crown Estate). À cela s’ajoute le Domaine de la Cou- ronne en Écosse, qui trouve son origine dans le transfert de la gestion des propriétés royales situées en Écosse à l’Office des forêts. Ce transfert fut réalisé au moyen de trois lois adoptées entre 1832 et 1835. Le Domaine de la Couronne est inaliénable. Il est régi par la loi et fait l’objet d’un rapport annuel au Parlement. Les actifs qu’il détient sont actuellement estimés à 14 milliards de livres sterling (5). Ils comprennent notamment la totalité des biens immobiliers de Regent Street, qui est la principale rue commerçante de Londres, des biens immobiliers situés dans le quar- tier de la City et dans celui de Saint James’s, le domaine de Windsor (à l’exclusion du château de Windsor), plus de 100 000 hectares de terres agricoles, 55 % des estrans britanniques (6), et les zones correspondant aux eaux territoriales du Royaume-Uni.

Fondé en 1351 par le roi Édouard III, le duché de Lancastre est destiné à assurer au souverain des revenus propres, distincts de ceux produits par le Domaine de la Couronne. Ce portefeuille est com- posé de terres, de propriétés immobilières et d’autres types d’actifs regroupés au sein d’un trust. Sa valeur serait d’environ 530 millions de livres sterling. Les bénéfices réalisés par le duché de Lancastre viennent alimenter la Bourse du monarque (Privy Purse), qui participe au finan- cement des dépenses publiques et privées du souverain. Ils ont atteint 25 millions de livres sterling en 2020.

Le duché de Cornouailles fut créé en 1337 par le roi Édouard III pour son fils aîné Édouard de Woodstock, surnommé le Prince Noir. Le titre de duc de Cornouailles est traditionnellement attribué au fils aîné du souverain régnant. Son titulaire actuel est le prince Charles, prince de Galles. La valeur du duché de Cornouailles est estimée à près d’un

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milliard de livres sterling. Il détient 570 kilomètres carrés de terres, dont plus de la moitié se trouve dans le Devon. Après son mariage avec la reine Victoria, le prince Albert entreprit de rationaliser le portefeuille d’actifs détenus par le duché de Cornouailles. Il céda les actifs les moins rentables et utilisa les fonds qui avaient été ainsi dégagés pour acqué- rir des terres situées dans des zones urbaines et périurbaines. Au fil du temps, le duché endormi s’est transformé en une entreprise florissante gérée de façon extrêmement professionnelle. Durant l’exercice budgé- taire qui s’est achevé le 31 mars 2020, le duché a procuré au prince Charles des revenus légèrement supérieurs à 22 millions de livres ster- ling. L’héritier de la couronne utilise ces revenus non seulement pour financer ses dépenses privées et une partie de ses dépenses officielles, mais aussi pour soutenir diverses organisations caritatives. Les revenus du duché de Cornouailles permettent notamment au prince Charles de financer les dépenses privées de ses fils et de leurs familles respectives.

Durant l’exercice budgétaire 2019-2020, le duc de Cambridge et le duc de Sussex ont ainsi reçu 5,5 millions de livres sterling (7).

Les dépenses officielles du souverain et de sa maison ont été financées par le biais de la liste civile de 1760 à 2012. Les limites de ce système devinrent manifestes au début du XXIe siècle. Entre 2001 et 2012, le montant total reçu par la maison royale lors d’un exercice budgé- taire donné était systématiquement supérieur à la liste civile parce qu’il incluait des allocations versées par le Trésor (Grants-in-Aid) destinées à financer les déplacements des membres actifs de la famille royale, les dépenses de communication et d’information, ainsi que l’entretien des palais royaux (8). Le Sovereign Grant Act 2011 a substitué à ce méca- nisme le versement annuel d’une seule allocation, le Sovereign Grant. Le montant de cette allocation est égal à 15 % des bénéfices nets réalisés par le Domaine de la Couronne durant l’exercice budgétaire entamé deux ans plus tôt. De 2017 à 2027, ce pourcentage sera porté à 25 % de façon à couvrir les coûts de restauration et de modernisation du palais de Buckingham, dont les installations électriques, le système de chauf- fage et la plomberie datent des années cinquante. Comme le château de Windsor, le palais de Buckingham n’appartient pas au Domaine de la Couronne mais est géré par la Maison Royale.

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Le montant du Sovereign Grant pour l’exercice budgétaire qui s’est achevé le 31 mars 2020 était de 69,4 millions de livres sterling. À cela s’ajoutent les dépenses liées à la sécurité de la famille royale, qui est assu- rée par la police et par l’armée. Le gouvernement britannique refuse de donner des indications relatives au montant de ces dépenses. L’organi- sation Republic, qui milite pour l’abolition de la monarchie, a repris en 2017 une estimation selon laquelle ce coût représenterait 100 millions de livres sterling par an (9). Il est vraisemblable que cette estimation prend en compte non seulement les coûts liés à la sécurité des personnes mais aussi ceux imposés par la protection des résidences royales, qu’il s’agisse des palais gérés par la Maison Royale ou de ceux détenus par le souverain à titre privé. Seuls les membres actifs de la famille royale béné- ficient d’une protection permanente financée sur fonds publics.

Certains actifs détenus à titre privé par la famille royale ainsi que les revenus qu’ils produisent sont exemptés d’impôts. Le souverain n’est pas assujetti à l’impôt sur le revenu, à la fiscalité du patrimoine et aux droits de succession. Quant au prince de Galles, il n’est pas assujetti à l’impôt sur le revenu pour la fraction de ses revenus provenant du duché de Cornouailles qui n’est pas utilisée pour financer ses activités officielles.

Dans l’espoir d’éteindre les polémiques suscitées par cette situation par- ticulière, un protocole d’accord sur les règles fiscales applicables à la reine et au prince de Galles a été adopté en février 1993 puis amendé en 1996, 2009 et 2013. La reine a accepté de verser volontairement au département gouvernemental chargé de la collecte des impôts et des taxes une somme équivalente au montant qui serait dû si ses revenus privés et la fraction des revenus de la Privy Purse non utilisée pour finan- cer ses fonctions officielles étaient soumis à l’impôt sur le revenu. Elle a également accepté de verser une somme équivalente au montant qui serait dû si les cessions d’actifs privés ayant eu lieu à partir du 6 avril 1993 étaient soumises à la fiscalité du patrimoine. Les actifs détenus par Élisabeth II dans sa capacité de souveraine échappent au paiement des droits de succession. Il en va de même pour les biens détenus par le monarque à titre privé à condition qu’ils soient légués à son successeur.

Dans tout autre cas, la reine a consenti à verser une somme équivalente au montant des droits de succession qui seraient dus si elle n’en était

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pas exemptée. Le prince de Galles s’est engagé à se conformer aux règles fixées par ce protocole d’accord après son accession au trône.

L’organisation Republic a estimé à 345 millions de livres sterling le coût annuel de la monarchie pour le Royaume-Uni. Pour parvenir à ce montant, elle ajoute au Sovereign Grant les dépenses de sécurité (100 millions de livres sterling par an), les coûts associés à l’utilisation de bâtiments publics par la famille royale (30 millions), le « manque à gagner » pour les finances publiques représenté par les bénéfices réali- sés par le duché de Lancaster (près de 70 millions, montant qui paraît très excessif (10)) et le duché de Cornouailles (environ 25 millions), ainsi que différentes dépenses de moindre importance. Republic n’hé- site pas à utiliser des comparaisons propres à frapper les esprits : la brochure publiée en 2017 par ce groupe de pression indique qu’« avec 345 millions de livres sterling, le gouvernement pourrait employer 15 000 enseignants supplémentaires, 15 500 infirmières ou pompiers, ou 17 000 policiers » (11).

Un atout majeur pour l’économie britannique

L’évaluation du coût de la monarchie faite au doigt mouillé par Republic présente toutefois un intérêt : étant données les hypothèses maximalistes retenues par une organisation dont la raison d’être est l’abolition de la monarchie, le coût réel de celle-ci est très vraisembla- blement inférieur. Reste à estimer les bénéfices monétaires que le main- tien en fonction de la famille royale procure à l’économie britannique.

De façon significative, Republic rejette l’argument selon lequel les recettes touristiques engrangées par le Royaume-Uni sont pour partie liées à l’existence de la maison Windsor. Ce groupe de pression va plus loin encore en considérant que la famille royale pèse sur l’économie du royaume en utilisant le palais de Buckingham pour ses fonctions officielles, ce qui ne permet d’ouvrir cette résidence aux visiteurs que deux mois par an. Le projet sous-jacent à cette critique consisterait à transformer le palais de Buckingham en un musée qui présenterait tout au long de l’année les trésors de la collection d’œuvres d’art dont le

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souverain n’est pas le propriétaire, mais qu’il détient en fiducie pour ses successeurs et pour la nation (12). La comparaison avec le musée du Louvre sert souvent à illustrer le potentiel commercial de cette idée (13). En 2018, 552 000 visiteurs se sont pressés à Buckingham durant les deux mois d’ouverture au public. La même année, le musée du Louvre a dépassé la barre des dix millions de visiteurs. Transformer une résidence royale en un musée disposant du rayonnement du Louvre serait une entreprise de longue haleine dont le coût ne doit pas être sous-estimé.

L’idée selon laquelle les visiteurs viendraient en plus grand nombre à Buckingham si ce palais n’était plus la résidence officielle du souverain soulève par ailleurs de nombreuses interrogations. Plus largement, il est difficile de nier l’attraction exercée par l’existence de la famille royale sur les touristes, même s’il est délicat de quantifier cet effet. Depuis le couronnement d’Élisabeth II en 1953, les Windsor font rêver le monde entier. Le succès vertigineux de la série The Crown illustre la puissance de cette machine à produire des fantasmes. Aucune autre famille royale en exercice ne dispose d’une aura comparable.

Cette aura constitue un atout majeur pour l’économie britannique.

La capacité d’influence des Windsor est infiniment supérieure à celle des stars des réseaux sociaux. Avant la pandémie de Covid-19, leur impact sur l’économie britannique était évalué à 1,9 milliard de livres sterling par an. Une large part de ce montant correspond aux recettes touristiques liées directement ou indirectement à l’existence de la famille royale – estimation qui, on l’a vu, est nécessairement entachée d’imprécision. La couverture par la presse des activités officielles et de la vie privée des Windsor assure au Royaume-Uni une publicité gra- tuite évaluée à 280 millions de livres sterling par an. À cela s’ajoutent les bénéfices des mandats attribués aux fournisseurs de la Cour, les Royal Warrants of Appointment. Selon David Haigh, le directeur géné- ral de Brand Finance – un cabinet de conseil spécialisé dans l’évalua- tion financière des marques –, l’attribution d’un Royal Warrant à une entreprise peut se traduire par une augmentation de ses recettes allant jusqu’à 10 % (14). Certains membres de la famille royale ont enfin le pouvoir de faire décoller les ventes des vêtements et des accessoires qu’ils portent. La duchesse de Cambridge, qui associe fréquemment

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des vêtements à petit prix à des pièces de créateur, aurait ainsi fait gagner 150 millions de livres sterling à l’industrie britannique de la mode en 2015. La même année, les ventes de modèles portés par les deux premiers enfants de la duchesse – le prince George, alors âgé de 2 ans, et la princesse Charlotte, qui venait tout juste de naître – auraient produit des recettes estimées à près de 180 millions de livres.

Quelles que soient les estimations retenues, l’impact de la famille royale britannique sur l’économie nationale est largement positif. Le duc et la duchesse de Sussex, dont le modèle économique repose sur la monétisation de leur image depuis qu’ils ont renoncé à être des membres actifs de la famille royale, ont parfaitement saisi l’ampleur de ce pouvoir. Mais ils n’ont peut-être pas compris qu’il leur serait impossible d’en privatiser durablement les bénéfices. La vocation des Windsor consiste à faire vivre la légende de la monarchie britannique.

En prétendant vouloir devenir des personnes privées tout en déve- loppant des activités lucratives capitalisant sur leur appartenance à la famille royale, le duc et la duchesse de Sussex se livrent à un mélange des genres toxique dont ils seront les premières victimes.

1. Seuls huit membres de la maison Windsor se consacrent à plein temps aux obligations royales : la reine, le prince de Galles, la duchesse de Cornouailles, le duc et la duchesse de Cambridge, la princesse Anne, ainsi que le comte et la comtesse de Wessex.

2. Mark Landler, « In Royal “Firm”, the Family Business Always Comes First », The New York Times, 9 mars 2021.

3. David McClure, The Queen’s True Worth. Unravelling the Public and Private Finances of Elizabeth II, Lume Books, 2020, p. 145.

4. Les propriétés royales d’Angleterre et du pays de Galles furent transférées au Parlement en 1760. Celles d’Irlande le furent en 1793.

5. Ariel Shapiro et Deniz Çam, « Inside “The Firm” : How the Royal Family’s $28 Billion Money Machine Really Works », Forbes, 10 mars 2021.

6. L’estran est la partie du littoral située entre les limites extrêmes des plus hautes et des plus basses marées.

7. Ariel Shapiro et Deniz Çam, art. cit.

8. Les dépenses d’entretien du château de Balmoral et de Sandringham House, qui sont des demeures privées des Windsor, ne sont pas financées sur fonds publics.

9. Republic, « Royal Expenses. Counting the Cost of the Monarchy », juin 2017, p. 7.

10. Le duché de Lancastre a réalisé un bénéfice net de 18,8 millions de livres sterling durant l’exercice budgétaire qui s’est achevé le 31 mars 2016 et de 19,2 millions lors de l’exercice suivant.

11. Republic, op. cit., p. 5.

12. Les recettes produites par l’exploitation de la Royal Collection (droits d’entrée, ventes de produits dérivés, etc.) sont versées au Royal Collection Trust, l’organisme chargé de gérer ces œuvres d’art ainsi que les résidences royales où elles sont conservées.

13. David McClure, The Queen’s True Worth. Unravelling the Public and Private Finances of Elizabeth II, op. cit., p. 271.

14. Ariel Shapiro et Deniz Çam, art. cit.

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